26 mars 2015

Retour aux sources!

Venez en Martinique, qu'ils disaient. Le soleil, le ciel bleu, le sable blond, la mer turquoise, les palmiers tout verts... Pour le moment, c'est plutôt: le soleil – invisible; le ciel – gris uni; le sable – détrempé; la mer – grise comme le ciel; les palmiers – les quoi? S'ils existent encore (on en douterait), ils sont bien cachés derrière un rideau de pluie ininterrompue, secoué de temps à autre par des rafales de vent froid. 
Pourtant, mars et avril aux Antilles sont traditionnellement les mois chauds et secs de l'année, le «Carême» aux champs d'un jaune brûlé, aux feuilles rachitiques, aux fleurs violentes mais rares. C'est ce à quoi nous avaient habitués nous visites précédentes dans les périodes entre Carnaval et Pâques... et c'est exactement le contraire ces jours-ci. 
Nous sommes arrivés de Montréal il y a une vingtaine de jours par un temps superbe et pas trop chaud (28C), mais les amis Léna et Jean-Yves qui nous attendaient à l'aéroport du Lamentin nous ont aussitôt mis en garde: «Ne vous y fiez pas, on a eu de la saloperie de pluie toute la semaine dernière, et ça va sûrement revenir.» 
Le temps de nous réacclimater, après bientôt deux ans d'absence, nous nous sommes installés pour deux nuits près de chez eux, dans un joli et confortable deux-étoiles des Trois-Îlets, le Bambou, aux bungalows de bois de couleurs vives parsemés dans un jardin luxuriant. Notre maisonnette était de bonne taille, avec une grande chambre à l'ameublement rudimentaire mais adéquat et une immense salle de bains bien équipée. Elle était à mi-chemin entre le bâtiment d'accueil près de la route de l'Anse Mitan et le restaurant «Au bo'd'l'eau» sur la plage, qui servait une cuisine antillaise savoureuse, accompagnée le soir d'un spectacle folklorique plutôt tonitruant. 
Nos premiers visiteurs ont été le cousin Daniel, qui nous avait ratés à l'aéroport (il n'avait pas tenu compte du changement à l'heure d'été à Montréal, qui avançait d'une heure notre arrivée ici), et Raymond Marie, notre vieux complice marinois responsable du bateau en notre absence. 
Au milieu de la semaine, un taxi du Marin est venu nous prendre pour nous amener à la marina où nous attendait notre Bum chromé, en fort bon état malgré ses bientôt dix ans d'âge. C'est avec un brin d'inquiétude que nous nous sommes installés à bord, surtout Azur dont les récentes tribulations médicales ont un peu ébranlé sa confiance en son niveau d'énergie et d'équilibre. Elle n'est pas la seule, cependant: mes genoux artificiels sont certes infiniment plus fonctionnels que mes anciennes articulations percluses d'arthrose avancée, mais ils ne retrouveront sans doute jamais la force et la souplesse de mes jambes d'antan – et sur un bateau, on sent beaucoup plus nettement la différence. 
Nous attendait à bord notre cuisinier-homme à tout faire sainte-lucien «Twiggy», qui nous a aidés à ranger nos modestes bagages et avec qui je suis allé faire les courses de première nécessité. De l'autre côté du ponton ont jailli de joyeuses exclamations et le bruit d'une galopade: le couple helvético-montpelliérain Michel et Florence, en train de travailler à coudre et réparer des voiles et des gréements de bord sur le pont de son Marie-Joseph, venait nous sauter au cou: «Ouf! On se demandait si vous alliez jamais revenir!» Ils ont rapidement été suivis de quelques autres vieux-de-la-vieille, des patrouilleurs du port de plaisance (dont un «pays» diamantinois d'Azur), de notre minuscule et énergique femme de ménage Henrietta et de notre ancien skipper le «rasta» Marco, récemment rentré en Martinique après cinq ans en Europe. 
C'est d'ailleurs avec lui et Twiggy que nous avons repris la mer pour la première fois avant-hier. Tout juste une petite virée au large du village voisin de Sainte-Anne, histoire de vérifier l'état du catamaran et de ses équipements: voiles, moteurs, instruments, annexe gonflable, etc. Nous avons jeté l'ancre par cinq mètres de fond sur les sables clairs de la baie pour un lunch d'acras de morue, de boudin créole épicé, de poulet boucané et de poisson grillé. Avec les deux garçons, j'ai ensuite piqué une tête à l'eau pour inspecter les coques et surtout, soyons honnête, pour patauger avec délices sous une pluie battante mais chaude qui rendait encore plus agréable l'eau tiède et transparente... La journée enchanteresse s'est terminée par deux petites heures de voile du côté de la grande plage sauvage des Salines. 
Il s'agissait aussi de voir comment nous allions réagir à la mer et aux mouvements du bateau. Pas trop d'inquiétude, nous n'avons ni l'un ni l'autre le mal de mer; pour circuler à bord, les réflexes nous reviennent tout doucement, le pied marin aussi... quoique avec quelques précautions. Une fois à quai, nous nous sentons de plus en plus à l'aise. J'ai retrouvé l'acrobatie qui me permet de réintégrer ma couchette sans me mettre à genoux (un interdit absolu avec les prothèses), et canne aidant, nous parcourons sans trop d'effort les 300 et quelques mètres du ponton jusqu'au quai de la capitainerie... même si Azur vitupère abondamment contre la lourdeur massive de son soleil natal. 
Dans le bourg, notre restauratrice chouchou Nicole Talba a abandonné son Marin-Mouillage aux mains de son ancien personnel pour se consacrer à une nouvelle aventure: un bed'N breakfast et table d'hôte à Rivière-Pilote, Kaï Kolibri, dont on dit le plus grand bien. La qualité de Ti-Toques s'est un peu relâchée; en revanche, l'ancienne boîte à zouk Zanzibar s'est transmutée en un excellent resto de cuisine «métissée», et le Paradisio se refait une belle jeunesse en face de sa fabuleuse plage de l'Anse Michel, sous l'aile d'une paire de nouveaux angelots. 
Seul changement notable dans l'équipement, j'ai installé un téléviseur plat de taille moyenne équipé (malgré les avis contraires du vendeur) d'un simple décodeur TNT et d'une antenne de salon... qui captent sans faille une dizaine de chaînes numériques françaises et locales, à peine perturbés à l'occasion par la vigueur des averses et les mouvements du bateau forçant sur ses amarres au hasard des marées et des ressacs. 
Bon, je vous laisse. Vient d'arriver l'escouade complète composée d'Henrietta, de son fils Twiggy et de la copine de ce dernier, la grande Marie-France, qui va servir à Azur de coiffeuse, manucure et pédicure à domicile. La patronne doit se faire belle en effet, car samedi débarquent à leur tour de Montréal pour une semaine sa copine-médecin Évelyne et son compagnon Jean. C'est avec eux que nous passerons le gros de la semaine pascale à faire par mer le tour complet de la Martinique, avec de délicieuses escales notamment sur les Fonds Blancs du François, au creux de la péninsule de la Caravelle et face à la vieille ville de Saint-Pierre, au pied de la Montagne Pelée... et de ma rhumerie préférée, Depaz! À la bonne vôtre...