18 novembre 2019

La fausse piste ukrainienne

Pourquoi la thèse d'une interférence ukrainienne dans l'élection américaine de 2016 est-elle un leurre?
a) La pénétration dans les serveurs des Démocrates n'est qu'un élément relativement mineur dans l'ensemble des interventions étrangères dans la campagne. Voir les paragraphes (f) et (g) ci-dessous.
b) Le Rapport Mueller offre des preuves factuelles et techniques très crédibles que cette opération a été le fait de hackers russes: les noms des responsables, les adresses utilisées, le logiciel employé, les dates et les lieux d'où est partie l'attaque cybernétique.
c) En contre-partie, les partisans de la thèse ukrainienne n'offrent que des preuves circonstancielles et limitées.
d) Le candidat Trump lui-même a invité les Russes, non les Ukrainiens, à dévoiler les e-mails de Hillary Clinton et du DNC. On peut supposer qu'il savait de quoi il parlait.
e) Le président russe Poutine n'a jamais caché sa détestation de Mme Clinton et son désir de voir Donald Trump l'emporter; en revanche, les dirigeants et les oligarches ukrainiens ont toujours ménagé, sinon flatté, quiconque était au pouvoir à Washington, peu importe son parti.
f) Les multiples publicités pro-Trump et anti-Clinton sur Internet ont été créées et payées par des entreprises et des groupes russes, notamment l'IRA, ce qui est solidement documenté. On n'a aucune preuve de publicité ou de propagande comparable de la part d'Ukrainiens.
g) Des milliers de tweets favorisant Trump contre Clinton sont venus d'intervenants russes clairement identifiés et de leurs complices et ont été repris par Trump et son entourage; aucune activité de ce genre n'a été créditée aux Ukrainiens, même par les plus fervents défenseurs de la thèse conspiratoire.
h) L'idée même d'une responsabilité ukrainienne a été suggérée non par des observateurs objectifs, mais par des agents russes, notamment Constantin Kilimnik.
Face à cet ensemble de faits, il est impossible de nier que, même si quelques activités suspectes sont venues d'Ukraine, la véritable opération massive d'interférence a été commandée et effectuée par Moscou. La théorie ukrainienne ne peut être qu'une fausse piste.

16 novembre 2019

Forward to the Past?

«Usted tiene una llamada del senor Salourco», me dit le réceptionniste du Castel Mata de Mataro, près de Barcelone. C'est quoi, cette affaire? Nous sommes le 21 ou 22 mai 1974; Azur et moi sommes en vacances méritées après une épuisante couverture en France de l'élection du Président Valéry Giscard d'Estaing. Je ne connais aucun Salourco, et personne sauf peut-être notre ami Pedro Rubio et mes patrons de la Presse à Montréal, ne sait où nous nous trouvons.
Bon, tant pis. Je prends le combiné et une voix bien connue me tonne dans l'oreille: «Leclerc? Content de t'avoir, vieux, mais tes vacances sont finito! Tu rentres à Montréal par le premier vol, et lundi qui vient tu débarques à Washington – les audiences d'impeachment du Président Nixon commencent la semaine prochaine!»
Salourco, c'est la façon dont l'oreille catalane du réceptionniste a interprété le nom de Saint-Laurent (Claude), alors directeur adjoint de l'information à La Presse et futur grand patron de RDI à Radio-Canada. Il me rappelle brutalement (c'est son style habituel) le pari que j'avais pris il y a un an et demi avec notre patron Jean Sisto: si j'avais raison et que le scandale du Watergate devait aboutir à une possible destitution du Chef d'État américain – personne n'y croyait à l'époque –, j'irais couvrir l'évènement en direct pour La Presse et à ses frais. Pour le reporter international néophyte que je suis, une offre impossible à refuser – même si j'en avais la moindre envie.
Dès le lendemain, après un trajet de nuit en autocar à travers les Pyrénées, je dépose Marie-José à Paris chez sa vieille copine Maryse. Jeudi, je reprends à Orly un Air Canada pour Montréal, me bourre au hasard une valise de ce qu'il faut pour un court séjour, et retourne à Dorval dimanche matin m'embarquer sur Delta pour Dulles Airport et une chambre au premier Holiday Inn disponible dans le voisinage du Capitole.
Lundi, je fonce au National Press Building, où heureusement un ex-confrère et vieux copain, le correspondant de Radio-Canada Lucien Millet, m'explique les arcanes de l'accréditation d'un correspondant étranger dans les instances majeures de l'État américain: Maison Blanche, Congrès, State Department, FBI, U.S. Information Services, Cour suprême, Tribunaux fédéraux...
L'étape initiale est le passage dans les bureaux du Service Secret, l'agence responsable de la protection du Président et de la Maison Blanche. L'imprimatur de ce service est la porte incontournable à ouvrir pour obtenir toutes les accréditations washingtoniennes; un délai normal pour l'enquête de vérification d'identité et de qualification est de deux à trois semaines.
Et là, j'ai un coup de chance complètement absurde: au moment des Évènements d'Octobre 1970 au Québec, un fanatique quelconque avait écrit en mon nom une lettre d'appui au Gouvernement canadien contre les «terroristes» du FLQ (dont plusieurs étaient des connaissance sinon des copains), sous une signature bidon. J'avais évidemment contesté par écrit... mais alors que ma protestation s'était perdue quelque part dans les dédales administratifs d'Ottawa, la lettre d'appui apocryphe, elle, était demeurée bien visible dans mon dossier à la Gendarmerie Royale, «preuve» certaine de mon adhésion aux bonnes moeurs officielles. En conséquence, l'agent responsable de ma requête m'a rappelé dès le samedi matin pour me féliciter de ma réputation sans tache et m'inviter à venir récupérer illico ma collection de laissez-passer pour la Maison Blanche et le Capitole. Les accréditations aux divers autres services et tribunaux devaient suivre vers le milieu de la semaine suivante. Et grâce à l'intervention de Lucien Millet et de son patron René Torre, le National Press Building me fournissait un petit bureau et un classeur... en même temps qu'un membership au National Press Club voisin.
Le «court séjour» allait se prolonger presque jusqu'à la fin de l'année 1974; j'allais rapidement déménager de ma chambre sans grâce du Holiday Inn dans une suite confortable et élégante (chambre, salon, dressing, cuisinette) du Fairfax Hotel sur Dupont Circle (quartier des ambassades), où Azur devait venir me rejoindre au début juillet avec nos deux chats noirs, Angkor et Croquemort... mais ceci est une autre histoire.
C'est cette surprenante séquence de souvenirs qui m'est revenue à l'esprit cette semaine, pendant que je suivais pas à pas (mais à distance cette fois) les péripéties du début d'une nouvelle séquence d'impeachment, celle du Président Donald Trump.