09 novembre 2012

Radotages politiques...

Il y a longtemps que je n'avais laissé écouler autant de temps sans rafraîchir le blogue. Ce n'est pas qu'il ne se soit rien passé depuis la fin mai, je dirais presque au contraire. C'est plutôt un mélange de paresse, le manque d'images à partager (j'ai presque délaissé la photo ces derniers mois) et l'influence pernicieuse de Facebook, où je retrouve de plus en plus facilement et fréquemment les parents et les amis dans des discussions impromptues bien plus tentantes que l'écriture en solitaire.

Comme plusieurs autres fois, c'est la politique qui m'y ramène, et il va vous falloir un peu de patience pour traverser les presque six mois de radotage qui suivent. 
Parlons de la France d'abord, où nous nous prélassons ces jours-ci. Comme j'aurais dû m'y attendre, les Imprévisibles Gaulois s'avèrent vite insatisfaits de leur nouveau Président, après l'avoir élu sans grand enthousiasme. Que voulez-vous, ils voulaient en réalité un Mélenchon mais, faute d'audace, ils ont choisi un Hollande... et ils regrettent aujourd'hui qu'il ne soit pas le tribun de gauche flamboyant et audacieux qu'ils souhaitaient, dont ils avaient peut-être même besoin, et que ce brave François serait bien incapable d'être même s'il en avait envie. Il fait pourtant ce qu'il peut -- mais il est victime à la fois de son tempérament pépère et des attentes que malgré ses irritants le "style Sarkozy", brouillon mais hyperactif, avaient créées chez ses concitoyens.
En quatre élections sur deux continents ce dernier semestre, nous aurons eu la décourageante démonstration que la  politique est bien "l"art du possible" -- et rien de plus.
Après la présidentielle, nous avons vécu entre Montpellier et Paris les législatives françaises, qui ont simplement confirmé (par-delà un brouhaha médiatique excessif) le retour aux bonnes vieilles habitudes et l'emprise que les notables hexagonaux conservent sur le système. La plupart de ces braves gens se sont fait réélire sans grande difficulté (y compris la quasi-totalité des ministres sarkozyens) et se sont illico remis à se chamailler tant à gauche qu'à droite autant pour leur place dans leurs partis respectifs que pour le maintien de leurs privilèges, notamment  le "cumul des mandats" chez ceux de gauche. Sans la moindre préoccupation autre qu'oratoire pour la crise majeure que vivent leur pays et leur continent. Merdre, dirait le Père Ubu.
Traversant l'Atlantique, nous nous sommes retrouvés plongés dans la campagne électorale québécoise, où comme prévu la population s'est résignée à se débarrasser des Libéraux de Jean Charest pour les remplacer par des Péquistes sans grand attrait, il faut le dire. Résignation est bien le mot qui convient, quand on voit à quel point l'usure du pouvoir, les magouilles éhontées, la gestion atroce du dossier étudiant (qui a provoqué ce qui frôlait le soulèvement populaire) lui donnaient de causes pour expulser violemment et sans appel un régime épuisé et pourri... et à quel point le résultat a été serré et les sortants ont conservé une place privilégiée sur l'échiquier. 
Un peu comme en France, je soupçonne qu'une majorité de Québécois auraient au fond voulu une Françoise David résolument de gauche et qu'ils se sont contentés d'une Pauline Marois timidement social-démocrate... mais plus "respectable" en termes bourgeois. 
Ne me parlez pas du pseudo-libéral François Legault, je prévois (et j'espère de tout coeur) qu'il n 'aura été qu'un épiphénomène à la Mario Dumont. La seule chose valable qu'il ait apportée, c'est que son succès relatif aura confirmé une nouvelle polarisation gauche-droite de l'électorat qui s'était d'abord manifestée par la percée des Néo-démocrates à l'élection fédérale, et qui est légèrement renforcée par la pérennisation de la présence de Québec Solidaire à l'Assemblée nationale. Cette division avait jadis existé aux beaux jours du PQ, mais elle avait été occultée par l'omniprésence du clivage nationaliste et la dérive à droite des successeurs de René Lévesque.
Enfin, j'ai passé la dernière nuit de mardi à mercredi (décalage horaire oblige) rivé dans mon fauteuil à suivre, tantôt sur CNN, tantôt sur les chaînes françaises d'info continue, une élection américaine qui se sera révélée moins imprévisible et moins serrée qu'on ne l'aurait cru ces dernières semaines. Est-ce un moindre mal ou une bonne surprise? Il faudra attendre quelques mois pour être fixés, mais je penche vers la première hypothèse.
Qu'Obama ait été reporté au pouvoir ne peut qu'être un soulagement quand on constate la catastrophe qu'aurait été l'élection d'un Mitt Romney qui, s'il n'est pas le crypto-extrême-droitiste que beaucoup prétendent, est au mieux un ambitieux vaniteux sans autre idéologie que le pouvoir et sans le moindre projet pour sortir les USA de l'ornière... tout en menaçant de mettre maladroitement le feu à une planète éminemment combustible. À tout le moins, seront préservés les acquis du futur régime d'assurance-santé et d'une économie modestement tournée vers la création d'emplois -- ce dont l'Europe aurait immensément avantage à s'inspirer.
Mais pour le reste, que nous réserve le "nouvel Obama" ressuscité mercredi? Le même mélange de bonne volonté et de pusillanimité dont il a fait preuve depuis quatre ans, ou une fermeté dans l'intention que lui permettrait son statut de président non-rééligible? J'ai bien  peur que la combinaison de sa tendance au compromis, de la réélection d'une Chambre d'opposition en bonne partie contrôlée par des sectaires stupides et des pressions d'élus démocrates qui, eux, seront fortement motivés par la pensée de leur éventuelle réélection ne soit trop forte à la longue pour les bonnes intentions qu'il manifeste ces jours-ci.
Un dernier radotage politique, sur la Chine cette fois. Derrière les joutes de personnalités qui sont tout ce que la presse occidentale semble percevoir dans la tenue du 18e Congrès du Parti communiste, je vois deux tendances fortes s'y dessiner. 
La première est une réorientation de l'économie vers la consommation intérieure, qui fait d'autant plus preuve de sens commun que la Chine semble vouloir s'y atteler au moment où (contrairement aux puissances industrielles occidentales) elle en a clairement les moyens sans s'endetter. Si elle le fait, je soupçonne qu'elle deviendra encore plus vite que nous le croyons la première puissance mondiale, cette fois en tant que le plus grand marché de consommation plutôt que (ou en même temps que?) la plus grande machine de production.
La seconde tendance est un mouvement graduel et soigneusement réfléchi -- malgré des apparences un peu cahoteuses -- vers un style de démocratie qui pourrait bien être de plus en plus différent du nôtre. Le principal indice en est un début de lutte contre la corruption qui se ferait en commençant par le bas... ce qui devrait entraîner une modification des institutions dans le même sens. Une évolution qui est non seulement naturelle et prometteuse, mais qui permet au Parti de conserver pour un temps (disons une génération ou un peu plus) une mainmise sur le pouvoir central qui me paraît une nécessité si on veut éviter  de brusques désordres catastrophique pour le pays, le continent... et probablement le reste du monde aussi.
La suite à venir d'ici quelques heures?

20 mai 2012

Soirée d'élections

Nous voulions être à Paris pour y vivre le second tour de l'élection présidentielle ou, comme disait Azur, "pour aider Sarkozy à faire ses valises"! Mission doublement accomplie.
Une fois arrivés de Montpellier à notre hôtel habituel voisin du Trocadéro deux ou trois jours avant le Premier Mai, nous avons passé une bonne partie de la semaine précédant le grand soir à rassurer nos copains de gauche. Ils avaient une peur panique que l'hyperprésident ne sorte au dernier moment un hyperlapin de son chapeau. Je m'efforçais de les convaincre qu'une unanimité dans les sondages telle qu'on la constatait depuis plus d'un mois ne pouvait mentir, surtout que les gens sont beaucoup plus motivés à voter "contre" que "pour".
Or il était flagrant qu'une majorité de Français, et pas seulement socialistes, tenait absolument à se débarrasser de Nicolas Sarkozy. Heureusement d'ailleurs, car son adversaire François Hollande (pardon, M. le Président) ne soulevait pas le moindre enthousiasme même dans le "peuple de gauche", bien plus émoustillé par Jean-Luc Mélenchon du Front du même nom.
En même temps, j'étais distrait de la politique hexagonale par les perturbations que la grève étudiante prolongée et (en fin du compte) férocement réprimée provoquait au Québec. J'en avais des nouvelles pratiquement tous les jours via Facebook par ma soeur Marie, par le vieux copain ex-felquiste Jacques Lanctot et par un nouveau correspondant, Jean Barbe.
Pour la soirée d'élections du 6 mai, nous avions bien parlé d'aller célébrer ça au Fouquet's sur les Champs-Élysées, mais la raison a prévalu et nous nous sommes plutôt rendus, magnum de Laurent-Perrier à la main, à la charmante maisonnette blanche et bleue des Euvrard, blottie dans l'étroit et antique Passage de la Tour de Vanves, qui débouche sur l'Avenue du Maine en face de la très "bobo" rue Daguerre à Montparnasse. Nous y attendaient nos hôtes et leur locataire (iranienne?), auxquels s'est jointe une amie française charmante, mais irréductiblement et presque sectairement de gauche.
Avant même de quitter l'hôtel, je savais que Sarkozy était battu. Quoique la loi ait interdit la publication du résultat avant huit heures du soir, dès 6h05, les blogueurs se faisaient un malin plaisir d'annoncer sur Internet que les préparatifs de la grande manifestation de victoire prévue par la droite sur la Place de la Concorde venaient d'être contremandés. Alors que ceux des socialistes à la Bastille allaient bon train.
"On veut pas savoir!", m'a lancé Janine Euvrard en nous ouvrant la porte vers sept heures... mais à son air jubilant, je voyais bien qu'elle partageait déjà le secret de Polichinelle, claironné une heure plus tard par toutes les télévisions simultanément. Hollande allait gagner par 52% contre 48% -- de fait, ce devait plutôt être 51,6 contre 48,4... mais on n'allait pas gâcher notre plaisir pour quelques dixièmes de point.

Nous avons donc débouché le champagne, accompagné de hors-d'oeuvres grecs (feuilles de vigne, tarama, hummous, pâtisseries au miel, etc.) en écoutant la suite. Les seules surprises étaient le résultat plus serré que prédit, le style excessivement sobre adopté par le nouveau Président et l'élégance imprévue avec laquelle l'ancien a concédé sa défaite, offrant assez chaleureusement ses voeux de succès à son successeur et lançant un appel (que lui-même avait rendu nécessaire et qui risque hélas peu d'être entendu) à la réconciliation nationale.
Les télés rivalisaient de belles images de la liesse populaire autour du monument de La Bastille, couronnées par cette phrase magnifiquement spontanée d'un des jeunes fêtards: "Regardez, ici y'a des Blancs, des Noirs, des Beurs. Tout ce qu'y faut, quoi!" Quelle plus belle description de la France "métissée" défendue par la gauche contre les assauts conjugués de la droite et de l'extrême-droite?
Dans les studios, déjà, les commentateurs se répandaient en conjectures sur le nom du futur Premier Ministre, la composition du Cabinet, la garde-robe de la nouvelle Première Dame et les premiers gestes du Nouvel Éu. Et surtout sur l'éventuel résultat des élections législatives qui auront lieu dans six semaines.
Vers minuit, en ayant eu assez de ces supputations et ayant épuisé notre propre réservoir de commentaires et pronostics, nous sommes rentrés bien sagement rue Saint-Didier.
Bizarre bizarre, dans le bourgeois XVIe arrondissement, personne ne fêtait!

02 mai 2012

Un brin de muguet

Hier matin en me levant je suis allé au coin de la rue chercher pour Azur le traditionnel brin de muguet du Premier mai -- le comptoir de fleuriste improvisé était d'ailleurs la seule boutique ouverte dans ce Paris de la Fête du Travail où nous sommes arrivés depuis dimanche soir.
Il faisait un temps splendide, assez doux pour avoir envie de manger en terrasse… à condition de trouver une place dans un des rares restos ouverts. Nous sommes donc partis en bus assez tôt vers le début du boulevard Saint-Germain, en face de l'Institut du Monde arabe.
Malheureusement, un de nos marocains favoris, l'Atlas, était fermé. Mais ça nous permis de faire, juste de l'autre côté de la rue, une heureuse découverte qui s'ajoutera sans doute à notre "short list" de bonnes bouffes parigotes. Chez René est un troquet à l'ancienne, lambrissé de bois sombre couvert d'affiches vieillottes, avec même le panneau menant à la cave qui s'ouvre dans le flanc du bar-comptoir.
Évidemment, la terrasse était déjà prise d'assaut, mais le garçon nous a installés en-dedans à une bonne table d'où nous pouvions voir le boulevard où devait passer le défilé. Un bel os à moëlle pour moi, des asperges blanches toutes fraîches un peu croquantes sous leur sauce hollandaise pour Azur, puis un boeuf bourguignon onctueux, un confit de canard fondant sous une montagne de frites maison et un Grigny premier cru à prix très doux nous ont amplement consolés du couscous.

Constatant que nos voisins de table, un couple d'âge mûr, lorgnaient vers nos assiettes, nous avons vite lié conversation. Dorothy et Joe sont des californiens, lui d'origine irlandaise, elle espagnole, qui vivent à Oakland, face à San Francisco. C'est leur dernier jour à Paris, et ils ont voulu en profiter pour suivre un moment le défilé du Premier Mai (Joe est permanent syndical) qui doit passer devant nous pour aller se terminer à la Bastille.
Au moment du café et du dessert (fromages et doux monbazillac pour Dorothy et moi), nous déménageons sur la terrasse qui s'est enfin dégagée et où nous serons aux premières loges pour voir la "parade". Échange de cartes et d'adresses courriel, discussion sur la politique d'ici et là-bas -- nous sommes essentiellement d'accord aussi bien sur la relative déception qu'Obama a constituée pour les Américains de gauche que sur la quasi-certitude de la défaite de Sarkozy dimanche prochain.

Juste en face, une grande banderolle marque le stand d'un groupe de manifestants tunisiens -- un sympathique rappel que c'est grâce à eux qu'a pris naissance (ou du moins une vigueur nouvelle et remarquable) le mouvement des "indignés" et des occupations partout à travers le monde.
Comme nous terminons les digestifs, les premiers rangs du défilé apparaissent, surmontés d'un énorme ballon rouge barré du mot "solidaires". La foule est sans doute un peu plus homogène que d'habitude, car (courtoisie de M. Sarkozy et de Mme Le Pen), deux autres évènements rassemblent la droite (au Champ de Mars) et l'extrême-droite (à l'Opéra).

Ils sont quand même des dizaines de milliers, de tous les âges et de toutes les appartenances syndicales et partisanes de gauche, à s'avancer en rangs plus ou moins serrés sur toute la largeur du boulevard, dans une atmosphère qui tient autant de la kermesse que de la manif politique.

Dorothy et Joe nous quittent pour se joindre un moment aux marcheurs, tandis que nous trouvons refuge un peu plus loin dans un café où la plupart de nos voisins plus ou moins âgés arborent de rouges cocardes de la CGT, de la CFDT et du Parti de Gauche de Mélenchon. 
Mon téléphone sonne: ce sont Janine et Michel Euvrard qui viennent aux nouvelles; eux sont allés accompagner le début de la manif non loin de chez eux, Place Denfert-Rochereau.
Somme toute, une belle journée qui augure bien de ce bref séjour parisien.

14 avril 2012

Côté Jardin

D'une pierre deux coups. Nous avions promis qu'aussitôt le décalage horaire résorbé, nous irions bouffer chez nos copains Yveline et Mistouf Mathias, fanas de poisson frais et de recettes inventives -- et passionnés de politique. Comme nous devions aussi renouer avec les amis Chantefort, nos irremplaçables voisins du 4e, nous avons décidé de combiner les deux.
Samedi dernier, nous sommes donc descendus d'un étage prendre l'apéro -- et quelques tapas, André étant non seulement un aficionado des corridas, mais un ibérophile convaincu -- avant de nous pointer du côté du Stade Philippidès. Les Mathias ont pris en charge depuis quelques mois le Jardin de Saint-Jaumes, salle à dîner d'une résidence de retraites de luxe, installée dans une superbe maison bourgeoise au milieu d'un parc le long de l'avenue de ce nom.

Un décor modernisé, bien différent de leur ancien resto chouchou l'Arboisie, face à la gare, mais la même cuisine irréprochable à prix doux. Azur a pris la soupe de poissons de roche, j'ai accompagné les Chantefort dans l'entrée signature de Mistouf, la "brandade de morue en habit rouge" (qui lui avait mérité une toque dans le Gault et Millau à l'époque). Ont suivi des poissons grillés juste à point, daurade et loup, et une ultra-légère poêlée d'encornets arrosés d'un de ces super rosés que produit la région. Pour terminer avec les fabuleux desserts d'Yveline -- nous lui avons apporté du sirop d'érable, j'ai hâte de voir ce qu'elle va concocter avec ça!
Sitôt que Mistouf a pu se libérer de la cuisine, ils sont venus s'attabler... et parler politique. Comme la plupart des Français de gauche, nos copains sont fascinés par l'"électron libre" Jean-Luc Mélenchon, mais en même temps ils restent traumatisés par le Syndrôme Jospin: en 2002, le candidat socialiste avait été éliminé au premier tour de la présidentielle par l'extrême-droitiste Le Pen (au profit ultimement de Jacques Chirac). Ils ont peur que la fille de ce dernier fasse subir le même sort à François Hollande cette fois-ci.
À mon avis, ils n'ont rien à craindre, l'ex de Ségolène Royal étant solidement installé dans le duo de tête... et les électeurs ayant clairement l'intention de se débarrasser à tout prix de leur hyper-président Sarkozy. Mais ça ne les empêche pas de s'inquiéter et de lorgner vers un "vote utile" qui est loin de les passionner.
J'ai remis à tout le monde des exemplaires imprimés et reliés maison de mon "Refaire le monde", mais en me doutant bien qu'ils n'y mettront pas le nez avant la mi-mai. En période électorale, nos amis ici (surtout les intellectuels) ont l'oeil braqué sur l'intérieur de l'Hexagone, et une forte tendance à oublier que le reste du monde existe. Pourquoi, semblent-ils penser, est-ce que je m'obstine à me pencher sur des trucs aussi secondaires que les indignados, le Printemps arabe et Occupy Wall Street, alors que Sarkozy a un tout petit point d'avance sur Hollande dans l'avant-dernier sondage? Sans compter que la campagne est d'un ennui indicible, et totalement divorcée de la réalité. Bah, il faut bien les prendre comme ils sont.
Je vais quand même envoyer des manuscrits imprimés à Janine Euvrard, qui promet de les faire circuler chez des éditeurs parisiens susceptibles de s'y intéresser -- tout en sachant que je nage à contre-courant, à court terme du moins. J'aurai peut-être plus de chance en Espagne, où je dois aller ces jours-ci rencontrer un traducteur éventuel du côté de Barcelone.
Retour sur le voyage Montréal-Montpellier, fin mars. Nous avons dérogé à notre habitude de terminer le trajet en TGV, choisissant plutôt de tout faire en avion. Mauvais plan. D'abord, le vol Dorval-Paris est arrivé en retard, ce qui nous a obligés à galoper des kilomètres à travers l'aéroport Charles-de-Gaulle pour attraper notre correspondance vers Montpellier. Une fois rendus, nous avons découvert qu'une de nos valises avait été oubliée à Paris, nous ne l'avons finalement récupérée qu'en fin de soirée. La prochaine fois, on reprend le train! À Montpellier, les travaux de construction de la Nouvelle Mairie et du tramway sont enfin terminés... mais nous nous retrouvons en pleine ville, alors que lorsque nous avons emménagé, il y a cinq ans, nous étions au beau milieu d'un champ parsemé de chardons et de coquelicots et bordé de massifs de lauriers-roses.
Et voilà que juste à nos pieds passe une nouvelle rue (Germaine Tillion) au milieu de laquelle circulent des trams à l'habillage doré, archi-élégant, signé Christian Lacroix.De l'autre côté, la masse bleu-noir de la Mairie, bordée d'une résidence dernier cri dont le parterre abrite une garderie.
Nous avons passé deux bonnes demi-journées à circuler sur les nouvelles lignes du tram, descendant jusqu'à l'Étang de l'Or et découvrant des quartiers que nous ignorions (Arceaux, Gambetta...) et un bistrot que nous ajoutons illico à notre courte liste de favoris.
Le Bouchon Saint-Roch, au bord de la Vieille Ville, est une sorte de super-boui-boui où l'on s'installe dans un bric-à brac à l'ancienne, au coude-à-coude le long de tables communautaires, pour déguster de copieuses assiettes de cuisine traditionnelle. Os à moëlle et escargots en entrée, puis foie de veau poêlé et magret grillé "sur la peau" et enfin crème brûlée directement à la table. Et un joli pot de faugères, pour un peu plus de 50 euros en tout.
Ce matin, je paresse devant mon panorama de toits de tuiles oranges entrecoupés de masses vert-noir de pins, de cèdres et de cyprès sous un ciel parfaitement bleu, en écoutant Cesaria Evora. Et je repense à la première fois que nous l'avions vue, au milieu des années '90 à Montréal. Nous nous promenions au milieu de la sympathique cohue du festival de Jazz quand, d'un kiosque ouvert à l'angle de Président Kennedy et Jeanne-Mance, nous est arrivée cette extraordinaire voix, profonde et veloutée, accompagnée d'une simple guitare. Nous sommes restés là, figés de ravissement, jusqu'â la fin de son trop court spectacle gratuit. Puis nous sommes allés parler une minute ou deux à Cesaria, difficilement: son français d'alors était plutôt rudimentaire.
Nous étions à Paris en novembre dernier quand elle a brusquement mis fin à sa carrière. Et nous venions d'arriver aux Antilles en décembre quand nous avons appris son décès. Étrange comme une personne que nous n'avons rencontrée qu'une seule fois vient à nous manquer comme si elle avait été une vieille copine.

23 mars 2012

Montréal voit rouge...

Juste comme nous nous préparons à une de nos migrations saisonnières -- vers Montpellier cette fois -- les évènements se précipitent après le calme d'un simulacre d'hiver montréalais (ni froid ni neige dont il vaille la peine de parler) qui se termine dans une véritable canicule. Hier soir, malgré un temps maussade et des averses, je pouvais confortablement lire allongé sur mon balcon jusque vers les 9 heures! Il faisait encore 20 degrés et plus.

Nous avions passé l'après-midi au centre-ville, englobés presque par accident mais non sans plaisir dans la manifestation monstre des étudiants contre la hausse des frais de scolarité. Il fallait avant midi nous rendre au Consulat français enregistrer nos procurations pour l'élection présidentielle du mois prochain. Une fois cela fait, nous avons décidé de rester manger dans le coin et avons déniché un excellent japonais, le Takara, dans le cours Mont-Royal (somptueux bento avec tempura et teriyaki pour Azur, riches sushis "Ran" pour moi).
À la sortie par la rue Peel, comme je m'y attendais un peu, nous sommes tombés au beau milieu de la tête de la manif, entourés de centaines de jeunes à la fois décidés et rigolards, tout costumés et peinturlurés de rouge vif. Nous avons réussi à nous frayer un chemin jusqu'au trottoir opposé -- en trichant, nous suivions une jeune femme qui poussait son bébé dans un landau à travers la foule comme un brise-glaces à travers la banquise!
Manquant de jus pour marcher avec les contestataires plutôt festifs, nous avons planifié de nous attabler chez Alexandre, la terrasse voisine plutôt "gauche caviar" du vieux-de-la-vieille Alain Creton, quand tout près de l'entrée une crinière rousse nous tombe dessus et se précipite dans les bras d'Azur. C'est ma nièce Geneviève, qui a son bureau juste en face et dont les bientôt 40 ans n'ont pas entamé la fougue de sa période estudiantine.
Alain, encore tout mince, en chemise rose, veille au grain en personne sur son trottoir; il nous trouve immédiatement une table juste en retrait de la rue, mais avec vue imprenable sur ce qui s'y passe. La nièce, qui n'a pas mangé, se commande une salade, nous des digestifs et nous nous installons pour voir la suite des choses.
Vers 13h40, le défilé se met véritablement en branle sous nos yeux. Nous avons un moment d'inquiétude, une douzaine de voitures bondées de flics sont stationnées un peu plus haut dans la rue; mais elles sont là seulement pour escorter les manifestants et leur ouvrir le chemin d'un parcours balisé d'avance à travers le coeur de la ville. De fait, tout se passera le plus paisiblement du monde, un exploit pour une marche d'environ 200 000 jeunes à travers un quartier d'affaires et de commerces en pleine heure de pointe!
Ils défilent devant nous par groupes et grappes, en rangs assez serrés une dizaine de front, sans interruption ni ralentissement pendant plus d'une heure trente. Ça fait du monde... et du beau monde: malgré les slogans agressifs scandés ou affichés, l'atmosphère est plutôt à la fête. Costumes fantaisistes, mannequins géants à la binette des cibles politiques, lancement et renvoi de ballons rouges, pancartes imaginatives, danses impromptues, échange de lazzis avec les badauds plutôt sympathiques sur les trottoirs...
Geneviève sort son téléphone et mitraille la rue de photos qu'elle transmet illico à ses copains par Facebook. Je n'ai pas pris d'appareil (j'aurais dû), mais je capte quand même quelques images avec l'iPad... jusqu'à ce que je décide de le transformer en pancarte.
J'écris sur l'écran, en gros caractères, un slogan improvisé, "Charest a voulu vous mettre dans la rue, VOUS Y ETES!", qu'Azur et moi brandissons à tour de rôle (dur pour nos vieux bras) vers les manifestants, dont bon nombre rigolent en levant le pouce... et nous prennent en photo à leur tour!
Il est bientôt 16h quand, après le passage des flics casqués à cheval qui ferment la marche, nous trouvons un taxi qui nous ramène tant bien que mal à domicile à travers les embarras de circulation et les rues barrées.
En soirée, la télé ne tarit pas d'images et de commentaires, étonnamment positifs, sur la manif. Le premier ministre Charest a beau réaffirmer sa détermination d'imposer une assez forte augmentation des frais de scolarité -- à mon avis, si les étudiants tiennent leur bout et gagnent l'appui de la population, ce qui est vraisemblable après ce coup d'éclat, il finira par reculer. Difficile de justifier une mesure qui frappe les jeunes en pleine période de ralentissement et de faiblesse des perspectives d'emploi pour eux. Pour leur faire payer nos conneries à nous?
Azur fait avec raison le parallèle avec les mouvements contestataires à travers le monde -- c'est la version québécoise des "indignados". On objecte que la grogne porte sur un sujet pointu et ne touche qu'un milieu, mais la même chose était vraie au départ partout ailleurs. La force des nouveaux mouvements populaires, c'est justement qu'ils ne partent pas d'une idéologie abstraite, mais de griefs spécifiques sur la base desquels se fait le rassemblement initial, qui peut (et doit) déboucher sur une vraie politisation élargie. Pas de doute que c'est rassurant et même réconfortant de voir cette génération qu'on disait amorphe et individualiste se réveiller et manifester une impressionnante, quoique brouillonne, solidarité! Le seul précédent comparable, à mon souvenir, est la dernière grande protestation à laquelle nous avions pris part contre la guerre (alors imminente) en Irak, en février 2003.
Le pont avec mon pamphlet "Refaire le monde" se fait tout naturellement, d'autant que le premier message que j'ai trouvé en rentrant à la maison est un commentaire élogieux et une offre d'aide pour trouver un éditeur de la part du vieux copain marxisant Jean Antonin Billard, qui fut à la belle époque l'inséparable de l'intellectuel "alternatif" par excellence, Patrick Straram.
Il y a deux semaines, nous avons passé une délicieuse demi-journée avec ma soeur Marie et Jean, en bonne partie à discuter du contenu de mon opuscule (le reste étant consacré, on s'en sera douté, à déguster un homard et autres crustacés). Sur le fond, nous étions en grande partie d'accord, mais eux avaient sur l'organisation du texte et l'importance relative des thèmes des remarques fort judicieuses. Elles m'ont incité à une relecture critique, qui a résulté en plusieurs changements: déplacement de quelques éléments, ajout de précisions et élimination de redites...
C'était d'autant plus utile que j'étais en train de terminer la version anglaise et que Paolo Sapio, le photographe de Barcelone qui m'a généreusement fourni la photo de page couverture, me dit qu'il a un copain intéressé à traduire le pamphlet en espagnol. Il est d'ailleurs question que nous allions les rencontrer bientôt du côté des Ramblas -- nous ne nous connaissons jusqu'ici que par Internet.
Mardi, j'ai abandonné Azur à son sort et j'ai pris le bus tout le long d'une rue Sherbrooke chaude et ensoleillée pour rencontrer à la SSJB le vieux copain ex-felquiste et toujours passionnément indépendantiste Gérard Pelletier. Il nage dans le bonheur, devenu adjoint au président de la Société Saint-Jean-Baptiste, organisme québécois pur laine s'il en est. "Hé, je suis enfin payé pour faire ce que j'aime et en quoi je crois! Qui dit mieux?"
Nous sommes allés bouffer au Buona Notte sur Saint-Laurent tout près: calamars tendres et goûteux, délicieuses pâtes au ragoût de canard. Longue discussion sur le nationalisme, le racisme -- c'était le lendemain du massacre des écoliers juifs à Toulouse -- et les mouvements de protestation à travers le monde. Et l'écologie: si les choses ne changent pas, craint-il, il n'y aura même plus d'espèce humaine dans deux générations.
Il est toujours fidèle à sa croyance dans les grands complots capitalistes pour dominer le monde, mais un peu moins catégorique que jadis, notamment sur le rôle des banquiers juifs... Il serait même plutôt d'accord avec mon hypothèse sur la fin prochaine de la mainmise de la haute bourgeoisie sur les leviers du pouvoir, pour cause d'incompétence et de cupidité stupide. J'ai promis de lui envoyer un exemplaire électronique de "Refaire le monde".
Après un passage obligé chez notre comptable pour lui laisser les derniers rapports bancaires (c'est déjà la saison des impôts ici), je me suis retrouvé au Café Cherrier où j'avais rendez-vous avec Piazza le ventriloque verbomoteur [;-)] . Impossible d'avoir une table en terrasse, elles étaient prises d'assaut. Dommage, car le défilé des mini-jupes et hot-pants sur Saint-Denis valait le coup d'oeil, surtout que le printemps officiel était encore pour demain.
François est dans une forme étonnante pour ses 80 ans ou presque. Après une petite demi-heure de tête-à-tête, nous sommes rejoints amicalement mais bruyamment par l'ex-confrère retraité de La Presse Daniel Marsolais, qui était en train de se quereller au bar (quoi de neuf?) avec un type en saharienne et chapeau de paille jaune vif.
Piazza et lui étaient présidents de leurs syndicats respectifs pendant la dure grève conjointe de sept mois de La Presse et de Montréal-Matin en 77-78. Pas souvent d'accord sur la marche à suivre, mais avec le temps, les différends s'estompent et les souvenirs communs tissent des liens. Comme j'étais aussi membre de l'équipe de négociation -- sous le doux surnom de "cendrier", je fumais comme trois cheminées -- , ça nous faisait un sacré lot de mémoires à partager, parfois dramatiques mais tout aussi souvent comiques: nous avons passé je ne sais plus combien de semaines cloîtrés dans un motel du centre-ouest, le Ramada Inn; nous y occupions les interminables temps morts des pourparlers avec les patrons à des jeux pas toujours innocents, qui se terminaient plus souvent qu'autrement en libations tardives à La Cour, rue Saint-Denis.
Marsolais, qui ressemble maintenant à l'ancien pape du "séparatisme" Pierre Bourgault, nous rappelle avec délectation le slogan favori de Piazza à l'époque, "On va sortir la winchestère!" et nous décrit le climat récent à "la Grosse Presse", particulièrement déprimant depuis un dernier conflit remporté haut la main par la direction. "Moi qui pensais que je ne voudrais jamais prendre ma retraite, conclut-il, j'étais soulagé quand c'est arrivé."
Au moment de nous quitter, comme ça se produit toujours au Cherrier, nous tombons sur de vieilles connaissances: l'ancien metteur en scène et directeur du TNM, Jean-Luc Bastien, puis un autre survivant de la grande époque, un fréquenteur passionné des discothèques dont j'oublie le nom.
La semaine dernière, autre rencontre aussi émouvante mais beaucoup plus dramatique. Kada Hechad, l'ami algérien que j'avais connu à Dakar au milieu des années 1980 puis revu à Alger avant qu'il vienne s'installer à Montréal trois ou quatre ans plus tard, est atteint d'un cancer diagnostiqué en retard. Il ne sait pas combien de temps il lui reste, mais son moral est d'acier et son point de vue aussi optimiste qu'il lui est possible. Je passe trois heures chez lui à boire du thé, échanger des souvenirs et discuter politique et philosophie, d'abord en présence de sa fille Myriam, puis avec sa femme Fadila, d'un extraordinaire courage elle aussi. Il trouve le tour de s'émerveiller de la qualité des soins qu'il reçoit et encore plus des manifestations de sympathie et d'entr'aide de ses collègues de travail et étudiants au collège, et des multiples amis qu'il s'est faits ici. Reviendrai-je à Montréal à temps pour le revoir?
Quelques jours plus tôt, nous avions été reçus à dîner par un autre couple d'expatriés, les Français Didier et Claudine, que nous avions connus jadis à l'ADFE (regroupement des Français de gauche vivant au Québec) et que nous venons de retrouver habitant la même rėsidence que nous. Avec au tour de la table un autre voisin hexagonal, le Breton Gaston, sa femme Marcelle, soeur de mon ex-confrère de SPEC-La Presse Rudel-Tessier, et notre vis-à-vis de palier suisse, Michel, la conversation a tôt fait de virer à la politique et, évidemment, à l'élection française du mois prochain.
Le consensus semble être que les électeurs ne veulent plus de Sarkozy et sont prêts à tout pour s'en débarrasser. Dieu merci, car il n'est pas facile de s'enthousiasmer pour son probable rival, François Hollande. Le candidat socialiste est d'une morne respectabilité, ses idées d'une trop prévisible social-démocratie, bien plus centre que gauche.
S'il n'y avait le tribun Jean-Luc Mélenchon du Parti de Gauche pour y mettre un peu de vie et brasser la cage euro-libérale dans laquelle les deux grands partis se sont enfermés, cette campagne serait d'un inexorable ennui. Personne ne voit Mélenchon en Président de la République, mais tant qu'il ne risque pas d'être présent au second tour du scrutin, la tentation de voter pour lui au premier tour est forte -- et je ne dis pas que je n'y céderai pas.
Mon frère Antoine avait organisé une belle fête de famille, en partie à notre intention, chez sa copine Lucie à Québec en février. Hélas, un petit problème de santé d'Azur nous a empêchés de nous y rendre -- dommage, car nous n'avons pas eu d'autre occasion de revoir "le frérot" avant son départ pour une grande croisière en Extrême-Orient tout ce mois ci. Il s'embarquait sur un navire de Costa (de tragique et récente mémoire), ce qui lui a bien sûr valu de notre part -- et d'autres aussi sans doute -- de malicieux conseils de prudence. Mais aux dernières nouvelles, tout se passait pour le mieux, sans naufrage, incendie ni panne de toilettes! Notre suggestion d'emporter avec lui un pot de chambre n'aura servi à rien...
Pour bien finir, une vue panoramique (j'espère que vous pourrez l'agrandir plein écran) de la ville, prise de notre balcon avec mon nouvel appareil Sony alpha-77, qui combine à une excellente qualité d'image une ribambelle d'innovations techniques plus ou moins gadgets que je viens de commencer à explorer. Un viseur électronique d'une extraordinaire précision et luminosité, d'abord, mais aussi un écran arrière capable de se contorsionner dans une fabuleuse variété de positions, une capacité vidéo haute-définition digne d'un vrai caméscope, enfin ce talent pour prendre et assembler à la volée des images panoramiques jusqu'à 180 degrés... et en 3D si vous avez le téléviseur ad hoc pour les afficher!
De quoi m'amuser les prochains jours à Montpellier...