12 décembre 2020

Un tournant prometteur... mais inquiétant!

 Les deux manchettes quasi-simultanées d'hier provenant de Washington marquent sûrement un tournant positif dans l'évolution de la situation aux États-Unis, mais... La décision catégorique et un peu surprenante de la Cour suprême de traiter par le mépris la tentative texane d'invalider l'élection de Joe Biden met pratiquement fin à tout risque que Donald Trump parvienne à s'accrocher au pouvoir avec l'appui des tribunaux et de ses appuis minoritaires; c'est d'autant plus vrai que Trump avait bien réussi à «paqueter» à son avantage la majorité des juges, qui se sont tout de même prononcés unanimement contre lui. Deuxièmement, le début imminent de la vaccination d'abord des plus-à-risque puis de la population en général est une étape majeure dans la lutte à la pandémie; il fait miroiter la promesse d'un retour partiel mais bienvenu à la normalité. Cependant, dans les deux cas, il faut constater la présence d'un revers de la médaille qui n'augure pas grand chose de bon pour l'avenir. 

  1. Il est clair que les oppositions à la victoire du «grand-papa» Biden sont loin d'être dissipées. Les Démocrates ont vu fondre leur majorité à la Chambre, et peuvent au mieux espérer une fragile égalité qui les favorise au Sénat. Étant donné les profondes divisions entre «libéraux» et «modérés» dans leurs rangs, Joe Biden devra manoeuvrer longuement et savamment pour faire adopter au Congrès les moindres mesures un peu progressistes – dont certaines sont indispensables et urgentes. Et la minorité Républicaine, notamment en appuyant ouvertement la fantaisiste tentative texane d'inverser le résultat du scrutin, a signalé à quel point elle entend saboter tous ses efforts, même ceux avec lesquels elle serait naturellement en harmonie (après tout, le nouveau Président est aussi centriste qu'une bonne partie des élus de l'opposition!). À cela s'ajoute le facteur de l'âge et de la santé, donc de l'énergie d'un homme de 78 ans dont la performance assez médiocre en campagne a quand même soulevé des questions justifiées. Il devra aussi faire face aux nombreuses rumeurs et accusations, avec ou sans fondement, que ses rivaux déçus font flotter à son sujet et à celui de ses proches et qui ne peuvent que semer le doute dans l'esprit de certains de ses partisans les moins convaincus. Au total, cela signifie que l'habituelle «lune de miel» dont jouissent initialement les nouveaux élus (même Donald Trump, Barack Obama et George W. Bush en avaient bénéficié), si elle se produit, sera courte et entachée d'épisodes acrimonieux. On se demande en particulier comment le Congrès, dont c'est la responsablité directe, va parvenir à adopter dans des délais utiles et à un niveau efficace les coûteuses mesures de financement public qui sont nécessaires à une vraie relance économique et à une relative reprise de l'emploi et de la consommation, qui sont aussi les seules prémisses de réponse à long terme à la violence urbaine et à l'insécurité sociale sur fond de racisme larvé qui ont assombri les derniers 18 mois. 
  2. Dès le départ, plus du tiers des citoyens américains sont réfractaires à l'idée de se faire vacciner, eux et leurs familles. Si l'on tient compte du fait que la campagne ne couvrira probablement pas les immigrants illégaux (qui représentent 3 à 5% de la population), cela veut dire que les nécessaires 2/3 requis pour assurer une «immunité de masse» risquent fort d'être inatteignables, et donc que la pandémie, quoique réduite en virulence, va se poursuivre bien au-delà de la prochaine année, au moins aux États-Unis. De plus, une âpre polémique sur la validité des remèdes et des mesures de protection, marquée d'un côté par une bonne dose de mauvaise foi, de l'autre par des arguments d'autorité à saveur parfois méprisante, va sans doute se poursuivre dans la population et sur les réseaux sociaux, viciant le climat général et faisant obstacle à bon nombre d'initiatives utiles.

Dans les deux cas, les opposants au nouveau régime ne se rendent sans doute pas compte d'une triste probabilité: celle que leurs efforts de résistance inconditionnelle empirent presque certainement la situation et plongent plus profondément l'«empire américain» déjà ébranlé qui leur tient à coeur dans une double crise politique et économique. Le tout dans le seul espoir que cela permettra le retour au pouvoir... d'un parti dont les dirigeants ont dramatiquement démontré qu'ils n'ont ni la clairvoyance, ni l'ouverture d'esprit qui sera indispensable pour corriger la situation.