17 décembre 2014

PKP ou pas?

L'arrivée en trombe du fils Péladeau sur la scène politique m'oblige à confronter plusieurs préjugés (et quelques certitudes) que j'avais, aussi bien que des doutes et des questionnements qui traînaient dans le fond de mon cerveau sans que j'en sois toujours conscient. Je les répartis ci-dessous en cinq têtes de chapitre relativement distinctes mais qui s'entrecroisent par moments. 
a) La «classe politique» et ses «Messies»: je demeure convaincu que faire confiance aux membres de la grande bourgeoisie rétrograde pour mener un pays moderne est une grave erreur. Qu'ils se nomment Marois, Legault, Couillard... ou même David ou Péladeau. Surtout, il faut se débarrasser de la dangereuse illusion que nous n'avons qu'à attendre que s'élèvent dans cette caste sociale privilégiée un ou des «sauveurs» magnanimes capables de faire le bien du peuple malgré lui et contre leurs propres intérêts personnels. 
Par contre, il est évident qu'une cause profondément passionnelle comme la souveraineté québécoise a aujourd'hui besoin d'un porte-drapeau charismatique à haute visibilité pour la relancer, pour galvaniser les énergies de ses partisans (souvent découragés par les échecs et les atermoiements de leaders précédents) et pour élargir le bassin des «croyants» jusqu'à en faire une majorité. Depuis l'échec de Lucien Bouchard, le camp souverainiste est en manque d'un tel personnage. PKP est-il à la hauteur du rôle? Il en a certainement la prestance, la conviction apparente, le statut de vedette incontestable du monde médiatique autant que de celui des affaires. Il a l'avantage supplémentaire de la jeunesse et de la nouveauté, alors que les autres «ténors de l'indépendance» sont tous d'une génération (ou même deux) plus âgés – ou alors d'une platitude et d'un manque d'entregent et de sex-appeal qui les disqualifient d'entrée. Enfin, sa fortune et sa célébrité déjà acquises semblent l'absoudre de l'accusation d'ambition personnelle qui entache la plupart de ses prédécesseurs (à l'exception probablement de Jacques Parizeau) et plusieurs de ses actuels rivaux, notamment Jean-François Lisée. Péladeau ne va pas faire la souveraineté à lui seul, mais il incarne certainement la meilleure chance, et de loin, de la remettre à l'ordre du jour; pour le reste, elle ne se réalisera que si une masse populaire en ressent de nouveau le besoin viscéral et la ressaisit à bras-le-corps comme nous l'avions fait dans les années 1970 puis au début des années 1990.
b) Les «héritiers» de la célébrité. J'ai toujours eu une énorme réticence à donner tout le crédit qu'ils semblaient mériter aux enfants de personnages archi-connus qui ont plus ou moins surfé sur la célébrité de leurs parents... ou sur l'héritage qu'ils en ont reçu. Pour un étonnant John F. Kennedy, il y a eu tant de Nelson Rockefeller, de George W. Bush, de Jean Sarkozy... Pour un Claude Brasseur, un tas d'Emmanuelle Béart, de Jane et Peter Fonda, de Liza Minelli, de Joe Dassin... Je ne dis pas qu'ils sont tous sans valeur, mais que si papa ou maman n'avait pas été là...
Dans le cas présent, je m'interroge. Pierre Karl n'est pas Pierre, même s'il a suivi ses traces... jusqu'à une rupture qui m'impressionne un peu et qui le décale nettement de son père, qui n'a jamais eu cette audace: celle d'abdiquer son rassurant bureau d'homme d'affaires pour une incertaine tribune politique. En même temps, il y a une continuité familiale dans la passion souverainiste, dans un paradoxal dévouement à la chose publique (mécénat, etc.), et probablement dans une perception instinctive et aiguë des occasions à saisir.
c) Gouvernants amateurs ou professionnels du Gouvernement: je continue à croire qu'on ne s'improvise pas chef ou même sous-chef d'une administration gouvernementale complexe comme l'est celle du Québec... et que trop d'exemples passés, même récents, ont démontré qu'une expérience dans le monde des affaires ne compense pas, au contraire: elle risque de provoquer de dangereuses erreurs de perspective.
Là où je suis tenté d'accorder à Péladeau le bénéfice du doute, c'est qu'il n'est pas venu dans l'arène avec la prétention de donner des leçons de gouvernement, mais en affirmant simplement sa volonté de défendre l'idée politique du pays; même dans le tohu-bohu d'une campagne électorale mal engagée, il n'a jamais cédé à la tentation de s'afficher — une posture qui est presque toujours conservatrice — comme «bon gestionnaire». Dans cet état d'esprit, s'il arrive au pouvoir, il pourrait être prêt à s'entourer de gens ayant plus que lui la connaissance et l'expérience de la chose publique et le sens du bien commun.
d) Grands principes et réalités pratiques: on va certainement reprocher au nouveau-venu son appartenance au milieu des affaires et le soupçonner d'avoir plutôt des idées de droite. Le danger est sans doute réel, et il est certain qu'à l'intérieur du PQ il faudra que l'«aile gauche», s'il en est toujours une, exerce une certaine vigilance au niveau des «grands principes». Il faut aussi composer avec la profonde pénurie d'idées politiques qui règne non seulement au Québec et au Canada, mais dans l'ensemble des pays «avancés». En revanche, il faut admettre que dans la mouvance progressiste des partisans de l'indépendance, il n'existe pas le début du soupçon de l'émergence d'une vedette populaire capable de faire avancer «la Cause»; si on rejette pour des raisons idéologiques la réelle opportunité qu'offre PKP, on se condamne presque sûrement à quelques décennies supplémentaires de frustrations... et de regrets.
e) À quoi sert l'indépendance: depuis au moins cinquante ans, le débat existe entre trois grands courants de pensée quant à la meilleure raison qu'il y a de faire du Québec un pays. (1) Le courant culturel: c'est celui du «Québec Français» et de l'unilinguisme officiel, de la Loi 101, de l'affichage, des écoles, de l'intégration des immigrants à la majorité, de la lutte au multiculturalisme, à la limite de l'anglophobie et de la priorité au «pur-laine». (2) Le courant politique: descendant du «Rendez-moi mon butin» de Duplessis et du «Maîtres chez nous» de Jean Lesage, c'est celui de la séparation politique d'avec le Canada, de «toutes nos lois et tous nos impôts», avec parfois une connotation bourgeoise plutôt conservatrice héritée des recrues créditistes et unionistes (qui ont quand même permis l'élection du Parti québécois en 1976), avec parfois une pensée plus progressiste insistant sur la nécessité de couper les ponts avec le Canada de plus en plus néolib et simili-américain de Stephen Harper, tendance qui s'est exprimée notamment dans le triomphe surprise du NPD québécois au dernier scrutin fédéral. (3) Le courant social, porté notamment par les enseignants, les syndiqués, les artistes et les intellectuels de gauche, qui voit l'indépendance comme la voie préférentielle vers l'édification d'une société plus progressiste et plus égalitaire.
Il est frappant que depuis son entrée dans l'arène, PKP s'est soigneusement abstenu de pencher dans l'un ou l'autre sens – particulièrement dans le second, celui qui aurait pu lui paraître le plus naturel. Ignorance, sagesse ou calcul? À mon avis, cela importe assez peu. D'une part, parce que le pays qui émergerait d'une victoire du camp indépendantiste ne serait pas forcément ni même probablement celui qu'imagine Pierre Karl Péladeau. Ce serait bien plus celui du compromis inévitable et nécessaire entre les diverses factions souverainistes, et plus loin encore, celui que voudrait l'ensemble de la population. D'autre part et surtout, insister pour mener un tel débat avant d'avoir réalisé la souveraineté, c'est clairement mettre la charrue devant les boeufs, diviser les forces et pratiquement garantir que l'indépendance ne se fera jamais. C'est ce qui me pousse à dire, malgré toutes les sympathies que je puis avoir pour une des trois thèses, «Mettons d'abord toutes nos énergies dans l'indépendance du Québec, sinon nous n'aurons jamais l'occasion de débattre utilement et de vraiment décider quelle sorte de pays nous en ferons».
C'est pour toutes ces raisons que, nonobstant toutes mes réserves et ce que j'ai écrit là-dessus il y a quelques mois, je pense que tous les Québécois qui croient à la souveraineté, peu importe pour quelles raisons, n'ont pas d'autre choix que de jouer la seule carte gagnante que le destin leur met en main, celle d'un appui massif à Pierre Karl Péladeau. Ensuite, on verra toujours.

13 décembre 2014

Merci, Monsieur Couillard

Je vais sûrement en faire sursauter plusieurs, mais en y réfléchissant objectivement, nous allons devoir bien des remerciements au Premier ministre Couillard et à sa brillante équipe.
a) Ils nous offrent une très pédagogique manifestation de ce qu'est vraiment la démocratie représentative. Parmi les principes fondateurs de ce système que les générations précédentes de politiciens avaient hypocritement dissimulés, l'actuel Cabinet libéral ne se cache pas pour pratiquer au grand jour les deux suivants: le droit des politiciens de gouverner comme ils le veulent une fois élus en se fichant bien des opinions et des volontés du peuple; le fait (précédemment affirmé au Fédéral dans un jugement de Tribunal en faveur de Brian Mulroney) qu'un gouvernement n'a aucune obligation légale de respecter ses promesses électorales ni son programme officiel. Ils illustrent aussi deux autres caractéristiques intrinsèques à la classe politique qui est une composante inévitable du système: la certitude que possèdent ses membres qu'ils connaîssent tout mieux que les citoyens ordinaires et même que les experts dans les différents domaines sur lesquels ils ont la mainmise; le degré auquel ils sont profondément inféodés aux milieux financiers dont ils partagent les idées et les intérêts.
b) S'il en était encore besoin, et bien mieux que ne l'avaient fait leurs plus timides prédécesseurs libéraux sous Jean Charest et surtout les plus «sociaux» péquistes de Pauline Marois, ils sont en train de réaliser une preuve supplémentaire que l'austérité à toute bringue (qu'on la qualifie ou non de «rigueur») n'est pas une solution à la crise: les coupes-sombres tous azimuts ne font rien pour réduire le taux de chômage, ni pour mettre fin à la stagnation de l'économie, ni même pour ranimer la confiance du milieu des affaires – à l'exception évidemment de la haute finance, qui en profite pour engranger des profits qu'elle ira prudemment investir ailleurs.
c) Ils font par l'absurde la démonstration que le peuple québécois tient toujours à son modèle semi-centenaire d'État-providence modeste mais bien implanté. Il est significatif que chacune de leurs attaques frontales contre les institutions et les pratiques existantes a soulevé l'opposition unanime et populaire des acteurs des secteurs concernés: santé, éducation, sciences, régions, monde municipal, organismes solidaires et coopératifs, parents de jeunes enfants, etc.
d) S'il persiste encore un peu, M. Couillard aura déclenché (contre lui-même, c'est vrai, mais ça c'est son problème, pas le nôtre) un magnifique mouvement de ressoudage d'une solidarité politique, sociale et culturelle québécoise que les deux dernières décennies avaient mise à mal, malgré le remarquable sursaut des «carrés rouges» et des casseroles de 2012.
Le hic, bien sûr, c'est qu'après son départ il faudra payer cher pour recoller les multiples pots cassés qu'il aura laissés derrière lui. Mais rien n'est jamais vraiment gratuit dans la vie, et comme dit le Renard au Corbeau, «cette leçon vaut bien un fromage sans doute»...