15 juin 2020

Une Surprise multiple

La décision par 6 voix contre 3 de la Cour suprême des États-Unis en faveur des droits des homosexuels et des transsexuels me semble avoir une signification encore plus grande que son statut de «référence historique» sur l'orientation sexuelle.
1. Cela montre que la stratégie de Trump de nommer des juges strictement conservateurs n'est pas infaillible. Une fois en fonction, les membres du plus haut Tribunal peuvent affirmer une indépendance garantie par leur mandat à vie ... et dans ce cas, au moins deux d'entre eux l'ont fait, mettant leur conscience et leur science juridique au-dessus de l'idéologie et de la partisanerie.
2. C'est une autre fissure dans le rempart défensif impitoyablement construit du Président contre toute opposition, après celle exposée chez les hauts gradés militaires, et un présage possible d'une faille semblable et encore plus dévastatrice au Congrès, en particulier au Sénat républicain.
3. Le fait qu'elle va à l'encontre de l'opposition exprimée par à peu près toutes les hiérarchies religieuses (catholique, protestante, juive, musulmane) du pays est une affirmation inattendue de l'indépendance laïque de l'État et du système judiciaire contre les pressions sectaires.
4. Cette tendance juridique pourrait bien s'étendre à d'autres domaines, tels que les droits raciaux, les questions de citoyenneté et d'immigration, la nature fondamentale des droits à la santé et au soutien social, non seulement pour les personnes défavorisées mais pour tous les citoyens.
5. Sur la scène mondiale, cela marque un revers imprévu dans le récent encouragement massif du pouvoir américain aux mouvements de droite racistes et sexistes ultra-conservateurs, en particulier en Europe et en Amérique latine.

10 juin 2020

Démos et Élites

Une correspondante du forum freeDiEM25 sur Facebook a articulé récemment une remise en question radicale (dans le meilleur sens du terme) de ce qu'est le mouvement DiEM25 (et la gauche), ce qu'ils devraient être et ce qu'ils sont devenus en fait. Les réactions de certains membres du groupe m'encouragent à développer un thème apparenté – celui de la relation entre Démos et élites.
Bien sûr, tout mouvement progressiste, en particulier au 21e siècle, doit prendre racine dans la base populaire - et la plupart de ceux qui ont eu au moins un certain impact dans la dernière décennie ont satisfait à cette condition, qu'il s'agisse des Printemps arabes tunisien et égyptien, des Indignés espagnols, des Américains d'Occupy Wall Street, des Carrés Rouges du Québec, des Français de Nuits Debout puis des Gilets Jaunes...
Mais il faut admettre qu'ils ont presque tous fini par bafouiller et s'effacer sans obtenir de résultats pratiques, sauf parfois sur des revendications locales spécifiques. Nous devons nous demander pourquoi et ce qui peut être fait à ce sujet.
Ma propre explication, que j'avoue sujette à débat, est que ces succès limités ont deux causes principales: l’absence d’un cadre idéologique solide offrant de l’espoir et des réponses positives cohérentes (pour prolonger des protestations essentiellement négatives et critiques), et l’absence de structure durable pour coordonner l'action et regrouper les sujets de plainte restreints en demandes plus larges répondant à des besoins plus généraux.
Dans les deux cas, un facteur commun semble avoir été la faiblesse ou l'inexistence d'un lien organique et consensuel entre les peuples et les élites intellectuelles. Il est évident que le progrès social doit être basé sur les besoins et les problèmes de la masse des gens. Mais quelqu'un, à un moment donné, doit intervenir pour les articuler en un programme clair, attrayant et convaincant, orienté vers une action efficace, et quelqu'un (d'autre, probablement) doit concevoir les moyens de diffuser ce programme et de le concrétiser. Et ce sont là des tâches qui nécessitent à la fois un talent et une expertise que l'on ne peut pas espérer voir apparaître par lui-même dans la masse contestataire.
Hélas, l'expérience passée de la gauche n'est pas d'une grande utilité ici: ses élites ont été conçues et développées dans un contexte très différent, le 19e et le début du 20e siècle, où une majorité écrasante du peuple se composait de travailleurs illettrés, mal payés ou de paysans misérables; de plus, une grande partie de l'action progressiste devait se faire clandestinement, hors de la vue de gouvernements tyranniques. La nécessité d'une direction compacte instruite et bien entraînée («l'avant-garde du prolétariat») pour dicter des slogans et des actions directes était donc très logique, ce qui n'est plus le cas dans la plupart des pays «avancés».
D'un autre côté, le besoin d'expertise demeure (et a probablement même augmenté dans notre société beaucoup plus technique), mais il doit être dissocié de celui des commandements autoritaires, car les peuples dans leur ensemble sont beaucoup mieux éduqués, mieux informés, et aussi beaucoup plus hétérogènes que lors des siècles passés. Cela suggère un besoin nouveau et urgent de compenser l'orientation positive «de bas en haut» des gauches au 21e siècle par la constitution d'un lien efficace entre les Démos et les différentes «élites» de spécialistes qui peuvent, dans un esprit coopératif et égalitaire, montrer la voie vers les meilleures idées, les meilleures techniques de propagande et de publicité, les meilleurs modes d'action pour atteindre des objectifs sociaux pertinents au profit de tous.

04 juin 2020

COVID-19 et voyages

Un phénomène risque d'affecter la vie sociétale, dû à la pandémie de COVID-19: la brusque et profonde rupture dans les voyages internationaux, en particulier dans les airs et sur les mers. Déjà, les menaces terroristes des deux dernières décennies avaient compliqué les choses à cet égard, imposant de dérangeantes et coûteuses mesures de sécurité dans les aéroports et les gares, à bord des avions de ligne; la piraterie en haute mer et l'insécurité à terre forçaient les compagnies de croisière à éviter certains itinéraires, à annuler un nombre croissant d'escales populaires en Afrique, en Asie, en Amérique latine. Mais cela n'était rien comparé à la paralysie quasi totale de la circulation aérienne et au maintien à quai de la flotte de plus en plus imposante des navires de passagers de toutes tailles depuis la fin mars 2020.
Même avec une reprise timide des transports aériens, la réduction drastique du trafic passager pousse les grandes lignes internationales au bord de la faillite, obligeant les gouvernements à les inonder de secours d'urgence, quand ce n'est pas à envisager leur nationalisation. Au moins jusqu'à ce qu'un vaccin efficace et économique soit développé, testé et produit en grandes quantités, les mesures de distanciation sociale nécessitées par la contagion extrême réduisent la capacité d'accueil des appareils et le confort des trajets, même là où la clientèle retrouve le goût du voyage, ce qui est encore loin d'être évident. Pendant ce temps, les croisières commencent à peine à envisager un retour à ce qui ne sera peut-être jamais une véritable normale, dû aux conditions de proximité forcée qu'impose l'aménagement courant des paquebots. Certains pays, comme le Canada, ont même complètement interdit les activités de croisière pour le reste de l'année 2020.
L'effet n'est pas que strictement économique. Bien sûr, le manque à gagner est sérieux, mais on ne peut pas négliger l'élimination presque complète, et pour une durée inconnue, des effets sociaux et culturels du tourisme et des vacances à l'étranger qui, pour un nombre croissant de citoyens ordinaires des pays riches et des classes aisées des moins riches, devenait une pratique courante. Il en découlait des échanges multipliés et parfois libérateurs à travers les cultures, les langues, les moeurs des habitants de la planète, résultant souvent en des réseaux durables d'amitiés à travers les frontières et les océans (Azur et moi pouvons en témoigner, ayant plusieurs fois eu ce plaisir qui, dans quelques cas, dure encore). Sans compter les effets plus directement financiers d'un tourisme d'affaires devenu florissant.
Même une fois la contagion maîtrisée et les remèdes rendus disponibles à la pandémie en cours, combien faudra-t-il de temps pour retrouver la mobilité insouciante qui est indispensable à la reprise de ce mouvement de populations?