28 avril 2009

Un 45e anniversaire pas banal

(27 avril 2009) C'est l'auteur favori de maman, Georgette Heyer, qui disait fort justement que «le plus grand plaisir dans un party... c'est d'en parler le lendemain». Un plaisir auquel Azur se livre ce matin avec la plus grande volupté, recevant et émettant autant d'appels vers les copains et copines qui ont partagé nos agapes d'hier. Cela, d'autant plus que la journée a été un succès incontestable. Ce n'est pas pour rien que le gros de la semaine s'était consumé en préparatifs de toutes sortes. 
Ça avait débuté par moult échanges de courriels et téléphones avec Marie-Julie Brédas sur le menu, l'ordonnancement de l'événement et le nombre d'invités, y compris un dramatique épisode où Azur a craint que nous ne soyons victimes de cette malédiction de toute hôtesse, le fatidique «treize à table». Drame évité de justesse par une combinaison de jonglage avec la liste d'invités et de féroce tordage de bras pour s'assurer que chacun amène sa compagne.
Ensuite, il y avait le problème du transport, Saint-Joseph étant une commune non seulement lointaine (en termes martiniquais, s'entend), mais aussi excentrée de toute autoroute, et donc particulièrement vulnérable à l'effet délétère du ti-punch au volant. Nous ne pouvions dicter leur conduite à nos autres invités, mais pour les Marinois que nous étions, tout comme Raymond Marie et sa femme, la solution était le spacieux taxi du copain Pierrot, toujours disponible à toute escapade.
Troisièmement, l'incontournable détour par le coiffeur. Celui voisin de la marina ne sait pas défriser Azur... et même pour mes cheveux plats, il n'a pas de place sans réservations avant lundi prochain. Par chance, Raymond Marie a une copine dans le métier, ce qui résout le problème d'Azur, tandis que je me glisse juste au bon moment au salon au-dessus de chez Annette pour faire raccourcir ma tresse hirsute et ma barbe bien emmêlée.
Enfin, la garde-robe. Impossible de retrouver le pantalon qui doit accompagner ma veste crème acquise pour la Noël d'il y a deux ans chez Armande. C'est Henrietta qui avait pris l'initiative de l'emporter chez le nettoyeur pour le débarrasser d'une tache de vin rouge mal placée, ouf. Azur, elle, après avoir contemplé avec perplexité une redoutable collection de souliers soit inconfortables, soit inappropriés, découvre (à côté de chez Annette aussi, tiens!) juste les sandales noires à la fois agréables à porter et à voir qu'il lui fallait.
C'est donc en toute élégance et en bon ordre de marche que, vers les 11h15 hier matin, nous nous sommes mis en route. Marie-Julie Brédas, avec son immense sourire fleurissant dans un océan de taches de rousseur, nous attendait sur le pas de la porte, la courte barbe grise soulignant la trogne ronde de son grand chef de mari étant déjà plongée dans ses fourneaux.
Une demi-heure plus tard, tous nos invités étaient sur place, assis ou flânant autour du bar abondam-ment pourvu, tandis que circulaient des plateaux d'accras du plus haut niveau. Même l'inconditionnel cervoisophile Jean-Yves s'était mis au ti'punch...
Outre Raymond Marie et Alex Cressant, amis d'Azur depuis plus de cinquante ans et de moi depuis quarante, nous avions retracé et réussi à attirer Georges Brival, vieux complice du temps de l'Expo '67 mais perdu de vue depuis longtemps (photo). Pour rajeunir un peu le groupe, les cinquantenaires Léna et son Québécois de mari s'ajoutaient aux cousins Charles et Daniel et à leurs compagnes Raphaëlle et Edmée.
Le temps étant au beau (anormalement pour la localité en cette saison), on avait retiré toutes les cloisons mobiles de la salle à dîner, et nous baignions en pleine nature, dans le magnifique jardin tropical que les Brédas se sont aménagé au bord d'une profonde ravine. Le foisonnement de fleurs et de feuilles multiformes et multicolores, 
combiné au raffinement du décor de tentures, de nappes et de serviettes de soie brodée et de verrerie de fin cristal, créait un effet magique qui influençait tout doucement l'atmosphère et les conversations.
Lorsque nous sommes passés à table, la glace était rompue de toutes parts, et un judicieux emmêlement des couples et des sexes a encouragé les conversations déjà entreprises à se poursuivre sans hiatus. Politique, voyages, bouffe et santé par ci, échange de souvenirs par là, nouvelles de vieilles connaissances perdues de vue par ça, sans compter les blagues, les piques et autres taquineries.
Comme nous avions laissé à Jean-Charles toute liberté quant au menu, la première entrée froide, un tartare de poisson très doux accompagné d'une salade bien pimentée, a constitué une joyeuse surprise. Idem pour un socle de tinés (bananes légumes) légèrement épicé sur lequel trônait une moëlleuse escalope de foie gras tiède. Si bon que les conversations se sont momentanément rompues.
Il a bien fallu qu'Azur interrompe les festivités le temps de sa pose traditionnelle avec le maître de maison. Il faut dire que lors d'un précédent passage, la photo d'elle enlacée avec Jean-Charles Brédas avait fait la une du numéro de l'Express consacré aux délices de la Martinique, à la légitime fierté des deux participants.
Nous avions ensuite le choix entre une fricassée de ouassous (écrevisses de rivière) et une côte de veau rosée, qui n'ont laissé personne sur sa faim, d'autant plus que les vins (blancs, mais surtout rosés et rouges, on est en Martinique, non?) conseillés par le jeune sommelier encourageaient les appétits.
Il était bien 16h30 quand le groupe a commencé à se dissoudre à regret, après un dessert aussi varié que délicat, des cafés et infusions et un digestif de vieux Saint-Étienne en état de grâce. Juste au moment où la pluie nous tombait dessus, mais après tout, on était à Saint-Joseph! 
Le dernier épisode s'est donc déroulé sous la marquise du restaurant face au stationnement transformé en mare aux canards, pressés les uns contre les autres à l'abri de l'averse, attendant que Marie-Julie et son adjoint fassent la navette vers les voitures, armés d'immenses parapluies.
Ça valait (presque?) la peine d'attendre 45 ans pour vivre ça!

27 avril 2009

Marmaille et vagabonds siciliens

(19 avril 2009) Marc est parti en mer pour une semaine... sur un cata de Switch, après avoir emmené notre annexe et son capricieux moteur en révision. Il a la passion de naviguer, contrairement à Gérard qui semblait l'avoir perdue ces derniers temps. Il passe son temps à nous offrir de nous amener en balade au large, ne serait-ce que pour une journée ou deux. Nous le prendrons sûrement au mot au moins une fois d'ici notre départ.
Nous avons reçu confirmation de notre réservation pour Wimbledon fin juin-début juilllet. Un vieux rêve qui va enfin se concrétiser: une semaine au Cumberland Hotel, près de Hyde Park, idéal pour se balader dans le Vieux Londres, et les deux journées des semi-finales, bien placés sur le court central de Wimbledon. La finale, on la verra à la télé comme tout le monde. Reste seulement à décider si nous en profitons pour nous promener ailleurs en Angleterre ou en Écosse. 
Par contre, le projet de croisière sur le Rhin et le Danube à travers l'Europe centrale n'avance pas d'un poil. Les parcours que nous voulions ne sont pas dsponibles, et ce n'est qu'au dernier moment que nous saurons s'il y a de la place suite à des annulations. Je soupçonne que ça va aller à l'an prochain.
Au Marin, rien de bien neuf, surtout pas le temps de plus en plus incertain. Les matinées sont souvent coupées de brusques averses suivies parfois d'arcs-en-ciel spectaculaires (photo), les après-midis d'une chaleur brûlante. Heureusement, il y a les soirées et les petits matins, toujours frais et agréables.
Samedi soir, le Bum a été envahi par deux volées de marmaille, les petits blonds d'une jeune française qui habite un mono sur le ponton juste en face de nous, et les petits bruns de sa copine martiniquaise... qui se trouve une petite-cousine d'Azur, originaire du Diamant, du moins d'après ses dires.
Ça courait partout sur les coques, ça envahissait les couchettes des cabines, ça faisait tourner la barre dans tous les sens, ça sautait vigoureusement sur les trampolines dès que nous avions les yeux tournés! Et Azur qui est allée leur promettre qu'ils pourraient venir dormir à bord un de ces soirs la semaine prochaine. Ça va être du sport. Elle et sa passion gaga pour les enfants...
En même temps, les Siciliens du Manoha, Sara et Federico, sont venus faire leurs adieux: ils mettent la voile dès aujourd'hui dimanche vers le nord: Saint-Martin, Barbuda, puis ils redescendent sur Trinidad et le Venezuela, pour piquer ensuite vers Panama, où ils décideront si oui ou non ils franchissent le canal et voguent à travers le Pacifique, ou s'ils remontent plus modestement le long de la côte américaine, pour retraverser éventuellement vers l'Europe et la Méditerranée. Bon vent.
Dimanche prochain, nous fêtons en grand nos 45 années (hé oui!) de vie commune, par un banquet chez Brédas, indubitablement le meilleur cuisinier de la Martinique, auquel nous convions tous ceux des vieux copains qui sont encore vivants et mobiles -- hélas, il n'en reste pas tant que ça. Faudra laisser quelques chaises vides pour les fantômes...
Ce matin, je suis allé saluer une dernière fois les Siciliens et prendre une ou deux photos de leur rafiot. Peu après mon retour à bord, la même cousine qui s'était découvert hier soir un lien de  parenté pas tant avec Azur qu'avec son bateau et son apparente prospérité a rappliqué tout endimanchée avec ses trois enfants, juste au moment où le technicien envoyé (enfin) par CanalSat -- un dimanche? On aura tout vu! -- s'affairait à nous rétablir la télé.
Elle a eu droit à un accueil plutôt frisquet de la part de ma douce compagne, et à une absence totale d'intérêt et de reconnaissance de la mienne. Surtout que l'heure semblait explicitement choisie pour se faire inviter à dîner. Pas question, et pas question non plus qu'elle revienne demain coiffer Azur comme elle s'y était offerte. Même pas question que les gamins grimpent à bord -- ils étaient déjà bien en train de le faire, encore moins qu'ils s'installent dans une des cabines babord jusqu'à demain matin, comme ils en avaient très clairement l'intention!

15 avril 2009

Matoutou et yachts géants

(15 avril 2009) Le reste de la Semaine sainte s’est déroulé sans incident. Remise en ordre du bateau, ménage. J’ai eu une brève envie d’aller voir le chemin de croix du Vendredi saint à Sainte-Anne, mais le temps incertain et la perspective d’avoir à grimper une dizaine de volées de marches jusqu’à la chapelle plantée sur le morne derrière le bourg m’en ont vite dissuadé. Pour le dîner de Pâques, après avoir flirté avec l’idée d’une baignade et d’une langouste au Touloulou, nous nous sommes rabattus sur l’Indigo voisin. C’est un (très) joli resto flottant sur un ponton à l’entrée de la marina. Il avait été sérieusement endommagé par l’ouragan Dean en 2007, mais le proprio l’a fort bien retapé, améliorant le décor très “marin” ponctué de maquettes de yoles et de voiliers anciens; il en a profité du même coup pour rehausser le niveau de sa cuisine, autrefois réputée mais qui en avait beaucoup perdu depuis quelques années. Si bien qu’il redevient un de nos favoris au Marin, une alternative bienvenue à l’incontournable duo Ti-Toques et Marin Mouillage. Pour ce dimanche midi, nous avons dégusté un tartare de dorade parfumé au cari, puis un très bon filet d’agneau rosé au gratin de légumes pays, avec un juliénas juste frais. La Réunionnaise accueillante et volubile qui nous servait avait mis comme fond sonore des chansons des années 50 à 70 qui ont fait grand plaisir à Azur, et nous a offert en digestif un vieux rhum Trois-Rivières qui a fait grand plaisir à Yves. Comme ça, tout le monde était content. Lundi c’était le jour du traditionnel matoutou de crabe, auquel nous étions conviés par Raphaëlle et Charles sur la plage du Diamant. Comme il fallait s’y attendre, dès le matin il s’est mis à pleuvoir des clous. Nous avons même hésité à nous y rendre, nous demandant si ça allait quand même avoir lieu. Crainte bien vaine. Nos hôtes nous attendaient à la Dizac, juste de l’autre côté du cimetière, sous les arbres qui fournissaient un abri plutôt aléatoire au bord même de la plage. 

Avant même le premier ti-punch (à l’absinthe, selon la coutume), la prudence dictait que nous nous mettions en tenue de baignade. Les multiples et parfois violentes averses ne sont pas parvenues à entamer la bonne humeur de la dizaine de convives, parmi lesquels deux joyeuses amies franco-américaines des Larcher, venues de leur retraite de Virginie. Nous avons passé une bonne heure à nous ébattre dans les fameuses vagues diamantinoises -- la mer étant beaucoup plus chaude que la pluie qui nous tombait dessus presque sans discontinuer. Nous n’étions d’ailleurs pas les seuls, trois ou quatre autres groupes de braves amateurs de matoutou faisant comme nous la navette entre l’abri des arbres et les grands rouleaux gris et verts qui déferlaient avec une vigueur impressionnante.
Venu le temps de manger, il a bien fallu nous résoudre à tout emballer pour nous transporter sous la véranda protectrice des Larcher, au sommet de la colline qui domine le village. Là, nous étions une bonne quinzaine assemblés autour d’une table chargée d’un menu gargantuesque: souskaye de morue et de hareng saur, fabuleux colombo de mouton, saucisses grillées et légumes pays, sans oublier évidemment le matoutou de crabes dont il falllait briser les carapaces pour déguster la chair bien épicée sur un lit de riz blanc. Avec ça, choix de rhum blanc ou vieux, absinthe, punch coco maison, bière Lorraine, alsace blanc ou bordeaux rouge.
La nuit était tombée depuis un bout de temps quand nous avons terminé ce banquet par le classique gâteau et le digestif de rhum vieux et avons pu nous mettre en route pour rentrer au Marin. Quelle journée! Depuis quelques jours, nous avions comme voisin arrière un yacht géant de 45 mètres, One More Toy (battant pavillon des Îles Cayman) dont les quatre étages nous bouchaient la vue du cockpit. Hier matin, finalement, il a daigné s’éloigner en prenant majestueusement le chemin du chenal de sortie du Cul-de-sac du Marin. Nous avons vite compris que c’était pour s’approcher d’un gigantesque cargo porte-bateaux, ancré en face de la pointe du Club Med pour se charger d’une douzaine de yachts de luxe qu’il va convoyer jusqu’en Méditerranée.
Nous avons grimpé sur le skybridge pour suivre avec fascination les manoeuvres de ce dernier. Il a commencé par s’enfoncer doucement dans la mer afin de laisser l’eau pénétrer à l’intérieur par deux énormes portes ouvertes à sa poupe. Pendant ce temps, une collection de super-yachts (des “petits” 25 mètres valant à peine 5-6 millions d’euros jusqu’à deux géants de 45 et 55 mètres valant au moins cinq fois plus cher) se plaçaient à la queue-leu-leu derrière lui pour y pénétrer chacun à son tour.
Raymond Marie et le skipper Marc sont venus sur les entrefaites pour une courte discussion d’affaires, quelque peu perturbée par le fascinant spectacle. Après un lunch au Marin Mouillage, des voisins de ponton siciliens nous ont invités à leur bord (un petit sloop d'acier bien aguerri, Manoha) pour un vrai café italien -- vous savez, ceux où la cuiller tient debout dans la tasse -- et une agréable discussion, que nous avons offert de prolonger en soirée chez nous autour d’une grappa que nous avions rapportée du Frioul il y a quelques années.
En fin de sieste, Marc est revenu pour nous emmener en annexe voir de près la dernière étape du chargement du porte-bateaux. Azur a décidé de s’abstenir, nous sommes donc partis à deux. Je me suis délecté à prendre une série de photos de près pendant que Marc contournait le béhémoth, qui surgissait graduellement de la mer à mesure que de l’air sous pression chassait l’eau de ses ballasts. Impressionnant.
Au retour, cependant, les choses se sont un peu gâtées. D’abord, un vent frais s’était levé, qui nous aspergeait abondamment d’embruns. Le temps de trouver un angle plus confortable pour rentrer à la marina, nous étions trempés des pieds à la tête. Et aux trois-quarts du chemin, notre prima donna de hors-bord Mercury nous a complètement lâchés; la balade s’est terminée à la rame, aux commentaires moqueurs d’Azur qui nous attendait bien à l’abri à bord du Bum. Au même moment, les copains siciliens, Federico et Sara, s’amenaient tel que prévu pour la grappa. Les voisins d’en face, Michel et Florence, qui les connaissaient, se sont joints à nous dans le cockpit (eux préfèrent le pastis, j’avais heureusement un fond de Bardouin artisanal jadis apporté de Marseille) pour une conversation cordiale et quelque peu échevelée. Il a été question surtout de voyages et de navigation, comparant nos notes sur divers pays et villes, notamment le Lac Majeur et Barcelone dont nous sommes tous entichés, et sur nos traversées de l’Atlantique, dont la nôtre aura certainement été la moins aventureuse. Bien plus vagabond que nous, le copain sicilien en est à son troisième tour du monde, sans compter une traversée de l’Atlantique avec son fils Alessandro à bord d’un hobie-cat sans cabine de 20 pieds. Fallait le faire! D'ailleurs, le fils est allé plus loin encore sur le même hobie-cat: il s'est farci le Pacifique en solitaire, sans escale, de Yokohama à San Francisco, ce qui lui a mérité son effigie sur deux timbres japonais... En échange, Azur a raconté en détail, à l’ébahissement de tous et photos à l’appui, l’attaque des pirates somaliens contre notre mégayacht de croisière Seabourn il y a quatre ans; nous avons avons aussi trouvé des terrains d’entente dans nos opinions politiques (nos amis italiens aiment autant Berlusconi que nous Sarkozy) et notre goût pour les polars d’Andrea Camilleri, qui ont pour décor leur région natale d’Agrigente. Pour sa part, la mérdionale Florence racontait ses souvenirs d’enfance à Montpellier circa 1968, que nous pouvions confronter à notre vision actuelle de la ville. Une autre belle journée.

12 avril 2009

Mouillage manqué sous les Deux Pitons

Mardi matin après l’abordage, nous nous détachons de la bouée (et du cocotier) pour monter vers le nord affronter le canal de Saint-Vincent dans toute sa gloire: des bourrasques jusqu’à 25 noeuds, des vagues hautes et courtes qui nous secouent presque continuellement sous un ciel changeant. Le bon côté de l’affaire est que nous filons à bonne allure (des pointes à plus de neuf noeuds) et, malgré un départ assez tardif, arrivons à l’anse des Deux Pitons en plein après-midi. Hélas, il n’y a plus de bouées disponibles face à la petite plage, nous finissons par dénicher une place à l’ancre de l’autre côté du Petit Piton grâce à un boat-boy compatissant. Nous avions projeté un souper gastronomique à la charmante terrasse de Dasheen’s, le restaurant de l’hôtel Ladera que nous connaissons déjà bien. Mais la fatigue nous fait changer d’idée, et nous remettons la chose à demain. Au lever sous un ciel incertain, j’échange quelques mots avec les occupants danois d’un fort joli cotre de bois verni, le “Poseidon”, ancré juste à côté de nous.

Très bonne baignade, dans une eau vert sombre profonde, mais claire et calme. Le temps vire carrément à la pluie, d’abord de courtes averses puis une ondée presque ininterrompue charriée par un vent presque frisquet. Pronostic météo: ça va durer toute la journée, ce qui enlève beaucoup au charme d’une soirée en plein air dans la montagne de Dasheen’s. On se reprendra une autre fois, mais pour le moment, le plus raisonnable est un retour direct vers la Martinique. Le menu gastronomique s’efface derrière une couple de hot-dogs grillés et avalés en vitesse sous l’averse au large de Castries. Pour égayer quand même notre départ de Sainte-Lucie, surgit du port de la capitale un splendide deux-mats pirate comme dans les films, qui navigue à nos côtés pendant un bon vingt minutes. C’est sans doute un des bateaux qui ont servi au tournage de “Pirates de la Caraïbe”, maintenant recyclé en voilier d’excursion.
De nouveau, nous avons bon vent dans le canal de Sainte-Lucie. C’est avec près d’une heure d’avance sur nos prévisions que nous rentrons en douceur dans le chenal du cul-de-sac du Marin pour réintéger notre place au ponton. Demain Jeudi Saint, nettoyage, inventaire, remise en ordre. En attendant, dodo.

11 avril 2009

Chez les Pirates de la Caraïbe

“À l’abordage!” Marc et Yves prennent le Bum d’assaut depuis l’annexe, une “patch” noire de corsaire sur l’oeil. Nous avions laissé Azur seule à bord au matin de l'escale à Wallilabou, pour aller compléter les formalités de douane et faire quelques provisions au restaurant voisin... qui vendait, en plus des jus, rhums et bouteilles d’eau, des panoplies de pirates pour jeunes touristes. Logique, le site a servi au tournage d’un ou plusieurs épisodes de “Pirates de la Caraïbe”, comme en témoigne une très réaliste façade d’auberge du XVIIIe dont la véranda abrite un stock de cercueils rustiques assez convaincants, mais dont l’arrière est uniquement composé d’échafaudages métalliques!

Ce qui nous a évidemment inspiré l’idée d’acheter quelques accessoires afin de surprendre notre compagne au retour. Succès complet. Dommage qu’elle n’ait pas eu le réflexe de nous prendre en photo... Mais revenons au départ. C’est finalement mercredi, le matin du Poisson d’avril, que nous avons largué les amarres en direction de Sainte-Lucie et des Grenadines. À bord, tout fonctionnait enfin normalement sauf le moteur de l’annexe, qui n’acceptait de démarrer qu’après moult cajoleries. Il allait d’ailleurs nous jouer des tours toute la semaine. Ayant bon vent, nous avons doublé la pointe nord de Sainte-Lucie bien au large du mouillage de Rodney Bay, trop loin pour voir la nouvelle marina. Celle-ci remplace, en beaucoup plus grand, les anciennes installations dévastées il y a deux ans par l’ouragan Dean; elle prétend même faire désormais concurrence au Marin, notamment pour l’amarrage des grands yachts. Calme plat (comme d’habitude) le long de la côte sous le vent jusqu’à notre destination, la très jolie anse de Marigot Bay, où nous avons pu nous amarrer à une bouée dans le fond, derrière la langue de sable surmontée de cocotiers qui coupe et la houle et le peu de vent qu’il peut y avoir.
Nuit paisible, les boîtes de nuit qui bordent le mouillage étant muettes en ce milieu de semaine. Dès l’ouverture des bureaux jeudi, nous sommes descendus à la douane -- rapide et sympathique. Le guichet bancaire automatique était en panne, et l’agence elle-même asslégée par une longue file de clients impatients. Nous avons décidé de nous débrouiller avec les euros que nous avions jusqu’à la prochaine escale, même si le taux de change en dollars EC (la monnaie de la plupart des îles anglaises, arrimée au dollar américain) risquait de nous être défavorable. Une fois doublée la pointe des Deux Pitons, nous avons retrouvé un vent d’est-nord-est assez stable qui nous a permis de descendre confortablement -- mais pas très vite -- vers Saint-Vincent. Heureusement, la brise s’est maintenue entre 13 et 16 noeuds le long de la côte pendant une bonne partie de la descente. Le temps était beau, nous étions tous juchés sur le skybridge aux accents de Soldat Louis: “Du rhum, des femmes”, “Martiniquaise (partie niquer)”, “Bohémiens autant que matelots... fils de roi sur le pont d’un bateau”, “Frères du port”, etc. en contemplant des nuages aux formes spectaculaires.
Nous arrivons entre chien et loup à la petite marina de Blue Lagoon, dont nous avions gardé bon souvenir. Heureusement que nous sommes en cata et que nous pouvons profiter de l’accès par la “porte de côté” au-dessus d’un haut-fond de 1,4 m; le chenal “principal”, plus profond mais étroit et sinueux, est à découvert d’une brise qui y fait friser l’écume par-dessus les cayes environnantes. Plutôt acrobatique, dans le peu de lumière qui reste. Une fois passées les bouées d’entrée, nous sommes accueillis par une double déception. D’abord, il n’y a pas de place aux trois étroits pontons monopolisés par des charters de Sunsail et de Moorings, nous devons donc mouiller à une bouée dans le bassin plutôt encombré. Mais surtout, le restaurant de l’hôtel face au front de mer est fermé. La nourriture n’y était pas exceptionnelle dans l’ensemble, mais le personnel sympathique servait les frites les plus sensationnelles de la Caraïbe (je dirais même les meilleures hors de Belgique), surtout lorsque assaisonnées de leur ketchup maison bien piquant et arrosées d’une bière Hairoun locale. Moi qui en chantais depuis deux jours les louanges à Marc! Il faudra bien nous en passer. Au matin, il nous paraît plus simple d’aller par mer au quai de Kingstown, passer la douane et l’immigration. Nous réussissons à accoster directement au quai des paquebots
de croisière avec l’aide d’une flâneur professionnel local. Marc va d’abord remplir les formulaires d’entrée au pays de Saint-Vincent et Grenadines. À son retour, nous confions la surveillance du Bum chromé à un sympathique couple de Français en monocoque qui se sont amarrés juste devant nous, en route vers la Martinique. Il y a aussi deux jeunes coopérants colombiens, bons garçons, qui photograhient les bateaux à tout va. Rassurés, nous partons tous les trois vers le centre-ville pour quelques courses (il nous manque toujours un barbecue de bord, Gérard ayant emporté le sien) et un fort bon lunch de poisson grillé suivi d’un succulent cheesecake au coulis de cerises-pays, à la succursale de Basil’s version Saint-Vincent.
La chasse au barbecue (et aux fruits de mer) ayant été vaine, nous reprenons la mer en milieu d’après-midi, emportant un souvenir bien visible du port de Kingstown. Les pare-battage de caoutchouc vulcanisé qui bordaient le quai étaient efficaces contre les chocs, mais ils avaient laissé d’énormes traces noires quasi indélibiles sur nos flancs immaculés! Il faudra nettoyer à l’alcool, sinon à l’acétone, au retour au Marin.
Descente au vent de Bequia, vers les petites îles excentriques, désertes et peu visitées malgré leur beauté, de Battowia et Baliceaux. J’aurais bien voulu mouiller là, mais le skipper estime que le risque d’un retournement de courant est trop élevé et que nous serons mieux à l’abri au mouillage de Mustique, un peu plus bas. Nous y arrivons à la nuit déjà tombée, mais trouvons sans difficulté une bouée libre et un boat-boy serviable pour nous y accrocher. Au matin, je comprendrai mieux le peu d’achalandage de ce qui est pourtant un port très agréable: une seule nuit à la bouée y est facturée le même prix que trois jours à un ponton du Marin, services compris. Pas pour rien que Mustique est surnommée “le paradis des milliardaires”! Excellente -- quoique dispendieuse -- baignade en soirée, suivie d’une nuit paisible malgré nos craintes; en effet, nous sommes amarrés à quatre ou cinq encablures à peine du bar (et dancing) de Basil’s, célèbre autant pour ses chaudes soirées de rock’n blues caraïbe que pour sa clientèle huppée qui va de Mick Jagger à Tom Cruise en passant par une brochette de “royals” britanniques. Samedi matin, descente à terre pour quelques provisions: pain et lait frais, bidons d’eau potable, bière locale. Mais ni thé glacé en poudre, ni Ginger Syrup (un de nos favoris), ni Schweppes Tonic, ni langoustes ni lambis. Par contre, foie gras du Périgord, caviar de la Caspienne et champagne millésimé en pagaille, dont nous pouvons fort bien nous passer. Pour rétablir l'équilibre, un pêcheur sur la plage, face aux yachts bling-bling, lance son épervier et ramène chaque fois une brassée de ”poissons rutilants”, comme aurait dit Brel.
Descente directe vers les Tobago Cays par l’inhabituel chemin du nord-est, en contournant les cayes de Morpion et Baline Rocks au vent de Mayreau. C’est la première fois que nous empruntons cette route, Marc aussi. Écueils et courants abondent dans les passes peu balisées, le vent n’est pas très favorable, le tout demande un oeil vigilant et une bonne dose de concentration en plus d'une utilisation judicieuse du GPS. Azur est un peu énervée jusqu’à ce que nous nous retrouvions en terrain connu, entre les îlots de Petit Rameau et de Petit Bateau. Nous poussons jusqu’à notre mouillage favori face à la délicieuse plage de Baradal. Il y a foule pour la saison, mais les plaisanciers sont plutôt civilisés, les “rangers” qui gardent cette réserve naturelle et les boat-boys qui y vendent des zillions de souvenirs sans intérêt se montrant, pour une fois, d’une belle discrétion. Lunch de crevettes à l’ail avec pâtes et rosé de Provence, rentrée dans notre anse chouchou de Saltwhistle Bay (Mayreau) pour la nuit, baignade dans l’eau toujours turquoise et limpide. Dimanche avant-midi flânerie dans l’eau et sur le pont, suivie d’une remontée au près sous le vent de Mayreau jusqu’à Canouan. Au menu du midi: steak au poivre façon Azur, patates au four façon Yves, côtes-du-rhone. En soirée, Marc va se dégourdir les jambes à terre. Lundi, nous discutons un bout avant de décider de remonter directement vers Saint-Vincent en faisant l’impasse du traditionnel arrêt à Bequia. Coup de chance, nous bénéficions de vigoureuses brises d’est-nord-est de 20 noeuds tout le long ou presque. Vitesse moyenne de 8 noeuds et plus en naviguant au plus près -- 35 degrés du vent, avec un ris dans la grand-voile et trois tours autour de l’enrouleur du génois. Je ne pensais pas que notre brave cata puisse se comporter aussi bien en serrant le vent. Surprenant et revivifiant, et un bon point pour le nouveau skipper qui a trouvé les réglages au poil. Contre l’avis des guides de croisière, la “bible” antillaise Patuelli en tête, nous choisissons de remonter presque au nord de Saint-Vincent jusqu’au mouillage peu conseillé de Wallilabou. Preuve qu’il ne faut pas toujours croire ce qu’on dit dans les livres, ce sera une de nos expériences les plus agréables de la semaine. Un garçon souriant nous amarre à une bouée et nous attache par une longue aussière à un cocotier du rivage, au fond d’une anse assez fermée entourée de hautes collines où n’entre même pas un souffle de brise.
Lorsque Marc descend à terre avec les papiers du bord, la douane est fermée. À son étonnement, le préposé rouvre son bureau, seulement pour nous, en toute courtoisie, puis retourne enfiler des perles (littéralement!) sur sa véranda. Les deux coins de la baie sont occupés par des restaurants assez folkloriques, le reste s’orne de décors pour films de pirates (voir début du chapitre). Baignade “piquante” dans une eau calme et tentante, hélas infestée de minuscules bibittes venimeuses. Comme nous n’avons mangé que des sandwiches sur le pouce pendant la navigation, Marc décide encore une fois d’aller souper et se détendre à terre.

05 avril 2009

De Pancrate au rasta

Le malentendu avec notre skipper a fini en rupture... qui, aux dernières nouvelles, pourrait n’être que temporaire. Lorsque Gérard s’est finalement amené sur le ponton deux jours après notre arrivée, son dernier fiston David juché sur les épaules, il a été tout étonné (en apparence du moins) d’être accueilli par des sourcils froncés et des reproches. Pas question d’entrer ici dans les détails du désaccord -- c’est entre lui et nous -- mais la conséquence en est qu’au lieu de prendre joyeusement la mer le lendemain, nous nous sommes retrouvés plongés dans les suites peu agréables d’une querelle civilisée certes, mais plutôt acrimonieuse.

Nous avons dû battre le rappel des copains pour dénicher un nouveau skipper, arpenter la marina à la recherche d’un spécialiste de l’entretien, courir à la banque pour finaliser nos comptes. En même temps, il fallait, lors de fréquentes visites de notre ex-capitaine, déterminer ce qui lui appartenait en propre et ce qui était au bateau, dans le capharnaüm des équipements, outillages, documents, matériels de plongée, disques et autres DVD qui se nichaient dans tous les coins. Curieux comme ça s’accumule en moins de trois ans, même dans un si petit espace! En fin de compte, le vieil ami Raymond Marie nous a amené un jeune capitaine rasta dont les couettes dredlocks recouvrent un large sourire et une claire compétence, Marc. 
Et le hasard d’une rencontre sur le ponton nous a fait retrouver Jean-Sébastien, spécialiste émérite de l’entretien des catas et Charlevoisien indécrottable malgré ses cinq ans de Martinique (où il a femme et deux enfants). Nous avons décidé de les mettre tous deux à l’essai, Marc immédiatement lors d’une virée d’une semaine dans les inévitables (mais toujours enchanteresses) Grenadines, Jean-Sébastien au retour. Nous devions nous mettre en route ce matin, mais en effectuant quelques test préliminaires hier soir, Marc a découvert que les moteurs refusaient absloument de démarrer. “Qué pasa?” Après quelques vaines tentatives, appel d’urgence à Gérard -- après tout, c’était “son” bateau jusqu’à la semaine dernière, et le fonctionnement sans faille des moteurs sa responsabilité. Il débarque tout outillé dans les minutes qui suivent, passe deux heures à s’escrimer sur le démarreur, les circuits et Dieu sait quoi d’autre, sous les yeux (un peu sceptiques, faut-il dire) de son benjamin Marc. Sans résultat tangible. Il repart en promettant de revenir le lendemain midi (aujourd’hui). Ce matin, Marc suggère tout doucement (lui et Gérard, c’est des contraires absolus côté tempérament) que peut-être si on appelait quelqu’un qui s’y connaît bien en moteurs, genre Raymond Marie... Celui-ci, qui au cours de sa vénérable carrière a possédé “une kalté” de bateaux à moteurs, rapplique rapidement, jette un coup d’oeil expert sur nos deux Volvo Penta et leurs circuits, et émet un diagnostic sans appel: “C’est la batterie”. Nous filons bientôt sur l’annexe (après un léger accrochage avec le hors-bord de cette dernière qui refuse de collaborer) jusqu’aux boutiques de la marina, d’où nous rentrons peu après avec deux batteries neuves, une salade-pêcheur pour Azur et des poulets-frites pour nous -- y’a quand même pas que la mécanique dans la vie!
Est-ce l’effet du poulet-frites? Toujours est-il qu’aussitôt les nouveaux achats branchés sur les moteurs, ceux-ci se mettent à pétarader de la plus rassurante manière.
Une virée d’avitaillement “chez Annette”, un ti-punch d’adieu aux voisins de ponton helvéto-gaulois Michel et Florence (qui nous ont bien rebordé le génois pendant notre absence) et nous pourrons donc lever l’ancre à la première heure. Hourra!

Des Chantefort au Lamentin

Les peuples (encore plus les couples) heureux n’ayant pas d’histoires, je ne vois pas pourquoi je me serais cassé la tête ces derniers temps à vous en raconter. Ce qui me fait une bonne excuse pour ces bientôt trois mois de silence dans les aventures des “Bums chromés”, non? Mais si nous reprenons le cours du récit, ce n’est pas que le malheur ait frappé. Il y a toujours l’interminable glissade boursière et économique qui nous chagrine un peu, mais comparé aux amis-clients de Bernie Madoff, nous n’avons pas trop à nous plaindre. Et comme dirait l’autre, c’est rien que de l’argent, après tout. En vérité, c’est le retour à bord du Bum en fin de semaine qui est à la source de cette enfiévrée littéraire. Et la nuit tombant vite sous les tropiques, et le câble télé ayant été pété par un coup de vent malencontreux, quoi faire d’autre de nos soirées que de s’installer sur le cockpit face à l’écran pour clavarder, tout en profitant d’un agréable souffle d’alizé? Je reviens d’abord quelques pas en arrière pour mettre fin à notre chapitre barcelonais par une péripétie aussi amusante qu’imprévue. Alors que toutes les supplications, les tempêtes et les menaces auprès de la SNCF étaient restées lettre morte, la seule référence à une publication éventuelle dans le “Canard enchaîné” de notre loufoque histoire de billet de train Barcelone-Montpellier en passant par Madrid a eu un effet aussi rapide que miraculeux. Dès notre retour à la maison (sous la neige, comme on l’a vu au dernier épisode), j’ai trouvé dans ma boîte à lettres un courriel clair mais succinct, me demandant non seulement d’oublier cette malheureuse affaire, mais encore de considérer qu’elle n’avait jamais eu lieu. Pour la SNCF, ces billets n’ont jamais été achetés, ils n’ont jamais été émis (même pas à Madrid) et notre carte de crédit n’a jamais été débitée. Le ridicule ne tue peut-être pas, mais il flanque certainement la frousse à de valeureux fonctionnaires. Pour le reste, la reprise du séjour à Montpellier s’est déroulée dans un calme fort reposant, même si la météo faisait un peu des siennes. On a revu le copain guitariste Fethi, toujours actif les midis sur la Place de la Comédie, on lui a remis son cadeau des Fêtes, un joli mouton bien frisé (comme dans “Aménez-l’moutan” chanté par Maurice Chevalier, quoi! Z’aviez pas compris?). 

On a somptueusement bouffé chez les amis italiens du Verdi, on a découvert un ou deux autres bons restos: un couscous royal précédé d’une très bonne pastilla, improbablement cachés tout au bout de la ligne de tram No 1 et d’Odysseum, et un temple intimiste dédié aux pâtes (noires, bien sûr) derrière les Halles Laissac. Surtout, on s’est fait une paire de nouveaux copains, nos récents voisins du dessous les Chantefort, des “vagabonds” comme nous dont la fille Caroline est en visite ici mais habite Montréal avec son Portugais de mari et sa fillette. Ce qui avait débuté par une rencontre fortuite se prolonge en échanges de pots et de petites bouffes de plus en plus sympathiques tout au long de février... 
Michèle et Azur causent voyages et cuisine et santé, André et moi voyages, vins et, surtout de sa part, tauromachie (c’est un authentique aficionado, capable de sauter dans le premier avion vers Madrid ou Cordoue à l’annonce d’une belle affiche). L’escalier du 4e au 5e (et vice-versa) n’a jamais autant servi.C’est donc avec un petit regret que nous avons repris la route de Montréal à la fin du mois dernier -- avec l’obligatoire escale à Paris, où nous nous sommes offert un délicieux repas créole avec les amis Euvrard dans ce qui est sûrement le meilleur Antillais de la Méropole, la Table de Babette, située par un heureux hasard juste en face du Passiflore, rue de Longchamp. 
Le court passage du printemps languedocien à l’hiver québécois s’est alourdi d’une tournée des médecins (check-up et prises de sang) et de quelques visites forcées chez le comptable (impôts) et à la banque (soubresauts boursiers). Pas forcément le plus beau des programmes, mais on a compensé en célébrant de digne façon l’anniversaire du beau-frère Jean et en rendant une visite (depuis longtemps due) au Castel Berri des Piazza. Nous perdons notre conseiller bancaire de 15 ans, Abdel, promu à la direction d’une lointaine succursale. Coïncidence amusante, il est remplacé par le petit-fils de l’ancien premier ministre Jean Lesage -- un presque voisin de ma jeunesse à Québec, dont le fils René était un compagnon de ski au Lac Beauport dans les années ’50.  Après un bref redoux, le thermomètre flirtait de nouveau avec le zéro C lorsque, ce premier jour de printemps, nous avons repris l’avion pour la Guadeloupe puis la Martinique.  Bien sûr, entre clamato, sirop d’érable et médicaments variés destinés au Marin et à Montpellier, nous avions une jolie surcharge de bagages pour le saut de puce entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France. J’ai vainement tenté de faire comprendre à la préposée à l’enregistrement et à une brave dame placée avant nous dans la queue qu’elles avaient tout avantage à nous faire passer devant pour me donner le temps de courir à l’autre bout de l’aéroport payer ma pénalité et revenir récupérer mes cartes d’embarquement sans retarder tout le monde. Rien à faire. La seconde était assise mordicus sur son droit de préséance, la première insistait que tous les passagers sortant d’une croisière -- une bonne moitié de la cargaison du petit avion -- soient traités ensemble, donc avant nous.  Évidemment, lorsque je me suis rendu au guichet de paiement des surcharges, il y avait cinq personnes devant moi (dont deux payaient par chèque, avec ce que ça impliquait de vérifications complexes et tâtillonnes); à cause de moi, donc, l’avion a décollé près d’une demi-heure en retard. Tout le long du trajet, la madame qui refusait de nous céder le passage me fusillait du regard, si bien que j’ai fini par lui tirer la langue. Na! Suite à un malentendu, Gérard ne pouvait venir nous prendre au Lamentin, Il avait délégué son petit frère Jean-Christophe... qui s’est décommandé au dernier moment. Heureuse- ment, il y avait un véritable comité d’accueil familial qui nous attendait à la sortie des douanes: Charles et Raphaëlle Larcher du Diamant d’une part, Daniel Philémont-Montout et sa fille Armelle du François de l’autre. Nous n’avions que l’embarras du choix pour nous faire convoyer vers le ponton du Marin.
Petite déception à l’arrivée à bord (because le même malentendu, sans doute) : contrairement à l’habitude, nos affaires -- sauf les vêtements, chasse-gardée de la fidèle et méticuleuse Henrietta -- avaient été jetées en vrac sur un lit au lieu d’être rangées dans leurs tiroirs et placards habituels, et le frigo était vide. Pas grave, nous avions eu la prévoyance d’arrêter “chez Annette”, le supermarché du coin, en venant de l’aéroport. Les seules denrées alimentaires prévues par Gérard (il commence à me connaître trop bien, celui-là) étaient les apéritifs et alcools, bien en rang dans leur bar. À défaut de mieux, nous avons donc pu célébrer avec les Larcher notre retour qui au ti’punch, qui au porto blanc. Toutes les premières conversations portaient inévitablement sur LA grève qui venait de secouer les Antilles pendant un mois et demi, et dont les séquelles se faisaient encore sentir : par exemple, pas de bière Lorraine sur les étagères du supermarché, et de grands vides dans les rayonnages réservés aux produits “français de France”. Le consensus clair est que les Antillais “ont gagné” leur bras-de-fer contre l’administration française et le patronat local... mais il y a de furieux débats, qui ne sont pas près de s’éteindre, sur le sens, la portée et la durée de cette victoire. Difficile de se faire une opinion là-dessus dès notre arrivée des neiges montréalaises et sans avoir vécu nous-mêmes les événements, mais on aura immanquablement l’occasion d’y revenir.