24 mars 2022

Du Mauvais côté?

Rien n’est plus tragique dans un parcours politique et idéologique que de se retrouver soudain «du mauvais côté» de la barrière morale, de découvrir que le camp qu’on préfère est indéfendable, et celui qu’on déteste a, pour une fois, raison. C’est ce qui est arrivé à la droite européenne dans les années 1930 face au fascisme et au nazisme, à la gauche dans les années 1950-60 face au stalinisme.

Je ressens de plus en plus clairement que c’est le cas aujourd’hui pour les progressistes, en particulier européens, qui dovent prendre conscience que l’agression russe en Ukraine, si elle ne se compare pas (du moins pour l’instant) à l’hitlérisme, est tout au moins du même niveau que l’action américaine au Vietnam des années 1960-70. 

On peut toujours dénoncer la propagande, la partialité des médias, le passé douteux de diverses factions ukrainiennes,  on peut plaider que l’autre camp a déjà fait la même chose ou même pire, il n’en reste pas moins que la masse des témoignages de journalistes indépendants et d’organismes humanitaires, preuves visuelles à l’appui, est accablante. La Russie de Vladimir Poutine se livre à des exactions systématiques contre une population civile qui se situent quelque part entre le terrorisme d’État et le génocide – et elle menace de faire pire. Il n’y a à ce comportement aucune justification.

Ceci est d’autant plus flagrant qu’il n’y a pas de vraie raison idéologique de défendre le Kremlin.  Le débat sur la guerre en Ukraine n’en est pas un de droite contre gauche, mais entre deux droites dont l’une a clairement tort. Sur le terrain, le conflit n’est pas plus politique: il oppose une armée d’invasion aux visées impérialistes à un peuple dont il est de plus en plus clair que toutes les factions, des communistes à l’extrême-droite, sont unies pour résister et défendre leur patrie — comme ce fut jadis le cas en France et en Yougoslavie face à Hitler.

22 mars 2022

Les ingrédients d’une Poutine… gagnante?

Que nous le voulions ou non, l’issue de la crise ukrainienne repose plus sur ce que fera (ou ne fera pas) Vladimir Poutine que sur toute initiative de l’Otan, de l’Union européenne, de la Maison blanche ou même de la Chine. C’est cette perception qui explique pourquoi je viens de passer une bonne portion des dernières journées à me renseigner (aux sources les plus diverses possible) en détail sur l’homme, sur sa carrrière, sur son entourage et sur ce que cela nous révèle de son comportement le plus vraisemblable.

Premier constat, Poutine n’est pas un Adolf Hiler, il en est même sur plusieurs points le repoussoir: ni fanatique, ni hystérique, ni passionné. C’est un homme froid, calculateur, mesuré, réaliste. Mais il partage avec le maître du 3e Reich deux caractéristiques qui peuvent être inquiétantes: Un égocentrisme ambitieux, dévorant et la phobie d’avoir tort. Lui non plus n’écoute personne de son entourage immédiat, et lui aussi peut être envahi d’une crise de rage en se rendant compte que ses manoeuvres ont échoué. Sauf que sa rage à lui sera non pas aveugle, mais froide et calculée, donc encore plus dangereuse. Et sauf que contrairement à Hitler, il écoutera plus attentivement ses ennemis que ses amis.

Deuxième constat, il n’agit jamais par instinct, toujours par calcul. Cela peut être inquiétant par manque d’humanité, mais cela garantit pratiquement qu’il ne fera jamais un geste purement suicidaire: ses pires actions lui réserveront toujours une porte de sortie. Si jamais le Kremlin déclenche l’holocauste nucléaire, je suis paradoxalement convaincu que cela ne viendra pas de lui, peu importe ce qu’il tente de nous faire croire. Le doigt sur le bouton rouge? Un pur coup de pub.

Troisième constat: c’est un bluffeur, avec toutes les qualités et les vices de l’espèce – et croyez-moi, en tant qu’ex-joueur compulsif (trois ans chez les Gambleurs Anonymes, c’est pas rien), c’est une espèce que je connais bien et que je sais reconnaître d’un coup d’oeil. Comme tout vrai bluffeur, il sait voir quand il est battu, et ménager sa mise pour la prochaine chance. ‘Going all out’ sans espoir de retour, c’est pas lui.

Quatrième constat: c’est un gagnant, et il veut le rester. Toute sa carrière est une succession de réussites, de bonds en avant, même face à des contextes plutôt sombres: il s’est bien tiré de l’écroulement de l’empire soviétique, il a survolé une réunification allemande qui aurait dû l’enterrer (il était alors en poste à Berlin-Est), il a profité de la descente aux enfers de son mentor Boris Yeltsine, alors qu’il aurait dû sombrer avec lui. S’il peut voir, ou si on lui offre, une porte de sortie qui lui donnera l’occasion d’une autre ronde plus favorable, il voudra la prendre.

Cinquième constat: il vieillit. Les virtuoses de la haute voltige dans son style vivent rarement très vieux, et je soupçonne qu’il en est conscient, même s'il semble en très bonne condition pour un quasi-septuagénaire. Les pressions auxquelles il faut résister, les sursauts d’énergie qu’exigent ses coups de bluff et ses volte-faces vont forcément entamer sa durée de vie… et le réaliste qu’il est doit en tenir compte dans ses calculs les plus objectifs. 

Tout cela ne nous dit pas comment faire pour trouver une solution. Mais cela nous montre au moins ce qu’il ne faut pas faire. Il ne faut surtout pas le salir dans l’opinion mondiale à tel point que son orgueil l’emporte sur son bon sens (voyez comment il a réagi au ‘criminel de guerre’ dont l’a stigmatisé Biden). Il ne faut pas l’acculer dans un coin d’où il me trouvera aucune issue: l’image du rat pris au piège est particulièrement pertinente dans son cas. 

Pour avoir moi-même négocié – comme représentant syndical jadis, plus récemment comme patron de PME – , je pense qu’il ne faut surtout pas le prendre pour un imbécile et lui servir dans le huis-clos des pourparlers des arguments qui ne valent que face à l’opinion publique. Mieux vaut attaquer de face avec une certaines franchise les points de conflit et les réalités de terrain, et indiquer discrètement les avenues par lesquelles il peut sauver la face tout en cédant sérieusement sur le fond.

Je ne suis pas sûr d’avoir raison sur tout ceci, mais ça me paraît un point de départ vraisemblable pour discuter de la façon d’éviter le pire.

13 mars 2022

Le Facteur Xi

 Je me demande à quel point Joe Biden et Vladimir Poutine se rendent compte qu’ils sont actuellement des partenaires bien involontaires mais très utiles dans la campagne de la Chine pour devenir la première puissance de la planète. À leurs dépens, bien sûr!

Considérez seulement les faits suivants:

  • Poutine fait l’impossible pour se rendre impopulaire, sinon carrément haï, dans la plupart des régions du monde, en particulier chez tous les peuples d’Asie, d’Afrique, du Monde arabe et d’Amérique latine dont les populations ont connu des invasions, des guerres civiles, des vagues terroristes avec leurs cortèges de privations, de destructions et d’exodes.
  • En même temps, il appauvrit considérablement son propre pays, en particulier la clique d’oligarques qui formaient jusqu’ici l’avant-garde de ses efforts pour regagner de l’influence à l’étranger.
  • Enfin, il suscite chez la quasi-totalité de ses voisins une méfiance terrifiée qui va les pousser à s’en tenir le plus loin possible plutôt que de s’en rapprocher. Sa sphère d’influence européenne a tout d’une peau de chagrin… littéralement!
  • Pour sa part, son «complice involontaire» yankee complète malgré lui le sale boulot commencé par Donald Trump d’affaiblir ou du moins de rendre inefficace le réseau d’alliances stratégiques sur lequel Washington avait bâti depuis les guerres de Corée et du Vietnam une «pax americana» sans doute boiteuse et inégalitaire, mais qui faisait l’affaire même des pires américanophobes. 
  • Son constat d’impuissance devant le bras-de-fer du Kremlin s’ajoute à une combinaison d’inflation et de sabotage de la croissance économique qui non seulement rétrécit l’influence américaine sur le monde, mais risque de conforter la tendance nationale, bien identifiée et nourrie par son prédécesseur, à un isolationnisme de plus en plus frileux, malgré le «mondialisme» de son discours.
  • Pendant ce temps, Xi Jinping, sans le moindre état d’âme, joue la carte d’une hypocrite neutralité (il n’aime sûrement pas plus le Kremlin que la Maison blanche) qui encourage ses deux principaux rivaux sur la scène mondiale à se déchirer et à se nuire mutuellement.
  • Il peut donc en profiter pour d’une part consolider son emprise sur l’Empire du Milieu – qui risque de le redevenir plus que jamais – et d’autre part étendre son influence sur précisément les régions du monde où Poutine réussit si bien à se faire détester… et Biden à se faire oublier. Tout en se rendant économiquement indispensable dans la plupart des autres.
  • Pour cela, il n’est pas interdit d’imaginer que la Chine, dont l’économie connaissait récemment des flottements, peut très bien retrouver une robuste croissance post-pandémique: elle a moins souffert que le reste du monde d’un coronavirus pourtant né chez elle, elle ne participe pas au jeu des sanctions et des privations volontaires pro-ukrainiennes, enfin en bonne partie autosuffisante dans bien des secteurs cruciaux, elle aura l’occasion de continuer à vendre à leur prix actuel déjà concurrentiel et profitable des produits qu’un monde harassé par une hausse constante du coût de la vie ne pourra pas s’empêcher de lui acheter.

Bien sûr, un tas d'imprévus peuvent survenir dans le proche avenir pour réduire la puissance de ce Facteur Xi, mais il est certain que les diverses composantes de la tendance qui le favorise ont de quoi inquiéter tous ceux qui ne sont pas convaincus que le leadership actuel de Beijing fait toujours preuve du même relatif pacifisme à la fois inquiet et un peu hautain que ses prédécesseurs des trois derniers millénaires…

08 mars 2022

Si vis pacem...

 Je suis un peu étonné d’un côté va-t-en-guerre que je ne connaissais pas à Jean-François Lisée, mais sans aller aussi loin que lui dans son article au Devoir, je suis plutôt d’accord sur le fond. La question n’est plus: Guerre ou pas guerre? mais: Guerre maintenant ou plus tard?

En effet, Vladimir Poutine a ouvertement affirmé sa volonté d’en découdre. D’abord en envahissant l’Ukraine avec le plus de force possible; en faisant une campagne qui vise clairement des cibles civiles pour terroriser la population; en menaçant des centrales nucléaires; en rejetant toute restriction à ses manoeuvres aériennes; en frappant de censure tous les médias aptes à diffuser une information objective sur les évènements en cours; en exigeant que les civils empruntant les « corridors de sécurité » se retrouvent en fait prisonniers de guerre et otages en Russie; en prétendant que les sanctions économiques à l’égard de la Russie sont l’équivalent d’une déclaration de guerre, alors que c’est lui qui a déclenché la guerre contre un État voisin qui n’avait eu aucun geste agressif à son égard. 

Pourtant, cette posture a tout d’un bluff, si on considère les réalités suivantes, révélées par les deux premières semaines de campagne: la lenteur de la progression de ses forces terrestres en territoire ukrainien malgré la faiblesse relative de l’armée de Kiyv et sa propre supériorité aérienne incontestée; les lacunes évidentes de la logistique de ses troupes, dont une partie sont paralysées par un manque d’organisation, de carburant et d’équipement; la faible efficacité de ses soldats, faute d’entraînement et d’expérience. Face aux forces mieux équipées et mieux entraînées et aux ressources bien plus vastes de l’Otan, il est presque certain que la Russie ne ferait pas le poids dans un affrontement conventionnel.

Le seul argument qui joue en la faveur du Kremlin est une incontestable puissance nucléaire qui fait froid dans le dos; mais il ne faut jamais oublier que cet argument est suicidaire, car à double tranchant – s’il menace effectivement de causer des dommages monstrueux aux cibles visées, il est clair que son propre territoire n’est en rien à l’abri d’une riposte du même type, et que la seule issue possible est la destruction totale ou presque de son propre pays, qu’il réussisse ou non à faire subir le même sort au reste de la planète. Dans ce contexte, quel que soit l’ascendant de Vladimir Poutine sur son commandement militaire, on peut très bien se demander s’il convaincra ce dernier de se lancer à fond dans une telle aventure – l’idée qu’il détient seul le «bouton rouge» de déclenchement de la guerre totale ne tient pas debout, connaissant la profonde méfiance mutuelle qui existe entre les dirigeants russes. 

Mais le temps compte, et plus les amis de l’Ukraine hésitent et se retiennent d’agir décisivement, plus des succès probables sur le terrain risquent de conforter l’agresseur, bien avant que les sanctions économiques ne le forcent à reculer. En revanche, une intervention militaire immédiate ne fait certainement pas l’unanimité chez les membres de l’Otan et leurs alliés des autres continents, et la réaction des rares appuis (la plupart de circonstances) externes de la Russie est imprévisible.

Quoi faire alors?  Il faut se fier à la vieille maxime qui a maintes fois fait ses preuves: «Si vis pacem, para bellum». 

  • Dans un premier temps, déclarer clairement que les puissances occidentales ne rejettent plus l’hypothèse d’une intervention militaire. Mais en précisant que cette action aurait pour seul objectif de libérer l’Ukraine de la présence militaire étrangère, et ne s’en prendrait jamais au territoire russe lui-même ni à sa population (ceci pour montrer qu’il n’est pas question de tomber sous une des quatre situations dans lesquelles Moscou se croit justifiée d’employer l’arme nucléaire). 
  • Aussitôt cela fait, commencer à préparer visiblement l’avance de troupes terrestres et aéroportées et les vols de surveillance aérienne et mettre en place des batteries mobiles de missiles anti-chars et anti-aériens dans les pays de l’Otan aux frontières de l’Ukraine et dans les mers au large de ses côtes. 
  • Enfin, aviser publiquement Poutine qu’à défaut d’un cessez-le-feu général immédiat accompagné de pourparlers de paix, on lui accorde un délai raisonnable mais limité pour se retirer en bon ordre, sinon les forces alliées viendront directement à la rescousse des Ukrainiens, et la Russie sera tenue financièrement responsable de tous les dégâts résultant de son invasion; de plus, l’Otan examinera immédiatement la possibilité d’inclure dans ses rangs le pays agressé, y compris les territoires contestés du Donbass et même de la Crimée; enfin et surtout, en cas de frappe nucléaire russe, les frontières du pays et Moscou elle-même ne seront plus considérés inviolables contre toutes les formes de riposte. 

Ce message sera diffusé sur papier, par Internet, radio, télévision et haut-parleurs partout en territoire ukrainien et dans les régions frontalières russes, accompagné de vidéos ou d’images des exactions commises par les envahisseurs. Il servira également de mise en garde au reste du monde. L’idée est simple: convaincre non seulement Poutine, mais le peuple russe dans son ensemble qu’ils ont beaucoup plus à perdre qu’à gagner à la poursuite de cette guerre, peu importe son issue, tout en dissuadant tout pays tenté de  leur venir en aide de sortir d’une prudente neutralité.

04 mars 2022

Guerre mondiale? Boulechite!

Parler de «Guerre mondiale» dans la situation actuelle est une grave erreur de perspective. Le vrai danger est celui d’une «guerre nucléaire» qui, loin d’être mondiale, dresserait la quasi-totalité de la planète contre un seul pays. Un pays dont l’épisode ukrainien montre que, si l’on pouvait faire abstraction de sa force nucléaire, sa menace militaire contre une coalition multiple serait bien peu efficace. 

Une guerre déclarée à la Russie serait donc un conflit «local» dont le théâtre principal serait le territoire russe, sauf pour le danger bien réel de frappes à longue distance; or l’effet de celles-ci, pour dévastateur qu’il soit, n’aurait qu’une brève durée. 

C’est dans ce contexte, et non celui d’un affrontement qui se déroulerait sur de nombreux fronts à travers le monde, qu’il faut analyser la situation et ses dangers. Ça ne veut pas dire que le risque est moindre, simplement qu’il est différent. Poutine lui-même a mis l’accent sur cette dimension, en ordonnant une frappe contre une centrale nucléaire ukrainienne. Il faut donc l’envisager sous cet angle, en d’autres termes:

a) Quelles sont les cibles nucléaires que Moscou peut viser efficacement? En Europe, en Amérique, en Asie? Combien y en a-t-il? Comment peut-on les défendre? 

b) En revanche, à quel point le territoire russe est-il lui-même vulnérable à un bombardement nucléaire, combiné avec un assaut de troupes par air, par terre et par mer?

c) La Russie a-t-elle des alliés de taille capables d’étendre la guerre à d’autres continents, ou seulement des associés passifs qui préservent un certaine neutralité e qui, donc reculeraient face au risque d’une invasion de leurs frontières? 

d) Comment la Chine va-t-elle réagir si la Russie est isolée par le reste du monde? Et les puissances arabes pétrolières?

e) À quel point l’Otan peut-elle envahir physiquement la Russie sur tous les fronts? Scandinavie, Europe de l’Est, Europe Centrale, Asie Centrale, etc.

f) Comment gérer en parallèle une guerre économique: blocus, contrôle des voies maritimes et aériennes, dynamitage des voies de communication, des pipelines, exclusion des réseaux financiers, etc.?

En d’autres termes, sans déclarer la guerre, les Amériques, l’Europe, le Japon, l’Inde pourraient se mettre à évaluer publiquement ses risques et ses avantages. 

Je soupçonne que le seul accent mis sur une telle approche aurait deux effets (a) Il forcerait immédiatement le Kremlin à modifier une approche fondée sur un chantage au nucléaire qui est sa seule arme convaincante. (b) Il obligerait la Chine à repenser son appui passif au Kremlin, face au risque de perdre tout ce qu’elle a gagné comme influence internationale.

Une Surprise ukrainienne

 L’analyse initiale que je faisais la semaine dernière du contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’était pas optimiste. Je craignais que les réactions du reste du monde soient dispersées, relativement lentes, limitées à des mesures économiques à long terme qui auraient peu d’influence sur l’avenir immédiat, et que la capacité de résistance de l’Ukraine soit handicapée par un manque d’organisation et des conflits internes.

Or, malgré le fait que la plupart des facteurs que j’évoquais étaient réels ou du moins probables, la rapidité et la quasi-unanimité de la réponse inernationale aussi bien que la résistance interne du pays envahi s’avèrent pour moi une agréable surprise, et sans doute une très mauvaise pour Vladimir Poutine. L’Union européenne a vite refait son unité et résolu le gros de ses désaccords; la Grande-Bretagne de Boris Johnson a réagi fermement et intelligemment; les Nations-Unies, malgré l’inévitable paralysie du Conseil de Sécurité, ont fait preuve de diligence et de rigueur dans une Assemblée générale d’urgence; enfin aussi bien les citoyens que les forces armées de l’Ukraine, inspirés par un Président qui s’est révélé bien supérieur à l’image qu’on s’en faisait, opposent une résistance admirable qui a fortement ralenti la progression des envahisseurs.

Reste la réaction américaine, qui a été rapide, bien ciblée et relativement vigoureuse, mais un peu trop modérée à mon goût. Je regrette en particulier l’affirmation de la Maison blanche qu’en aucun cas, ses forces armées ou celles de l’Otan n’interviendraient, et l’absence d’une «ligne rouge» interdisant au Président Poutine d’exercer toute tactique de terreur prenant directement pour cible la population civile (ce qu’il a hélas fait aussitôt que sa démonstration de force militaire a montré des ratés). Celui-ci, on le sait, est surtout affecté par les manifestations de force, en particulier militaire, et le fait pour ses adversaires de se priver dès le départ de cette menace ne leur accorde pas la latitude qu’ils devraient avoir dans des négociations qui seront ardues. Le refus d’imposer une zone d’interdiction militaire aérienne sur l’Ukraine, quoique prévisible, est aussi un aveu de faiblesse dans l’optique russe; une alternative risquée mais crédible aurait été qu’avec l’accord de l’Ukraine, les forces de l’Otan effectuent de constants vols d’observation au-dessus du pays, bien à la vue des aviateurs russes autant que du monde entier, filmant et documentant systématiquement toute agression aérienne contre des cibles civiles.


De la même façon, sans intervenir agressivement, ce sont les Casques bleus (majoritairement composés de militaires provenant de pays neutres ou modérés) qui devraient assurer le respect des corridors d’évacuation des civils vers les pays voisins ou les régions plus paisibles. Enfin, il devrait être clair que la survie physique et institutionnelle du gouvernement ukrainien démocratiquement élu et de son chef est un préalable non négociable à toute résolution du conflit; même la chute éventuelle de Kiyv devrait se faire sans que leur vie soit mise en danger et leur permettre un départ honorable vers l’exil. Même en cas de victoire russe, il ne devrait pas être question que Moscou s’empare de l’État ukrainien dans son ensemble.