La campagne américaine n’est pas seulement atypique par les personnalités en présence. Elle se distingue aussi par des phénomènes inédits qui risquent fort de rendre tous les savants calculs et sondages sans pertinence… sinon carrément folkloriques.
a) Il est vraisemblable que plus de la moitié des citoyens voulant voter l’auront fait avant la date prévue pour l’élection… donc avant même que le discours des candidats soit complété: plus de 79 millions de bulletins ont déjà été déposés, comparé à 74+81 millions (155 millions) tout compris en 2020, ce qui était déjà un record. Ce qui veut dire qu’une majorité probable de votants s’étaient fait leur idée à une étape précédente d’une campagne chaotique qui a rebondi de gaffes absurdes en accidents violents et mensonges grossiers.
b) C’est la première fois dans l’histoire qu’un ex-Président défait se représente, et la première fois que sa rivale, vice-présidente en exercice, n’est entrée dans la course qu’à moins de quatre mois d’avis. L’un arrive clairement à bout de course épuisé et hagard, l’autre frénétique face au manque de temps.
c) C’est la première fois que les deux candidats ont aussi à défendre ce qu’ils ont réalisé (ou raté) dans une précédente présence à la Maison Blanche, au cours d’une pandémie hors-normes qui a grièvement affecté les deux mandats.
d) C’est la première fois, au moins depuis Nixon contre Kennedy en 1960, que l’essentiel de la campagne des deux côtés a porté non pas sur des programmes et des promesses, mais sur des thèmes complètement étrangers l’un à l’autre: préservation des libertés et des principes démocratiques d’un côté, culte de la personnalité et goût d’un retour au «bon vieux temps» de l’autre. Kamala a bien tenté de parler programme mais personne ne l’écoutait, alors que Trump refusait d’en parler malgré les efforts désespérés de son entourage.
e) Il existe une variété de clivages brutaux qui s’interpénètrent et se contredisent: masculin/féminin, blancs/minorités visibles, villes côtières/campagnes du centre, nord/sud, croyants/laïques, pro-Israël/pro-Palestine, etc. Bien fin qui peut deviner dans quel camp finiront par aboutir les millions de personnes qui se trouvent tiraillées entre plusieurs de ces appartenances…
À ces facteurs troublants s’ajoute le fait que la publication des résultats, à cause non seulement de la taille du pays mais de l’abstruse complexité du système électoral, s’étirera vraisemblablement sur plusieurs jours marqués d’une inquiète imprécision et de probables tentatives pour brouiller encore plus les cartes