20 décembre 2016

Poutine et Trump

Il est plus que probable que Vladimir Poutine soit derrière le hacking russe des communications des Démocrates américains, qui a contribué à faire élire Donald Trump à la Présidence des USA le mois dernier. On s'est dépêché d'en conclure que le quasi-dictateur du Kremlin voulait ainsi s'assurer une influence directement à la Maison Blanche.
Mais si son objectif était tout autre? Si ce qu'il visait était plutôt de réduire l'influence américaine dans le monde et, à la limite, de pousser les États-Unis vers la sortie en tant que puissance planétaire? S'il préférait améliorer sa propre position en rendant à Washington la monnaie de sa pièce pour la manière dont Ronald Reagan avait manœuvré dans les années 1980 afin d'amener Michael Gorbatchev à une politique d'ouverture pour, au moment crucial, le laisser brutalement tomber, précipitant ainsi la chute de l'empire soviétique?
En effet, plusieurs arguments militent contre l'intérêt pour Poutine d'exercer, ouvertement ou pas, une influence sur la politique de Washington à travers son nouvel «ami». En premier lieu, la visible incompétence du Président élu: Trump n'a jamais acquis l'expérience du pouvoir politique et ne connaît rien des rouages du Secrétariat d'État, de la CIA, de la NSA. La qualité des diplomates qu'il nommera dans les principales ambassades (choisis probablement sur la base de ses amitiés et affinités personnelles) est sujette à caution. 
Deuxièmement, le manque de fiabilité de Trump. Son tempérament bouillant et sa façon de fonctionner par coups de tête sous l'effet de l'émotion en font un complice d'une stabilité et d'une efficacité très incertaines. Et ils sont tout le contraire du caractère froid et calculateur de Vladimir Poutine (ancien patron du KGB, ne l'oublions pas) et de la dimension machiavélique de sa vision des affaires planétaires.
Troisièmement, surtout au début, il est certain que Donald Trump sera sous haute surveillance de la part de tout l'appareil américain des relations internationales et de l'ensemble de la classe politique (en particulier dans son propre parti), tout spécialement quant à ses rapports avec le Président russe. Cela ne peut que compliquer un possible jeu de combinaisons diplomatiques Kremlin-Maison Blanche.
Quatrièmement, il ne sera pas facile pour Poutine de convaincre les dirigeants des autres puissances, particulièrement les Allemands et les Chinois, de lui laisser exercer une influence directe et particulière sur la Présidence américaine. Tout ce qu'il pourra gagner comme avantage à ce jeu pourrait bien être annulé par un accès de méfiance et d'hostilité à son égard dans le reste du monde.
Cinquièmement, il est indubitable que l'hégémonie politique et militaire de Washington sur la planète est en baisse continue depuis une douzaine d'années et, vu le manque d'expérience et la réputation plus que douteuse du prochain Président, elle risque de diminuer encore au cours de la prochaine décennie: l'exercice par le Kremlin d'un ascendant sur Washington sera probablement d'un rendement décroissant.
En revanche, et l'inexpérience de Donald Trump et le peu de sympathie que lui portent les autres leaders internationaux peuvent rendre éminemment rentable pour Vladimir Poutine une stratégie poussant le futur Président américain à accumuler les gaffes, les maladresses et les gestes agressifs ou arrogants qui placeront son pays dans des situations désavantageuses et lui attireront de multiples inimitiés politiques, diplomatiques et économiques. Et il ne fait aucun doute qu'une telle ligne de conduite, si elle ne fait pas l'unanimité ailleurs, sera sûrement vue avec une cynique sympathie dans bon nombre de capitales que la prétention américaine à la toute-puissance et à l'hyper-compétence irrite depuis longtemps.
Que cela soit une bonne nouvelle pour le reste de la planète est cependant loin d'être certain, ne serait-ce que pour l'instabilité politique que cela risque de provoquer. Seul l'avenir le dira.

16 décembre 2016

Alep, qui blâmer?

Nous tous. Depuis février 2011, je m'entête à crier une vérité qui crève les yeux et qu'on ne veut pas voir, mais qui vaut aussi bien en Syrie qu'en Libye, en Grèce, au Congo ou aux USA: nous entrons dans une phase de l'Histoire où la lutte n'est plus seulement entre gauche et droite, prolétariat et patronat, socialisme et capitalisme, Sud et Nord, mais bien plus simplement et plus brutalement entre citoyens et pouvoirs. Tous les pouvoirs, qu'ils soient politiques, financiers, religieux, sociaux. Progressistes, conservateurs, réactionnaires ou entre-deux-chaises. Et tous les citoyens, qu'ils soient Podemos, Cinque Stelle, Front National (hé oui, va falloir un jour le dire), Indignados, Wall Street Occupiers, Carrés Rouges, Nuit Debout ou sans nom et sans étiquette. Peut-être même Daech, à l'extrême-limite? 
Face à une flagrante trahison des «élites», tous ces mouvements, même ceux qui semblent racistes, passéistes, anti-immigrants, nationaleux, ont fondamentalement RAISON de s'insurger. Plutôt que de faire entre eux des distinctions désuètes, il faut écouter derrière les revendications parfois illogiques et fourvoyées leur détresse profonde face à un monde qui se fait sans eux et contre eux. C'est sur cette base qu'il va falloir se mettre à réfléchir et à réagir... sinon nous courons à une catastrophe que (je n'ose quand même pas dire heureusement, mais je le pense parfois malgré moi) je ne verrai sans doute pas.
J'ajouterais à ce qui précède l'analyse que faisait Yanis Varoufakis au lendemain de l'élection de Donald Trump il y a un mois (https://theconversation.com/trump-victory-comes-with-a-silver-lining-for-the-worlds-progressives-68523). Je la trouve éclairante mais incomplète parce qu'elle sous-estime l'importance de la dimension politique et sociale de ce qui se passe. Il a raison de dire que les solutions libérales sont dépassées, mais il ne voit pas que les populismes nationalistes même d'extrême-droite sont issus du même désarroi que ceux de gauche. 
Il faut rejeter leurs idées mais pas leurs angoisses et s'approcher de leurs adhérents pour leur montrer que nos problèmes sont tous les mêmes: la seule façon d'atteindre une masse critique de réformateurs est de leur faire voir que leurs préjugés et leurs solutions réactionnaires ne font qu'aggraver le mal et que ce sont des formules progressistes de solidarité et de coopération, non de repli sur soi, qui offrent la seule issue réaliste à la crise. Podemos, en Espagne, avait bien démarré dans cette direction, mais j'ai l'impression qu'ils se sont égarés (temporairement? Je l'espère) dans des jeux de pouvoirs et de personnalités...