01 octobre 2021

Racisme oui, mais systémique?

« Les mots ont leur importance », a déclaré la coroner au sujet du rôle du racisme dans la mort de Joyce Echaquan… puis elle s’est hâtée de changer le sens des mots.

Pour qu’on puisse qualifier adéquatement quoi que ce soit, y particulier un crime aussi grave que le racisme, de « systémique », il faut qu’il soit érigé à l’état de système, donc codifié, réglementé, érigé en institution. L’apartheid sud-africain, le traitement des Juifs par les nazis allemands, la ségrégation d’avant 1965 aux États-Unis, la « Loi des Indiens » du Canada instituant les réserves et les pensionnats sont des cas évidents de racisme systémique. Le sort réservé aux immigrants « illégaux » venus du sud par l’administration Trump en est aussi une instance, un peu moins limpide mais réelle. 

Il est clair que ce qui se passe au Québec ne tombe d’aucune façon dans la même catégorie, même si cela correspond en partie à la définition du racisme systémique que donne  la CDPDJ, « la somme d’effets d’exclusion disproportionnés qui résultent de l’effet conjugué d’attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l’interdiction de la discrimination ». Mettre sur le même pied « attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes » et « politiques  […] généralement adoptées » est déjà une erreur sérieuse qui prête au malentendu. 

Il n’existe ici aucune loi, aucune directive, aucune décision officielle d’appliquer un comportement raciste. Il n’existe pas non plus de « pratiques généralement adoptées » qui y sont favorables. Ce qui existe est une tolérance, ou une ignorance voulue de mentalités racistes, conscientes ou pas, dans certaines administrations, non pas « généralement », mais à l’échelle individuelle, locale ou, au pis, régionale; ce qui est certainement condamnable, mais différent. 

On fait facilement la distinction lorsqu’on examine le remède apporté. La réponse au véritable racisme systémique ne peut être que législative et institutionnelle. Il est indispensable d’instituer dans la loi ou dans les codes administratifs de nouvelles règles de traitement équitable des minorités ou d’éliminer ou de modifier celles qui existent et qui donnent au racisme une reconnaissance formelle. En aucune façon, donner des cours pour modifier les comportements des personnels impliqués  ou des séminaires pour corriger leurs préjugés ne peut être considéré une réaction appropriée. Imaginez un instant qu’on ait procédé ainsi à Prétoria, à Munich, à Birmingham… ou à Ottawa: une condamnation générale aurait immédiatement souligné l’insuffisance patente de la mesure. 

Or, c’est précisément ce que recommandent unanimement ceux qui accusent le gouvernement québécois de racisme systémique. Personne à ma connaissance ne propose qu’on abroge ou modifie oui élargisse la loi, pour une simple raison: il n’existe à Québec ni loi ni réglementation qui commande ou favorise un traitement raciste des minorités, quelles qu’elles soient.  Ce qui existe ici est une acceptation hypocrite d’une discrimination raciste qui n’est inscrite nulle part dans les institutions, mais véhiculée par des préjugés et des comportements d’individus ou de groupes détenant des fonctions officielles. 

Le malentendu qui est entretenu (sans doute de bonne foi) dans le discours public présente deux dangers distincts mais réels. En premier lieu, cela banalise la notion même de racisme systémique et risque de pousser les autorités à prendre des mesures qui ne correspondent pas au mal qu’il faut combattre. Deuxièmement, comme le démontre abondamment le cas Echaquan, on persiste à vouloir lutter contre ce qui est un problème collectif sur la base des droits individuels. On ne « démontre » pas le racisme systémique en montant en épingle un cas particulier, mais par des études statistiques portant sur des populations. Comme on le fait au Canada, presque par accident mais de manière bien légitime, dans deux autres cas impliquant les Premières Nations: celui des pensionnats et celui des disparitions de femmes autochtones.

Dénonçons le racisme existant au Québec pour ce qu’il est, et qui est déjà éminemment condamnable. Mais à vouloir à tout prix le coiffer d’un attribut « systémique » sur la base d’une définition beaucoup trop large et imprécise, on est presque assuré d’aboutir à des résultats exactement opposés à ceux qu’on cherche.

J’ai pour intervenir sur le sujet une raison bien personnelle. Je vis depuis plus de 57 ans à Montréal avec une femme de couleur qui y a fait carrière au théâtre, à la télévision et dans la restauration, comme employée et comme entrepreneure indépendante; sur toute cette période, je ne puis mentionner que deux incidents où le racisme était en cause, un au privé et l’autre au public. En revanche, en six mois de séjour à Washington lors de l’affaire du Watergate en 1974, je puis citer au moins une douzaine de cas de racisme caractérisé, aussi bien public que privé.