17 décembre 2022

Une bulle créole

J’ai été anormalement absent des réseaux sociaux depuis une bonne semaine, pour quelques (bonnes) raisons: En premier lieu, malgré des améliorations, la connexion Internet à bord d’un voilier dans la Marina du Marin a peu en commun avec l’omniprésence transparente d’un Helix de Vidéotron aux alentours du Stade Olympique. Par ailleurs, le début du séjour en Martinique a été particulièrement occupé d’une part par la réinstallation sur un Bum Chromé qui n’était pas vraiment prêt à m’accueillir, d’autre part par les démarches administratives en vue du dépôt des cendres de Marie-José dans le caveau familial au cimetière du Diamant, enfin par les multiples attentions aussi bien des amis et parents antillais que des «importés» montréalais (voir plus loin). Troisièmement, et surtout, je me suis retrouvé plongé dans ce tout autre univers créole, une bulle où tout est matériel et immédiat, contacts physiques, papier et crayon, trajets à pied et en voiture, loin d’une virtualité numérique montréalaise qu’a encore accentuée la pandémie.

Ce n’est que depuis hier midi, après que nous avons finalement scellé l’urne funéraire dans la crypte en bord de mer de la Dizac, que j’arrive enfin à décanter un peu ce qui m’arrive.

Le voyage  de Dorval au Lamantin s’est passé sans le moindre heurt, sans rien des craintes que j’en éprouvais avant le départ: le personnel des deux aéroports et celui d’Air Canada se sont relayés pour me faciliter la vie avec autant de chaleur que d’efficacité. Mon voisin de bord était un charmant et disert producteur-réalisateur martiniquais de documentaires sur les Antilles avec qui je me suis trouvé bon nombre d’intérêts communs. Mon neveu Vincent et sa Mélanie étaient à l’autre bout de l’avion (bondé), mais venaient de temps à autre prendre de mes nouvelles, et nous nous sommes retrouvés immédiatement à la sortie de la douane, où m’attendaient par ailleurs le cousin Charles Larcher, Twiggy et son exubérante Marie-France. Ceux-ci m’ont accompagné ou rejoint au Marin à bord du bateau, où je me suis pourtant senti plutôt perdu: en prévision de la vente prochaine, Raymond Marie et ses adjoints avaient pratiquement fait le vide, et l’absence de notre habituelle ménagère sainte-lucienne a fait que le peu qui restait n’était jamais là où je m’y attendais. Sauf le rhum, bien sûr, pour l’inévitable ti’punch de bienvenue.

Heureusement, Henrietta s’est vite pointée le lendemain midi, avec Marie-France, autant pour remettre les choses en ordre que pour m’accompagner dans les commerces du bourg trouver ce qu’il manquait de provisions et de fournitures.

À ma surprise émue, j’ai presque aussitôt été inondé de visites et d’appels de vieux amis et même de simples connaissances de la Marina qui avaient appris le décès d’Azur et venaient m’apporter leurs sympathies. Raymond Marie évidemment, mais aussi nos anciens capitaines Gérard Pancrate et Marc Saint-Albin, le patron de la Marina Éric Jean-Joseph, Nicole Talba du resto Marin Mouillage (où je suis bien sûr allé souper), par téléphone du Marin Véronique Deschamps-Balaire, du Diamant Alex Cressant, de Fort-de-France Georges Brival et de Paris Maryse Jean-Marie…

C’est finalement jeudi soir, une semaine après mon arrivée, que nous avons fait la soirée prévue de souvenir en l’honneur de Marie-José, non pas dans une salle anonyme comme je m’y attendais, mais sur la belle véranda et dans le jardin foisonnant de lumières et de couleurs et de parfums de Charles et Raphaëlle Larcher, perchés sur une colline qui surplombe le bourg du Diamant. Les skippers Marco et Ignace (bien plus ouvert et plus chaleureux que dans mes souvenirs de lui à bord), la cousine Erneste Lescot et deux de ses soeurs, l’ex-sénateur-maire Serge Larcher, plus les trois fils de la maison ainsi que Twiggy et Marie-France se mélangeaient sans faille avec Vincent, Mélanie et les nouveaux arrivés québécois Michel Lacombe est Nathalie Petrowski… Examen des photos d’Azur imprimées par 

Jean-Luc Larcher, échange de souvenirs variés et savoureux de la grand absente, entrecoupés de pauses nourriture et boisson (Raphaëlle faisait parfaitement honneur à sa réputation d’hôtesse et cuisinière) et de discussions intellectuelles et politiques vives mais civilisées. Le «six à huit» prévu – qui a en réalité débuté peu avant sept heures, on est en Martinique, tout de même – s’est prolongé jusqu’à pas loin de minuit! Peu tenté de me taper le retour jusqu’au Marin en pleine nuit, je suis resté dormir… chez Ignace, qui vit seul dans sa grande maison familiale du quartier Taupinière, entouré d’arbres fruitiers, de poules, de canards et d’oies.

Vendredi matin, après avoir salué les deux couples québécois (qui dormaient aussi au Diamant), nous nous sommes dirigés en petit comité (auquel s’est ajouté Raymond Marie, absent la veille) au très marin cimetière de la Dizac, où sur quelques mots de circonstances, le directeur des pompes funèbres et son employé-fossoyeur ont ouvert la crypte familiale, déposé l’urne à côté de celle de la tante bien-aimée Marcelle Philémont, puis rescellé le tout. Retour au Marin et (très bon) dîner au Zanzibar.

Hier samedi, pour me ménager un hiatus vis-à-vis ces fortes émotions, j’ai profité de la gentillesse de Marie-France pour aller piquer une tête dans la mer toujours calme de Sainte-Anne, suivi de l’éternel ti’punch et d’un bon dîner de vacanciers les pieds dans le sable de la terrasse du Touloulou (maintenant le NEW Toujoulou) qui a retrouvé sa qualité de jadis. Et je dois y retourner dimanche avant-midi pour vivre l’effervescence bien antillaise qui va entourer la diffusion sur grand écran de la finale France-Argentine de la Coupe du Monde de soccer. J’espère seulement que j’y survivrai!