27 décembre 2023

Un joyeux Noël à la Leclerc

Pas très orthodoxe comme menu, mais bien dans l’esprit de la complicité gourmande familiale.

(Note: la visite, Marie, Jean et Mathieu, s’est pointée au LUX bien avant l’heure, contrairement à la coutume de ma soeur…  la faute à son ponctuel fils, sans doute!)

Apéro: liqueur de pelures d’oranges au rhum épicé «schrob» apportée de la Martinique, concoctée par la cousine et surtout amie Raphaëlle Larcher du Diamant, à l’intention expresse de notre soeur, en souvenir du délicieux Noël passé chez eux il y a 18 ans.

Entrée: La contribution de Jean et Marie – de belles huîtres des Maritimes sur lit de glace (même Mathieu, qui ne les aime pas, y a goûté!), avec poivre et citron, accompagnées d’endives-mayonnaise glacées; cava Juvé y Camps millésime 2018 de Catalogne ou gewurtstraminer 2020.

Plat: Ma fondue bourguignonne à l’huile d’olive et ses sept sauces – contre-filet de boeuf et filet de veau taillés en cubes et attendris, avec grelots et salade romaine; choix du même cava, d’un rasteau 2021 0u d’un hautes-côtes de beaune 2006 (reste du fond de cave de Montpellier).

Dessert: Bûche chocolat noir et blanc+bleuets de Mathieu, arrosée de la dernière bouteille qu’il me restait du fabuleux côteaux-du-layon liquoreux Moulin Touchais, celle-là du millésime 1990. Café espresso à l’italienne.

Plus une conversation pétillante de souvenirs anciens, de réactions sur l’actualité et de récits de nos plus récentes aventures, et une session vidéo Messenger avec les membres de la famille éparpillée ailleurs, comme d’habitude.Un vrai joyeux Noël pour un vieux veuf. Merci et gros becs à tous.

09 décembre 2023

Martinique et Guadeloupe

 Retour au naturel.

Après une dizaine de jours de démarches, réparations, reprises de contact, mises à jour de ci et de ça, je retrouve le rythme naturel de la Martinique, joyeux et bon enfant, mais souvent énervant de nonchalance et de délais. Départ enfin, jeudi matin dernier sur le Bum Chromé pour une courte virée dans la Guadeloupe et ses Îles. Avec pour équipage le skipper senior Ignace, de Taupinière, et la charmante «matelote» Karine, mémé accorte et débrouillarde de lAnse-à-l’Âne, quil mavait présentée lors du Tour des Yôles en juillet. Il avait plu une bonne partie de la nuit, j’étais un peu inquiet mais peu après 6 heures se lève un  beau soleil avec un petit vent frais prometteur. Course aux provisions de dernière minute, plein deau, et quelques détails oubliés la veille (dont la visite à la Douane) font quau lieu de quitter le ponton à 9 heures comme prévu, il était bien passé 11 heures quand nous avons hissé les voiles au large de la Pointe Borgnesse. 

Un vent arrière capricieux nous oblige à louvoyer quelque peu mais nous pousse gaiement vers le Rocher du Diamant… où nous nous retrouvons en plein coeur du flamboyant spectacle de l’étape retour-en-France de la Transat Jacques Vabre. Sans le moindre incident, nous croisons une trentaine de superbes monocoques élégants et colorés qui tirent des bords à trois fois notre vitesse de croisière en nous envoyant des saluts de la main. Karine, les yeux écarquillés, ne sait pas où donner de lappareil-photo et vidéo! 

Cest cependant avec deux heures de retard que nous accostons à Saint-Pierre, presque à la tombée du jour et dans un crachin capricieux qui nous dissuade de grimper comme prévu à la Distillerie Depaz, ma favorite, et à nous offrir un  souper raffiné dans un resto voisin. Jachète du rhum correct sans plus au dépanneur-express et nous ramenons à bord un plutôt bon repas commandé dans un bistrot de cuisine créole proche du quai: beignets de crevettes, balaous frits, ouassous, thon grillé, riz et légumes locaux. 

Il est près de 21 heures, donc pas question de faire lescale planifiée à la Dominique, la seule solution réaliste est de naviguer dans le noir pour arriver à larchipel des Saintes peu après le lever du soleil. Donc, nuit blanche entrecoupée de courts repos; trajet lent sur le nord de la Martinique, traversée rapide et un peu houleuse du Canal de la Dominique sous une belle lune ronde, ennuyeuse étape de «pétole» (calme plat) le long de l’île elle-même. Mais en entrant dans le canal des Saintes, cest une autre histoire: des bourrasques de 22-25 noeuds marquées de grains violents et dune houle à contre-vent qui secouent méchamment notre vieux Bum Chromé, lequel navait pas connu pareil traitement depuis au moins cinq ans; un plaisir absolu pour Ignace et moi, mais une initiation mouvementée à la navigation nocturne pour Karine!

——-

Vive le cabrit!

Heureusement, peu avant 7 heures, le rideau de lourds nuages laisse percer un soleil qui colore lhorizon et les crêtes des vagues d’éclats couleur de lave brûlante, et la brise se calme quelque peu mais continue de nous porter à bonne vitesse jusquau mouillage enchanteur de Terre-de-Haut, où nous nous amarrons à une bouée de location pour aussitôt nous écraser dans un sommeil bien mérité jusquau milieu de laprès-midi. 

Après le ballet aéro-aquatique des antiques pélicans tournoyant au-dessus des bancs de petits poissons puis plongeant comme des torpilles dans les eaux calmes de la baie, apéro à bord, accostage au ponton (par permission spéciale), sortie au restaurant. Le Génois, tout près, offre des entrées correctes sans plus, mais un plat principal mémorable: le colombo de cabrit est une spécialité antillaise, quon trouve de moins en moins en Martinique, mais encore en Guadeloupe; cest un cari de chevreau additionné de purée de mangue verte, recette héritée des «koolies», les travailleurs indiens et sri lankais importés aux plantations des Antilles à labolition de lesclavage. Un pur délice quand il est réussi comme celui-ci.

Retour à bord sur un petit nuage de gourmandise rassasiée, mais la nuit est singulièrement écourtée par la nécessité dun assez long parcours contre le vent pour nous présenter tôt samedi matin à la Marina de Bas-du-Fort, à Pointe-à-Pitre. Dans les bruits de moteur sous ma tête, je ne dors que dun oeil, et cest une bonne chose: quand je monte au skybridge vers 5 heures, je trouve Ignace aux prises avec un véritable labyrinthe de signaux lumineux contradictoires dans le Petit Cul-de-sac qui mène à la capitale guadeloupéenne. Trompé par le phare de l’Îlot Gosier et une lecture erronée du nouveau lecteur de cartes-GPS, il est venu se buter sur les hauts-fonds de la côte voisine.

En nous y mettant à deux (lui à la barre et les yeux sur les bouées, moi sur la carte marine du lecteur et sur les autres bateaux qui circulent aux alentours), nous retrouvons le chenal principal et la bonne signalisation, aidés aussi par lexemple dune gigantesque barge qui se dirige vers le port commercial, situé presque en face de celui de plaisance que nous recherchons. Ce nest que vers 7 heures que nous accostons enfin à un amarrage temporaire avant quun préposé efficace et sympathique ne vienne nous guider à notre place réservée, à deux pas de la Capitainerie et dune rangée de restos de quai.

——-

Retrouvailles bibliques

Vendredi soir, javais enfin réussi à appeler ma belle-soeur Évelyne Blanche à sa maison de Goyave, pas très loin de Pointe-à-Pitre, promettant de venir la voir dans laprès-midi samedi. Mais je narrivais pas à joindre Anthony, le fils de mon défunt et très cher ami Robert Belaye, journaliste émérite et indépendandiste antillais inconditionnel; je lai enfin eu samedi matin comme il partait au travail, et nous nous sommes donné rendez-vous pour déjeûner avec sa maman (Sainte-Lucienne dorigine) près du port. Double surprise: Shirley a peu changé sauf pour une tête un peu plus blanche, mais lui! Le jeune homme athlétique et barbu dont je me rappelais est devenu un monsieur plutôt corpulent et glabre. Plus encore, lancien socialiste un peu romantique est maintenant un Témoin de Jéhovah – comme sa mère dailleurs – persuadé que seule la Parole de Dieu, plutôt que celle de Marx et Jean Jaurès, peut sauver notre monde en débandade. Ce qui, on sen doute bien vu mon agnosticisme affirmé, produit un dialogue à trois plutôt bizarre, parsemé de leurs citations bibliques contrées par mes observations de la réalité ambiante… Ce qui nempêche pas notre vieille amitié de se réaffirmer malgré plus dune décennie de séparation, sur un fond dexcellents sushis et tatami de bonite.

En revanche, malgré toute ma bonne volonté, pas moyen de rejoindre Évelyne; ou bien elle fait une sieste prolongée, ou bien (comme le croit sa fille Jessica), elle a a carrément oublié notre projet de rendez-vous et sest absentée. Je me résigne à faire limpasse, craignant de subir inutilement un assez long trajet jusqu’à son village, et dans lespoir de mieux la retrouver lors dun prochain passage. Pendant ce temps, notre skipper Ignace est parti dans une fête de famille marquant le baptême bien arrosé dun nouveau petit-fils; nous ne le retrouverons quen milieu de soirée.

Vers 19 heures, le bar le plus près dispose sur le quai à deux pas de nous une série de tonneaux transformés en tables avec lampes et tabourets, nous laissant présager un samedi soir quelque peu fiévreux. Mais nous avons droit en échange à une excellente salade à la thaïlandaise livrée à bord, et clients festoyeurs et musique à danser tout voisins se révèlent agréablement civilisés – surtout vu la réputation de la Guadeloupe pour les musiques tonitruantes et le puissant tambour Gwo-ka.

——-

Meurtre en Dominique

Ignace a réussi à installer la nouvelle télé de bord et détecté les chaînes numériques de la Guadeloupe. Hélas! Les premières images que nous y voyons aux nouvelles des Antilles dimanche matin sont atroces: une voiture incendiée au coeur dune ravine de la Dominique, dans laquelle on devine deux cadavres calcinés. Pire encore, les victimes sont sinon des amis, du moins de vieilles connaissances à moi, et québécoises par surcroît: lentrepreneur-technologue Daniel Langlois, fondateur de Softimage et du centre de cinéma expérimental ex-Centris de Montréal et sa compagne Dominique Marchand. Azur et moi les avions croisés la dernière fois il y a quelques années, lors dun vol vers la Guadeloupe.

Il est immédiatement clair quil ne sagit pas dun accident, mais dun meurtre crapuleux, les policiers hésitant dabord entre deux hypothèses. Soit un règlement de comptes dun cartel de la drogue auquel Langlois aurait refusé de collaborer dans son nouvel hôtel de luxe au sud de l’île, soit plus absurde encore, une vengeance dun voisin outré que la route vers lhôtel passe sur son terrain! Cest finalement la seconde qui sera retenue, lauteur du crime, rapidement identifié et arrêté, ayant dénoncé ses commanditaires, le voisin américain et sa femme. Et il est tout à fait vraisemblable que le crime ait été commis au moment même où nous longions la Dominique sur le Bum Chromé deux nuits plus tôt.

Jai toujours considéré Daniel non seulement comme un brillant innovateur, mais comme un type bien, qui est parvenu à réaliser une grande carrière et une grande fortune à coups dinitiatives positives et sans léser qui que ce soit. Nous nous sommes connus à ses débuts à lONF dans les  années 1980, alors quil réagissait parfois à mes chroniques «Demain lan 2000» dans La Presse, puis à la sortie de son film danimation «Tony de Peltrie»; jai suivi sa carrière à Softimage — effets spéciaux du «Titanic» et de «Jurassic Park» — , me suis réjoui du rachat de lentreprise par Disney à un prix pharamineux, puis de la création dex-Centris (une généreuse et astucieuse résurrection du défunt cinéma Élysée de notre ami Jean-Paul Ostiguy). Quand Vallier Lapierre et moi avons lancé notre modeste (et prématuré) effort de promotion et dexplication du commerce électronique vers 1994, puis notre start-up dinformation Web CogiteX (avec Mario Pelletier et Renato Cudicio) en 1997-98, il a été plusieurs fois de bon conseil, toujours disponible pour une discussion à bâtons rompus et des suggestions pertinentes.

Il me paraît tragiquement absurde que sa fin nait eu aucun rapport possible avec ce que jai connu de sa vie…

——-

Un retour accidenté

Encore sous le choc, nous levons lancre (pour ainsi dire) de la Marina de Bas-du-Fort, où nous sommes coincés entre un cata sportif de 55 pieds et un monocoque grand luxe de plus de 30 mètres aux surfaces rutilantes de chrome, de cuivre et de teck verni, sans cesse briquées et polies par un personnel affairé en uniforme. Hélas, notre vieille chaîne dancre décide de nous faire honte devant ces voisins chics; elle bloque sans cesse le barillet du guindeau motorisé, qui ne consent à rejouer son rôle qu ‘à coups de maillet sur les maillons rouillés. Trois-quarts dheure defforts à trois pour relever une vingtaine de mètres de chaîne!

Cest au milieu de laprès-midi que nous atteignons enfin le mouillage de Saint-Louis de Marie-Galante, un délai quIgnace juge amplement compensé par la capture dun joli (et vigoureux) barracuda denviron 3 kilos qui balance à travers le cockpit de violents coups de queue un bon quart dheure après sa sortie de leau. Nous en tirerons un délicieux souper de filets de poisson grillé… mais en oublierons de descendre à terre faire provision du renommé et  puissant (62% dalcool pur) rhum Père Labat que je m’étais promis de ramener au Québec pour l’édification de mes incrédules amis.

À laube lundi, je décide (à tort, on le verra) quil nous faut filer au plus tôt vers la Martinique, où la banquière de la BNP ma donné rendez-vous le lendemain matin. Au départ, la chance nous favorise. Un bon vent franc est nous propulse du mouillage de Marie-Galante vers la pointe nord-est de la Dominique. Ignace décide avec raison de prendre le chemin le plus court, par la côte Altantique qui nous offre les Alizés à leur meilleure saison plutôt que le calme plat du sous-le-vent de la côte Caraïbe. Nous hissons les voiles au plus tendu pour profiter dune puissante brise de travers  de 25 à 30 noeuds, qui fait défiler le sauvage paysage dominiquais à près de 10 noeuds sur notre droite pendant trois bonnes heures, rythmées par des creux de houle atteignant les 2,5 mètres.

Il fait pourtant déjà nuit quand nous abordons la pointe nord de la Martinique à louest de Grand-Rivière. Et les ennuis commencent. La brise a viré au nord, nous éloignant de la côté protectrice, tandis que l’électronique de bord se met à faire des siennes: plus de GPS pour afficher la carte marine et corriger le compas magnétique, lanémomètre (interprète de la girouette en tête de mât) refuse de nous indiquer aussi bien la direction que la force du vent. Pendant près de trois heures, sous des rafales de pluie frissonnante, nous tournicotons autour du Rocher du Diamant sans pouvoir prendre clairement le cap vers louest et notre refuge du Marin.

Brusquement, les feux de position clignotent puis s’éteignent, le moteur tribord toussotte et se tait, la barre de gouvernail ne répond que de façon spasmodique! Il nous faudra cinq bonnes heures de plus pour franchir à clochepied les moins de vingt milles qui nous séparent de la Pointe Borgnesse, point de repère de lentrée dans le Cul-de-Sac du Marin et de notre port dattache. Heureusement, le copain Xavier Roseau vient nous rejoindre en hors-bord au large du Club Med et réussit à relancer le second moteur, ce qui nous permet enfin de pénétrer au coeur de la Marina et de nous arrimer au ponton H juste avant 10 heures du matin mardi. Ouf! Sauf que le rendez-vous impératif à la BNP-Paribas est annulé, la banquière chargée du compte s’étant absentée sans préavis…