29 janvier 2015

La Leçon de Coulibaly

(repris de Facebook) Je viens de lire la bio du terroriste Amedi Coulibaly. Un voyou français «irrécupérable», transformé en quelques mois par un mentor pas spécialement brillant en un fanatique de l'Islam, capable de se sacrifier pour aller tuer quatre personnes. Faisant abstraction pour un moment de la monstruosité de l'acte, il faut être aveugle pour ne pas voir qu'il s'agit là d'un véritable exploit dont ni notre système d'éducation, ni notre appareil judicio-carcéral, ni notre encadrement social n'ont pu réaliser la moindre fraction. 
Face à cela, pouvons-nous continuer d'affirmer que notre mode de vie et notre culture bassement matérialistes, individualistes, au-jour-le-jour, dépouillés de leurs anciens idéaux, espoirs et finalités humaines par la course folle à la richesse et au confort, sont «supérieurs» à ceux qui ont pu effectuer un tel retournement? 
Il ne s'agit évidemment pas de nous convertir à l'Islam (ou à toute autre croyance religieuse illogique et désuète), mais de nous interroger sérieusement sur la qualité et les orientations de la civilisation occidentale «moderne» dont nous sommes si fiers, à tort ou à raison. 
Au lendemain des attentats, comme les Américains l'avaient fait après le 11/09/2001, nous raisonnons mécaniquement en termes de corrections et de renforcements aux mécanismes de sécurité. Certains d'entre nous faisons un pas de plus en parlant d'inclusion sociale et économique. mais est-ce suffisant? 
Je me demande si, pour faire barrage au «djihadisme», il ne faut pas pousser bien plus loin et remettre en cause certaines de bases mêmes de notre idéologie.

21 janvier 2015

Ciao, grand cousin

Je pleure le départ de mon «grand cousin» Claude Aubin, décédé dans son sommeil hier à 89 ans. Il a d'abord été l'idole de ma jeunesse, élégant universitaire globe-trotter poursuivant des études à l'étranger, notamment au Brésil... et roulant dans les rues de Québec à bord de la première mythique Mercedes 300 «gullwing» que nous ayons jamais vue. 
 Sa carrière subséquente à l'Alcan l'a mené de la direction d'une mine au Katanga (d'où il a dû filer en douce au moment de la révolution congolaise) à des missions un peu partout à travers la planète pour se terminer à l'usine-mère d'Arvida. 
 Son hobby était d'apprendre les langues, dont il parlait à la perfection une demi-douzaine outre le français et l'anglais. Une fois à la retraite, et quoique fédéraliste irréductible, il a d'ailleurs été choisi par René Lévesque pour diriger et remettre en ordre l'Office de la Langue française. 
 C'est dans ce rôle que je l'ai retrouvé vers 1983... à Lisbonne à l'occasion d'une Biennale de la Francophonie. Il avait d'abord sauvé la face de l'organisation en étant le seul dignitaire étranger capable de répondre dans la langue de Camoëns au ministre portugais de la Culture, qui nous avait accueillis dans un français élégant pratiquement sans accent.
 Nous avions ensuite effectué une délicieuse virée d'un week-end en Algarve en compagnie du merveilleux essayiste et syndicaliste Pierre Vadeboncoeur. Je n'oublierai jamais un repas communal animé dans une taverne de pêcheurs de Portimao, tous assis sur des bancs le long d'une table de bois rustique où trônaient, au milieu des longs cols des fioles de vinho verde et des bières Sagres trappues, des marmites pleines de beaux et savoureux crabes rouges et de légumes odorants. Vadeboncoeur avait entrepris une vigoureuse discussion avec un des dirigeants du syndicat des marins locaux, et mon cher cousin, bon Canadien plutôt conservateur, s'est trouvé dans l'obligation insolite de traduire un chaud débat entre un socialiste québécois et un communiste portugais – ce dont il s'est tiré avec un brio souriant! 
 Jusque dans les années 2010, Claude continuait d'aller skier chaque hiver dans les Alpes. Lui et son épouse Cécile, directrice d'un programme culturel à l'U. de M., nous ont reçus à plusieurs reprises au cours des ans dans leur jolie maison à colombages de Ville Mont-Royal, avec la chaude et abondante hospitalité du Lac Saint-Jean dont elle est native. 
Claude en arrière au centre et Cécile à droite
Il y a deux ans, c'était pour un Noël particulièrement enneigé, où la fête s'est en partie déroulée dans la magie d'un jardin d'hiver qu'ils avaient érigé au coeur de leur arrière-cour alors toute blanche! 
 Nous avions pour amis communs Johanne et Henri Heusdens, personnage incontournable du night-life montréalais, ex-patron des discothèques Chez Zouzou des années 60-70 puis H. Henri Club des années 80-90 — où se retrouvaient souvent les joueurs du Canadien après une partie. Avec eux, nous avions aussi célébré par un souper-spectacle dans un piano-bar de la rue Crescent leur prochain départ ensemble pour le Mexique, où ils passaient une partie de l'hiver. Que de beaux souvenirs! 
Ciao, Claude!

16 janvier 2015

Un milliard et demi de blasphémateurs?

Il me vient tout-à-coup à l'esprit, en suivant le cours des débats sur l'attentat de Charlie Hebdo, que chaque fois qu'un Musulman affirme sa foi, il blasphème. Non pas contre sa propre religion bien sûr, mais contre celles d'au moins les trois-quarts de l'Humanité. En effet, dire qu'«Allah seul est dieu», c'est proclamer que les dieux que révèrent les autres religions n'en sont pas. Non seulement c'est indubitablement blasphématoire mais, contrairement aux professions de foi de la quasi-totalité des autres croyances, cela participe à l'essence même de l'Islam: c'est la seule manière de devenir et de demeurer Croyant. 
Les seuls humains qui ne peuvent le leur reprocher sont, paradoxalement, les Juifs (puisque leur Dieu unique est le même que celui de Mahomet) et les véritables incroyants (les athées et les agnostiques, indifférents à l'existence et à la nature de la divinité). Même les Chrétiens sont visés, car prétendre que le Christ et l'Esprit Saint ne sont pas de nature divine est une hérésie caractérisée, du genre pour lequel jadis on vous condamnait au bûcher. 
Les Musulmans doivent reconnaître ouvertement que pour eux, seul est blasphématoire ce qui sort de la bouche ou de la plume de leurs propres coreligionnaires; sinon, ils encourent le risque que les fidèles de toutes les autres confessions leur infligent le traitement qu'eux-mêmes réservent au blasphémateur. Ils peuvent se dire choqués, par exemple par les caricatures de Charlie Hebdo, il peuvent les dénoncer comme des provocations, mais lancer des accusations de blasphème les engage sur une voie de représailles mutuelles qu'ils ne pourront que regretter amèrement à la longue. 
Je n'écris pas ceci par provocation, mais au contraire dans un esprit de saine logique et de conciliation, selon la maxime du «ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'ils te fassent». Il n'y a aucune raison pour que les blasphémateurs musulmans (et ils le sont tous en principe, face au reste du monde) jouissent d'une tolérance qu'ils refusent aux autres. Il est indispensable pour leur propre sécurité et pour la paix du monde qu'ils en prennent conscience.

12 janvier 2015

Religion et modération

Je reprends ici ma partie d'un échange qui s'est déroulé sur la page Facebook de Camille de Vitry, parce qu'il me paraît pertinent au débat sur Charlie Hebdo. Il découle de la nouvelle qu'un lycéen français a été battu et sérieusement blessé par trois de ses camarades pour avoir défendu "la tolérance et la laïcité". Voici: 
«Ce genre d'incidents — il y a aussi l'institutrice conspuée par ses écoliers pour avoir regretté l'assassinat de "ceux qui ont insulté le Prophète" — montre une chose. Ce ne sont pas des lois d'exception qui vont résoudre le problème. C'est en premier lieu aux Musulmans modérés eux-mêmes de corriger le tir et de marginaliser publiquement leurs propres extrémistes, surtout face à leur propre jeunesse. "Condamner" après le fait sans avoir agi auparavant pour prévenir ne sert à rien. 
«J'ajouterai un élément qui prête plus à controverse. Ce qui vaut pour les Musulmans vaut aussi pour les Juifs, particulièrement en Israël. Je souligne que la plupart des sectes et confessions chrétiennes et bouddhistes ont déjà entrepris ce travail. De Jean XXIII à François, des archévêques de Cantorbery et de Martin Luther King aux métropolites russes, grecs, chypriotes et coptes, en passant par le Dalaï Lama. Peut–être que l'absence de telles initiatives généralisées et à long terme dans les deux grandes religions du Moyen-Orient explique en partie le drame qui s'y déroule... et qui déborde de plus en plus souvent chez nous. 
«... je n'ai pas dit que tous l'ont fait, et partout. Mais un effort partiel est mieux que baisser les bras. Enfin, je souligne que, résolument athée, je n'ai pas la moindre intention de faire l'apologie des religions. Sauf que si on veut critiquer leurs conneries de façon crédible, il faut savoir reconnaître leurs bons coups. Non?»

07 janvier 2015

Ho, Charlie!

Je me rappelle avec émotion un lunch décontracté avec l'immense caricaturiste Cabu et sa solide et chaleureuse femme Isabelle (avec qui je travaillais pour le mag informatique VO) dans un boui-boui chinois du bd. de Belleville, au début des années 1980. Un grand souffle d'air frais qui avait illuminé un de mes nombreux séjours parisiens à cette époque. 
Et quand je me sens balayé par le tsunami d'hypocrisies qui prétend condamner le massacre de Charlie Hebdo, je ne puis m'empêcher d'imaginer l'éclat de rire cynique et les remarques caustiques dont l'auraient salué Cabu lui-même et ses collègues assassinés du journal. Les deux principales hypocrisies, étrangement symétriques: que Charlie Hebdo n'était pas anti-religieux, et que ses assassins n'ont rien à voir avec l'Islam. 
Évidemment, que Charlie Hebdo était contre les religions. Pour lui, l'humour était une arme et cette arme était résolument tournée contre ce qu'il considérait comme un ramassis d'obscènes et sanguinaires superstitions. Il s'en prenait surtout à leurs formes extrêmes, d'accord, mais n'épargnait surtout pas leurs préjugés plus «mainstream», notamment ceux contre les homosexuels et les femmes et leur tolérance pour la pédophilie. Il faut ne l'avoir jamais lu pour croire le contraire. 
Tout aussi évidemment, les religions, l'Islam en premier, sont coupables de leurs extrémistes. Elles forment le terreau qui les nourrit, fournissent les slogans et les arguments absurdes et mortifères qu'ils invoquent et s'abstiennent soigneusement de les combattre effectivement, sauf pour les dénoncer lorsque leurs excès exposent trop crûment leurs propres inepties et soulèvent contre elles, à bon droit, les peuples. L'Islam est tout aussi responsable des islamistes que le Judaïsme l'est des horreurs de Gaza et des colonies illégales et que la Chrétienté l'a été de l'Inquisition, des colonisations féroces en Afrique et en Amérique, de l'Irlande du Nord, etc. 
Une troisième hypocrisie est que la grande majorité des notables qui dénoncent vertueusement l'attentat, en France comme ailleurs, détestaient cordialement le journal et son esprit frondeur anti-establishment... sans le lire, bien sûr. S'ils avaient eu l'audace de l'ouvrir, ils auraient été atterrés de son contenu – ceux d'entre eux qui ont été obligés de le faire parce qu'il les visait directement, politiciens, imams, évêques et rabbins confondus, ont assez souvent fini par le poursuivre en justice dans l'espoir vain de le museler. On pourrait même soupçonner que ce que les trois islamistes meurtriers de ce matin ont réalisé est une chose qu'eux-mêmes se retenaient tout juste de souhaiter, par pure pusillanimité. 
Je suis profondément attristé de ce qui s'est produit... en même temps que je constate la magistrale illustration que cela constitue de la vérité philosophique trop souvent oubliée que «le prix de la liberté absolue est l'insécurité absolue», un prix qu'avaient assumé et qu'ont hélas payé mes anciens confrères. Nous avons besoin qu'on nous rappelle que les sociétés soviétique de Staline et fasciste de Franco étaient extrêmement sécuritaires... et que nos sociétés «libres» ne sauraient jamais l'être au même degré. Il faut savoir ce que nous voulons. 
Salut, Charlie, et chapeau bas!