27 octobre 2025

La Tromperie de Polichinelle

En regardant les commentateurs du monde entier se fixer ces jours-ci sur «le tort que Donald Trump fait à l’Amérique», je me suis brusquement rendu compte d’un constat que j’avais fait instinctivement, mais jamais formulé explicitement: Trump, en particulier le Trump du second mandat, n’est coupable de rien.

Quoi? Trois facteurs pourtant d’une évidence criante militent en ce sens:

1. Il existe un consensus de plus en plus unanime chez les spécialistes que le Président américain manifeste tous les symptômes de la sénilité, au moins autant sinon plus que ne le faisait Joe Biden dans la seconde partie de son mandat. Et cela renforce encore la révélation faite pendant la première Présidence trumpienne que «le Président adopte presque systématiquement l’avis de la dernière personne qui lui a parlé». Donc, si Trump, comme je l’ai écrit un peu légèrement, manifeste une mentalité fasciste, ce n’est pas qu’il est fasciste, mais que son cerveau en débandade a écouté le dernier conseiller influent qui prônait les aspects de cette idéologie qui étaient attrayants à son ego démesuré.

2. Pendant toute sa carrière autant privée que publique,  Trump n’a jamais défendu une ligne de pensée cohérente. Il adoptait simplement des idées plus ou moins à la mode, souvent contradictoires, qui lui étaient suggérées soit par ses intérêts propres, soit par sa soif maniaque de popularité et de visibilité publique.

3. Lorsque son (ex?) âme damnée Steve Bannon est allé, comme le révèle de façon convaincante Giuliano da Empoli dans «Les Ingénieurs du chaos», passer plusieurs mois en Italie étudier les méthodes de la clique Casaleggio pour amener au pouvoir le mouvement d’extrême-droite Cinque Stelle,  il ne cherchait pas à faire de Donald Trump un Hitler ou même un Mussolini américain… mais un Beppe Grillo. Un bouffon, donc, comme l’a spectaculairement formulé la plus spectaculaire pancarte des manifs «No Kings» d’il y a huit jours: «Elect a clown - get a circus». Un  clown, ou, si vous préférez, une marionnette dont on pouvait tirer les ficelles.

Or aucun être sensé n’a jamais accusé Polichinelle des bêtises qu’il commet sur le  castelet; le responsable est sinon celui qui tire les ficelles, du moins celui qui a écrit le scénario. En conséquence, tous ceux qui se concentrent sur les décisions saugrenues, souvent absurdement provocantes, du Président se fourvoient dramatiquement. La vraie question qu’il faut se poser, ce n’est pas «comment peut-on s’opposer à Trump» (qui, selon ce qui précède, n’y est probablement pour presque rien) mais «qui est à l’origine de ces idées et de ces provocations… et comment on peut contrer ce ou ces individus infiniment plus dangereux?»

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Ce qui précède me ramène à mon lancinant cheval de bataille: ni les individus, ni même les partis politiques, ne sont responsables du chaos courant. Les coupables sont les élites gouvernantes dépassées et égocentriques de toutes obédiences, qui ont abdiqué leur responsabilité d’assurer le bien du peuple face aux puissances d’abord de la finance puis de la technologie; la faute en est donc au régime politique foncièrement oligarchique qui les maintient en place. 

Et si on prétend que donner le pouvoir de décision politique au peuple est une grave erreur, c’est qu’on fait la gaffe macho de considérer celui-ci comme «la masse des citoyens». Or, dans tous les pays, il y a à peu près autant de citoyennes que de citoyens qui auraient alors le droit de décider, et dans bon nombre de pays, elles sont même les plus nombreuses. 

Et je vous défie de prétendre que dans l’état actuel des choses, les femmes adultes du monde entier, et plus proprement celle des États-Unis, jugeraient prioritaire de construire une salle de bal à la Maison Blanche, de donner 20 milliards de dollars à l’Argentine et  d’expédier un porte-avions militaire au Vénézuéla plutôt que de forcer Israël à laisser entrer l’aide humanitaire à Gaza, de fournir du chauffage, de l’électricité et de l’eau potable autant que des armes à  la population l’Ukraine à la veille de l’hiver, et d’expédier une aide d’urgence à la Jamaïque et à Cuba menacées par un gigantesque ouragan. 

Est-ce vraiment plus risqué pour l’humanité de leur permettre de faire ce genre de choix plutôt que de les laisser aux mains des Trump, Netanyahou, Poutine et leurs partisans (surtout masculins)?

18 septembre 2025

L’échec d’un concept jadis brillant, mais désuet.

L’exemple des USA est de loin le plus flagrant, mais loin d’être unique. Le principe de Montesquieu de la séparation des pouvoirs comme contrepoids aux autocraties et oligarchies a bien fonctionné un temps, mais il est clairement battu en brèche depuis une génération, pour une raison bien simple. 

Les penseurs du Siècle des lumières posaient comme prémisse que les élites bourgeoises (industrielles, politique et judiciaires) avaient des intérêts distincts, souvent opposés, qui les empêchaient de s’unir contre les intérêts du peuple. Ce n’est plus vrai, d’autant plus qu’une quatrième caste d’un poids comparable s’ajoute à cette trilogie: celle des médias d’information, composée d’une part de patrons aux intérêts financiers aigus et d’autre part de vedettes qui ont la même soif de popularité que les élus politiques. De plus, les géants industriels ont des pieds d’argile, ils sont péniblement dépendants d’une part des rois de la finance, de l’autre des empires du commerce et de la distribution – sur lesquels ils ont perdu le contrôle.

Ce n’est pas pour rien que les seules élites qui continuent à s’opposer au moins épisodiquement aux manoeuvres des trois autres sont celles du monde juridique, qui pour l’instant n’ont pas directement des intérêts communs avec l’une ou l’autre des autres castes, et celles des «influenceurs» indépendants à l’œuvre sur un Web qui échappe encore au contrôle des autres cliques qui l’ont fortement sous-estimé. Mais cela ne saurait durer, comme l’indiquent les succès de Donald Trump à subvertir la Cour suprême, les failles judiciaires qui se manifestent en France, en Hongrie, en Turquie, en Israël, en Argentine, et les succès incontestables des «ingénieurs du chaos» brillamment démasqués par Giuliano da Empoli…

Il est  ahurissant de voir à quel point, du moins dans l’optique des médias, tous les jeux du pouvoir se passent entre des élites oligarchiques restreintes, alors que de loin les principales victimes de ces joutes, les peuples (et, bizarrement, les producteurs de biens et services), n’ont d’autre option que descendre dans la rue ou de faire un lobbying de moins en moins efficace.

Mon intuition, nourrie de l’expérience de plus d’un demi-siècle d’observation, me dit que nous nous approchons de plus en plus d’une nouvelle Prise de la Bastille de 1789 ou d’un Octobre Rouge de 1917. C’est ce qui fait que je cherche désespérément, peut-être naïvement, comment faire pour l’éviter.

16 septembre 2025

La P’tite Vie, version Hochelaga-Maisonneuve

Journée compliquée et exigeante en vue pour un jeune de 80-quelque.

Mais commençons par la soirée d’aujourd’hui. Oublié mon iPad de luxe dans le taxi vers un (fort bon) souper indien en terrasse sur Ontario: galettes de pommes de terre épicées surprenantes, farcies de purée de patate douce; agneau kourma onctueux et bière de Madras; thé au citron, voisins de table sympa – elles/ils m’ont sorti une chaise sur le trottoir pour attendre assis le taxi du retour. Ouf! Arrivé à la maison, le premier chauffeur avait rapporté ma tablette, qui m’attendait à la réception avant même que j’aie signalé sa perte. Vive le Montréal civilisé… quoique?

Communiqué laconique épinglé à ma porte du 9e: Hydro-Québec avise gentiment les résidants qu’elle coupe le courant dans tout le secteur demain mardi, de 7h30 à 15h30. Ouache! On fait quoi?

Ma tendance à l’insomnie m’inspire une stratégie peu orthodoxe: je passe la nuit debout à lire, placoter sur l’ordi et dans l’atelier de dessin, prends un espresso avec un croissant, puis débranche tous les gadgets électriques (pour ne pas faire disjoncter l’onduleur, voyons!) et vais me coucher vers 6h30 avec réveil vers 11h+. Toilette à l’eau froide, départ vers le centre-ville pour luncher et flâner le plus longtemps possible dans un bistrot ou brasserie (sur St-Denis, avec l’iPad retrouvé!); inutile de me taper une bonne heure d’aller-retour à la maison à l’heure de pointe, aussi bien me rendre directement à Quai des Brumes pour le lancement de Plume à 17h. Et rentrée, sans doute épuisé, au LUX Gouverneur une fois le soleil couché… et le courant rétabli, j’espère!

Oups! À 8h30 du matin, avis par téléphone, la coupure de courante est annulée. Changement de programme (sauf pour Quai des Brumes): rester à la maison, corriger le tableau "La dernière rose" et mettre à jour les systèmes MacOS. Ce soir, souper en ville. Bof.

05 août 2025

Le parfait bonheur?

Je pense qu’il l’est d’autant plus qu’il est imprévu et injustifié, et même s’il ne dure qu’un court moment. J’avais prévu une sortie au resto pour une bonne paëlla, mais la découverte d’un Jane Austen que je ne connaissais pas, «Northanger Abbey», et le rappel de l’existence d’une cantaloupe mûrissant depuis trois jours au frigo m’ont fait changer d’idée. 

Après dix minutes à la cuisine pour trancher quatre pointes de melon et les garnir d’autant de tranches fines d’un prosciutto de chez Milano réservé à cette fin, puis passage au bar pour une rasade de pastis Bardouin sur glace avec jus d’orange et citron frais pressé et pulpeux (une recette niçoise que mes copains marseillais puristes honniraient bien sûr!), je me retrouve confortablement installé sur mon balcon du 9e. Donc vue sur la ville sous le ciel bleu pastel et le soleil légèrement voilé d’un somptueux après-midi montréalais d’août (25° avec une légère brise, l’idéal, quoi!).

Avec le couteau bien aiguisé d’un ensemble Laguiole hérité de mon défunt ami Piazza, je découpe une première bouchée sous l’œil intéressé de deux mouches bleues désagréablement gastronomes. À ma surprise ravie, le melon bien doux et juteux a presque la consistance fondante d’un  bon  sorbet, un poil plus ferme qu’un tiramisu. Un pur délice, d’autant plus que le mélange sucré-salé avec le jambon fait une extraordinaire valse de goûts et de textures avec le couple acide-anisé piquant du pastis trafiqué.

Entre deux fourchettées et deux lampées béatifiques, je me plonge dans la lecture d’une romance enjouée et raffinée, tandis que, dernière grâce improbable, une énorme fourmi volante toute noire vient me débarrasser presto des mouches trop intéressées à mon assiette. Pour le plat principal, on verra toujours…

On a vraiment les bonheurs qu’on n’a pas mérités!


20 juillet 2025

Moi, vieux?

Non, jeune depuis trop longtemps…

La preuve, hier soir je suis sorti manger vers 18h30, ai redécouvert la terrasse du pérenne et très portugais Café Central sur Duluth angle Coloniale. Porto blanc, parfaites crevettes à l’ail avec un gros pain de maïs trempé dans la sauce épicée et surtout goûteux «porco alentejano» (ragoût de porc aux palourdes et vin blanc) comme je n’en avais pas savouré depuis bientôt vingt ans – il n’était pas au menu, mais le patron a accepté de me le faire exprès. Vinho verde évidemment, puis «flan» moelleux avec café filtre brésilien, sous les yeux d’une jolie voisine à lunettes… qu’à ma surprise je retrouve 3/4 d’heure plus tard au P’tit Bar rue Saint-Denis, où à notre désolation le tour de chant prévu a été annulé. Mais il y a un couple de vieilles connaissances qui me saluent et m’invitent à la terrasse; je succombe, la voisine aussi. Soudain, apparaît un jeune maghrébin guitariste avec un répertoire de Brassens, Aznavour, Moustaki et flamenco («… un vieil air du tonnerre à vous faire chiâler tant et tant» comme dans l’Ostende de Ferré), pour qui on improvise un tabouret et un micro avec puissant ampli dehors sur les marches. Ce qui m’inspire le début d’un couplet:

«Le voisin d’en haut du P’tit Bar

A bien fait d’être absent ce soir

On le comprend

Sinon le voisin du P’tit Bar

À intérêt à dormir tard

Et puis longtemps…» (la suite à venir)

Suivent deux cognacs, quelques bières rousses, longs-longs échanges avec deux artistes en herbe fascinés par mes souvenirs du Montréal des années ‘60 (l’esprit plutôt que les péripéties); je rentre quelque peu fourbu à la maison sous la pluie, il est à peine 3h30 – pas la première fois que je ferme un bar, mais la dernière… ou non? Seule dérogation aux traditions, la jolie voisine est rentrée chez elle avec ses lunettes, moi chez moi. Et pis après?

Comme elle s’appelle Madeleine, je suis sans doute condamné comme Brel à l’attendre pour prendre «le tram 33»