20 décembre 2019

Un oeil aigu qui se ferme...

Je me sens aussi en deuil d'Antoine Desilets que sa propre famille... Pas seulement un merveilleux confrère de travail (au magazine hebdo, à la rubrique éducation puis politique de La Presse, à SPEC, dans notre chronique ensemble des années '70, ensuite quand il enseignait la photo au Sénégal, etc.), mais aussi un ami, un complice spirituel et amusant, un confident, un grand «discuteux» de la politique québécoise...
Notre première collaboration, sous la direction de Pierre Bourgault, fut un article du magazine de La Presse sur la pollution par le bruit à Montréal. Antoine avait trouvé le tour de fabriquer des images «bruyantes» en jouant sur les couleurs criardes, les juxtapositions anormales, les objets et les angles biscornus. Une véritable éducation visuelle pour moi... et pour les lecteurs.
Au cahier SPEC, il était mon complice de prédilection. Un jour, nous rencontrions une séduisante «miss quequ'chose» d'une abysmale bêtise, que je m'apprêtais à crucifier dans mon article; or Antoine, séduit par sa beauté, l'a transformée magiquement en une déesse digne de Botticelli par ses images – j'ai été obligé de repenser tout mon texte!
Mais c'est surtout dans notre série de «Personnages montréalais» de 73-74, où nous avions chacun la moitié d'une pleine page grand format, que j'ai pu apprécier son extraordinaire talent pour faire ressortir le caractère des gens, qu'il s'agisse d'un ex-ministre unioniste devenu président de Loto-Québec, du publicitaire Jacques Bouchard, de l'architecte de Mirabel Roger Dastous, d'un waiter d'une taverne emblématique de la «Main», de la couturière Marielle Fleury ou d'une marchande de jouets (d'une terrible laideur hélas!) de la rue Laurier.
Je l'avais revu quelques fois dans sa résidence du nord-est de la ville après que nous avions tous deux pris notre retraite, mais pas depuis deux ans; on se le promettait, et chaque fois quelque chose nous incitait à remettre ça. Quel regret!

16 décembre 2019

Adieu, Monique

Monique Leyrac (décédée dimanche dernier) était moins une amie qu'une sorte de "ma tante" souriante, complice de mes fugues du début des années '60. Je l'ai connue par Pierre Thériault qui, quand il ne jouait pas à Monsieur Surprise, promenait avec elle un joli numéro de cabaret mélangeant humour et chanson française aux quatre coins du Québec. Et ils m'entraînaient à l'occasion dans leur sillage, de l'Outaouais à Matane...
Ce fut notamment le cas lors d'un fameux 14-juillet (en '61 ou '62?) dans la maison de Monique et Jean Dalmain en Estrie; après un spectacle à la Marjolaine, nous nous y étions retrouvés, François Piazza et moi, sous et avec les étoiles: les frères Gascon, Guy Hoffmann, Paul Buissonneau, Clairette, Hubert Loiselle, Dyne Mousso et une scintillante brochette de gens du spectacle... sans compter quelques tonneaux de vin rouge bien français qui ont fourni le carburant d'une des premières cuites majeures de ma jeune carrière. Un souvenir quelque peu brumeux... et pourtant encore vif!

18 novembre 2019

La fausse piste ukrainienne

Pourquoi la thèse d'une interférence ukrainienne dans l'élection américaine de 2016 est-elle un leurre?
a) La pénétration dans les serveurs des Démocrates n'est qu'un élément relativement mineur dans l'ensemble des interventions étrangères dans la campagne. Voir les paragraphes (f) et (g) ci-dessous.
b) Le Rapport Mueller offre des preuves factuelles et techniques très crédibles que cette opération a été le fait de hackers russes: les noms des responsables, les adresses utilisées, le logiciel employé, les dates et les lieux d'où est partie l'attaque cybernétique.
c) En contre-partie, les partisans de la thèse ukrainienne n'offrent que des preuves circonstancielles et limitées.
d) Le candidat Trump lui-même a invité les Russes, non les Ukrainiens, à dévoiler les e-mails de Hillary Clinton et du DNC. On peut supposer qu'il savait de quoi il parlait.
e) Le président russe Poutine n'a jamais caché sa détestation de Mme Clinton et son désir de voir Donald Trump l'emporter; en revanche, les dirigeants et les oligarches ukrainiens ont toujours ménagé, sinon flatté, quiconque était au pouvoir à Washington, peu importe son parti.
f) Les multiples publicités pro-Trump et anti-Clinton sur Internet ont été créées et payées par des entreprises et des groupes russes, notamment l'IRA, ce qui est solidement documenté. On n'a aucune preuve de publicité ou de propagande comparable de la part d'Ukrainiens.
g) Des milliers de tweets favorisant Trump contre Clinton sont venus d'intervenants russes clairement identifiés et de leurs complices et ont été repris par Trump et son entourage; aucune activité de ce genre n'a été créditée aux Ukrainiens, même par les plus fervents défenseurs de la thèse conspiratoire.
h) L'idée même d'une responsabilité ukrainienne a été suggérée non par des observateurs objectifs, mais par des agents russes, notamment Constantin Kilimnik.
Face à cet ensemble de faits, il est impossible de nier que, même si quelques activités suspectes sont venues d'Ukraine, la véritable opération massive d'interférence a été commandée et effectuée par Moscou. La théorie ukrainienne ne peut être qu'une fausse piste.

16 novembre 2019

Forward to the Past?

«Usted tiene una llamada del senor Salourco», me dit le réceptionniste du Castel Mata de Mataro, près de Barcelone. C'est quoi, cette affaire? Nous sommes le 21 ou 22 mai 1974; Azur et moi sommes en vacances méritées après une épuisante couverture en France de l'élection du Président Valéry Giscard d'Estaing. Je ne connais aucun Salourco, et personne sauf peut-être notre ami Pedro Rubio et mes patrons de la Presse à Montréal, ne sait où nous nous trouvons.
Bon, tant pis. Je prends le combiné et une voix bien connue me tonne dans l'oreille: «Leclerc? Content de t'avoir, vieux, mais tes vacances sont finito! Tu rentres à Montréal par le premier vol, et lundi qui vient tu débarques à Washington – les audiences d'impeachment du Président Nixon commencent la semaine prochaine!»
Salourco, c'est la façon dont l'oreille catalane du réceptionniste a interprété le nom de Saint-Laurent (Claude), alors directeur adjoint de l'information à La Presse et futur grand patron de RDI à Radio-Canada. Il me rappelle brutalement (c'est son style habituel) le pari que j'avais pris il y a un an et demi avec notre patron Jean Sisto: si j'avais raison et que le scandale du Watergate devait aboutir à une possible destitution du Chef d'État américain – personne n'y croyait à l'époque –, j'irais couvrir l'évènement en direct pour La Presse et à ses frais. Pour le reporter international néophyte que je suis, une offre impossible à refuser – même si j'en avais la moindre envie.
Dès le lendemain, après un trajet de nuit en autocar à travers les Pyrénées, je dépose Marie-José à Paris chez sa vieille copine Maryse. Jeudi, je reprends à Orly un Air Canada pour Montréal, me bourre au hasard une valise de ce qu'il faut pour un court séjour, et retourne à Dorval dimanche matin m'embarquer sur Delta pour Dulles Airport et une chambre au premier Holiday Inn disponible dans le voisinage du Capitole.
Lundi, je fonce au National Press Building, où heureusement un ex-confrère et vieux copain, le correspondant de Radio-Canada Lucien Millet, m'explique les arcanes de l'accréditation d'un correspondant étranger dans les instances majeures de l'État américain: Maison Blanche, Congrès, State Department, FBI, U.S. Information Services, Cour suprême, Tribunaux fédéraux...
L'étape initiale est le passage dans les bureaux du Service Secret, l'agence responsable de la protection du Président et de la Maison Blanche. L'imprimatur de ce service est la porte incontournable à ouvrir pour obtenir toutes les accréditations washingtoniennes; un délai normal pour l'enquête de vérification d'identité et de qualification est de deux à trois semaines.
Et là, j'ai un coup de chance complètement absurde: au moment des Évènements d'Octobre 1970 au Québec, un fanatique quelconque avait écrit en mon nom une lettre d'appui au Gouvernement canadien contre les «terroristes» du FLQ (dont plusieurs étaient des connaissance sinon des copains), sous une signature bidon. J'avais évidemment contesté par écrit... mais alors que ma protestation s'était perdue quelque part dans les dédales administratifs d'Ottawa, la lettre d'appui apocryphe, elle, était demeurée bien visible dans mon dossier à la Gendarmerie Royale, «preuve» certaine de mon adhésion aux bonnes moeurs officielles. En conséquence, l'agent responsable de ma requête m'a rappelé dès le samedi matin pour me féliciter de ma réputation sans tache et m'inviter à venir récupérer illico ma collection de laissez-passer pour la Maison Blanche et le Capitole. Les accréditations aux divers autres services et tribunaux devaient suivre vers le milieu de la semaine suivante. Et grâce à l'intervention de Lucien Millet et de son patron René Torre, le National Press Building me fournissait un petit bureau et un classeur... en même temps qu'un membership au National Press Club voisin.
Le «court séjour» allait se prolonger presque jusqu'à la fin de l'année 1974; j'allais rapidement déménager de ma chambre sans grâce du Holiday Inn dans une suite confortable et élégante (chambre, salon, dressing, cuisinette) du Fairfax Hotel sur Dupont Circle (quartier des ambassades), où Azur devait venir me rejoindre au début juillet avec nos deux chats noirs, Angkor et Croquemort... mais ceci est une autre histoire.
C'est cette surprenante séquence de souvenirs qui m'est revenue à l'esprit cette semaine, pendant que je suivais pas à pas (mais à distance cette fois) les péripéties du début d'une nouvelle séquence d'impeachment, celle du Président Donald Trump.

30 septembre 2019

La faute à qui?

Quand Trump et les Républicains accusent les Démocrates de «perdre du temps» sur le processus d'impeachment au lieu de s'occuper des priorités, ils oublient ceci:
1. La dernière année, en particulier, a montré que les agendas législatifs sur l'économie, le social, l'international, l'environnement, etc. sont paralysés par une crise constitutionnelle provoquée presque exclusivement par les actions et les déclarations de Donald Trump et l'ineptie partisane de ses alliés.
2. Le Président, au lieu de chercher à unir les Américains dans des objectifs consensuels, a massivement bloqué les initiatives sur lesquelles des ententes étaient possibles, pour tenter d'imposer par la force un programme de droite: le mur contre l'immigration, les mesures néolibérales d'appauvrissement de l'État, les tentatives de sabrer dans les politiques sociales (santé, retraites, aide aux démunis), le déni de la crise écologique, le refus de s'attaquer à la violence interne par les armes à feu, etc.
3. Le discours présidentiel est volontairement divisif, insultant pour ses adversaires politiques et idéologiques, pour les minorités visibles, pour les femmes... Il est parsemé de mensonges évidents, d'accusations injustifiées, de contradictions, de promesses et de fausses ouvertures trahies.
4. Même si les preuves ne sont pas toujours concluantes, beaucoup des actes présidentiels sont à la limite de l'illégalité, de la malhonnêteté personnelle et politique, de la complicité avec des puissances étrangères pour fausser l'exercice de la démocratie en sa faveur.
Il en résulte un climat où plus personne dans la sphère politique ne fait plus confiance à la sincérité et à l'honnêteté de Donald Trump, même ses partisans inconditionnels. Face à cette situation, il est difficile d'imaginer comment les États-Unis peuvent retrouver un climat politique «normal» et positif sans d'abord faire le pénible exercice de crever l'abcès d'une crise de la loi et des institutions qui non seulement n'est pas une création artificielle des Démocrates, mais s'avère clairement le fait d'un Président sans moralité soutenu par des Républicains qui, par opportunisme, ont renoncé à leur patriotisme et à leur constitutionnalisme traditionnels.
Et les Américains doivent se rappeler que le monde entier surveille ce qui se passe chez eux.

25 septembre 2019

Et maintenant le Kievgate?

Réactions à chaud sur les révélations de ce matin quant à la conversation Trump-Zelensky du 25 juillet:
- L'effort flagrant de Donald Trump d'impliquer en sa faveur un gouvernement étranger dans sa campagne électorale donne une toute autre crédibilité au Rapport Mueller: la manoeuvre ressemble de près aux attaques contre Hillary Clinton en 2016, sauf que cette fois, les mots sont ceux du Président lui-même. Cela réduit presque à rien la possibilité que le Russiagate n'ait été que le résultat d'un complot anti-Trump.
- La transcription partielle et ses effets secondaires (le rapport et le témoignage imminent du lanceur d'alerte) sont une première fissure dans le mur de défense de la Maison Blanche; ils pourraient bien mener à une brèche plus large qui exposera d'autres manoeuvres condamnables.
- Et si la Présidence ukrainienne avait, elle, enregistré l'appel téléphonique au complet? Je ne serais pas étonné que les commissions du Congrès sur l'«impeachment» tentent d'en obtenir la transcription de Kiev.
- Trump a probablement commis cette gaffe parce qu'il se sentait faussement en sécurité, vu le peu d'impact du Rapport Mueller sur l'opinion publique. 
- Trump ne peut compter avec certitude sur le soutien des élus républicains. Ils l'ont appuyé jusqu'ici par peur et par opportunisme, mais leur loyauté est suspecte, car beaucoup le détestent en réalité. S'ils sentent qu'il devient un obstacle à leur réélection et que sa capacité de leur nuire ne survivra pas au processus de destitution, ils pourraient bien déserter son camp en masse en peu de temps.

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(Jeudi midi le 26:) Le début de la fin pour Trump?
Difficile de ne pas être captivé par le témoignage du directeur de la sécurité des USA devant le Congrès. Avec quelques réserves, Joseph Maguire valide en grande partie la signification de la conversation Trump-Zelensky et le sérieux du rapport du lanceur d'alerte (maintenant rendus publics). 
Son explication du retard à publier l'alerte, la possibilité d'un «privilège exécutif» de la Maison Blanche, est plausible – et n'affecte en rien la crédibilité de l'accusation, qu'il reconnaît à fond. Il révèle aussi, ce qu'on ignorait, que l'affaire était jugée assez sérieuse pour qu'une demande d'enquête à ce sujet soit immédiatement envoyée au FBI. Enfin, il insiste lourdement sur le caractère exceptionnel de l'affaire et sous-entend clairement que si le suspect n'était pas le Président des États-Unis mais un membre de la communauté du renseignement, l'alerte aurait été aussitôt soumise aux commissions pertinentes du Congrès.

Il est au moins aussi remarquable qu'à mesure que la séance progresse, la défense du Président Trump par les Républicains est de plus en plus incertaine et, dans certains cas, réticente.

24 septembre 2019

Toujours confiance aux «élites»?

La majorité des évènements politiques des derniers jours semble agencée expressément pour appuyer la thèse principale de mon «Manifeste citoyen» que les élites que nous donne le système représentatif sont incompétentes, obsolètes et égocentriques.
a) Aux Nations-Unies, les dirigeants (élus) mondiaux ont une fois de plus démontré à quel point il est naïf de vouloir confier le sort de la planète et de l'environnement à une clique de gens qui sont uniquement préoccupés de leur propre avantage à court terme et n'ont aucune perception de l'urgence et de l'ampleur du problème. Il aura fallu une adolescente suédoise déterminée (mais sans un soupçon de «mandat démocratique») pour manifester à la tribune au moins un peu de vision et de conscience des réalités.
b) Au Royaume-Uni, la crise du Brexit, au lieu de susciter une prise de conscience nationale dans la classe politique, rend encore plus aiguës et plus ridicules les divisions, les querelles et les manifestations d'ambition myope qui agitent tous les partis de tous les camps et leurs dirigeants. Et ceux de l'Union européenne, au lieu de chercher une solution à la crise que constitue une première scission dans leurs rangs, demeurent assis dans les estrades à trépigner et compter les points comme si c'était un match de football de 3e division.
c) Aux États-Unis, sans même prendre en compte les évidentes turpitudes du président, les élus des deux grands partis accordent clairement plus d'importance à leur sort individuel et collectif qu'au bien du pays, alors qu'ils font face à une crise constitutionnelle et sociale urgente et majeure. Les Républicains soutiennent un chef d'État clairement indigne de sa fonction parce que lui seul peut les maintenir au pouvoir, les Démocrates hésitent à invoquer contre lui le remède évident que leur offre la loi, par peur des conséquences sur leur réélection. Sans compter que la formule électorale garantit pratiquement que le prochain président sera un vieillard de plus de 70 ans.
d) En Espagne, les basses manoeuvres auxquelles se livrent tous les partis (y compris ceux de gauche) ne font que précipiter une nouvelle crise de l'État, dans un pays qui ne peut certainement plus se le permettre.
e) Au Canada, un gouvernement et un premier ministre qui méritent amplement de se faire montrer la sortie ne font face qu'à une opposition divisée qui se contente de rabâcher des slogans hors de propos face à une réalité qui demande audace et clarté de vision. Les débats se déplacent entre une question déjà réglée (la laïcité affirmée du Québec), la réaction de Justin Trudeau à des photos de jeunesse quelque peu gênantes, et des recettes dépassées (baisses d'impôts, maintien du niveau d'emploi) pour des problèmes du siècle dernier. Le tout dans une indifférence citoyenne bien justifiée.
f) En France, un Président prétentieux et incompétent, à la tête d'une curieuse alliance de débutants naïfs et de vieux briscards cupides, se livre à des jeux de relations publiques au lieu d'affronter les problèmes bien réels de la Nation – laquelle oscille entre une opposition purement négative, une incompréhension paralysante et une passivité résignée face à l'absence totale d'alternative crédible.
Je pourrais continuer, mais il me semble que ces exemples les plus marquants suffisent pour démontrer à quel point il devient nécessaire de repenser le système que nous appelons, faute de mieux, démocratie.

30 juillet 2019

Entre deux continents

Un mois de juillet actif, sinon mouvementé, la moitié en Martinique l'autre à Montpellier.
Au retour de la petite navigation sur la Côte Caraïbe, nous avons croisé nos anciens voisins du ponton 6, Michel et Florence (lui Suisse, elle Montpelliéraine et leur monocoque, par un heureux hasard, la «Marie-Joseph»), ce qui a donné lieu d'abord à quelques libations dans un bar voisin puis sur le Bum Chromé – j'ai toujours une bouteille de bon pastis de côté à l'intention de notre méridionale copine – puis un souper d'adieu gastronomique au Zanzibar.
Il y a aussi eu une nécessaire mais désappointante re-visite au Diamant; Azur a bien salué la tombe familiale, mais ni les cousins Larcher ni le vieux vagabond Pancho (qui s'est mis au vert à la Dizac) n'étaient chez eux. Le chauffeur de taxi, un nouveau, nous a redéposés tout drette chez Marin Mouillage, où Lucille et Gaston nous ont fait la fête pour nous consoler. Et je n'ai même pas pu joindre ni Philippe Ursulet, le charmant chabin jazzomaniaque, ni l'ex-ex-ex (années 60) d'Azur Alex Cressan, dont il paraît que la santé n'est pas au mieux. En compensation, Daniel a déniché LA bouteille de Depaz cuvée 2002 que j'avais vainement cherchée à Saint-Pierre, et il y a rajouté un étonnant rhum vieux cubain rapporté d'une excursion là-bas. Je ne serai pas en manque...
Le jeudi 11, nous sommes repartis pour Paris après un dernier lunch antillais et un ti'punch au cocon-salon de l'aéroport. Le confort à bord des vols d'Air Caraïbes s'est encore amélioré, la cuisine et la gentillesse du service conservent leur très bon niveau – et le prix de la classe Madras (affaires) est à peine plus élevé que celui de la classe touristes d'Air France. Heureusement que nous avons passé une bonne nuit en vol, car on nous a débarqués non pas dans un couloir de l'aéroport d'Orly, mais sur le tarmac au bout du monde. Heureusement, deux acolytes antillais charmeurs ont aidé Azur à descendre les trois volées de marche jusqu'à terre, puis à monter dans le minibus jusqu'à l'aérogare.
Malgré ça, nous étions en avance sur les prévisions; le taxi d'Orly nous a déposés avec des soins attentionnés à la Gare de Lyon à 10h à peine, longtemps avant notre TGV de 14h07. Impossible de changer de train (tout était bondé, c'était le début du week-end de l'exode national du 14 juillet), il a fallu nous résigner à aller faire bombance au Train Bleu, probablement le plus spectaculaire resto de gare au monde, qui a pris un bain de jouvence sous la gouverne du chef étoilé Michel Rostang.
Service plus qu'attentionné: on nous a pris en charge au pied de l'ascenseur (bien caché) qui monte de la gare vers la salle à dîner, et pendant qu'un personnel bourdonnant s'activait à la mise en place – il n'était pas encore 11h – , une hôtesse nous a installés à une bonne table donnant sur les baies vitrées qui surplombent les quais et nous a munis d'un odorant muscat de Baumes-de-Venise et d'un bon scotch en attendant que la cuisine soit ouverte. Après des entrées légères, nous nous sommes attelés au plat phare de la maison, un énorme filet de turbot au beurre blanc à partager. Rien d'original ni d'imprévu, seulement la rare réussite qui vous fait dire: «Ha! C'est exactement comme ça qu'un turbot devrait toujours goûter!» Le temps d'un dessert pour Azur et d'un café pour moi, on nous a raccompagnés avec la même galanterie jusqu'à la salle d'attente pour les voyageurs ayant besoin d'assistance.
Arrivée sans histoire à la gare Saint-Roch vers 18h et taxi (pas très prévenant) jusqu'à la Résidence Les Palmiers, où heureusement un vieux voisin, surpris de nous voir, nous a donné un coup de main avec les bagages. Comme toujours l'appartement était dans un état impeccable, le frigo et le bar garnis et la clim en marche.
Le lendemain, le voisin du dessous André Chantefort nous a entendus par la fenêtre et s'est pointé pour le pot de bienvenue, avec une tige de laurier-rose flamboyante (coupée sans doute dans le parterre en bas) pour Azur. Pour le reste, nous avons vivoté jusqu'à l'arrivée de notre femme de confiance Ingrid avec son fils Christian mardi midi. En défaisant les bagages, je me suis aperçu que j'avais oublié au Marin les timbres de morphine qui rendent supportable les douleurs d'arthrose à la hanche et au dos. Ayoye! Le succédané trouvé dans une pharmacie locale n'est pas vraiment à la hauteur, mais bon.
Depuis, pas grand-chose à signaler. Hélas, Azur est retombée dans ses mauvaises habitudes de somnolence tardive et n'a en deux semaines mis le nez hors de l'appartement qu'une seule fois, malgré mes ruses de Sioux pour l'aguicher. Beaucoup d'heures passées devant la télé. D'abord à nous régaler de la somptueuse finale de Wimbledon en cinq sets lourds de revirements entre Djokovic et Federer (qui aurait dû gagner, à mon avis); ensuite à regarder les péripéties du Tour de France 2019, qui en valait vraiment la peine. Cette année, pas de super-vedette donnée gagnante d'avance, mais de brutales étapes de montagne aux résultats imprévus dans les Pyrénées et les Alpes, couronnées par deux épopées de quasi-inconnus: le Français Julian Alaphilippe, qui à l'ébahissement de tous les commentateurs a conservé le maillot jaune pendant deux semaines avant de l'abandonner (avec soulagement? on le dirait presque) deux jours avant la fin; ce qui a permis le triomphe modeste mais mérité d'un tout jeune Colombien, Egan Bernal, dont la joie étonnée, partagée avec toute sa famille dans un entrain très latino, faisait plaisir à voir. Même une canicule féroce la dernière semaine (Paris et plusieurs autres villes ont battu des records de chaleur) n'a pas réussi à gâter le spectacle.
J'ai au moins une fois respiré l'odeur de la Méditerranée, de la terrasse d'une des multiples «paillotes» qui bordent les immenses dunes de sable entre la mer et les étangs du côté de Carnon; au menu, de délicieux couteaux, ces espèces d'huîtres longilignes qu'on ne trouve que pendant quelques semaines au milieu de l'été. Vendredi dernier, profitant d'un retour à la fraicheur, je me suis hasardé (seul, hélas!) à aller célébrer les Estivales sur l'Esplanade au bout de la Place de la Comédie. Comme toujours, la moitié de la ville tourbillonnait autour des étals de bijoux, châles et écharpes, chandelles et parfums, livres et dessins, s'attablant ici et là pour quelques bouchées et un verre ou deux de vins locaux. 
Pour une vingtaine d'euros, j'ai eu droit à une abondante brasucade de moules et un demi-magret de canard grillé à l'aligot, arrosés d'un joli rosé et d'un rouge corsé. En prime, j'ai ramené à la maison une douzaine de churros aussi appétissants que ceux de Mazagon ou de Barcelone, pour tremper dans mon café du lendemain. Et pour la moitié du prix, j'ai rapporté à Azur un plateau d'une demi-douzaine d'huitres de Bouzigues, autant de bulots et quatre belles crevettes. Qui dit mieux?

03 juillet 2019

Ballet pêcheur aérien

Lever du jour lundi dans le mouillage calme de la Petite Anse d'Arlets. Je me joins au capitaine Ignace sur le skybrige et nous nous délectons du spectacle d'une dizaine de pélicans aux silhouettes préhistoriques qui plongent avec une symétrie soigneusement calculée dans un banc de poissons qui longe le rivage près duquel il est sans doute maintenu par un barrage involontaire de voiliers à l'ancre sous la falaise. Quelques minutes plus tard accourent se joindre au festin des arabesques de gracieuses hirondelles de mer, puis un tourbillon de mouettes blanches à tête noire aux performances acrobatiques.
Les petits poissons parviennent à se faufiler entre les voiliers et le ballet aérien les suit de près: pendant quelques minutes, les pélicans, dont un patriarche à tête blanche, nagent impudemment à quelques mètres de notre proue, piquant brusquement leurs immenses becs dans l'eau frissonnante, pour en ressortir un éclat d'argent frétillant au bout.
La dernière semaine a été marquée par un fabuleux regain de vigueur d'Azur, qui rechigne de moins en moins à l'idée de sortir manger dans le bourg ou sur la marina. D’abord un midi avec le cousin Charles Larcher au chic Zanzibar (authentiques et savoureux crabes de terre farcis, ragoût de lambis, carré d'agneau), puis tout seuls chez les amis de Marin Mouillage trois jours plus tard, où le mari de la patronne Gaston Talba et la caissière-gérante Lucille nous font la fête autour d'une toujours géniale fricassée de chatrou (pieuvre pimentée avec riz et pois rouges). Et même un soir de spectacle devant les grillades sur pierre chaude de l'Annexe.
Si bien que lorsque je risque la suggestion d'une sortie en mer de quelques jours vers le Diamant et Saint-Pierre, la résistance que je craignais fait place à une acceptation enthousiaste. Donc, samedi, le lendemain du jour heureux où j'ai enfin récupéré le téléphone cellulaire oublié trois semaines plus tôt à Montréal, Twiggy et le skipper Ignace (originaire du Diamant) arrivent à bord vers les huit heures; pendant que le jeune Raymond remplace une manette défectueuse du moteur tribord, ils préparent le bateau au départ: plein d'eau, petites provisions, arrimage et verrouillage de tout ce qui peut tomber ou se briser -- entre autres l'écran de télévision --, équipement de navigation, moteur de l'annexe...
Peu avant dix heures, après un solide petit déjeûner (le meilleur remède préventif contre le mal de mer), nous démarrons du ponton et nous faufilons dans le dédale de bouées et de bancs de sable du Cul-de-Sac du Marin, pour virer à tribord à la Pointe Borgnesse vers le Rocher du Diamant à peine visible à l'ouest à travers une «brume de sable» opaque.
Un splendide vent arrière (30 noeuds avec des poussées à 35) nous propulse en direction du Morne Larcher et de la Côte Caraïbe, entourés de nuées de petits poissons volants dont les ailes irisées nous renvoient des éclats de soleil. Il n’est pas encore midi que nous effectuons un crochet vers le quai battu de hautes vagues du Diamant pour donner un coup de fil à Charles Larcher, qui viendra nous attendre au ponton face à l’église de la Petite Anse d’Arlets. La belle brise se maintient même sous le vent des mornes, de sorte que dès 12h45, laissant le capitaine Ignace en charge du Bum Chromé, nous embarquons Azur et son fauteuil roulant dans la spacieuse Ford de Charles, en direction de Fonds Placide, le domaine privé où pratiquement tous les membres de la famille Larcher ont niché leurs confortables villas.
Raphaëlle nous attend avec un contagieux sourire sur sa grande véranda surplombant une vue magique de la Baie du Diamant. Elle a déjà mis la table dehors: rhum blanc et vieux, citrons verts, sucre et miel pour le ti’punch, flanqués de plateaux de boudin créole pimenté mais fondant (le meilleur de toutes les Antilles), d’acras de morue et de petits pâtés. En plat principal, un poisson frais du jour légèrement pané accompagne d’un gratin de fruit à pain et arrosé au choix d’un rosé de Provence ou d’un blanc de la Loire. Ce n'est pas pour rien que la cuisine de notre cousine est renommée!
La conversation se renoue, malgré la longue séparation, comme si nous nous étions vus la veille: échange de souvenirs partagés, d’évocations de nos voyages respectifs, commentaires plutôt mordants sur les péripéties récentes de la politique française ou américaine, nouvelles d’amis communs. Au dessert, nous nous joignons sur sa terrasse voisine à leur fils Raphaël, également un de nos vieux complices lors de séjours précédents et d’escales en Guadeloupe où il a vécu quelques années.
L’après-midi est bien entamée lorsque nous en finissons avec le digestif; Azur se sent trop fatiguée pour entreprendre son habituel pèlerinage sur le caveau familial dans le cimetière voisin de la Dizac ou pour risquer un autre coup de rhum (ou deux, ou trois) chez le trop hospitalier copain Pancho, maintenant retraité de son commerce du Marin-Pêcheur. Raphaëlle nous ramène donc aux Anses d’Arlets, où après une bonne baignade sur la plage animée du samedi au crépuscule, nous partons mouiller pour la nuit sous la falaise protectrice au sud du bourg.
Dimanche matin, vigoureuse navigation vers le nord, profitant de la même brise qui nous vient maintenant au grand largue tribord; avec le seul génois et une aide occasionnelle des moteurs Volvo, nous franchissons en à peine une heure la vaste embouchure de la Baie de Fort-de-France et nous retrouvons au large de Schoelcher. Il est tout juste onze heures quand nous accostons au quai de Saint-Pierre, où nous attend une petite déconvenue.
Si le bon restaurant du Moulin à Cannes est ouvert dans la Plantation Depaz derrière la ville, la boutique attenante où je comptais renouveler mes stocks de rhum hors d’âge (Depaz vient de mettre en vente une extraordinaire cuvée millésimée 2002), est fermée en ce dimanche de la saison morte. Tant pis. Plutôt que de gravir la côte tortueuse vers la distillerie, nous nous contenterons d’un lunch à bord avec les provisions et petits plats chauds que Twiggy a dénichés au marché près de la plage.
En soirée, nous décidons aller essayer un des nouveaux restaurants bien cotés du Carbet voisin; hélas, après un accostage acrobatique au ponton communal, nous découvrons que la plupart sont fermés. Il faut nous rabattre sur ce qui est plutôt un cabaret offrant une soirée de jazz dynamique mais un peu trop bruyant pour nos appétits - d’autant plus que, le spectacle ayant attiré une foule imprévue, les choix du menu sont réduits à leur plus simple expression: il ne reste pas même d’acras, seulement trois ou quatre plats (plutôt bons), et comble de misère, pas une bière Lorraine à l’horizon.
En nous éloignant du quai après souper, nous constatons que le bruit du concert se propage largement vers le large; ne sachant à quelle heure il va se terminer, nous décidons qu’au lieu de mouiller non loin de ce vacarme, il est probablement plus prudent de redescendre dormir vers les Trois-Îlets ou les Anses d’Arlets. Ce n’est pas un grand sacrifice, car comme nous, Ignace aime bien la navigation de nuit; nous nous installons tous quatre sur le skybridge pour regarder défiler sur notre gauche les lumières des divers bourgs et villages de la Côte Caraïbe, jusqu’à retrouver, vers une heure du matin, notre paisible mouillage de la veille. Seule rencontre imprévue, une belle tortue de mer, sans doute attirée par nos feux de route.
Lundi matin, nous reprenons le cap du retour assez tôt, avec l’idée d’arriver au Marin à temps pour le lunch. Mais une fois devant la grande plage de Sainte-Anne qui jouxte le Club Med des Boucaniers, changement de projet: retenus par le vent doux, le beau soleil et l’eau teintée de turquoise par le fond de sable blanc, on va mettre l’ancre face au village, et Twiggy ira à terre nous chercher de bons repas chez Paille Coco, resto voisin du quai de la Dunette. Mélange d’acras, de beignes de crevettes et de balarous frits, suivis de fort bon poisson grillé et d’une grillade de lambis un peu caoutchouteuse à mon goût. Ce n’est donc qu’en fin d’après-midi que nous retrouvons enfin notre place au ponton H de la Marina du Marin après trois jours d’une expédition un peu inégale, mais quand même satisfaisante.

22 juin 2019

Un téléphone globetrotter

Au moment de quitter Montréal il y a 3 semaines, j'avais mis mon téléphone portable à charger quelques minutes... et l'avais oublié sur le bureau, bien sûr.
J'ai donc demandé à la direction de notre résidence près du Stade olympique de me l'expédier d'urgence en Martinique. Confié aux bons soins de Purolator le 12, il est «rapidement» parvenu à Lachine le 15, à Dorval le 16, à Louisville KY le 17 (où il a été bloqué deux jours par une douane USA légèrement paranoïaque comme «colis suspect»), à Philadelphie le 19, a fait le grand bon transatlantique le 20 -- mais vers Paris, plutôt que les Antilles.
Il est présentement assis en salle d'attente à Roissy/Charles-de-Gaulle, espérant sans doute un souffle favorable des alizés pour lui permettre d'atteindre le Lamentin la semaine prochaine... à moins qu'une onde tropicale importune ne le détourne encore du droit chemin!
Imaginez ce que ce serait si on l'avait expédié par la Poste officielle, qu'on dit tellement moins efficace que les courriers privés!

18 juin 2019

Un pas vers la modernité

Même du cockpit du Bum chromé en Martinique, je vois que le Québec continue d'avancer sur la voie de la modernité.
La loi 21 n'est sans doute pas parfaite (quelle action politique l'est jamais?) mais elle est nécessaire, progressiste et fort équitable. Bien sûr, les ennemis d'une vraie laïcité vont partir en guerre, mais il était difficile de trouver un point d'équilibre correct entre les droits individuels et un acquis précieux, presque unique au monde, de la société québécoise: DANS LA PRATIQUE, celle-ci a fait de la laïcité sa base de fonctionnement quotidien, pacifiquement, consensuellement et sans discrimination formelle après des siècles de soumission à une confession religieuse aux ambitions totalitaires.
Le gouvernement Legault a trouvé une formule raisonnable, sans doute perfectible, alors que tous les régimes précédents ou bien s'y étaient cassé la gueule ou avaient lâchement renoncé. Qu'il ait fallu passer outre à la Charte canadienne est dommage, mais il était clair qu'un régime qui approuvait le niqab ne pouvait comprendre l'absolue nécessité d'assurer que les personnes exerçant l'autorité de l'État ne puissent imposer ostensiblement leur spécificité religieuse à des gens d'une autre croyance soumis à leurs décisions ou à leur influence. La faute en est à l'obscurantisme canadien, non au progressisme québécois.
Je regrette aussi que mes amis musulmans refusent de comprendre qu'en se rangeant dans le mauvais camp pour livrer un combat d'arrière-garde, loin de défendre leurs droits, ils se trompent de cible et se placent tout à fait inutilement dans une situation où la majorité sera tentée, non sans raison, de leur en vouloir -- ce n'est pas eux que la loi vise, mais les excès potentiels de tous les fanatismes religieux, dont ils pourraient très bien être eux-mêmes victimes dans un avenir pas si lointain.
Quant à l'imposition du baillon, le débat sur le sujet se poursuivait librement au moins depuis les audiences de la Commission Bouchard Taylor en 2007, toutes les nuances d'opinion avaient été formulées et répétées à satiété, et les efforts de l'opposition ne servaient plus qu'à aviver des tensions malsaines et tenter de retarder une décision nécessaire sans rien apporter de neuf. Ici encore, on peut le regretter, mais le gros de la faute réside dans le camp qui proteste avec hypocrisie.

17 juin 2019

La vie à bord du Bum chromé...

Une seconde semaine à bord beaucoup plus dynamique. Dimanche soir, un des restos du front de mer offrait un spectacle «live» d’un couple chanteuse-guitariste mélangeant vieux favoris (Piaf, Nicoletta, Dassin) et blues plus récent (Tom Watts), nous avons grimpé sur le skybridge pour y assister à distance.
Lundi, nous avions planifié divers magasinages... oubliant qu'en territoire français «laïque», le lundi de la Pentecôte est férocement férié. Donc, repos forcé.
Mardi, branle-bas de combat à bord, deux techniciens ont débarqué dans la matinée pour rafistoler le système électrique un peu défaillant. Midi venu, Twiggy et moi avons réussi à convaincre Azur de l'attrait gastronomique des «pierrades» de l'Annexe voisine; nous avons sorti le fauteuil roulant (loué à la pharmacie du coin) et sommes allés déguster des aiguillettes de canard et de la cuisse d’agneau grillées sur des pierres chaudes, une (bonne) idée sans doute inspirée de la cuisine coréenne. Ensuite, Azur, qui n’avait quasiment pas voulu bouger du bateau pendant huit jours, a décidé qu’elle en avait assez «d’être enfermée à bord» et le taxi Rodolphe est venu nous prendre sur la marina pour une balade le long de la Côte Atlantique.
Une fois rendus au Vauclin, nous avons pensé qu’il n’y avait pas si loin jusqu’au lotissement près du bourg du François où habite le cousin Daniel. Nous sommes donc allés le surprendre dans sa jolie maison pratiquement rétablie des affres de l’inondation qui, au début de l’année dernière, avait dévasté le jardin fruitier et potager, défoncé le solarium vitré et projeté la voiture vers les rochers du bord de mer.
La cousine Edmée, convalescente d’un AVC récent, dormait, mais Daniel était tout heureux de nous accueillir, il a sitôt sorti le rhum (un bon LaMauny vieux) qu’il garde strictement pour «la visite», ni lui ni sa femme ne consommant d’alcool. Sortant de chez lui, nous nous sommes arrêtés au plus proche grand magasin Carrefour pour effectuer les courses prévues la veille avant de rentrer au Marin dans une heure de pointe somme toute civilisée.
Mercredi, Raymond Marie devait m’emmener avec Twiggy au Nouveau Centre commercial de Ducos où se trouve la seule boutique martiniquaise vendant des produits Apple; au moment de partir, Azur se pointe: «Je vais avec vous»… mais la deux-portes sportive de Raymond est incapable d’accommoder quatre adultes plus un fauteuil roulant. C’est donc encore une fois Rodolphe qui vient nous chercher, disant que «de toute façon, on trouvera bien à manger à Ducos, au Centre commercial». Penses-tu! Y’a que des salades, pizzas et autres hamburgers dignes d’un shopping center USA!
Heureusement nous dénichons in extremis – il est bientôt 15h – un charmant et délicieux poly-asiatique (chinois, thaï, viet et nippon), le Nagoya, dont exceptionnellement toutes les cuisines sont bonnes: nos choix combinent avec bonheur nems, crevettes tempura, pieuvre au sel de mer et boeuf en ragoût d’aubergines.
La météo de la semaine s’annonçant capricieuse, nous reportons à plus tard la sortie en mer envisagée et nous contentons de flâner à bord et sur les pontons voisins jusqu’au week-end. Heureusement, j’ai trouvé à Ducos un chargeur pour mon Apple Watch et un «hub» USB3 pour le MacBook Air dont le manque de connectique me fait rager. De plus, Mme Labelle du LUX Gouverneur me confirme qu’elle m’a expédié (à prix d’or plus) mes iPhones (canadien et français) oubliés sur ma table de travail montréalaise au départ dimanche dernier. En attendant, notre seul moyen de communication est le vieux portable rachitique et pratiquement illisible que nous avons retrouvé au fond de la valise d’Azur, mais sur lequel le répertoire téléphonique est vierge! Ah! La technologie…
Samedi soir, re-spectacle (mélange souk-rock’n roll cette fois) contemplé du haut du skybridge, d’où il nous faut dégringoler en catastrophe quand survient une de ces courtes mais brutales averses typiques de la saison. Nuit bercée par quelques coups de vent et tambourinages de pluie sur le pont de la coque tribord au-dessus de nos têtes.
Hier dimanche, dans l’éclaircie qui survient en fin d’après-midi, nous repartons sur les pontons pour un apéritif suivi de tapas au «Numéro 20», le bar chic et confortable que le copain Bernard du Ti-Toques a installé à l’étage de la nouvelle marina, face à la Capitainerie. Très bon planteur, Campari correct (on finit par «se tanner» du rhum si bon soit-il, hein!) et une superbe assiette de dégustation fort variée: foie gras sur toast, accras de morue, nems, cassolette de fruits de mer, chorizo, tartiflette, samosas, etc. dont nous ne viendrons même pas bout.
Retour à bord paisible dans le début d’une nuit tropicale baignée de clarté lunaire…

09 juin 2019

Le fâcheux vous salue bien...

Moi qui me croyais un type bien, je déchante. Si j'en crois M. Brassens – qui s'y connaît – je suis un fâcheux! Jugez vous mêmes:
«Bien sûr si l'on ne se fonde
Que sur ce qui saute aux yeux
Le vent semble un'brute raffolant de nuire à tout'l'monde
Mais une attention profonde
Prouve que c'est chez LES FÂCHEUX
Qu'il préfère choisir les victim's de ses petits jeux...»
Or, depuis moins d'une semaine que je suis à bord du Bum Chromé, les «petits jeux» m'ont arraché:
- mon chapeau de paille favori
- un mouchoir propre
- deux serviettes de table (dont une en papier)
- un couvercle de boîte de fromage
- une liste d'épicerie même pas complétée.
CQFD.

08 juin 2019

Les Bums chromés sont repartis!

Après de longues hésitations et quelques péripéties médicales, nous nous sommes rembarqués dimanche matin pour un de nos habituels périples triangulaires d'au moins deux mois: Montréal-Le Marin-Montpellier-Montréal.
Aux (toutes) petits heures pluvieuses et frisquettes, un sympathique taxi est venu nous prendre au LUX Gouverneur pour nous déposer à l'aéroport de Dorval à peine le jour levé. Assistance impeccable à l'embarquement: deux préposés nous attendaient avec un fauteuil roulant pour Azur et un coup de main pour les bagages; passage prioritaire à l'enregistrement, puis à la sécurité, et moins d'une heure d'attente pour prendre un confortable vol d'Air Canada jusqu'au Lamentin, où nous avons tout de suite été pris en charge par notre chauffeur préféré, le Marinois Rodolphe Bongo, secondé par l'incontournable Twiggy.
Grand soleil sur le ponton H (après trois jours de pluie, dit-on) où nous attend le vieil ami et homme de confiance Raymond Marie, et un Bum chromé en bon état où Henrietta avait impeccablement rangé nos affaires -- vêtements, toilette, cuisine... Même la télé fonctionne (onze chaînes numériques seulement, mais pour la vie à bord, c'est bien suffisant). Les deux frigos sont assez bien garnis (oups! il manque le citron vert pour le traditionnel ti-punch d'arrivée, mais bof!). Fin de journée au ralenti, souper léger au son de la musique syncopée provenant d'un des restaurants sur la rive voisine. La nuit est chaude, malgré un coup de clim' pour rafraîchir la cabine, et il faut nous réhabituer au double matelas de mousse bien différent du lit d'eau montréalais.
Lundi, Azur se prélasse presque toute la journée au lit sauf pour un apéro, une bouchée de poisson grillé et une douche rapide; elle subit le contre-coup de la fatigue du voyage d'hier. Le skipper Ignace, du Diamant, passe en coup de vent pour enfiler trois rhums vite-fait et nous donner ses disponibilités si nous voulons partir en mer (pas avant une dizaine de jours, sans doute).
Mardi débarque Henrietta avec un complément de vêtements, des produits d'entretien, des nouvelles de nos amis... et quelques conseils qu'Azur avale d'abord de travers avant d'en admettre le bon sens. Au menu, accras, thazard frais et gambas flambées au rhum vieux, avec un rosé corse en cubilitre (vinier) fort agréable. Le nouveau technicien à l'entretien, Raymond, vient résoudre deux ou trois petits problèmes: écoulement défectueux de la douche, ampoule brûlée dans notre cabine, un loquet cassé d'une des écoutilles au plafond du carré.
Mercredi, Twiggy prend le relais, alors que Raymond et le cousin Daniel viennent faire le point sur l'état du bateau et des comptes de banque. En soirée, belle surprise: la copine de longue date Véronique Deschamps (née Balaire), veuve de notre vieux pirate d'ami Jean-Marie, se pointe au coucher du soleil, resplendissante de santé et d'énergie malgré ses 70 ans passés. Elle est revenue de Californie vivre (définitivement?) en Martinique, surtout pour se rapprocher de sa fille Alexandra, qui enseigne ici et a épousé un Martiniquais. Alex a fait une difficile fausse-couche et est de nouveau enceinte, sa maman joue les mère-poule et on la comprend.
C'est enfin jeudi et vendredi qu'Azur renoue vraiment avec le rythme de vie antillais: se coucher tôt et se mettre debout peu après le lever du soleil, pour profiter au maximum de l'air (relativement) frais du matin, puis faire la sieste dans le coup de chaleur de l'après-midi. Le comptoir de la cuisine déborde de fruits frais apportés par tous les copains: bananes naines, mangues bien mûres, un joli melon, des maracudjas odorants...
Nous nous délectons des superbes crêpes au saumon fumé du comptoir de l'Annexe, accompagnées par une copieuse salade niçoise et re-rosé corse, le tout couronné de crèmes glacées rhum-raisin. Et dire que ça va être comme ça pendant un mois (soupir...)!

Le «Russiagate», un complot?

Beaucoup de nos amis progressistes européens -- et quelques Américains marginaux -- ont cru que parce qu'il n'était pas un politicien traditionnel, Donald Trump serait en tant que Président une bonne chose pour son peuple. Hélas, ses actes démontrent le contraire: il demeure à la Maison Blanche le même type menteur, malhonnête et rapace qu'il était comme homme d'affaires, d'autant plus qu'au lieu de conseillers compétents qui pallieraient à ses évidentes lacunes comme gouvernant d'un grand État, il s'entoure principalement de personnages douteux et réactionnaires. Nos amis de gauche ont de la difficulté à l'admettre et sont donc alléchés par l'idée que l'enquête à son sujet n'est qu'un complot destiné à salir un brave homme... alors qu'en réalité, il s'agit d'une guéguerre entre deux bandes rivales plus ou moins tricheuses.
La raison pour laquelle la classe politique américaine est si captivée par le sujet est simple: la nature humaine. Lorsqu'un pickpocket ou un cambrioleur se fait voler à son tour, il est cinq fois plus choqué qu'un honnête homme: «Vous ne pouvez pas me faire ça, c'est moi qui suis censé vous le faire!» Comme les États-Unis ont l'habitude d'intervenir sans vergogne dans la démocratie des autres peuples, ils sont encore plus insultés quand ce sont les Russes haïs qui leur jouent le même tour.
Enfin, même si d'autres acteurs ont pu jouer un rôle mineur dans les manipulations qui ont marqué l'élection de 2016, le Rapport Mueller, en particulier sa description des analyses techniques des opérations frauduleuses sur Internet, démontre clairement que ce sont bien des Russes, aux ordres de leur gouvernement, qui sont les principaux coupables. C'est confirmé indirectement par le fait que Vladimir Poutine a répété à maintes reprises qu'il souhaitait que Hillary Clinton perde ce scrutin.
Je me demande aussi si mes amis européens ne sont pas plutôt contents de laisser ce sujet les distraire des résultats fort décevants pour eux de la récente élection au Parlement européen.

29 mai 2019

Mueller clarifie

Dans son intervention publique au Ministère de la Justice à Washington ce matin, Robert Mueller résume en 10 minutes son rapport, sans la moindre ambiguïté: (a) il confirme l'intrusion russe dans la campagne pour nuire à la candidate démocrate, (b) il rejette une probable complicité de l'équipe Trump dans cette action, (c) il refuse d'innocenter le Président quant à une obstruction à la Justice, enfin (d) il affirme l'intégrité et l'objectivité de son personnel et de son enquête. Deux choses me frappent: 
Un, Mueller contredit directement ceux qui voient le «Russiagate» comme un complot du Deep State de Washington: il met toute sa réputation d'intégrité dans la balance en insistant que son équipe et leur travail ont été scrupuleusement honnêtes, sans influence externe, et qu'il y a indubitablement eu des efforts multiples et illégaux de la Russie pour influencer l'élection contre Hillary Clinton (et donc, forcément, en faveur de Donald Trump). 
Deux, il renvoie la balle au Congrès en disant qu'il lui était impossible de poursuivre le Président pour obstruction à la Justice, mais qu'il ne pouvait non plus le blanchir de cette accusation; donc, le seul recours est politique, sous la forme d'une procédure de destitution.
Pour répondre à la mention de «documents ukrainiens et italiens» selon lesquels la campagne de Mme Clinton aurait infiltré chez Trump des agents pour fabriquer des preuves d'intervention russe, il faut préciser ceci: (1) Ces documents «prétendent montrer», ils ne présentent pas des faits concrets, jusqu'à preuve du contraire. (2) Le mandat de Mueller (donné par des dirigeants républicains pro-Trump du Ministère de la Justice à un enquêteur lui aussi républicain) le limitait à examiner des interventions RUSSES -- toute tentative portant sur des actions internes aurait outrepassé ce mandat et vicié son rapport, lui donnant un biais partisan. (3) Les actions russes ont été si nombreuses, si variées et si bien documentées que tout effort des démocrates pour en ajouter n'aurait pas changé grand chose à la réalité.
Il faut en déduire que la seule façon dont les promoteurs d'un complot du Deep State washingtonien pour fabriquer un Russiagate peuvent faire avancer leur cause est désormais une attaque frontale sur l'intégrité de Robert Mueller.
Enfin, parce que Mueller n'a pas trouvé de preuve formelle de «collusion» de la part de Trump, cela ne veut pas dire qu'il n'a rien trouvé d'important. Au contraire, il a accumulé des preuves nombreuses et solides, consolidées par plusieurs témoins et éléments matériels, d'activités russes pour influencer la campagne, soit secrètes (vol de courriels, fausse représentation de messages de citoyens américains...), soit ouvertes (publicités sur Internet et convocation d'assemblées publiques pro-Trump); il documente aussi clairement au moins onze cas d'obstruction à la Justice par le Président Trump et son équipe qui, normalement, seraient jugés des «crimes». Le rapport comprend plus de 2000 notes factuelles et est accompagné d'une masse de documentation d'appoint à l'appui de tout cela. Impossible de le comparer, comme le voudraient certains critiques, aux preuves limitées et peu documentées de la présence d'armes de destruction massive chez Saddam Hussein en 2003.

10 mai 2019

Pour en finir avec Mueller

Même si l'affaire est loin d'être enterrée comme le souhaiterait le Président Trump, le sujet peut devenir lassant à la longue. J'essaie donc d'y apporter ce qui pour moi est une conclusion (au moins temporaire?) avec ce résumé traduit du Web, qui offre de manière concise une liste des constats les plus significatifs quant à la possibilité de «collusion» entre Trump, son entourage et les Russes:
«Le Rapport Mueller, même censuré, démontre de manière importante que les gens de la campagne Trump ont facilité, encouragé ou ont donné un soutien aux activités d'intervention de la Russie et de Wikileaks dans l'élection de 2016. Le Rapport documente les faits suivants:

1. Trump était réceptif à l'initiative de son conseiller de sécurité nationale (George Papadopoulos) de créer un canal de communication discret (back channel) avec Poutine.
2. Des agents du Kremlin ont fourni à la campagne des prévisions du plan russe pour distribuer des e-mails volés.
3. Le président et le vice-président (Paul Manafort et Rick Gates) de la campagne ont sciemment fourni à un espion russe des résultats de sondage et des informations sur certains États-clés; et le président de campagne a travaillé avec cet espion sur un «plan de paix» pro-russe pour l'Ukraine.
4. Le président de campagne a partagé avec l'espion des données internes avec l'espoir qu'elles seraient transmises à un oligarche proche de Poutine, Oleg Deripaska.
5. Le président de campagne escomptait qu'une victoire de Trump aurait pour effet que Deripaska l'emploierait (Manafort) pour promouvoir les intérêts de l'oligarche aux États-Unis et ailleurs.
6. La rencontre du 9 juin à la Trump Tower: (1) ayant reçu un e-mail offrant de l'information nuisible à Clinton de la part d'un fonctionnaire Russe, Donald Trump Jr. «semble avoir accepté cette offre»; (2) des membres de la campagne avaient parlé de la rencontre à la Trump Tower avant sa tenue; (3) Donald Trump Jr. a dit aux Russes pendant la rencontre que Trump pourrait revoir le Magnitsky Act une fois élu.
7. Un membre de la campagne a déclaré au Procureur Spécial qu'il s'était «senti obligé de contester» un changement à la plate-forme du GOP sur l'Ukraine parce qu'il contredisait les voeux de Trump; cependant, l'enquête n'a pas établi que ce membre (Gordon)  obéissait à un ordre du candidat.
8. Des hackers militaires russses auraient réagi à la déclaration publique de Trump du 27 juillet 2016: «Russie, si vous m'écoutez...» dès les heures suivantes en ciblant le bureau de Clinton pour la première fois.
9. Trump a demandé à son personnel d'obtenir les e-mails de Clinton, à la suite de quoi un individu qui semblait agir en accord avec la campagne s'est vanté d'avoir réussi à contacter des hackers russes.
10. La campagne — et Trump lui-même — paraissait avoir connaissance d'avance des publications de Wikileaks.
11. La campagne coordonnait clairement ses communications publiques en tenant compte des prochaines publications de Wikileaks.
12. Michael Cohen a, au moins jusqu'en juin 2016, négocié pour l'Organisation Trump un projet de Trump Tower à Moscou, impliquant directement l'entourage immédiat de Poutine.
13. Durant la transition à la Présidence, Jared Kushner et Eric Prince ont communiqué en secret avec des agents russes. (1) Kushner a suggéré à l'ambassadeur de Russie d'utiliser un téléphone sécurisé dans son Ambassade pour le faire parler à des généraux russes. (2) Prince et Rick Gerson, un ami de Kushner, ont tenu des réunions discrètes avec un agent de Poutine pour élaborer un plan de relations U.S.A.-Russie.
14. Durant la transition à la Présidence, en accord avec d'autres membres de l'équipe de transition, Michael Flynn a parlé à l'ambassadeur russe pour empêcher une réaction symétrique de la Russie à l'imposition par Obama de sanctions pour l'interférence dans l'élection américaine; Moscou a accepté de ne pas répliquer disant qu'ils souhaitaient établir de bons raports avec la prochaine administration.
15. Pendant 2016, les membres de la Campagne Trump n'ont rapporté aux agences américaines de sécurité aucune des approches des Russes ou de WikiLeaks, ont nié tout contact avec les uns et les autres et ont encouragé activement le public à douter que la Russie soit responsable du «hacking» et de la révélation des e-mails volés. [...]
Une part importante de l'information requise a échappé aux enquêteurs de Mueller pour quatre raisons. D'abord, dit le Rapport, «plusieurs individus affiliés à la campagne Trump ont menti au Bureau d'enquête [...] ces mensonges ont faussé effectivement la recherche sur l'interférence russe dans l'élection». Deux, l'ingérence du Président Trump dans l'enquête semble aussi avoir handicapé celle-ci; un exemple clé en est l'absence de collaboration de Paul Manafort avec le Procureur Spécial parce qu'il avait été incité à croire qu'il obtiendrait un pardon présidentiel de Trump. Trois, certains individus ont utilisé des communications chiffrées ou effacé leurs échanges. Enfin, certains de ceux qui acceptaient en apparence de coopérer avec l'enquête (entre autres Steve Bannon) se sont avérés peu fiables dans leurs déclarations au Procureur Spécial; ainsi certains «oubliaient» les contenus de conversations importantes avec Trump ou d'autres interlocuteurs. Le Rapport précise que «même quand ils témoignaient ou acceptaient d'être interviewés, plusieurs ont fourni une information fausse ou incomplète».» 
(Ryan Goodman, sur le site Web «Just security»)

30 avril 2019

Yves Préfontaine

J'ai attendu plusieurs jours pour en parler. Le deuil peut avoir besoin de silence.
Yves Préfontaine était bien plus qu'un vigoureux poète, un activiste politique, un fanatique du même jazz que j'aime, un érudit à la conversation scintillante; il était pour moi le précieux ami d'enfance avec qui, de la rive de notre village ancestral de Trois-Pistoles, je partais en verchères à rames pour aller sur les Îlets voisins cueillir des bleuets gonflés de soleil et des groseilles pourpres délicieusement sûrettes dont nos mamans faisaient de somptueuses confitures.
Malgré bien des divergences de vie et de carrière, malgré nos cinq ans de différence d'âge, on aurait dit que notre commun prénom nous rapprochait, si bien que nous ne nous sommes jamais longtemps perdus de vue: deux collégiens passionnés de politique lui à Montréal, moi à Québec; actifs à Radio-Canada, lui comme animateur de jazz à la radio, moi comme jeune journaliste; présents dans les milieux littéraires foisonnants de la Révolution tranquille, l'un en poésie, l'autre en théâtre; des deux côtés de la barrière politique, lui comme chef de cabinet de Camille Laurin, moi comme reporter politique à La Presse; dans des champs bien éloignés de la culture, lui anthropologue professeur universitaire, moi chroniqueur et vulgarisateur des technologies de pointe... Même notre passion commune pour la navigation à voile nous faisait faire le grand écart, entre son sloop du côté du Lac Champlain et mon catamaran ancré à la Martinique sur lequel nous nous étions pourtant promis de nous retrouver un jour.
Les deux dernières grandes rencontres, l'une chez lui dans Côte-des-Neiges pour la célébration d'un de ses anniversaires en compagnie du peintre Edmund Alleyn et du poète Paul Chamberland; l'autre près du Stade olympique, à ma dernière pendaison de la crémaillère qu'il a émaillée d'une lecture de poèmes (avec Denise Boucher et Serge Legagneur) sur un fond ciselé par la guitare de Michel Robidoux.
Je ne risque pas d'oublier.

16 avril 2019

Lendemain de la veille

Je regarde sur la télé française les premières images de l'intérieur de Notre-Dame de Paris au lendemain de l'incendie: ça serre le coeur, le sol couvert des débris de la flèche et du toit et la lumière qui descend par les parties effondrées de la voûte. Indubitablement, la reconstruction va demander des fortunes et des années, probablement des décennies.
Un souvenir très clair me revient du jour, il y a une quarantaine d'années, où Azur et moi avions attaqué l'interminable escalier en colimaçon de la Tour sud, éclairé ici et là par d'étroites meurtrières. C'est avec un mélange de fascination, d'oppression claustrophobique, d'essoufflement que nous avons gravi par étapes les quelque 400 marches étroites de pierre usée pour déboucher sur le belvédère qui coiffe la façade principale. Nous avons ensuite emprunté les passerelles qui faisaient le tour d'une partie du toit en pignon, avec une vue fabuleuse d'un côté sur le quartier du Marais et de l'autre sur la Seine, par les interstices entre les incroyables gargouilles, chimères et statues qui coiffent les murs.
Une extraordinaire expérience que, sur le moment, nous nous trouvions un peu fous d'avoir entreprise, mais dont on se dit maintenant que nous n'aurons jamais la chance de la revivre... et bon nombre d'entre vous non plus, hélas!

07 avril 2019

Un trou noir politique?

Même à la retraite, je suis toujours tenté de céder à mes vieux instincts de journaliste politique -- local, national et international. Mais voici que sur les trois plans, je me trouve devant des situations absurdes ou impossibles à débrouiller.
Au Québec, le débat sur la laïcité dégénère en une bordée d'insultes auxquelles je n'ai aucune envie d'en rajouter. Il me semble pourtant que la question est facile à résoudre: les seules passions qu'elle suscite prouvent qu'une législation sur le sujet est indispensable; et malgré toutes mes réserves à l'égard de François Legault et de son gouvernement, la loi qu'ils proposent est de loin ce que nous avons vu de plus raisonnable et de plus clair jusqu'ici, que ce soit de la part des Libéraux ou des Péquistes. Elle n'est pas parfaite, mais elle ne comporte aucune injustice flagrante ni effet à long terme qu'il soit impossible de corriger par la suite; rien n'empêche de l'améliorer à mesure que l'usage en montrera les failles. Les hurlements actuels sont injustifiés, et de longs délais de discussion ne changeront pas grand chose.
À Ottawa, le régime Trudeau confirme toutes les inquiétudes que j'avais à son sujet dès le lendemain de l'élection. Le premier ministre n'a ni l'autorité naturelle, ni le jugement, ni la profondeur de pensée qu'exige notre époque de changements chaotiques dans un pays divers et complexe à la Constitution dysfonctionnelle. Et les Libéraux démontrent tous les défauts des «vieux partis», ce qu'ils sont, sans en montrer les qualités de constance et de modération. Mais l'opposition conservatrice ne promet rien de mieux, et le NPD a poursuivi sa course suicidaire vers l'insignifiance, notamment en choisissant un chef respectable, mais impensable comme Premier ministre pour la majorité des Canadiens et des Québécois.
À l'international, de multiples conflits régionaux au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique ne sont pas plus près d'une solution qu'il y a dix ans, et de nouveaux apparaissent en Amérique latine: Vénézuéla, Brésil...
À Washington, la folle cavalcade de Donald Trump va se poursuivre encore deux ans, les efforts désorganisés des Démocrates étant bien incapables d'en bloquer la plupart des effets désastreux et les Républicains piétinant leurs principes les plus chers pour conserver des miettes d'un pouvoir dont ils ne savent que faire. Un rare signe encourageant: la qualité et la variété étonnantes des multiples candidats qui se pressent à la barrière de la course Démocrate à l'investiture pour la Présidentielle de 2020. L'effet est pour l'instant brouillon, mais il me semble que les électeurs yankees auront pour une fois un choix intéressant face à un adversaire qui n'a aucune bonne raison d'être réélu.
L'Union européenne se trouve confrontée à un Brexit non seulement inévitable, mais horriblement mal préparé, aux effets imprévisibles et catastrophiques pour les Britanniques, bien sûr, mais probablement aussi pour le reste du continent -- sans doute plus qu'on ne le prévoit. Et ce ne sont pas des élections parlementaires européennes sans véritable passion ni enjeu qui vont faire quoi que ce soit pour améliorer la donne. Il y a bien sûr l'inconnue d'une alliance des «vraies» gauches autour du mouvemement DiEM 25 de Yanis Varoufakis qui met un peu de piment, mais elle risque peu d'avoir un impact significatif, d'autant plus que son programme manque clairement d'audace et de promesse de vrai changement. À l'échelle nationale, pas grand chose à attendre de gouvernements soit usés, soit incapables: que seront l'Allemagne post-Merkel, l'Angleterre post-May, la France post-Macron, l'Italie post- Conte/Salvini, l'Espagne sans tête, la Grèce sous tutelle financière, une Europe centrale déboussolée et tentée par le populisme, etc.? Bien fin qui peut se hasarder à leur prédire un avenir quelconque, encore moins un qui soit positif.
Tout ça est bien de nature à me faire baisser les bras. C'est bien le temps que je prenne des vacances à bord du Bum chromé, aussi loin de l'Internet que des télés et des journaux. Pourvu que la santé nous le permette.

27 mars 2019

Une laïcité tricotée serrée à portée planétaire

Le débat de l'Assemblée nationale sur la laïcité est trop souvent traité au Québec (et accessoirement au Canada) comme une question d'intérêt local; dans le reste du monde, il est purement ignoré. En réalité, il faut le voir comme le cas le plus général et le plus universel possible de conflit sur cette question. Et cela, pour plusieurs raisons dont chacune est partagée par plusieurs pays ou régions du monde, mais dont la juxtaposition me semble unique chez nous.
1. Les Québécois sont un des peuples les plus foncièrement laïques au monde. Non seulement parce qu'ils n'ont pas une appartenance majoritaire à une ou l'autre religion ou secte, mais surtout parce que la plupart d'entre eux ne pratiquent aucune d'entre elles. Moins du quart des églises, synagogues, mosquées, temples qui parsèment son territoire sont fréquentés régulièrement.
2. Cette laïcité est non seulement largement répandue, elle est récente et spontanée. Il y a deux générations, la population était fortement catholique et romaine, elle a choisi sans la moindre pression extérieure, sans la moindre propagande idéologique, de ne  plus l'être.
3. Cette évolution ne s'est accompagnée d'aucune persécution des minorités religieuses. Au contraire, en cours de route, l'État québécois, avec l'accord tacite de la population, a permis et même subventionné la création d'écoles juives, arméniennes, musulmanes, en même temps qu'il tolérait la survie d'institutions catholiques et protestantes déjà existantes.
4. La solution proposée par le gouvernement tient compte que les droits des individus s'appliquent aussi bien à ceux qui sont affectés négativement par le port de signes religieux par des personnes en autorité qu'à ces personnes elles-mêmes.
5. Aucun lien explicite ou implicite n'est invoqué entre le problème de la laïcité et celui de l'immigration ou celui de l'emploi. Cela est confirmé par le déroulement vigoureux mais relativement serein d'un débat sur l'opportunité d'admettre des exceptions à la laïcité dans des secteurs sensibles, en particulier l'enseignement primaire et secondaire; en même temps, le faible niveau de chômage rend peu crédible toute tentative d'amalgame malsain entre ces trois questions.
Ces facteurs font que la façon dont se passe et se dénouera la discussion publique sur la laïcité dans notre sphère restreinte devrait avoir, du moins moralement et intellectuellement, des répercussions disproportionnées sur les multiples afrrontement qui se produisent sur le même sujet un peu partout sur la planète. Le Québec n'est pas une exception, il devrait être un exemple.
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Mauvaise foi (dans le sens littéral)
Les gens qui, comme Jagmeet Singh ou Justin Trudeau, affirment qu'"à cause de la loi du Québec", les Droits de la Personne seront en danger font preuve de malhonnêteté ou d'ignorance.
Ce n'est pas la loi qui est en cause, c'est une règle religieuse qui cherche à enfreindre la laïcité de l'État; or, celle-ci est la seule formule qui puisse garantir à tous les citoyens la liberté de culte et de conscience.
Rien dans la loi présentée par la CAQ n'interdit à quiconque de pratiquer la religion qu'il veut. La loi empêche seulement les gens occupant une fonction d'autorité dans l'État d'en profiter pour imposer leur affirmation religieuse à ceux qui sont en situation d'infériorité vis-à-vis eux et qui pourraient être d'une autre croyance.
Il n'y a pas violation des droits d'un individu, mais conflit entre les droits de deux individus. Et il est clair que c'est le droit de l'inférieur qui doit être protégé dans ce cas, non celui du dominant. Même dans l'interprétation la plus étroite possible des Droits de la Personne.

16 mars 2019

Politique et vie privée

Je suis frappé par le degré auquel le débat politique américain est étroitement lié au problème crucial de l'opposition entre confidentialité et transparence posé par la Révolution de l'information numérique. Non seulement les individus (en particulier les personnages publics) mais les institutions vivent désormais dans une «maison de verre» où les données sont aussi susceptibles de dévoilement intempestif que de falsification. Des exemples:
a) Le Russiagate, sur la probabilité de complicité entre la campagne de Donald Trump et le Kremlin, porte principalement sur des échanges d'information stratégique, du piratage de messages confidentiels et des jeux de propagande électorale.
b) Le rôle de l'avocat de Trump, Michael Cohen, a consisté entre autres à dissimuler des faits intimes; les amis du Président au magazine National Enquirer ont acheté les mêmes informations pour ensuite empêcher leur diffusion.
c) Les difficultés d'Hillary Clinton sont nées entièrement de sa négligence à assurer la sécurité de ses courriels.
d) Le FBI et le Ministère de la Justice sont accusés d'avoir révélé des faits découverts (ou fabriqués?) dans le but d'influencer le Congrès et l'électorat.
e) Le camp Trump reproche aux médias traditionnels de manipuler les nouvelles à des fins partisanes («fake news»).
f) Le réseau social Facebook admet avoir vendu les données confidentielles de plus de 50 millions d'utilisateurs à une firme de sondages liée à Steve Bannon, conseiller et organisateur politique du candidat Trump.
g) Trump lui-même est un fervent usager de Twitter, un outil numérique qui lui permet de s'adresser tous les jours au grand public sans passer par le filtre des médias. Il est aussi clairement coupable de fréquents mensonges et distorsions de la réalité des faits.
h) L'affaire Julian Assange/Wikileaks se fonde directement sur des activités de piratage et de dévoilement de données institutionnelles et financières confidentielles, dont des secrets d'État.
De tout cela (et d'autres indices encore), je déduis que tous ceux qui s'intéressent à la politique américaine et à ses effets sur la planète devraient se pencher avec encore plus d'attention sur le conflit vie privée/transparence rendu plus aigu par la Société de l'information.

21 février 2019

Moi et le NYT!!!

Je trouve ça étrange et, pour tout dire, assez inquiétant. Depuis des années, j'avais l'habitude sans doute masochiste d'adresser au New York Times des commentaires critiques sur leurs articles et textes d'opinion que je trouvais intéressants ou erronés. Jusqu'à récemment, mes envois étaient ignorés, rejetés, ou rarement acceptés après un assez long délai. Or, ces dernières semaines, leur comité d'évaluation a publié absolument toutes mes critiques (à peu près une dizaine), souvent quelques secondes à peine après que je les ai envoyées. Je vieillis, ou deviens trop «establishment», ou quoi???
Le dernier commentaire, en passant, était le suivant cet après-midi, sur l'effet du prochain rapport de l'enquêteur spécial Mueller:
«Un fait important à souligner: les actes commis par un haut dignitaire de l'État (élu ou non) sont sujets à des jugements juridiques, politiques ou populaires et les critères pour les uns et les autres sont fort différents. Au Tribunal, il s'agit de juger si un crime a été commis, volontairement ou non. Les deux autres cas sont plus simples: La tribune politique peut punir toute erreur, intentionnelle ou pas. Le verdict populaire est encore plus primaire: «L'acte a-t-il été utile, aux yeux de la majorité?» Donc, le Rapport Mueller aura des effets différents, selon qu'il sera interprété par la Cour, par le Congrès ou par l'opinion publique et les médias. Accusation et condamnation, blâme ou même destitution, ou déroute électorale. Je dirais qu'ici, les trois possibilités sont offertes par ordre croissant de probabilité.»
Version originale: "One major point must be made: actions committed by high-level members of Government (elected or not) can be subject to legal, political or popular judgment, but the criteria for such judgments are quite different. Legal verdicts are based on whether a crime was committed and the intent was to commit one. But the other types of verdicts have no such limitations: political ones can punish any type of mistakes, whether intentional or not, and popular ones have just one criterion, "Was the action useful or not in the eyes of the majority"? This means the Mueller Report can have three very different outcomes, according to where it is interpreted: in the Courts, in Congress, in the arena of the media and public opinion. Indictment and trial, censure or even impeachment, or electoral rout. I would think in this case, they are in increasing order of probability."

15 février 2019

La véritable urgence...

... un dictionnaire de trumplangue?
M. Trump a déclaré: «Je déclare une urgence nationale. Je n'étais pas obligé de le faire maintenant, mais j'avais envie...» Or, d'après le Robert, «urgence: nécessité d'agir vite». J'en conclus que pour comprendre la politique américaine, il faut d'urgence redéfinir le vocabulaire de la trumplangue: 1. Urgence: ce qui n'est pas urgent. 2. Vérité: le résultat d'un mensonge. 3. «fake news»: information objective. 4. Immigration: blocage des frontières, notamment par un Mur. 5. Loyauté: l'art de trahir ceux qui vous sont loyaux. 6. Loi et ordre: règle qui s'applique à tout le monde sauf à soi. 7. Mexicain: Américain, dans l'expression «les Mexicains vont payer pour le Mur» mais aussi: voleur, tueur, violeur dans tout autre contexte, etc...

07 février 2019

Ne nous voilons pas la face

Pas encore cette histoire de «hidjab»? Il n'existe aucune cabriole intellectuelle ou morale qui permet de prétendre qu'une obligation qui s'applique à un sexe et pas à l'autre dans une communauté spécifique est un droit «individuel». Ce n'est qu'une discrimination collective inacceptable; l'État non seulement peut, mais doit l'interdire, à tout le moins dans toute situation où la personne qui y serait soumise est en position d'exercer une autorité ou de servir d'exemple. S'il ne le fait pas, on peut à bon droit l'accuser de favoriser le sexisme institutionnel. Si une femme veut se soumettre à de telles pratiques dans sa vie privée, elle en a le droit -- au même niveau qu'elle peut se soumettre volontairement à des actes sado-masochistes, par exemple, mais pas plus.
L'argument religieux ne tient pas plus dans ce cas que dans celui de l'excision ou de la polygamie, pourtant interdites et condamnées vertement par ceux-là même qui prônent le «respect» du prétendu droit de se faire imposer le voile par un mari, un père ou un frère.
Quant à la clause «grand-père», si elle existe, elle doit être rendue le plus restrictive possible: renouvellement chaque année, avec garantie écrite que la bénéficiaire de cette tolérance l'invoque de sa propre volonté, et n'est soumise à aucune pression à cet égard de la part des mâles de sa famille ou de sa communauté - lesquels seront également signataires de cet engagement. Et tout cas constaté de coercition à cet égard doit être dénoncé et poursuivi devant les tribunaux comme le «crime contre la personne humaine» qu'il est.

28 janvier 2019

Déroute trumpienne

C'est un peu tôt, mais il est tentant, après une semaine chaotique, de faire le point sur l'état de la Présidence américaine. Voici comment j'analyse la situation ce dimanche midi:

a. Indubitablement, Trump s'est effondré. Il a beau prétendre que non, il est clair qu'il a accepté un «deal» qui est nettement moins bon que celui qu'on lui offrait en décembre avant le «shutdown» et qu'il a rejeté (ne l'oublions pas) sous la seule pression d'une minorité d'extrême-droite et contre l'avis de ses alliés parlementaires.
b. La journée de jeudi a montré à quel point ses appuis au Congrès ont commencé à s'effriter. Les votes aussi bien à la Chambre qu'au Sénat ont été bi-partisans, oui, mais à sens unique: pour une ou deux défections chez les Démocrates, il y en a eu trois ou quatre fois plus chez les Républicains... sans compter la valse-hésitation de plusieurs autres, préoccupés de l'effet négatif de leur appui au Président sur leurs chances de réélection en 2020.
c. À l'opposé, la même journée a marqué le triomphe de la stratégie de son adversaire la plus expérimentée et la plus intraitable, Nancy Pelosi. Elle a réussi non seulement à maintenir solidement l'unité de ses troupes, mais même à en dissimuler les inévitables dissensions internes entre conservateurs, modérés et gauchistes du parti. Dans une deuxième bataille, il lui sera d'autant plus facile de faire accepter la poursuite de sa stratégie par la Chambre où elle est majoritaire et de rétablir l'unanimité du bloc Démocrate minoritaire au Sénat.
d. En-dehors du Congrès, M. Trump a clairement perdu l'appui ferme d'une partie de son propre personnel (Maison Blanche, Cabinet) et surtout de sa base de partisans de la droite dure, dont plusieurs des porte-parole l'ont carrément accusé de trahison de leur cause, les autres faisant preuve d'une fidélité de façade qui manque clairement d'enthousiasme et de conviction.
e. Il est illusoire de croire qu'en trois semaines, face à des adversaire ressoudés et sans une sérieuse force de négociation, M. Trump va obtenir un compromis qui sera même minimalement acceptable pour ses partisans les plus acharnés.
f. Les six dernières semaines ont confirmé et renforcé une majorité d'Américains de toutes obédiences dans l'opinion qu'un Mur mexicain n'est pas nécessaire ou, à tout le moins, ne constitue pas une priorité urgente méritant des mesures extrêmes.
g. Il est donc relativement facile pour les Démocrates de proposer une formule qui démontre leur adhésion à la défense des frontières (personnel plus nombreux et mieux équipé, outils technologiques de pointe, règles juridiques) sans offrir un seul sou pour une barrière physique. Et il sera difficile pour les élus Républicains de refuser une telle proposition, et tout aussi difficile pour le Président d'invoquer un pouvoir d'exception lui permettant de financer son Mur sans l'autorisation du Congrès.
h. Les évènements extérieurs à venir (enquête Mueller, témoignages publics des «repentis» du Trumpisme, action des tribunaux, nouvelles révélations) risquent beaucoup plus de nuire à l'image et à la position du Président que de les favoriser.
i. Le fait d'avoir nommé systématiquement dans les tribunaux fédéraux de haut niveau des juges ultra-conservateurs risque de se retourner contre lui: écartelés entre leurs préférences idéologiques et leur soumission maniaque à la lettre de la loi, il est fort possible que ceux-ci optent pour cette dernière, comme la Cour suprême vient de le faire en rejetant son recours dans le cas du DACA.

Dans les circonstance, je doute que nous devions attendre même les trois semaines du délai prévu pour voir comment le vent va tourner.

25 janvier 2019

Davos 2019

Trump, May, Macron, les Saudis, les Chinois et bon nombre de luminaires industriels et financiers ne sont pas absents de la Mecque capitaliste suisse cette année par choix, ou parce que  Davos a perdu sa pertinence. Ils n'y sont pas venus parce qu'ils étaient trop pris chez eux, à tenter de résoudre des problèmes qu'ils ont eux-mêmes provoqués et pour lesquels ils n'ont pas de solutions. Non pas des problèmes majeurs de cette planète «mondialisée» qu'ils prétendent gérer avec compétence à leur propre avantage, mais des problèmes limités à leurs fief nationaux ou régionaux qui démontrent leur impuissance face aux plus terre-à-terre des réalités nouvelles du 21e siècle.
Ce n'est pas Davos qui devient insignifiant, ce sont les gens mêmes qui ont fait Davos. Le vrai message que cela nous transmet en janvier 2019 est qu'il faut cesser de nous fier sur nos «élites» pour mener le monde et nous y mettre nous-mêmes. «Nous-mêmes», c'est-à-dire la masse des citoyens ordinaires de tous les pays. Comment nous y prendre est, à mon avis, une des tâches majeures auxquelles doivent s'atteler les peuples dans le proche avenir... si nous voulons avoir un proche avenir!

21 janvier 2019

Mme Duceppe

Nous sommes très touchés par la mort de la maman de Gilles Duceppe. C'était la femme du comédien Jean Duceppe, j'ai plusieurs fois été invité à manger chez eux quand j'étais jeune célibataire bohème à mon arrivée à Montréal; plus tard, Azur a joué avec lui au TNM. Des gens merveilleux. Dire qu'elle habitait la tour voisine de la nôtre, sans qu'on soit au courant... et mourir de froid dans un appartement de luxe, quelle atroce ironie! (note: en réalité, elle est morte parce qu'elle est sortie dans le jardin derrière la maison en chemise de nuit en plein hiver, sans que personne ne s'en rende compte) Je ne parviens pas à comprendre ce qui s'est passé. C'est sans doute arrivé pendant que nous faisions le pied de grue dans la bibliothèque du rez de chaussée de la résidence LUX, dans la nuit de dimanche: il y avait une panne du chauffage qui a répandu du monoxyde de carbone dans notre immeuble, nous obligeant à le quitter sur l'ordre des pompiers entre 4 et 9 heures du matin!

Trump et le «branding»

Un des défauts majeurs de M. Trump comme président est que, puisque chez lui tout est dans la façade et l'apparence (le «branding»), c'est là tout ce qu'il regarde chez les autres, en particulier chez ceux qui sont soupçonnés d'être hostiles aux États-Unis: Corée, Chine, Russie... Or ce sont des États qui sont passés maîtres dans l'art de déguiser leurs véritables stratégies.
Le cas de la Corée du Nord est typique. Kim Jong Eun fait semblant de respecter ses engagements envers Trump: fin des tests nucléaires –– dont les experts disaient déjà qu'ils avaient été concluants –– et poursuite de négociations (un second sommet au Vietnam), qui jusqu'ici n'ont mené à aucun résultat concret. En parallèle, il ne se gêne pas pour poursuivre presque ouvertement le développement de son programme nucléaire militaire et pour mener une double offensive diplomatique visant à consolider ses positions avec la Chine et à resserrer ses liens avec son voisin sud-coréen, dans tous les cas en directe contradiction avec les intérêts américains.
Mais cela permet à la Maison Blanche de clamer devant sa base conservatrice des «gains» alors que les spécialistes (de droite comme de gauche), qui évaluent surtout ce qui se passe derrière la façade, sont unanimes à estimer que c'est Kim qui gagne à chaque étape de la relation.