17 novembre 2010

Gris retour à Paris

(15 novembre 2010) Dimanche dernier, départ pour Paris sur TGV Thalys. Cavalcade à travers la gare et ses escaliers vétustes, bagages à la traîne -- Azur trouve un manutentionnaire secourable pour nous fournir un coup de main très bienvenu. Train très confortable, presque vide, mais repas froid et léger. Paysage ultra-plat : dunes hollandaises, plaine interminable belge et flamande, presque jusqu'aux portes de Paris. Gare du Nord, la file d'attente pour les taxis est inexistante, en vingt minutes nous sommes au Trocadéro devant notre hôtel habituel. Brève sortie dans un troquet du coin pour une soupe à l'oignon. Lundi, début d'une semaine de cocooning éhonté, encouragée par un temps froid et pluvieux presque sans interruption. Pendant qu'Azur va chez le coiffeur mardi, j'en profite pour une balade en métro et du lèche-vitrine informatique à Montgallet. On se retrouve au Bar à huîtres du boul. Beaumarchais pour une orgie de coquillages et de poisson. Après discussion, nous décidons de ne pas nous rendre comme prévu en Martinique en fin de semaine, mais de rentrer directement à Montréal, pour cause surtout de lassitude physique et mentale. En contrepartie, nous resterons plusieurs jours de plus à flâner à Paris. Vendredi, choucroute décevante aux Tramways de l'Est, face à la gare du même nom; le resto, un de nos vieux favoris, a changé de propriétaire. Ça nous apprendra. Très bonnes pâtes à l'ail sous une montagne de parmesan dans un Italien du quartier Victor Hugo dimanche. Nous ne manquons pas grand-chose en ratant la finale de l'Open de tennis de Bercy, où Soderling bat facilement un Monfils épuisé par ses exploits de la semaine passée. En soirée, la télé est entièrement monopolisée par un ballet de personnalités folkloriquement hexagonal: le remaniement ministériel attendu depuis au moins cinq mois. Pas de grande surprise, pourtant, Sarkozy reconduit à contre-coeur Fillon comme premier ministre. Il y a bien le départ grognon de M. Écologie, Jean-Louis Borloo qui, frustré de ne pas avoir la place d'honneur, s'est brusquement rappelé qu'il n'est pas de droite mais du centre. Et le retour annoncé de l'ancien premier ministre Juppé, qui était en pénitence pour avoir été pris les doigts dans le tiroir-caisse il y a quelques années. La fin de l'"ouverture à gauche" sarkozyste est confirmée... elle était prédite depuis au moins le début de l'année. On en revient à un régime de droite pure et dure. Vivement Montréal, d'où vous parviendra sans doute la suite du blogue dans quelques semaines... ou quelques mois!

11 novembre 2010

Rembrandt et son Amsterdam

(7 novembre 2010) Le Pulitzer Hotel est une curiosité amstellodamoise: le petit-fils de Joseph Pulitzer (journaliste américain créateur des prix du même nom), a regroupé il y a une quarantaine d'années quinze maisons datant de 1615-1650 à l'intersection de deux canaux, pour en faire une auberge grand confort dotée d'un bar renommé et d'un excellent restaurant. Tout le service et la qualité d'un palace mais sans la prétention... avec en prime l'impression de se trouver au cœur de la vie urbaine.

Nous avons hérité d'une belle chambre, pas très grande, à plancher de bois franc et poutres apparentes, juste sous les toits. Un cocon douillet qui ne pouvait mieux tomber, vu le froid et la pluie dehors.
Ça ne nous a pas empêchés d'endosser chandails et impers pour explorer le voisinage... et finir par revenir manger au "238", le resto de l'hôtel qui nous sert (entre autres) les meilleures grosses frites dorées presque brunes que j'aie dégustées depuis Bruges.
Le lendemain vendredi, nous suivons le conseil du Routard (et du concierge) sur la meilleure façon de voir Amsterdam et grimpons à bord d'un des trams blancs et bleus qui fourmillent dans le coin, pour zigzaguer dans les principaux quartiers, enjamber les multiples canaux et aboutir à la Station Centraal, l'immense gare de brique rouge à clochetons victoriens qui est le point de ralliement de tout ce qui circule en ville -- innombrables vélos inclus.
Après avoir acheté nos billets de TGV Thalys pour Paris, nous faisons un stock de journaux et revues en français et montons à l'étage bouffer de la grosse et savoureuse cuisine locale à
l'Eersteklas, brasserie qui occupe (comme son nom le laisse deviner) l'ancienne salle d'attente des premières classes et dont la vedette est un cacatoès blanc, bien installé au comptoir.
Re-balade en tram avec bien des détours jusqu'au Pulitzer, où nous tombons sur deux de nos ex-compagnons de croisière, avec lesquels nous décidons de partager une promenade en bateau-mouche sur les canaux à la tombée de la nuit.
Non seulement fait-il déjà noir lorsque nous nous glissons à bord de notre embarcation, une pétrolette
centenaire digne de figurer dans un musée, mais encore il pleut à décourager un canard. Mauvais plan? Pas du tout: d'abord, nous ne sommes que quatre à bord avec le skipper Jack, et nos compagnons san-franciscains sont charmants.
Et voir Amsterdam illuminée d'un point de vue au ras de l'eau, tout en louvoyant dans les plus petits canaux et sous les arches sombres des ponceaux, est une expérience à ne pas manquer. Une heure et demie d'un plaisir aussi raffiné qu'imprévu.
Le seul moment délicat survient au retour à l'appontement de l'hôtel, lorsqu'il faut se mettre à trois pour extraire Azur de la cabine à travers une écoutille vraiment pas faite pour des athlètes de notre âge!
Samedi, journée de musées. Hélas, le célèbre Rijksmuseum est en grande rénovation, seule une infime partie de ses fabuleuses collections est ouverte au public dans une seule aile... à la porte de laquelle une queue interminable se bouscule sous une pluie battante. "An-an", comme on dit en créole.
Heureusement, tout juste derrière se trouve le moderne Musée Van Gogh, bien moins assiégé et, dans les circonstances, presque aussi attrayant. Nous y passons une heure et demie de bonheur: en plus des grandes et petites œuvres du Pauvre Vincent, les quatre niveaux abritent une série de beaux tableaux des peintres qui l'ont inspiré, de ceux qui ont été ses amis et ses compagnons de route, notamment les impressionnistes et les symbolistes, et de ceux qu'il a influencés, comme les Fauves (notamment Vlaminck et Derain). Lunch typiquement amstellodamois, place du Spui, dans une modeste rôtisserie argentine fréquentée par une faune bigarrée et cosmopolite, suivi d'un autre parcours en tramway jusqu'à Waterlooplein, où nous tombons en plein milieu d'un immense marché populaire.
À travers les bulles de savon géantes lancées dans la foule par un trio de bateleurs, nous atteignons la Maison de Rembrandt, transformée en fascinant musée.
Il faut évidemment escalader les cinq escaliers en colimaçon qui mènent jusqu'aux combles, mais chaque étage est une découverte. Les deux premiers sont les pièces à vivre, tenues comme si le peintre allait se ramener d'un instant à l'autre: les lits sont faits la table est mise.
Plus haut, il y a l'atelier, au centre duquel trône le chevalet derrière lequel une jeune femme broie et mélange les couleurs à l'huile selon les méthodes de l'époque. Le dernier étage est réservé à la collection personnelle de Rembrandt -- quelques-unes de ses propres œuvres, mais surtout celles de ses contemporains qu'il appréciait.
Enfin, l'espace sous les toits est consacré à la gravure, aussi bien le matériel technique et les plaques que les épreuves du maître et de ses élèves.
Nous avions aussi prévu des visites à la maison d'Anne Frank, à la célèbre Vieille Bourse et à l'intrigant Musée des Syndicats, mais avec la pluie, le soir qui va tomber bientôt et les bagages à faire...

05 novembre 2010

L'aube de la Lorelei et Apollinaire

(4 novembre 2010) Dimanche sur le Main encore, en descendant tout doucement vers le Rhin. La croisière étant foncièrement américaine, on se prépare à célébrer l'Halloween, fête par excellence des grands enfants (plusieurs déguisés pour l'occasion).

Surprise très sympa, ça prend la forme d'une soirée d'amateurs qui fait la part belle aux talents de l'équipage et du personnel de bord. Saynètes humoristiques sur la vie à bord, pantomime, démonstration d'instruments de bambou par trois garçons javanais, chorégraphie hip-hop rigolote... Et pour finir, les employés invitent à danser leurs passagères et passagers préférés.
Lundi de la Toussaint, nous laissons à tribord sans même ralentir Frankfurt am Main, grande capitale régionale moderne, puis à babord Mainz (Mayence) qui marque l'embouchure du Main et notre entrée dans le beaucoup plus vaste Rhin. Ça nous paraît un peu idiot de rater ainsi deux villes importantes et dynamiques, mais tant pis. Nous ne faisons escale qu'à la nuit tombante dans le centre par excellence du vignoble du riesling rhénan, Rudesheim, gros bourg pittoresque hyper-touristique. À voir le foisonnement des restos, bars à vin, hôtels, pensions, galeries, caves, celliers et boutiques, on se demande s'il reste place pour quelques authentiques habitants. Pour ne pas déparer l'atmosphère, c'est un petit train sur pneumatiques, frère jumeau de ceux de la Place d'Armes à Québec ou du Vieux-Port de Marseille, qui nous emmène après moult détours au Musikkabinett, un assez original musée consacré aux automates musicaux anciens. Il y a là de tout, depuis la classique cage à serins-boîte à musique du 18e jusqu'à un complexe et ingénieux orchestre mécanique dont les rouleaux contrôlent une quinzaine d'instruments tonitruants, en passant par une jolie collection d'orgues de barbarie à manivelle. Sans oublier une copie quasi conforme du piano mécanique à pédales qui ornait le salon de notre jeunesse. Nostalgie... Et pour finir, un souper communautaire au riesling (forcément) mettant en vedette le fleuron de la gastronomie locale, le sauerbraten: une sorte de daube de bœuf mariné. Avec accompagnement d'un orchestre on ne peut plus "oum pa-pah" jouant valses et polkas dans un vacarme à vous fendre la tête. Comment le peuple qui se goinfre d'une musique populaire aussi épaisse a pu engendrer également Bach, Haydn et Beethoven est une chose qui me dépasse.
Par une curieuse erreur de program- mation, il faut se réveiller presque en pleine nuit mardi matin pour avoir une chance d'apercevoir dans une pénombre embrumée ce qui aurait dû être un des clous, sinon LE clou de la croisière: la stupéfiante série, quasi ininterrompue, des archi-romantiques châteaux du Rhin, agrippés à leurs pitons et promontoires au-dessus de leurs pimpants villages au sud de Coblence.
Heureusement, lorsque nous arrivons à la courbe du fleuve qui contourne le Rocher de la Loreleï, le jour s'est enfin levé. J'en profite pour partager avec quelques autres courageux lève-tôt la Nuit rhénane d'Apollinaire, qui me paraît taillée sur mesures pour l'occasion: "Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme "Écoutez la chanson lente d'un batelier "Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes "Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds "Debout, chantez plus fort en faisant une ronde "Que je n'entende plus le chant du batelier "Et mettez près de moi toutes ces filles blondes "Au regard immobile, aux nattes repliées "Le Rhin, le Rhin est ivre où les vignes se mirent "Tout l'or des nuits vient en tremblant s'y refléter "La voix chante toujours à en râle-mourir "Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été "Mon verre s'est brisé dans un éclat de rire." Nous laissons tomber la visite de Coblence pour nous laisser tout doucement entraîner le long des nombreux détours du fleuve jusqu'à Cologne, notre dernière escale.
Éblouissement de la visite de l'immense et géniale cathédrale gothique, un peu gâté par une guide en retard sur son horaire qui nous fait tout parcourir au pas de course et par la lumière défaillante d'un entre-chien-et-loup pluvieux. Sans compter la frustration de ne rien voir d'autre de ce qui nous paraît une fort belle ville. Mercredi se lève sur les méandreux bancs de sable surmontés de vastes prairies plates parsemées de moutons qui marquent l'arrivée du Rhin aux Pays-Bas. Encore une ou deux écluses (les 67e et 68e du voyage, pour ceux que ça pourrait intéres- ser), et le Swiss Sapphire vient s'amarrer pour de bon au quai des croisières, quelques encablures à l'ouest de la Gare centrale, cœur de la vieille cité marine d'Amsterdam. Emballage des bagages, coquetel et souper d'adieu, échange d'adresses Internet (bientôt oubliées?) avec les plus sympathiques de nos co-passagers... Une dernière nuit un peu nerveuse dans la cabine qui était presque devenue "chez nous". Demain, c'est un autre monde.

03 novembre 2010

De Rothenberg et Durer à Ratisbonne

(30 octobre 2010 ) L'allemande Regensburg, notre étape de mercredi, c'est Ratisbonne en français. Par une inversion inattendue, les langues germaniques et nordiques ont retenu la racine du nom latin de cette très vieille cité (Regina), les langues latines le nom celtique (Ratas).
Sous une appellation ou l'autre, ce "Patrimoine de l'humanité" selon l'UNESCO mérite la visite. Pas tant pour un monument en particulier -- quoique certains, dont la cathédrale et le très vieux (1017) pont de pierre sur le Danube, sont remarquables --, mais pour le cadre et l'atmosphère très spéciale d'une grande ville médiévale presque intacte et encore habitée. Il y a des scories touristiques, certes, mais la plupart des gens qu'on croise dans les petites rues tordues et inégalement pavées sont du "vrai monde" qui travaillent, boivent, s'amusent, se courtisent là tout naturellement, sans s'occuper de nous.
La ville est aussi truffée d'exemples réjouissants d'humour moyen-âgeux: l'enseigne de fer forgé peint de l'auberge "Jonas et la baleine", la fontaine du curé prêchant aux oies, le gigantesque Goliath peint défiant David, le coude nonchalamment appuyés sur une vraie fenêtre à double arceau sur le mur du Goliathaus.
Lunch mémorable à l'Historische Ect, resto d'une sobriété toute moderne au rez-de chaussée de cette bâtisse semi-millénaire, près de la cathédrale: soupe à la queue de bœuf, daurade royale, poularde au vin rouge, tartelette aux pommes caramélisées, rouge de Bavière spätlese 2005.
Bonne conférence le lendemain matin sur l'histoire du canal Main-Danube et le rêve plus que millénaire de pouvoir naviguer sans interruption d'une rive à l'autre de l'Europe. Cela couvrait depuis la "Fossa Carolina" imaginée et commandée en 793 par Charlemagne -- dont personne ne sait si elle a jamais été complétée -- jusqu'au canal actuel réalisé entre 1971 et 1992.
Il fait 171 km de long et 16 écluses sur plus de 200 mètres de dénivellation et, topologiquement, transforme l'Europe de l'Ouest en île.
Lunch léger de très bonnes pâtes au pesto "al dente", et départ pour Nuremberg en autocar (le bateau est amarré sur le canal, assez loin de la ville). Les passagers se divisent en deux groupes, l'un intéressé à l'histoire plus récente de la guerre 1939-45 et des procès nazis, l'autre (dont nous) par la dimension artistique et historique plus ancienne.
Traversée d'une banlieue industrielle et ouvrière sans intérêt jusqu'aux murs, en grande partie reconstruits à l'originale, de la cité médiévale détruite par les Alliés au début de 1945. Le château-fort est assez spectaculaire, mais pas autant que celui de Carcassonne.
En revanche, la résidence-musée d'Albrecht Dürer à elle seule vaut presque le voyage: une belle maison de pierre et de colombages-torchis perchée sur le coin d'une charmante place moyen-âgeuse, directement sous les murailles. Les pièces: salon, chambre, cuisine, atelier, ont été replacées dans leur état originel, décorées de quelques oeuvres (et pas mal de reproductions) du maître. On y accède par des escaliers de bois sombres et escarpés, durs-durs pour les vieilles jambes mais bah! Ça en vaut la peine.
Une descente en pente douce le long de rues pittoresques nous amène à la place principale, envahie déjà par le Marché de Noël où je déniche, parmi les multiples étalages de pain d'épices, un comptoir de jouets en bois, autre grande spécialité locale. J'en ressors avec quelques souvenirs, notamment un "combat de coqs" articulé qui me rappelle les joujoux primitifs de notre enfance.
Azur, pendant ce temps, m'attendait au Bratwurst Röslein, grande brasserie typiquement franconienne où les deux troupeaux de la croisière Tauck doivent se regrouper pour le souper. Celui-ci, bouillon aux dumplings et petites saucisses grillées locales accompagnées de choucroute et de moutarde douce, manque un peu de caractère, mais la bière brune (Tücher Dunkel) est excellente. Mon voisin de table, qui a la tête d'un Groucho Marx interprété par Dürer, en avale sans hésiter cinq chopines -- je me contente de trois. Il y a aussi un accordéoniste dont la présence ici s'explique sans doute par le fait qu'il n'y a pas dans le vieux quartier de station de métro où il puisse exercer son "art".
Retour à bord en autocar via la grand-place, ornée d'une étincelante fontaine polychrome. Dodo fourbu mais paisible.
Pendant ce temps, nous sortons du canal et commençons à descendre le Main, affluent majeur du Rhin -- nous avons donc franchi quelque part pendant la nuit dernière la "ligne de partage des eaux" entre le bassin de la Mer Noire et celui de la Mer du Nord.
Coïncidence? Toujours est-il que le temps se met au beau et le thermomètre à la hausse. En revanche, notre route est semée d'une multitude d'écluses étroites dans lesquelles le Swiss Sapphire doit s'insérer aussi délicatement qu'un pied de femme dans un escarpin. Et de ponts et viaducs très bas qui obligent le capitaine à condamner le pont-promenade et à abaisser la passerelle de pilotage qui, à notre grande surprise, se replie sur elle-même en trois sections comme un télescope. À l'occasion, nous apercevons la tête de l'officier de quart qui jaillit d'une trappe dans le toit comme un polichinelle d'une boîte à surprises!
Haßfurt, en Franconie, est une minuscule ville paisible dont on fait le tour (cinq rues, quatre églises) en vingt minutes. Elle n'a rien de particulier, nous ne nous y arrêtons, après de savants manœuvres d'arrimage et d'ajustement de la passerelle d'embarquement, que pour récupérer un groupe d'excursionnistes partis ce matin visiter une autre forteresse dans l'arrière-pays. J'en profite pour acheter au marché deux fromages et un brandy locaux, en cas de petite fringale dans la cabine. Sait-on jamais...
Samedi, à Wurzburg, il faut se lever tôt pour entreprendre une assez longue balade à travers la campagne franconienne, toute de basses collines, de cultures maraîchères et de vignes. Pour aboutir à ce qui restera sans doute un des joyaux de la partie germanique de la croisière, Rothenburg.
Nous empruntons d'abord une potence sous les impressionnantes murailles (qui rappellent Aigues-Mortes) ceinturant la vieille cité et parcourons la grande place du marché, où les préparatifs d'une foire régionale vont bon train, pour atteindre la plus petite mais bien plus pittoresque Place de l'Hôtel de ville, toute en pente et en pavés capricieux. La belle cathédrale gothique voisine se distingue surtout par ses fabuleuses sculptures sur bois des 14e et 15e siècles.
Retour sur la place pour un délicieux chocolat chaud et la contemplation de l'original jacquemart de l'horloge: sur le coup de midi, tous les jours depuis quelques siècles, le général conquérant sort d'une fenêtre pour surveiller, bâton de commandement en main, le bourgmestre buvant d'un seul trait dans la fenêtre voisine un gigantesque hanap de vin blanc local, condition imposée pour surseoir à l'incendie de la ville. L'histoire ne dit pas la taille du "hangover" enduré le lendemain par le brave homme, seulement que Rothenburg fut sauvée.
Le restaurant d'hôtel que nous a indiqué le patron du café est non seulement agréable, calme et spacieux, il fait spécialité de gibier. Azur a donc droit à un succulent canard sauvage au four, moi à un goûteux ragoût genre goulasch de cerf, sanglier et bécasse arrosé d'un rouge local atypique, presque noir et très corsé. Nos compagnons de table californiens, Sheldon et Theresa, s'en tiennent à des plats plus standards... Ils le regretteront.
Retour à Wurzburg en fin d'après-midi pour une visite de la tape-à-l'oeil Résidence du prince-évêque, un Versailles (ou du moins Schönbrunn) en miniature. La pièce de résistance en est le démesuré escalier d'honneur coiffé d'une immense et superbe fresque bombée, pour laquelle Monseigneur avait fait venir spécialement de Venise Jean-Baptiste Tiepolo, le grand-maître incontesté du plafond rococo. Photos interdites.
La (trop longue mais) satisfaisante journée s'achève par une périlleuse descente au fond de l'interminable cellier de la Résidence, vaguement illuminé de chandelles, où l'on nous offre une dégustation de trois vins locaux dont seul le dernier, un riesling, mérite mention.
Heureusement, la journée d'aujourd'hui n'a consisté qu'à nous laisser descendre le long du Main, d'une petite écluse à l'autre, en admirant distraitement les bourgs et hameaux riverains, proprets et pimpants, d'une rigueur toute allemande.