27 décembre 2018

No collusion!!!

La dissolution de la Fondation Trump pour fraude, les peines de prison à Papadopoulos et Cohen, les mensonges de Flynn au FBI, les combines de Manafort, les manoeuvres suspectes de la famille Trump auprès des Russes et des Saoudiens convergent très précisément sur un point. Toutes les enquêtes menées ou provoquées par le procureur spécial Bob Mueller démontrent ce qui paraît maintenant évident, qu'Il y avait aux USA mêmes une véritable conspiration de tout l'entourage du Président avec un double objectif: (a) profiter de la position financière et des relations d'affaires de Donald Trump pour infléchir plus ou moins légalement en sa faveur la campagne à la Présidence, (b) profiter de la campagne de Donald Trump à la Présidence pour favoriser plus ou moins légalement son enrichissement et celui de sa famille.
L'ironie suprême de la chose serait que, comme le clame le Président, les enquêtes échouent sur un seul point: qu'elles n'arrivent pas à prouver la chose même pour laquelle elles ont été déclenchées, une collusion entre la campagne de Trump et les hackers russes pour influencer le résultat de l'élection.
No collusion!!!

Logique trumpienne
Tout le monde parle de "théorie du chaos" quant au style de gouvernement de Donald Trump. Je me demande si la logique trumpienne, ce n'est pas en réalité la théorie du chaos à l'envers: une série de bouleversements majeurs à la Maison blanche dérangent à peine le vol d'un papillon en Amazonie!
Je ne puis que m'incliner encore une fois devant la rigueur intellectuelle de la stratégie de défense du Président des USA: sur la question cruciale de la collusion entre sa campagne et les hackers russes, Donald Trump est forcément innocent puisque non seulement ses accusateurs, mais tous les membres de son propre entourage mentent et que lui seul dit la vérité. Oublions le détail insignifiant que sur tous les sujets possibles et imaginables (y compris celui-là), il a été pris en flagrant délit de mensonge ou au moins d'inexactitude quelque 3108 fois en 600 jours de pouvoir... soit en moyenne cinq fois par jour.

02 octobre 2018

Drôle d'élection...

Par la magie d'une bonne connexion Internet et de l'Apple TV, nous avons passé cette nuit montpelliéraine (because le décalage horaire) à suivre sur grand écran la soirée électorale québécoise à Radio-Canada, comme si nous étions au Québec.
On ne peut qu'être déçu de voir triompher la CAQ, le parti le moins prêt à gouverner, avec le programme le plus vétuste. Mais il faut aussi reconnaître trois résultats positifs:
(a) On se débarrasse d'un régime libéral usé, profiteur et dépassé tant au niveau des idées que des manières de gérer l'État.
(b) La débâcle du Parti Québécois impose non seulement un changement de personnel dirigeant, Lisée en tête, mais une véritable refondation impliquant la reconnection du parti avec le peuple et surtout avec la jeunesse, ainsi que du projet souverainiste avec les besoins réels de la population et l'évolution politique et économique de la planète.
(c) La renaissance, avec la montée en force et en étendue de Québec Solidaire d'une véritable gauche militante, jeune et dynamique qui, malgré ses erreurs de jeunesse, apporte un souffle d'intelligence et d'imagination dans le paysage politique.
La surprise a été majeure face à l'ampleur du changement imposé par les électeurs, mais à la réflexion on peut y trouver trois causes principales: le manque de franchise et de propagande explicative sur la nature et la nécessité de la souveraineté, l'erreur stratégique énorme de chercher la vaine résurrection d'un Bloc fédéral qui n'a fait que diviser les forces en pleine période de crise, enfin le choix aberrant d'un chef vaniteux, inconscient des dangers de la situation dont il héritait et braqué sur son ambition personnelle.
Je faisais déjà ces critiques bien avant la campagne électorale, mais des amis péquistes habituellement lucides (Gilbert Paquette, Jacques Lanctot...) m'accusaient de ne pas être réaliste! On a vu le résultat.
Pour le reste, pas grand-chose à dire du dernier mois, passé à faire la paresse dans le climat plutôt chaud pour la saison du Languedoc. Quelques sorties, un souper gastronomique sous les voûtes du XIVe siècle de La Diligence pour fêter l'anniversaire d'Azur, des moules au roquefort et au cari chez le copain Régis, une virée à Palavas-les-Flots pour renouer avec la Mer de Trenet, quelques scotchs avec le voisin du dessous Chantefort... Et pour finir, une orgie de chansons d'Aznavour après son décès subit hier matin. Nous rentrons à Montréal dans quelques jours, au moins pour attraper la fin de l'Été indien –– s'il y en a un.

03 septembre 2018

Fin d'épisode

Et voilà déjà que l'épisode Martinique est terminé. Mercredi nous sommes passés à la banque nous assurer que tout était en ordre financièrement pour les prochains mois, puis à l'agence de voyage voisine pour confirmer nos réservations sur Air Caraïbes vers Orly et acheter nos billets de TGV de Paris à Montpellier. Jeudi, visites d'adieu de Philippe Ursulet et Charles Larcher et dernier repas créole «gastronomisé» au Zanzibar.
Vendredi matin, Twiggy et Henrietta sont venus ranger nos affaires et nous donner un coup de main pour préparer les bagages, encore une fois réduits au minimum. À midi, taxi de Rodolphe jusqu'au Lamentin, embrouillamini pour la remise du fauteul roulant et l'assistance-embarquement, suivis d'une longue attente assez orageuse au Salon Madras pour un départ retardé d'une heure. Pour une fois, cuisine décevante à bord malgré les efforts d'un personnel chaleureux. Samedi matin à Orly, autre taxi (un tunisien ultra-loquace) pour la Gare de Lyon, où nous sommes arrivés juste à temps pour prendre le TGV vers Montpellier. En milieu d'après-midi, nous retrouvons enfin l'appartement voisin de la Mairie qu'Ingrid, notre Chilienne de prédilection, nous a douillettement aménagé comme si nous l'avions quitté hier plutôt qu'en juillet de l'an dernier. Grand repos complet...
La semaine dernière, nous avions finalement pris la mer pour une ballade de quatre jours, assez mouvementée. Le nouveau skipper, Ignace, est un Diamantinois d'âge mur, joyeusement porté sur le rhum, qu'il enfile blanc et sec, en-dehors des heures de travail, heureusement. Mardi matin peu avant neuf heures, nous avons largué les amarres pour sortir du Cul-de-sac du Marin et mettre les voiles à l'ouest, poussés vers Sainte-Luce et le Diamant. Beau temps et brise légère, entrecoupés d'averses brusques mais courtes.
À la demande de Marie-José, nous avons longé la plage du Diamant et passé entre le Rocher et la pointe du Morne Larcher. Comme le clocher sonnait midi, nous avons accosté au quai des Anses d'Arlet. Baignade rapide au milieu d'un mélange détendu de touristes et de locaux, puis bon lunch les pieds dans le sable d'une paillotte familiale de bord de plage. Comme Azur ne se sentait pas en forme pour la courte ballade à son village natal, farniente à bord, petit souper et nuit bercée par la houle lente du mouillage bien protégé.
Peu après le lever du soleil, nous avons levé l'ancre par une brise assez surprenante de constance et d'intensité tout le long de la Côte Caraïbe jusqu'à l'anse de Saint-Pierre, où nous avons débarqué juste à temps pour que Twiggy puisse se précipiter au marché faire des provisions de produits frais, de boulangerie et d'amuse-gueule pour le ti'punch du midi.
Une fois ce cérémonial expédié dans les règles, nous avons gravi en taxi les contreforts de la Montagne Pelée jusqu'au grandiose portail bordé de puissants palmiers royaux de la distillerie Depaz, toute de bâtisses d'une élégance ancienne nichées dans des champs de canne vallonneux d'un vert rutilant. Après un bon repas dans un Moulin à Cannes transformé en temple de la gastronomie antillaise, j'ai refait mes habituelles provisions de rhum vieux (millésimes 2002 et XO) et paille, que nous avons ramenées à bord.
La sieste d'après-midi nous a ménagé une fâcheuse surprise: j'ai été tiré de ma somnolence par un piaillement de voix discordantes -- une bonne douzaine d'invités aussi imprévus qu'indésirés, mélange de pierrotins, diamantinois et métropolitains, avaient envahi le cockpit et Azur, avec son incorrigible bonhommie, avait cru bon de leur offrir un verre. Brusquement réveillé, j'ai piqué un crise que Twiggy, diplomate dans l'âme, a déguisée en urgence: «Désolé, mesdames et messieurs, mais le patron vient de se rappeler que le bateau doit appareiller dans quelques minutes pour rentrer dans la Baie de Fort-de-France avant la nuit.» Dix minutes plus tard, nous nous détachions du ponton et, après une courte et vive discussion, décidions de rentrer dare-dare au Marin, quitte à naviguer de nuit.
Paradoxalement, le voyage de retour dans le crépuscule et une obscurité constellée a été un enchantement. Il était près de minuit quand nous avons choisi de ne pas tenter une délicate rentrée, à l'aveugle ou presque, dans la marina, mais de jeter l'ancre pour la nuit sous la falaise du cimetière de Sainte-Anne, où est enterré le père de ma compagne.
Au lever du jour, conciliabule: pourquoi retourner au bercail, alors que la capitainerie ne nous attendait pas avant au moins deux jours? Nous sommes donc repartis vers le sud et l'ouest, doublant la pointe des Salines, l'Ilêt Cabrit et la Table du Diable; après avoir hésité un moment devant la tentation d'une plongée dans le miroitement turquoise des eaux éternellement calmes de la Baie des Anglais, nous avons remonté la Côte Atlantique, longeant le Vauclin protégé par sa ceinture de récifs de corail, pour pénétrer dans le chapelet de petits îles semi-désertes qui enserrent les Fonds Blancs du François et la mythique Baignoire de Joséphine.
Là, nous avons mis l'ancre assez loin du bourg, avec l'intention de rendre visite au cousin Daniel Philémont-Montout. Mais ce dernier étant indisposé, nous avons plutôt expédié Twiggy au restaurant de Leroy Mongins, sur l'Islet Thierry, d'où il nous a rapporté un plantureux déjeûner, pris dans le cockpit après la traditionnelle baignade apéritive sur les fonds de sable immaculés. Re-plongée dans les irrésistibles eaux-miroirs avant le coucher du soleil, puis contemplation béate d'un ciel brillamment étoilé (grâce à l'éloignement de toute agglomération éclairée et malgré une quasi-pleine lune) et sommeil sans histoire.
Vendredi enfin, retour à notre ponton du Marin après une dernière escale face à la plage de Sainte-Anne pour savourer les délices de la Cour Créole, un comptoir de cuisine traditionnelle à emporter dont on nous avait vanté les mérites, avec raison. Et pour mettre un terme agréablement harmonieux à cette virée, Azur et moi nous sommes laissés séduire par une voix «bluesy» un peu rauque qui nous parvenait de la rive dans l'obscurité. Rhabillés à la hâte, nous nous sommes retrouvés attablés devant une pierrade d'agneau de l'Annexe, à écouter, sur les accords d'un bon guitariste barbu grisonnant, une talentueuse chanteuse locale (dont le nom nous a hélas échappé) qui égrenait un répertoire éclectique dans un style à mi-chemin entre notre Marjo québécoise et ma vieille copine folk américaine Melanie Safka.
À la prochaine?

19 août 2018

Déluge!

C'est de nouveau dimanche matin, mais rien de commun avec le précédent: toute la nuit il a plu à boire debout, une de ces ondes tropicales qui sont soit la queue d'un ouragan qui nous a ratés de peu, soit les restes d'une tempête avortée plus haut dans l'Atlantique. De grosses gouttes à la verticale n'ont pas cessé de tambouriner par longues portées sur le toit de notre cabine, accompagnement jazzé à une nuit plusieurs fois interrompue. Certaines arrivaient même à s'infiltrer sous nos bordures de hublots étanches et venaient ruisseler sur les murs et les vitres dans la faible lumière diffuse qu'une demi-lune glissait à travers des couches superposées de nuages sombres.
Ce n'est que peu avant six heures, alors que les chiens de la campagne voisine finissaient de hurler en réplique aux fanfares des coqs, que le ciel a commencé à s'éclaircir, permettant à un soleil pâlot de montrer son nez au-dessus des collines qui forment la rive est du Cul-de-Sac du Marin. Mal reposé, mais incapable de me rendormir, je monte dans le cockpit, iPad à la main. Et comme je commence à taper le blogue, le mauvais temps me joue un dernier tour: l'humidité ambiante fait des micro-courts-circuits dans mon clavier détachable habituellement fiable, donnant souvent deux caractères au lieu d'un quand j'appuie sur une touche de la seconde et même parfois de la dernière rangée: j'écris «matin», j'obtiens «mat5i8n6». Joli, n6on6?
Autre effet météo secondaire: pas d'Internet à bord depuis vendredi soir. Et j'avais promis à l'ami Philippe Ursulet une prompte réponse à sa flatteuse invitation de tenir avec lui cet automne au Lamentin une expo de nos efforts de peintres amateurs... ce qui me donnerait la parfaite excuse pour revenir faire un tour en Martinique dans quelques mois. Bon, il attendra mon coup de fil, en bon Antillais pour qui la patience est un défaut congénital.
Je l'avais croisé il y a trois jours, pendant que je déambulais (pour la première fois depuis au moins deux ans) le long du Boulevard Allègre qui borde la rive marinoise, depuis la petite plage des pêcheurs sous l'église jusqu'au bout de la nouvelle marina, à la limite de Sainte-Anne. Nous sommes allés dévorer un lunch gastronomique au Zanzibar voisin: crabes farcis, noix de saint-jacques sur rizotto, pluma de pata negra et écrasée de bananes jaunes plus un agréable morgon bien frais; là, dans les méandres d'une de nos récurrentes conversations sur sa passion pour le jazz des îles, nous nous sommes découvert un autre goût commun, pour la peinture à l'acrylique ou à l'aquarelle. D'où l'invitation.
L'autre bonne nouvelle de la semaine, c'est que mardi, aussitôt que les travaux de bord le permettent - il faut remplacer d'urgence les frigos, devenus capricieux pour ne pas dire pire - , nous piquons les nez (ben oui, c'est un cata!) vers le large pour une ballade de quatre jours avec Twiggy et un nouveau skipper, Ignace: départ par le sud vers le Rocher du Diamant et le Morne Larcher, première escale à la Petite Anse d'Arlets, d'où une voiture nous emmènera au bourg natal d'Azur -- nous savons d'expérience qu'accoster au quai du Diamant même est pratiquement impossible, vu le puissant ressac des vagues sur la longue grève.
Visite au caveau familial du cimetière de bord de mer, «p'tit feu» en apéritif avec les cousins Larcher et un autre avec ce vagabond de Pancho, ancien patron de la Maison du Marin-Pêcheur maintenant à la retraite, et retour au moëlleux mouillage pour la nuit. Le lendemain, flânerie le long de la Côte Caraibe jusqu'à Saint-Pierre où je compte grimper à la Distillerie Depaz, sur les flancs de la Montagne Pelée, pour refaire mes provisions de leur fabuleux rhum de plantation hors-d'âge. Et les deux jours suivants, retour par le même chemin, à moins que...

12 août 2018

Les Bums chromés ont repris la route

Ouf! C'est un nouveau départ, après bientôt dix mois que nous étions enchaînés à Montréal par nos problèmes de santé. Dès qu'Évelyne, le médecin d'Azur, lui a permis de prendre la route, nous avons sauté sur l'occasion, et une fois nos affaires (plus ou moins) en ordre, un taxi est venu nous prendre à six heures mercredi matin, direction Dorval, la Martinique et la France.
À l'aéroport PET, le service d'assistance nous attendait avec un porte-bagages et un fauteuil roulant piloté par une dame sympa qui nous a menés tambour battant à travers les files d'attente (impressionnantes à cette heure barbare), les portillons de la sécurité et une marche interminable (ah Mirabel, où es-tu passé?) vers une lointaine porte d'embarquement jusqu'à deux bons sièges d'un A319 d'Air Canada, qui a décollé à l'heure pile vers le Lamentin.
Même manège à l'arrivée; c'est un préposé au créole volubile qui nous a remis entre les mains du cousin Daniel et du costaud et moustachu Rodolphe Bongo, taxi de confiance de l'ami Raymond Marie, qui nous attendait un peu plus tard à la marina du Marin, flanqué de notre homme «à tout faire plus» Twiggy, et coiffé de l'éternel panama paille que je lui avais un jour ramené de Barcelone.
Arrêt rapide (et initiatique ti'punch) au Marin mouillage, notre cantine préférée, d'où j'ai apporté notre premier authentique repas antillais depuis longtemps: acras de morue, pâtés de lambi, darnes de daurade grillée avec légumes-pays, crème glacée à la prune de cythère -- une nouveauté bienvenue. Les patrons, Nicole et Gaston Talba, qui s'y trouvaient par hasard (ils ont d'autres activités), nous ont fait une chaleureuse bise, avec promesse de se revoir.
Le passage à bord s'est fait dans une relative harmonie; Marie-José a surpris tout le monde en marchant gaillardement (déambulateur à l'appui) les 2-300 mètres du stationnement au ponton à la passerelle d'embarquement du Bum chromé, elle qui il y a deux semaines faisait avec peine cinq pas sans chanceler dans l'appart du LUX Gouverneur!
Seule anicroche, tout le monde avait oublié de mettre en place nos vêtements de bateau -- comme en principe nous avons tout en double à bord, nous n'apportons jamais de linge de rechange... et il a donc fallu vivre jusqu'au lendemain midi dans ce que nous portions pour le voyage, en attendant que la chère Henrietta (qui n'a pas changé depuis plus de dix ans que nous nous connaissons) corrige la situation en venant nous aider à défaire les bagages.
Jeudi, paresse et beau temps. Les nouveaux voisins d'en face, sur un Lagoon 450 (le modèle qui a succédé à notre «vieux» 440), sont des Alsaciens cinquantenaires qui depuis un an vagabondaient avec leurs enfants et deux petits-enfants à travers la Caraïbe, et qui rentrent chez eux à Strasbourg par avion au début de la semaine prochaine. Brève rencontre, mais sympathique.
Vendredi, une averse à tout casser n'empêche pas Twiggy, avec mon aide quelque peu hésitante, d'effectuer quelques réparations et ajustements au bateau: une écoutille qui fermait mal, la clim déconnectée de son renvoi d'eau, un chauffe-eau capricieux... Ronde de téléphone aux amis et parents pour leur faire part de notre arrivée. En soirée, le beau temps revenu, nous grimpons sur le skybridge écouter un concert de zouk antillais dans un des bars animés de la marina toute proche.
Hier samedi, journée faste. Ça commence avec le passage impromptu du robuste Michel, notre technicien d'entretien, tout surpris de nous voir là. Peu après arrive Philippe Ursulet, le chabin maintenant à la retraite de la marina, libre de se consacrer à sa passion pour la musique et notamment le jazz créole; comme toujours, il dépose à nos pieds une offrande d'une bonne douzaine de CDs de qualité mais peu connus que nous explorerons dans les jours qui viennent. En échange, bien sûr, d'un ti'punch au rhum blanc (oups! un oubli sur la liste d'épicerie, vite corrigé par l'irremplaçable Twiggy). Se joint bientôt à nous autour de la table du cockpit et d'un plat de petits pâtés créoles (viande et morue) Raymond Marie, suivi du retour de Michel.
Pour le lunch, nous étrennons le fauteuil roulant loué par Raymond pour emmener Marie-José au tout proche Kokoarum, où de bons acras croustillants précèdent une fricassée de chatrou tendre mais trop peu épicée (menu pour touristes, hein!), le tout arrosé de quelques bières mexicains Sol proposées (et presque imposées) en promotion par trois charmantes et nubiles Martiniquaises. Dessert, glace rhum-raisin et ananas mariné dans le rhum vieux, thé vert.
À peine avons-nous eu le temps de faire la sieste affalés sur les banquettes du cockpit que nous sommes hélés par deux arrivants de très haut niveau: le cousin diamantinois Charles Larcher et sa merveilleuse Guadeloupéenne Raphaëlle. Cette fois, les libations se font au scotch, bibine favorite de notre invitée. Et la conversation roule bon train, pour parcourir tout le paysage traversé séparément depuis notre dernière rencontre il y a bien deux ans sinon trois -- c'était aux Anses d'Arlet. Serge, le cadet «sérieux» de la nombreuse fratrie Larcher, est maintenant à la retraite après avoir été, tour-à-tour ou simultanément, maire du Diamant, député du Grand Sud et sénateur de la Martinique. Socialiste tendance autonomiste, bien sûr. Nous nous sentons donc libres de dégoiser avec délices sur les turpitudes de la politique française... la québécoise et l'américaine ne perdant rien pour attendre.
Après leur départ et un frugal souper de pain, fromage et eau gazeuse Didier, nous avons droit à une inconnue mais compétente diseuse qui lance d'un bar voisin un bellement nostalgique répertoire: les Deux guitares d'Aznavour, le Poinçonneur des Lilas de Gainsbourg, du Piaf, du Bécaud, du Souchon... Juste ce qu'il fallait avant de s'endormir au murmure des flots.
Et voici dimanche matin, je tape le blogue sur mon iPad sous un ciel d'un bleu intense traversé d'une belle brise et hanté de quelques mouettes (et de nombreux moustiques), une verre de jus de mangue à côté du coude. Je vous souhaite le même bonheur...

01 août 2018

Les arbres et la forêt

Dans le «Trumpgate», la plupart des analystes examinent à la loupe chacun des arbres et arbrisseaux qui composent une véritable forêt de combines, magouilles et tromperies... et ils cherchent des justifications ou des preuves d'illégalité pour chaque branche, brindille et bourgeon... alors que la fourberie et l'idiotie de l'ensemble crèvent les yeux. Les arbres, comme dit le vieux dicton, leur cachent la forêt.
Il ne s'agit pas de savoir si le Président lui-même a commis quelque peccadille justiciable, mais si (comme le niait un très large consensus à la veille de son élection, y compris dans son propre parti), l'individu Donald Trump avait la compétence et les qualités morales pour prendre la tête d'un grand pays... ou même d'une commission scolaire d'un trou perdu du South Dakota!
Or à cela, la réponse était et demeure NON. Considérez seulement:
- L'individu Donald Trump, depuis son élection, a été pris 3000 fois et plus en flagrant délit de mensonge ou d'ignorance crasse de faits évidents.
- L'individu Donald Trump a confié des postes clefs dans des secteurs stratégiques à tous les membres de sa famille immédiate, dont aucun n'avait la moindre qualification pour en remplir les fonctions -- un cas de népotisme caractérisé qui disqualifierait même un shérif de village fantôme du désert de l'Arizona.
- L'individu Donald Trump a rempli la Maison Blanche d'une bande de personnages aux moeurs et à l'honnêteté pour le moins douteuses, dont l'activité principale est de se livrer à des batailles vicieuses pour les faveurs du patron, alors que les tâches qu'ils devraient accomplir sont négligées ou confiées sans surveillance à des sous-fifres.
- L'individu Donald Trump maintient en poste ces personnages jusqu'à ce que de multiples interventions de la Justice, les révélations des médias et une grogne populaire justifiée l'obligent à les congédier, clairement à regret.
- L'individu Donald Trump, contrairement aux règles élémentaires de la vie publique, conserve la mainmise sur la gestion de sa fortune personnelle, profitant sans vergogne du prestige de la Présidence pour continuer à s'enrichir.
- L'individu Donald Trump est, depuis le lendemain de son élection (et même avant) l'objet d'une série d'enquêtes sur la forte probabilité que lui-même et son entourage ont conspiré avec une puissance étrangère (qui est une quasi-dictature hostile) pour contribuer à son élection en menant une cabale contre sa principale rivale; les péripéties judiciaires et policières de son règne occupent nettement plus de place dans l'actualité que ses activités légitimes.
- L'individu Donald Trump fait des efforts systématiques pour détruire ce qu'avaient fait de bon ses précédesseurs immédiats (y compris ceux de son propre parti), notamment dans les secteurs de la santé publique, de la protection des consommateurs et de la défense de l'environnement. Ces activités priment de loin, dans son emploi du temps, sur la poursuite de politiques nouvelles favorisant le bien du peuple et du pays.
- L'individu Donald Trump mène une campagne de salissage et de démolition contre les institutions de justice et de sécurité publique du pays, leur causant des dommages irréparables à la seule fin de court-circuiter les enquêtes (pourtant justifiées) menées à son sujet.
- L'individu Donald Trump mine sans arrêt de manière vicieuse la crédibilité du seul pouvoir ayant la capacité et la volonté de s'opposer à ses actions amorales ou inconsidérées, celui de la presse indépendante.
- L'individu Donald Trump mène une politique économique basée sur des notions dépassées et un mépris inculte des réalités, dont le seul objet est de profiter de l'ignorance de l'électorat en flattant ses préjugés pour améliorer dans l'immédiat ses propres chances de réélection. Les cadeaux fiscaux aux plus riches, une stratégie de l'emploi qui néglige les changements profonds en cours dans le monde industriel et une guerre commerciale à coups de pénalités douanières vont laisser le pays en très mauvaise position face à l'évolution des choses à moyen et à long terme.
- L'individu Donald Trump mène une politique étrangère fondée sur des relations d'amitié avec certains des pires dictateurs de la planète, quitte à sacrifier des liens durables et profitables avec ses meilleurs alliés. Cette stratégie ne peut avoir pour effet que de réduire considérablement i'influence et la réputation de son pays à l'échelle planétaire.
Même s'il n'avait commis aucun acte répréhensible selon la loi (ce qui est encore loin d'être certain), l'accumulation de ces constats rend évident le fait que l'individu Donald Trump ne mérite pas d'être Président des États-Unis et que tous les moyens légitimes devraient être pris pour corriger l'erreur grossière qu'a été son élection.

22 juillet 2018

Trump, trompeur et trompé

On ne peut pas regretter que la Présidence absurde, incompétente et réactionnaire de Donald Trump se retrouve en difficulté et que le parti qui le soutient soit en voie de perdre le pouvoir au Congrès.
Mais il me semble nécessaire de souligner que les deux principales causes de leurs ennuis sont parmi les caractéristiques les moins admirables de la Nation américaine: le puritanisme des Chrétiens fondamentalistes (hypocrite apologie de la fidélité conjugale, mais aussi campagnes contre le droit à l'avortement et pour la libre possession des armes à tir rapide) et la paranoïa anti-Russe héritée de l'anti-Soviétisme de la Guerre froide (réactions au sommet d'Helsinki).
Les vraies raisons de s'en prendre à Trump et à ses alliés sont tout autres: le Président ment constamment à son peuple et l'induit volontairement en erreur sur la plupart des grands dossiers de politique interne et extérieur; il s'attaque sur plusieurs fronts aux capacités de l'État de fournir aux citoyens des services essentiels (santé, sécurité sociale, pensions, justice et paix intérieure); il adopte des stratégies qui risquent de laisser le pays en très mauvaise posture face à la dégradation de l'environnement et du climat, au remplacement des ressources et énergies non-renouvelables et aux effets négatifs des progrès technologiques sur l'emploi et sur la redistribution de la richesse commune; il sème le chaos dans les relations internationales: ambassade à Jérusalem, sanctions contre l'Iran, critiques nocives de ses meilleurs alliés (Canada, Union européenne, Royaume-Uni), copinage gênant avec les pires dictateurs (Kim, Poutine), guerre commerciale planétaire à coups de tarifs douaniers, sortie de l'accord de Paris sur les changements climatiques... Mais il va sans doute falloir se résigner à ce que, si un changement positif pour le pays et pour le monde se produit en politique américaine, ce soit pour les mauvaises raisons. Mieux vaut cela que rien du tout.

05 juin 2018

La nouvelle «normalité»

Ce qui doit nous inquiéter dans le phénomène Donald Trump est moins M. Trump lui-même que son effet délétère sur le climat moral de l'Amérique.
On compare souvent son sort avec celui de ses prédécesseurs Richard Nixon et Bill Clinton, tous deux soumis à un processus de destitution. En réalité, les situations ne sont pas comparables. Nixon était un Président conservateur, mais compétent et expérimenté, pris en faute sur une seule mauvaise action, l'effraction du Watergate dont le seul objet était d'assurer sa réélection et qui ne cherchait en rien à fausser le fonctionnement de l'État. Clinton était un Président centriste novice et roublard, mais dont les mandats ont été marqués de plusieurs réussites bénéfiques pour le peuple et le pays; il a fauté sur une affaire de morale personnelle profondément sexiste pour laquelle il n'a sans doute pas été assez puni mais qui n'avait aucune incidence sérieuse sur la vie publique.
Donald Trump n'a ni l'expérience quelque peu cynique de Nixon, ni la naïveté imaginative et ouverte de Clinton. Son incompétence politique, économique et sociale est flagrante, son amoralité est profonde et arrogante, sa sincérité et sa franchise sont inexistantes. Aucune des actions qu'il a entreprises jusqu'ici ne visait le bien du pays tel que perçu par la majorité des citoyens, mais uniquement soit ses chances de réélection, soit sa défense contre les multiples enquêtes de la Justice et du Congrès sur ses actions passées, soit la mise en oeuvre de ses propres préjugés et de ceux de la clique qui l'encense et l'influence: stigmatisation de l'immigration, tentative de destruction de la santé publique, encouragement explicite ou tacite à la discrimination raciale et sexuelle, rétrécissement de l'État et réduction de ses sources de revenu, démolition des sauvegardes écologiques et financières, confusion de la religion et de la politique, etc. Sans parler de sa campagne vicieuse pour discréditer le système de Justice et les tribunaux, pour éliminer les protections réglementaires des plus démunis et des plus fragiles...
Il s'est entouré, en plus de sa propre famille, de personnages pour le moins douteux souvent extraits soit des marges les plus réactionnaires de la société, soit de milieux affairistes à l'honnêteté fortement suspecte, soit de chapelles aux crédos guerriers entachés de complotite aiguë. Au moins la moitié de son entourage immédiat se compose de gens qui n'auraient jamais dû mettre le pied à la Maison Blanche, encore moins en faire leur principale place d'affaires.
Pire encore, par l'enchaînement étalé au grand jour d'une série sans fin de scandales moraux, financiers et politiques dans lesquels parfois lui-même, plus souvent bon nombre de ses proches sont directement impliqués, il réussit clairement à éroder le sens de moralité et de justice de ses compatriotes, à faire paraître «normales» des situations, des tendances et des actions que sous tous ses prédécesseurs, peu importe leur allégeance politique, la citoyenne et le citoyen moyens considéraient à bon droit non seulement inacceptables, mais répugnantes et «anti-américaines» dans leur essence même. C'est le «pas pris, pas coupable» érigé en règle primordiale du droit et de la gouvernance publique.
Ce que je crains, c'est que même si Donald Trump disparaissait de la scène à court terme, cet effet de son passage laisserait de longues traces dans l'avenir, sous la forme d'une nouvelle «normalité»...

19 mai 2018

À la noce (Meghan et Harry)

J'ai regardé le «mariage princier» surtout par curiosité de vieux journaliste, mais je me suis retrouvé fasciné par les trois niveaux de spectacle que la télé nous offrait: 
1. la grande démonstration populaire de l'entrée de la monarchie britannique dans le 21e siècle; 
2. les excellents numéros d'acteurs des deux protagonistes, professionnellement compétents dans leurs rôles respectifs... et probablement y trouvant plaisir; 
3. et surtout, à ma surprise, un vrai mariage d'un couple visiblement complice (tous ces sourires entendus et ces clins d'oeil ironiques), tout à fait conscient de la galère dans laquelle il s'embarque. 
Je leur envoie le message d'espoir que, comme disait mamma Buonaparte à son Napoleone, «pourvou qué ça doure»!

17 mai 2018

Printemps montréalais tardif

Un gros chat à la robe tigrée étire son ventre de peluche ivoire en se roulant comme sur une peau d'ours dans les rayons du soleil bas.
D'élégantes violettes se pavanent pudiquement sous les regards ronds et jaunes de pissenlits tape-à-l'oeil.
Un cerisier boutonneux laisse à regret choir les fruits ridés de l'automne dernier sur la pelouse toute neuve.
Les magnolias de nacre rosée neigent sur les gazons reverdis leurs pétales délicatement froissés.
Quelques bourgeons de peupliers tâtent avec hésitation le frais de l'air de leurs doigts de pâle émeraude.
L'ombre grise d'une corneille en vol oblique traverse le carré de pétanque, l'original tout noir cisaille un ciel tout bleu sur nos têtes.

14 avril 2018

La Syrie: entre bien et mal, passion et raison

Les frappes contre la dictature syrienne montrent clairement le dilemme que posent le régime ambigu de la diplomatie internationale et le caractère des principaux acteurs en cause.
1. Ce n'est pas parce qu'un homme ou un pays est dans le camp des «méchants» que tout ce qu'il fait est mal... et à l'inverse, les membres du camp des «bons» ne font pas que du bien.
2. L'absence d'un mandat officiel des instances mondiales est gênante, mais il faut aussi comprendre que la lourdeur du processus est à double tranchant: d'une part, elle impose un délai de réflexion et de consultation qui peut être salutaire avant la prise d'actions violentes et irréversibles, mais en revanche elle accorde aux transgresseurs une période d'immunité contre les sanctions effectives dont ils ont appris à profiter abondamment. Donc, il faut admettre une part de flou et de jugement personnel dans les décisions à cet effet: parfois, la prudence paraît indiquée (Iraq en 2003, Serbie...); parfois il est clairement justifié de passer outre et d'agir sans attendre (Rwanda en 1994, Ukraine, Syrie aujourd'hui...); parfois le choix n'est pas évident (la Lybie de Kadhafi...).
3. Il existe un équilibre délicat entre l'approbation inconditionnelle d'une action et l'analyse objective des circonstances. Par exemple, malgré toute la rhétorique de ses défenseurs, la culpabilité d'Al Assad est d'une probabilité si élevée qu'elle justifie le risque d'une sanction. En revanche, il serait naïf de croire que l'initiative prise par Donald Trump est toute désintéressée: le Président américain, mis en cause dans de multiples scandales politiques, diplomatiques, financiers et sexuels, applique la recette typique du chef d'État fortement contesté, qui consiste à déclencher une opération militaire pour faire l'unité du pays derrière lui en faisant oublier ses torts évidents. Il en va de même à un degré moindre pour Emmanuel Macron, ciblé par une vague de grèves en bonne partie justifiées, et pour Theresa May, fragilisée par le Brexit et la remontée des socialistes anglais. 
4. Il est clair que si en 2011-2012, les grandes puissances avaient soutenu activement la rébellion démocratique et citoyenne du peuple pour renverser ce qui était une dictature avérée à Damas, les choses auraient été bien différentes. On ne peut pas présumer de ce qui serait advenu du statut politique du pays, mais trois choses auraient fort probablement été évitées: (a) le massacre systématique d'un demi-million de gens, en très grande majorité des civils, (b) un flux de réfugiés vers l'Europe qui a alimenté un triste mouvement de rejet des immigrants et (c) l'opportunité donnée aux brigades islamistes de tout poil de s'emparer à leurs propres fins du contrôle de la rébellion, ce qui a légitimé en bonne partie l'argument d'Al Assad qu'il luttait «contre le terrorisme» et qui a permis à Moscou de justifier son intervention dans le conflit. La frappe actuelle peut donc être vue comme un moindre mal, une tentative trop tardive pour corriger une grave erreur géopolitique.
5. Il faudra surveiller avec soin la suite des évènements. L'opposition américaine et une partie de la majorité conservatrice soulignent avec raison la nécessité que l'action d'hier s'inscrive dans une stratégie raisonnée au moins à moyen terme; or, tout le passé de Donald Trump prouve sa propension à n'agir que par coups de tête et de coeur et son incapacité à planifier et à faire la part des choses. On ne peut qu'espérer que les alliés de Washington, qui sont des esprits plus froids et plus calculateurs, pourront encadrer leur bouillant et imprévisible chef de file.
6. De l'autre côté, on ne peut faire confiance à l'honnêteté et à l'humanité d'Al Assad, qui a amplement démontré sa traîtrise et sa cruauté. Idem pour la sincérité de Vladimir Poutine, dont la duplicité ne fait aucun doute (Ukraine, élection américaine...) et qui a visiblement triché sur son engagement d'éliminer les armes chimiques du régime syrien. Ce double constat invalide en grande partie les appels à la prudence des critiques des frappes: il est improbable que celles-ci vont gâter à un degré inquiétant une situation déjà trouble et critique au Moyen-Orient et dans les relations entre l'Occident et la Russie.
7. Enfin, il ne faudrait surtout pas que le dossier syrien fasse oublier le très grave assaut contre la démocratie américaine mené d'un côté par le Kremlin, de l'autre par... la Maison Blanche elle-même. Les enquêtes à ce sujet doivent se poursuivre et être menées à leur terme logique, si dramatique soit-il, même sur un fond de scène de conflit international.

25 mars 2018

La première salve?

Il est clair que CNN, la plus puissante chaîne d'information continue aux USA (et probablement au monde) est désormais en guerre ouverte avec le Président Donald Trump. CNN avait une attitude critique à l'égard du chef d'État depuis son élection il y a un an et demi, mais elle a nettement durci ses positions dans les deux derniers jours.
Hier, son antenne principale a consacré le gros de sa diffusion aux manifestations des étudiants en faveur du contrôle des armes à feu, endossant à fond la critique des manifestants que le Président avait cédé à la pression du lobby pro-armes (notamment la NRA). Ce matin, un des patrons de la chaîne est venu à l'écran accuser explicitement le Président de mensonge et d'incompétence. Ce soir, après avoir présenté il y a quelques jours les aveux de rapports sexuels avec M. Trump d'un modèle de Playboy, la chaîne diffuse avec un énorme battage publicitaire les révélations en direct de la star porno Stormy Daniels sur sa propre relation avec le Président, malgré la menace de ce dernier que toute révélation était passible d'une amende d'un million de dollars.
Je crois que cette agressivité accrue est due au constat que depuis plusieurs semaines le Président, qui était généralement en mode «attaque» depuis son arrivée au pouvoir, est maintenant en retraite sur presque tous les fronts:
1. Il a exempté conditionnellement le Canada et le Mexique et absolument l'Union européenne et plusieurs autres pays des tarifs douaniers «universels» qu'il avait annoncés sur l'acier et l'aluminium.
2. Il a accepté de rencontrer le dictateur Kim Jong Un en tête-à-tête sur sa seule affirmation d'une ouverture à l'abandon de son programme nucléaire, alors qu'il avait fait de la dénucléarisation nord-coréenne une condition sine qua non de toute négociation.
3. Il a signé la loi votée par le Congrès prolongeant la capacité de dépenser du gouvernement américain, après avoir annoncé son intention d'y opposer son veto.
4. Il a reculé face à la NRA et au lobby du 2e Amendement après avoir ouvertement promis d'adopter des mesures restrictives au droit de posséder des armes de combat.
5. La défaite d'un candidat au Congrès qu'il avait personnellement soutenu, dans un comté de Pennsylvanie qui avait voté pour lui à 60% il y a un an et demi, a jeté la panique dans les rangs des élus conservateurs et semé de forts doutes sur sa capacité de mener son parti à la victoire (ou du moins de limiter les pertes) à l'élection de mi-mandat de cet automne.
6. Ses alliés Républicains et plusieurs membres de son entourage ont condamné publiquement sa décision de féliciter l'autocrate Vladimir Poutine pour sa réélection à la tête de la Russie.
7. Il a renoncé à ajouter l'agressif Joe diGenova à son équipe juridique dans le dossier russe et n'a pas trouvé de remplaçant prestigieux à son défenseur démissionnaire John Dowd.
8. Il a congédié son ministre des Affaires étrangères Rex Tillerson et son conseiller en affaires internationales H.R. McMaster après avoir assuré qu'il n'en ferait rien.
9. Le nombre de mises à pied et de départs récents dans son entourage immédiat (48% du conseil des ministres et de son cabinet personnel en un an) est un fort indice d'un désarroi croissant dans le personnel de la Maison Blanche.
10. Son principal soutien médiatique, le réseau FOX, a commencé à prendre ses distances à son égard et à véhiculer des opinions moins systématiquement favorables.
11. Sa décision d'imposer à la Chine des tarifs douaniers d'une valeur pouvant atteindre 60$ milliards suscite une véritable levée de boucliers dans les milieux d'affaires qui lui étaient jusqu'ici presque unanimement favorables.
12. La chute brutale des indices boursiers, à deux reprises depuis deux mois, montre que les cercles financiers sont de moins en moins prêts à l'appuyer sans réserves.
Malgré tout, CNN joue gros dans cet affrontement. Je doute qu'ils s'y seraient lancés sans avoir analysé soigneusement la situation, et sans avoir obtenu la garantie implicite d'un appui de plusieurs autres médias de premier rang, notamment le NY Times, le Washington Post et la chaîne généraliste NBC, tous aussi très critiques de M. Trump.
Il sera intéressant de voir dans les prochains jour si d'autres poids lourds s'ajoutent à la curée, et plus spécifiquement si le solide front commun pro-Trump du Parti républicain ne commence pas à se fissurer.

22 mars 2018

La Faute à qui?

Ce qui se passe à Washington est une condamnation de facto de tout le système politique américain. Oui, les Républicains acceptent toutes les turpitudes pour conserver l'illusion du pouvoir à tout prix. 
Mais il faut rappeler qu'il y a deux ans, les Démocrates ne faisaient guère mieux. Ils trichaient tout ce qu'ils pouvaient pour pousser en avant ce qui était clairement une mauvaise candidate, Hillary Clinton, contre un «socialiste» populiste, Bernie Sanders, qui était nettement plus populaire auprès de l'électorat en général et qui aurait vraisemblablement battu Donald Trump; ils agissaient ainsi afin de préserver la mainmise de leur clique de dirigeants sur le Parti, quitte à risquer de perdre l'élection. 
D'une certaine façon, la situation actuelle est le résultat d'une collusion plus ou moins volontaire des deux volets de l'oligarchie politique du «Beltway» pour se réserver le monopole du pouvoir aux dépens des classes populaires. Ironie du sort, la conséquence a été que les Démocrates ont perdu la Présidence... et que le leadership Républicain a perdu le contrôle de son propre parti en même temps que de la Maison Blanche. 
Si l'effet n'était pas aussi catastrophique, on serait tenté de dire «Bien fait pour vous!»

07 mars 2018

Viser les bonnes cibles?

Je crois que dans plusieurs cas, les critiques de Donald Trump se trompent de cibles. Et ses partisans aussi. Je tente ci-dessous une relecture en ce sens de quatre thèmes majeurs des reproches que l'on fait au Président américain.

1. La Personnalité
Accuser Donald Trump de mensonge et d'incohérence est une perte de temps. Bien sûr, il ment sans le moindre scrupule ni remords. Bien sûr, il part dans toutes les directions sans la moindre logique. Mais ses électeurs le savent très bien et s'en fichent totalement: ils sont probablement même heureux d'avoir enfin un Président imparfait, qui mène sa vie et le pays comme ils le font eux-mêmes, à coups de tête et de subites volte-faces, en disant ou «tweetant» ce qui lui passe par la tête, quitte à se contredire dix minutes plus tard.
La même chose est vraie de ses vantardises, de sa roublardise, de son machisme flagrant et de ses poussées (inconstantes, mais réelles et relativement fréquentes) de racisme. Au lieu d'insister d'un ton moralisateur et sans résultat sur les défauts de caractère eux-mêmes, il faudrait démontrer plus clairement les retombées négatives qu'ils ont sur le moral et l'évolution du pays et de la société. Ce n'est qu'à ce niveau que le Président américain est vraiment vulnérable.

2. Le Fonctionnement de la Maison Blanche
De même, reprocher à Donald Trump son népotisme et son comportement brouillon et à son équipe son manque d'expérience politique et sa manière anarchique de gérer les affaires publiques néglige deux réalités pourtant évidentes: le Président a été élu non pour assurer la continuité, mais pour brasser la cage et exercer ses fonctions autrement que ses prédécesseurs, aussi bien Républicains que Démocrates; et le vrai problème est non pas le style de gestion, mais la médiocrité des résultats.
Évidemment, le chaos permanent à la tête de l'État a quelques chose d'inquiétant, qui exaspère visiblement journalistes et commentateurs habitués à plus de régularité et de constance. Mais tant qu'une partie de l'électorat aura l'impression que cela produit des effets positifs, cette critique sera sans conséquence. Il serait bien plus pertinent de faire la preuve que ces effets sont un trompe-l'oeil qui masque assez habilement de profondes lacunes dans la vision et dans l'approche de l'exécutif américain face à un ensemble de réalités nouvelles. 
Dans la protection de l'environnement, dans l'évolution du marché de l'emploi face aux ruptures causées par les progrès technologiques, dans la solution du problème complexe et crucial de l'immigration et dans la nécessaire rénovation des infrastructures, en plus d'un an au pouvoir, M. Trump soit n'a obtenu aucun résultat tangible, soit a nagé dangereusement à contre-courant. Ses deux seules «réussites», une baisse des impôts qui favorise fortement les riches en appauvrissant l'État et la nomination systématique de magistrats réactionnaires aux plus hauts niveaux des tribunaux du pays, sont pour le moins contestables. Quant à son action dans les affaires internationales, elle est incohérente... mais ce n'est généralement pas là un thème qui passionne l'électorat américain, sauf lorsqu'il se sent menacé par un «ennemi» réel ou inventé.

3. Le Malentendu républicain
Parce que Donald Trump a été élu sous la bannière du Parti républicain, à tendance nettement conservatrice, les commentateurs (et les Républicains eux-mêmes) ont tendance à croire qu'il est lui-même conservateur et soucieux de réaliser le programme du parti. La réalité est tout autre. Trump n'a ni ligne idéologique cohérente, ni adhésion ferme à un parti quel qu'il soit. Il a été longtemps apolitique, puis Démocrate plutôt de droite; il est devenu Républicain par pur opportunisme, parce que c'était la seule option qui lui donnait des chances de se faire élire et qu'il avait instinctivement perçu un vide de leadership à la tête du GOP après les épisodes des Bush père et fils et d'un John McCain vieillissant et malade.
Quant à sa pensée, elle n'a aucune permanence mais comporte un curieux, souvent contradictoire mélange d'intuitions personnelles fortement influençables et de lectures primaires de l'opinion publique; elle va donc fluctuer sans cesse au gré d'une part de ses rencontres avec des «penseurs» le plus souvent iconoclastes et simplistes (Steve Bannon, Michael Flynn) et d'autre part des courbes de sondages. La résultante est un salmigondis d'idées de droite et d'extrême-droite et de projets populistes favorisant les petites entreprises et même les classes ouvrières. Il est clair que le «mainstream» du Parti républicain s'y reconnaît de moins en moins et commence à douter que le Président ait réellement l'intention de réaliser son programme — sauf là où cela peut contribuer à le faire réélire.

4. L'Enquête Mueller
Le procureur spécial Robert Mueller est en principe chargé de déterminer l'étendue et les responsables de l'intrusion du Kremlin dans le processus électoral américain en 2016, et plus particulièrement les liens entre l'équipe de campagne de Donald Trump et les agents russes qui ont mené cette opération. Il faut souligner que cette démarche a lieu en parallèle avec des investigations menées par des commissions de la Chambre des représentants et du Sénat, toutes deux contrôlées par le parti présidentiel et donc procédant avec une forte réticence.
Dans un premier temps, l'enquête a démontré clairement la réalité de l'intervention russe pour déstabiliser la candidate démocrate Hillary Clinton et donc favoriser l'élection de Donald Trump. Même les plus féroces partisans du Président l'admettent aujourd'hui. Là où il y a désaccord, c'est sur le rôle joué par son entourage immédiat. Y a-t-il eu «collusion» ou complicité consciente? M. Trump et ses défenseurs affirment que non... et il est vraisemblable qu'ils ont raison. Non pas que l'alors candidat républicain ait fait preuve de clairvoyance et de patriotisme, mais simplement parce que son organisation de campagne était beaucoup trop sommaire et brouillonne, sans structure de commande ni capacité de planification discrète et subtile, pour lui permettre de mener pareille opération en collaboration avec des agents étrangers sans que cela soit immédiatement ébruité.
Il est probable que le procureur spécial en est déjà arrivé à cette conclusion; c'est ce qui expliquerait la stratégie qu'il a adoptée et qui semble dérouter beaucoup d'observateurs. Habile manoeuvrier, M. Mueller sonde systématiquement les points faibles de l'entourage immédiat de Donald Trump, à la recherche de leviers (souvent dans des dossiers qui n'ont rien à voir avec l'élection de 2016) qui lui permettront de faire pression et d'obtenir des aveux non pas de collusion ou de complot, mais de manipulations dont les proches du Président auront été victimes de la part des agents du Kremlin. De telles admissions (par exemple de la part du fils et du gendre du Président) pourraient mener à des accusations de complicité plus ou moins involontaire avec une puissance étrangère pour fausser le fonctionnement de la démocratie américaine.
Cette conclusion serait peut-être insuffisante pour déclencher un processus de destitution de Donald Trump, mais elle réduirait considérablement ses capacités d'action (et de nuisance) d'ici la fin de son premier mandat et poserait un obstacle majeur à sa réélection en 2020. Il me paraît assez vraisemblable que c'est vers un tel objectif que s'oriente aujourd'hui le procureur Robert Mueller.

01 mars 2018

Deux idées et une question

a) Quand je dis que Donald Trump gouverne les États-Unis comme si c'était une PME familiale, ce n'est pas une blague, mais un constat parfaitement sérieux — il me fait penser à Pierre Péladeau au début de sa carrière. Il place les membres de sa famille et ses proches confidents dans les postes-clefs peu importent leurs compétence; il est visiblement incapable de gérer une équipe importante et structurée, et donc se fie uniquement à son cercle immédiat; il prend des décisions par coups de tête, dictées par un caprice fugitif ou une opportunité perçue au dernier moment; il n'a pas de réelle planification, ni d'objectif large à long terme; il n'a aucun outil objectif de mesure de son niveau de réussite et jamais d'alternative en cas d'échec d'une action, etc. Ce qui est normal: toute sa vie, il a géré de cette façon son «empire» immobilier et financier et il est convaincu d'y avoir connu de grands sucès. Et je doute qu'à 72 ans, il va changer ses manières de voir.
b) Les conservateurs Républicains ont de quoi se méfier. Après le DACA (sort des enfants d'immigrants illégaux), M. Trump croit avoir trouvé un deuxième thème qui lui permettrait d'accroître sa popularité dans l'électorat en général: le contrôle des armes à feu. Or, il s'agit là de deux éléments du programme des Démocrates, auxquels la droite Républicaine est en général violemment opposée. Connaissant le passé et le tempérament du Président, je suis convaincu que dans l'espoir de se faire réélire dans deux ans et demi, il est prêt à sacrifier sans le moindre scrupule ses actuels partenaires de gouvernement, quitte à se rapprocher peu à peu des plus opportunistes de ses anciens amis Démocrates (ne pas oublier qu'il l'était lui-même jusqu'en 2008).
c) Je regarde les manoeuvres de son chef de cabinet l'ex-général Kelly pour «épurer» le personnel de la Maison Blanche et je me demande laquelle des deux explications suivantes est la bonne: 1- il cherche à sauver la Présidence de Donald Trump en minimisant les causes potentielles de gaffes, ou 2- il fait sciemment le vide autour du Chef d'État pour l'affaiblir en vue d'un éventuel putsch interne pour s'en débarrasser. Jusqu'ici, je dirais que les deux hypothèses sont à peu près également vraisemblables. 

28 février 2018

Montagnes russes (bis)

Une incroyable journée à la Maison Blanche.
a) Le Président Trump perd deux de ses aides les plus anciens et les plus fidèles: Hope Hicks, sa confidente et directrice des communications, démissionne après un interrogatoire de neuf heures par le Congrès sur l'interférence russe dans l'élection de 2016; Jared Kushner, son gendre, demeure officiellement en poste mais perd son accès à toutes les informations confidentielles qui lui permettraient de jouer vraiment son rôle de négociateur principal des États-Unis dans les principaux conflits internationaux (Israël-Palestine, Iran, Syrie, Russie-Ukraine, Corée du Nord, etc.).
b) Le Procureur général Jeff Sessions réplique publiquement aux critiques du Président, affirmant qu'il compte continuer à remplir son rôle de grand patron de la Justice et de la Sécurité publique «avec honneur et intégrité»: ce rôle le rend responsable de l'impartialité des enquêtes sur l'intervention russe dans la démocratie américaine et les soupçons d'obstruction à la Justice de la part de la Maison Blanche.
c) Dans l'autre sens, M. Trump adopte des positions très proches de celles de son prédécesseur Barack Obama sur le contrôle des armes à feu; en pleine vue des caméras de la télévision, il accuse ses alliés conservateurs Républicains (et quelques Démocrates) d'être «pétrifiés» de terreur face à la NRA (le principal lobby pro-armes) et les enjoint d'avoir le courage de régler le problème des tueries publiques une fois pour toutes.
d) Pour la première fois, le procureur spécial Robert Mueller franchit la «ligne rouge» que lui avait tracée le Président, en poussant son enquête dans un territoire «interdit», jusqu'aux transactions financières de M. Trump avec les oligarches russes avant la campagne électorale de 2016.
À suivre, sans le moindre doute.

16 février 2018

Montagnes russes

Un vrai spectacle de fête foraine, cette enquête sur l'intervention russe dans la politique américaine. Mais à suivre de près, car tout indique que les conséquences peuvent être beaucoup plus sérieuses que la rigolade actuelle.
a) L'accusation que 13 agents et de trois agences de renseignement russes ont oeuvré en faveur du Président Trump et contre Hillary Clinton en 2016 ne touche pas directement la Maison Blanche... sauf que le procureur spécial Mueller entrouvre la porte en affirmant que les accusés ont été en contact avec des membres «naïfs» de la campagne de Donald Trump.
b) Si jamais par la suite, il s'avérait que ces naïfs aient inclus un des trois proches du Président (Kushner, Trump Jr., Manafort) qui ont participé à la rencontre avec des représentants russes à la Trump Tower de NY en juin 2016, le fil d'Ariane des complicités – volontaires ou pas – s'approcherait à un seul pas du bureau présidentiel et de son occupant.
c) Le sous-ministre de la Justice Rod Rosenstein, en présentant l'accusation en tant que superviseur du FBI et du procureur Mueller, prend clairement ses distances avec M. Trump, qui vient de critiquer violemment l'agence policière fédérale. Et son patron Jeff Sessions, ministre en titre, se tient en retrait en prenant bien garde de soutenir les positions présidentielles.
d) FOX News, de loin le grand média américain le plus trumpien, accorde une importance majeure à cette histoire, et sur un ton critique, au lieu de l'enterrer sous une foule de simili-scandales mettant en cause l'opposition démocrate comme il le fait habituellement. Si jamais FOX lâche ouvertement Donald Trump, ce dernier sera d'autant plus handicapé que sa capacité d'influencer l'opinion publique repose en grande partie sur une présence positive dans les médias grand public, notamment ceux que suit l'électorat de droite.
e) Sur d'autres sujets, la majorité Républicaine au Sénat est de moins en moins soumise aux ordres venant de la Maison Blanche. Sur deux thèmes chers à M. Trump, l'immigration et la sécurité publique, des blocs bipartisans sont en train de se former qui prônent des approches qu'a déjà rejetées le Président. Et plusieurs élus conservateurs sont clairement mal à l'aise face aux multiples rumeurs de scandales (notamment sexuels) qui tourbillonnent autour du Bureau ovale...
f) Malgré une petite remontée dans les sondages, les majorités républicaines dans les deux chambres du Congrès sont visiblement menacées lors de l'élection «mid-term» de novembre... et M. Trump est vu par plusieurs comme un obstacle, plutôt qu'un soutien, à leur survivance. Si jamais cet automne le parti de droite perd ne serait-ce que le contrôle d'une des deux chambres, une rébellion interne débouchant sur une procédure de destitution n'est plus à écarter.

10 février 2018

Une Corée vraiment olympique

Intéressant de voir les deux Corées fraterniser pendant la tenue des Jeux de Pyeonchang. Elles pratiquent ainsi, sciemment ou pas, la «trève olympique» qui était la règle dans la Grèce classique, où tous les conflits et les guerres entre les États s'interrompaient une fois tous les quatre ans pour la durée des Jeux. Et il est tout aussi intéressant de voir les U.S.A., notamment par leur vice-président Mike Pence, s'en irriter et reproduire l'attitude de l'Empire romain, qui avait tout fait par la suite pour éliminer cette coutume pour la seule raison qu'elle imposait une «pax» qui n'était pas «romana».

04 février 2018

Une Tour de Babel repensée?

(Adapté d'une intervention sur le mur Facebook de Jean-Michel Billaut)
La Francophonie (comme ses équivalents pour l'allemand, l'espagnol...) a autant à voir avec la culture et la pensée qu'avec la langue.
Et il faut bien distinguer les variantes possibles de la traduction: oreillettes et apps sont extrêmement utiles pour les échanges pratiques, touristiques, commerciaux, mais nous sommes encore loin de pouvoir automatiser les raffinements de la poésie, des jeux de mots et de langage, les nuances philosophiques, les saveurs particulières des expressions régionales, etc. qui sont des éléments importants de toute culture; je ne suis même pas sûr que nous y parviendrons jamais entièrement.
Il faut relire là-dessus Douglas Hostatder («Gödel Escher Bach») et Wittgenstein, qui dit que «chaque langue est une carte distincte du monde» où l'on apprend sur l'humanité des choses que les autres langues ignorent.
J'utilise couramment les outils de traduction automatique... mais en même temps, je suis bien conscient que je ne «pense» pas de la même façon en anglais et en espagnol qu'en français... et je suis très heureux d'avoir appris ces deux autres langues pour cette raison. Par exemple, quand sur le site de DiEM25 sur l'Europe, je lis des interventions en allemand ou en grec traduit, cela me donne l'essentiel du sens, mais pas l'esprit particulier qui anime les auteurs, et souvent il faut quelques échanges subséquents pour désamorcer les malentendus que cela crée.
Je pense que la traduction automatique résout bien des problèmes pratiques, et notamment qu'elle permettra la survie des «petits langues» (Islandais, Finnois, Basque, dialectes chinois et indiens, langues africaines...) qui autrement auraient été écrabouillées par l'anglais ou le chinois; mais j'espère qu'au contraire de nous dissuader d'apprendre d'autres langues, elle va encourager certains d'entre nous à le faire à fond, à mesure qu'ils découvriront les qualités et les richesses propres de chacune à travers des traductions de plus en plus réussies.

16 janvier 2018

Du propulseur de javelot au cerveau électronique

(Publié sur le mur de Jean-Michel Billaut)
Les débats souvent acrimonieux sur l'impact de l'intelligence artificielle quant à l'avenir de l'homme me semblent manquer gravement de contexte historique. La réalité des choses est que le désir d'étendre les capacités du corps et de l'esprit humain est non pas une menace pour l'humanité, mais une caractéristique innée et globalement positive de l'espèce.
Il y a au moins 15 000 ans, nos ancêtres ont d'abord allongé artificiellement leur bras en inventant le propulseur de javelot et l'arc et la flèche. Puis le chariot, la roue et la voile leur ont permis de multiplier leur force pour transporter des charges et leur rapidité pour se déplacer. Les moulins de toutes sortes augmentaient leur pouvoir de traiter ressources et matières premières (céréales en farine, olives et tournesol en huile, fibres en tissus, eau remontant contre la pesanteur pour irriguer...). Il s'agissait clairement dans tout cela d'améliorer les possibilités du corps humain. En même temps, l'élevage et le dressage mettaient à notre service une variété d'espèces animales qui, souvent, étaient plus fortes et plus rapides que nous... et parfois guère moins intelligentes.
L'invention de l'écriture quelques millénaires plus tard a servi à la fois à accroître notre capacité de communiquer à travers l'espace et le temps, et à multiplier le pouvoir de notre mémoire d'emmagasiner des informations. C'était la première tentative systématique pour élargir, cette fois, les moyens du cerveau et de la capacité de penser; elle allait provoquer des découvertes dans les mathématiques, la chimie, la physique, l'astronomie et créer un écart quantique entre nos pouvoirs et ceux des autres espèces... L'utilisation d'artifices dans le domaine mental était cependant une suite parfaitement cohérente de celle qui se poursuivait dans le monde matériel.
Depuis ce temps, toute l'histoire humaine a été marquée par un effort constant pour dépasser nos limites aussi bien physiques qu'intellectuelles. Et les travaux archéologiques récents montrent que ces actions n'ont pas eu de source unique, mais se sont produites indépendamment, souvent simultanément, dans divers coins de la planète sans contact entre eux. En d'autres termes, les inventions ayant pour effet d'accroître les capacités de l'Homme ne sont pas l'effet d'intuitions de génies uniques dans un contexte particulier, mais au contraire le résultat d'un instinct répandu dans un grand nombre de sociétés tout au long de la préhistoire et de l'histoire.
Il est tout aussi clair que sans cette caractéristique, l'humanité n'aurait jamais atteint sa position dominante dans l'écosystème planétaire: il a toujours existé des animaux plus gros, plus forts, plus rapides et se reproduisant plus vite que nous, des espèces que, réduits à nos talents naturels, nous n'aurions jamais réussi à dominer, encore moins à obliger à nous servir. L'extension artificielle de nos corps et de nos esprits a été un sérieux avantage dans le «struggle for life» et il n'y a aucune raison que ça change.
Je pense que c'est dans ce contexte qu'il convient d'examiner le rôle que joue et jouera l'intelligence artificielle dans notre future évolution. Non seulement ne s'agit-il pas d'un développement périlleux et inquiétant, mais c'est à la fois une suite parfaitement normale de notre développement comme espèce et une voie pour continuer à améliorer nos capacités d'interagir avec notre société et notre environnement. Comme nous avons trouvé le moyen d'apprivoiser des animaux et des forces naturelles dont le potentiel brut était bien supérieur au nôtre, je ne vois aucune raison de douter que nous saurons mettre à notre service même des cerveaux artificiels infiniment plus puissants, plus rapides et plus efficaces que les nôtres. Et, espérons-le, de les utiliser pour maîtriser les sérieux problèmes que pose la santé de la planète.
Le véritable danger, de fait, ne vient pas de l'artificialité de nos créations, mais au contraire de l'instinct naturel d'agressivité sanguinaire qui nous pousse à transformer en armes et moyens de destruction même les plus bénignes de nos inventions. L'Homme, et non l'intelligence artificielle, est la principale menace pour l'Homme.

15 janvier 2018

Salaire minimum et automation

En réponse à une caricature dans Le Devoir sur le salaire minimum à 15$, un échange instructif avec deux amis.
Moi: On peut faire de l’humour là-dessus, mais la question est sérieuse: la hausse du salaire minimum est sans doute un palliatif valable au problème actuel de la baisse du pouvoir d’achat de la masse des consommateurs... mais elle va être rendue insignifiante par les effets de l’automatisation et de la robotisation sur l’emploi. De moins en moins de travailleurs réels gagnant de plus en plus d’argent, ce n’est pas vraiment une solution... Sur ce plan, il faut (à reculons) donner raison au patron dans l’image [qui dit «On va investir (dans les robots) plutôt qu'embaucher»].

Yves Roberge: Je le crois aussi. C'est incontournable même sans la hausse du salaire minimum. Dans plusieurs commerces, les clients sont comme des troupeaux de bestiaux et ils se foutent d'être servis par une machine ou un être humain. Ils ne voient rien, n'entendent
rien sauf à partir de leur brillant téléphone qui fait tout. Alors le  service à la clientèle... Un marché Métro que je fréquentais il y a quelques années avait une petite voix de cacanne qui disait ''Bienvenue chez Métro'' lorsqu'on poussait la barre métallique à l'entrée... Fort heureusement, les clients et certains employés ont manifesté leur opposition et on a fermé la yeule au robot. Toutefois, de façon générale, la robotisation va prendre de plus en plus de place. Quand ça devient performant et rentable... y'a rien à faire.

Pierre Poirier: Et, donc, à vous lire, il faut maintenir les travailleurs pauves dans la pauvreté parce que les patrons vont automatiser ? Continuons à accepter béatement la crisse de mondialisation aveugle. Et dans 10 ans, ce sera pas 50 % de la richesse que le 1 % accaparera, mais 90 %?

Yves Roberge: Ce n'est pas du tout ce que je dis. Je crois qu'il faut mieux payer les gens... mais que, de toute manière, les entreprises vont automatiser de plus en plus. C'est inévitable. Déjà, les gens achètent chez Amazon, une entreprise automatisée de A à Z. Il faudra trouver de nouvelles sources d'emploi à moins qu'on ne ralentisse la progression de ces modèles d'affaires technologiques. Dans la situation actuelle, l'histoire de Tim Horton's tient tout simplement de la basse exploitation.

Pierre Poirier: Ça fait tellement longtemps qu'on nous dit que on s'en va vers une société des loisirs. Que nous travaillerons 20 heures/semaine et même moins. En moyenne, les travailleurs font toujours plus de 30 heures. Les métiers automatisés ont été remplacés par d'autres. 40 % des emplois actuels vont disparaitre dans les 20 prochaines années? Si c'est vrai, à qui les compagnies vendront-elles leurs biens.  Aux robots qui remplaceront les humains ? Le système capitaliste s'en va dans le mur. Si tu n'as plus de travailleurs humains, tu n'as plus de consommateurs pour acheter tes produits et tes services.

Yves Roberge: Je me pose les mêmes questions... Mais le système capitaliste va TOUJOURS vers un mur. La crise financière de 2008 est un exemple flagrant de folie suicidaire. Et ce sont les impôts des citoyens qui ont ''rescapé'' les milliardaires, leurs banques et leurs entreprises.  

Moi: Pierre Poirier, c’est précisément cette façon de raisonner (en particulier à gauche) qui favorise les inégalités en menant un faux combat pour maintenir des emplois inutiles: «Si tu n’as plus de travailleurs humains, tu n’as plus de consommateurs...» La rencontre d’un plafonnement des besoins sous le coup des limites écologiques et d’une atrophie de l’emploi par la progression des technologies fait qu’il ne peut plus y avoir de nouveaux boulots pour remplacer tous ceux qui sont automatisés. Donc, il devient impératif économiquement et socialement de dissocier travail et revenu — comme c’était le cas dans les régimes où l’esclavage fournissait une partie importante de la main d’oeuvre. En Grèce antique et dans la Rome impériale, entre le quart et le sixième des adultes libres travaillaient (souvent sans salaire, mais pour des raisons de prestige: artistes, médecins, philosophes enseignants, officiers militaires...) et la quasi-totalité mangeaient à leur faim: le système de redistribution de la richesse était différent. Il ne s’agit pas de copier ces époques, mais de trouver des formules équivalentes et plus équitables pour rémunérer l’ensemble de la population, travailleuse ou pas, afin qu’elle puisse vivre et consommer. L’argument typiquement protestant de la «valeur travail» qui dit que sans l’aiguillon du salaire, les gens croupiront dans l’oisiveté est démenti par toute l’Histoire et par la nature humaine même: l’être humain est foncièrement actif et se trouve presque toujours quelque chose à faire, qu’il soit payé pour ou non. Regarde la quantité de bénévoles et de retraités actifs qu’il y a autour de toi. C’est ce contexte qui explique l’intérêt récent pour la notion de Revenu Universel Garanti (financé entre autres par une taxe sur le rendement des automates), qui est la solution la plus évidente à ce problème. Mais cela implique des ajustements majeurs dans notre système économique et dans nos modes de vie: une Société des loisirs ne veut pas dire, comme on l’a cru un moment, que chacun travaille vingt, quinze ou douze heures par semaine, ce qui est irréalisable et inefficace; elle veut dire qu’une majorité de ceux qui pourraient travailler ne le feront pas et jouiront quand même d’un revenu leur permettant de subsister décemment, mais aussi qu’ils ne seront pas dévalués et ostracisés socialement. Donc, il faut empêcher que tous les bénéfices de l’automatisation tombent dans l’escarcelle des entreprises et des plus riches, et qu’ils soient répartis dans l’ensemble de la population. À mon avis, c’est là qu’est le nouveau combat fondamental des progressistes, et non pas seulement dans la hausse du salaire minimum et le maintien artificiel d’emplois inutiles souvent malsains et avilissants. Un guichet automatique de banque et un camion-vidangeur robot sont infiniment préférables à un boulot «humain» de caissière ou d’éboueur, à tous points de vue. Ce qu’il faut, c’est trouver des manières nouvelles de s’assurer que les ex-caissières et ex-éboueurs ne seront pas les seuls à en pâtir. Je m’excuse du long prêche, mais tu as sans le vouloir actionné un de mes boutons les plus sensibles.

Pierre Poirier: Yves Leclerc Le problème, c'est que toutes les sociétés résistent à des solutions comme le revenu minimum garanti. On nous fait avaler l'idée qu'il nous faut de plus en plus d'immigrants pour remplacer les travailleurs qui partent à la retraite, alors que dans 20-30 ans, on aura trop de main-d'oeuvre par rapport aux besoins. Tu penses VRAIMENT que les 1 % vont s'arrÊter à 50 % de la richesse ? Aux USA, ils cumulaient déjà 80 % de la nouvelle richesse. Avec les abysses d'impôts que TRUMP leur a accordés, ils en accapareront encore plus. C'est suicidaire, mais leur avidité va faire exploser le système. Le 1 % s'en tirera comme d'habitude. Les 50 % les plus pauvres vont en baver, longtemps.

Moi: Pierre Poirier, je ne te dis pas que c’est facile, je dis que cette bataille me paraît inévitable parce que le système actuel, comme dit Roberge, «fonce tout droit dans le mur» et que les gauches, en menant des combats d’arrière-garde, ne font rien pour en changer le cap. Ma crainte, c’est qu’il va falloir une autre crise encore plus catastrophique que 2007-2010 pour que les progressistes se réveillent et que les populations les écoutent — tu as raison de dire que «toutes les sociétés résistent», hélas.

Pierre Poirier: Yves Leclerc Je crains que, comme le disait un de ces membres du 1 % qu'il faille une révolution violente pour y arriver. J'espère que non. Mais je ne suis pas optimiste.
Une des raisons de mon pessimisme, c'est la vitesse, par exemple à laquelle le gouvernement du Québec a rejeté l'idée du revenu minimum garanti. Sans même y réfléchir.

Moi: Pierre Poirier, Ouais, le Gouvernement du Québec n’est pas très haut dans ma liste des gens lucides et ouverts. En passant, ta remarque sur une fausse justification de l’accueil des immigrants est aussi fort pertinente et demande une réflexion plus approfondie.
Je me demande s’il ne faut pas envisager pour s’en sortir une sorte d’alliance contre nature entre les penseurs et activistes de gauche et les plus lucides des milliardaires du 1% — ceux qui voient venir la catastrophe (qui, à terme, les menace autant que les prolétaires) et qui se disent donc prêts à lâcher du lest de façon significative?

14 janvier 2018

Bon vent, René

Je suis profondément affecté par le décès d’un ami «Internet» que pourtant je n’ai vu qu’une demi-douzaine de fois dans ma vie, il y a dix ans et plus. René Servais était, avec sa femme Jeannine, le genre de fou heureux avec qui Azur et moi avons immédiatement des atomes crochus. 
Ce couple de retraités belges avait acheté en 2006 un joli voilier monocoque d’une trentaine de pieds au nom prédestiné de «Mañana», eux qui n’avaient jamais navigué. Armés d’une table des marées, de quelques cartes et de «La Voile pour les nuls», ils ont vogué sans accident (mais non sans péripéties drôlatiques) des dunes de la Mer du Nord jusqu’au soleil de l’Algarve espagnole. Ils ont traversé les doigts dans le nez le «rail» hyper-encombré de la Manche, les côtes déchirées de la Bretagne, les colères du Golfe de Gascogne, le flanc nord peu accueillant de l’Espagne et l’Ouest venteux et capricieux du Portugal jusqu’au port de plaisance de Mazagon, où nous les avons trouvés comme voisins de ponton quand nous préparions notre Bum Chromé pour la traversée de l’Atlantique vers la Martinique à l’automne de cette année-là. 
Entre les longues conversations oisives, les ti’punchs, les manzanillas, les paëllas du midi et les churros avec chocolat chaud du petit matin, s’est nouée une amitié indéfectible: les dernières personnes que nous avons aperçues en Europe à notre départ le 20 novembre sont Jeannine et René agitant vigoureusement des mouchoirs, la larme à l’oeil, au pied du phare qui marque la sortie du havre de Mazagon.
Ils ont ensuite pris racine en Andalousie, d’abord à quai sur le Mañana, puis dans un appartement du bourg voisin. Malgré tous nos efforts, nous ne sommes jamais arrivés à nous revoir en chair et en os, mais les contacts virtuels sont demeurés fréquents et chaleureux, d’abord par e-mail et téléphone, puis ces dernières années par FaceBook, Skype et Messenger.
Bonne route là où tu t’en vas, ami René, nous n’allons pas cesser de penser à toi. Et Jeannine, compte sur nous pour, cette fois, une vraie revoyure!