27 juin 2023

La Fin de Fukuyama et le dernier intello?

Curieux comme l’Histoire s’est vite débrouillée pour ressusciter du tombeau où un politologue américain de droite s’était hâté de l’enterrer dans un livre alors célèbre (The End of History and the Last Man, Free Press 1992) et aujourd’hui oublié – pour ne pas dire balayé sous le tapis par ceux-là mêmes qui l’encensaient. 

Sa thèse, rappelons-le, était simple et rassurante pour les élites en place: que suite à l’effondrement de l’empire soviétique et au triomphe du libéralisme capitaliste, l’humanité était sur le point d’atteindre un plateau final et stationnaire de son évolution socioculturelle, marqué par l’élimination des conflits politiques (et militaires) et l’acceptation universelle d’un régime politique contrôlé par la  bourgeoisie; il ne nous restait donc qu’à vérifier les cours de la bourse et à nous affaler devant la télé pour suivre les matches de football et les romans-savons. C’était une inteprétation excessive et résolument antimarxiste d’une théorie développée par les élèves et successeurs de Hegel, que le philosophe allemand n’avait (heureusement) jamais formulée en des termes aussi catégoriques.

Ce ne sont pas vraiment les évènements et les péripéties des trois dernières décennies qui l’ont fait dérailler: guerres sauvages sur trois continents incluant l’Europe, crises financières mondiales et révoltes populaires presque partout ont simplement démontré de façon spectaculaire à quel point les deux bases sur lesquelles son raisonnement s’appuyait, néolibéralisme et démocratie représentative, étaient branlantes et imparfaites, et combien trois phénomènes dont ces bases mêmes étaient responsables ne pouvaient que contredire ses prédictions: 

a) les dommages causés à la planète et à ses populations par la déréglementation d’un capitalisme infiniment avide de profits, soutenu par une élite politique qui y trouvait tout avantage aux dépens des citoyens,

b) les progrès scientifiques et technologiques qui ont propulsé notre monde de l’ère industrielle dans une société de l’information qui pose des défis inédits et impose une nouvelle poussée de l’évolution, 

c) une mondialisation à l’avantage des nantis qui provoque des affrontements entre régions du monde et classes sociales et, en conséquence, multiplie des flux migratoires qui forcément bouleversent le paysage sociopolitique.

Si bien que la génération qui devait confirmer sagement la Fin de l’Histoire a été au moins aussi historiquement tumultueuse, et souvent d’une manière moins prévisible, que la plupart de celles qui l’avaient précédée depuis le Siècle des Lumières.

Bye-bye, Fukuyama, bonjour le chaos.