29 janvier 2024

Belle journée, beaux amis

Escapade quasi magique hier avec mon complice Claude Normand (époux de ma vieille et chère amie disparue Sonia del Rio) chez le peintre Jacques Léveillé et sa Marilyn, à l’Estérel derrière Ste-Adèle. Ils ont une magnifique maison de campagne dont la salle à dîner offre une triple vue sur un jardin actuellement bien enneigé en bordure de lac, au bout d’une petite rue perdue, dans un esprit voisin de la propriété de ma soeur Marie et de Jean dans le Bas-du-Fleuve, mais plus forestier que villageois. 

Tout le rez-de-chaussée est décoré des oeuvres que Jacques peint avec une patience de bénédictin dans son atelier au sous-sol. «Enfant d’après le Refus global», comme il se définit lui-même, il a opté pour une sorte de retour aux sources classiques: un réalisme lumineux et original teinté de surnaturel, quelque part entre Vermeer de Delft et Alex Colville, réalisé à partir d’une réflexion approfondie et une série d’études préliminaires, avec des huiles spéciales et par une accumulation de couches minces et de glacis qui peuvent prendre des éternités à sécher, si bien qu’il complète moins d’une dizaine de grandes toiles par an; il rétablit son équilibre mental en «barbouillant» (dit-il) des abstractions plus petites et plus spontanées. Son parti-pris du représentatif rigoureux ne l’empêche pas d’avoir une connaissance encyclopédique et une admiration explicite pour les grands peintres de l’ère moderne et contemporaine, depuis les impressionnistes jusqu’aux automatistes abstraits.

À nous quatre sont venu s’ajouter trois voisins intelligents, férus de culture et de voyage, ce qui a donné lieu à des échanges vifs et enrichissants depuis l’apéritif au champagne jusqu’au digestif (une douce grappa Cleopatra de Poli que j’avais apportée), en passant par des rillettes (concoctées par l’ami Claude), un velouté de légumes, un fondant boeuf bourguignon, des fromages et fruits sec et des  gâteaux aux fruits et à l’orange, le tout bien arrosé, notamment d’un étonnamment bien mûri hautes-côtes de  Beaune 2002 que j’avais ramené de la cave de l’appartement de Montpellier.

La conversation vagabondait agréablement, parfois brillamment, de la politique et de l’évolution sociale et technologique aux expéditions à l’étranger, aux beaux-arts, à la musique, au théâtre, à la danse. Avec pour pimenter l’ensemble d’assez fréquents souvenirs de jeunesse surtout fournis par Claude et moi… et flatteusement bien accueillis par les plus jeunes. J’ai notamment «pris le crachoir» un bon moment pour leur narrer l’extraordinaire pendaison de la crémaillère qu’Azur et moi avions tenue il y a 12 ans (déjà!) au dernier étage du LUX Gouverneur, avec guitare, chansons et récital de poésie par leurs auteurs!

Arrivés à l’Estérel vers midi, nous n’en sommes repartis qu’à la nuit bien tombée pour rentrer à Montréal, comblés aussi bien physiquement qu’intellectuellement. Quel plaisir d’avoir de nouveaux et bons amis!

17 janvier 2024

Un «Cygne noir» perturbant la politique américaine?

 Une pandémie globale. Une émeute au Capitole. Une star de la télé-réalité à la Maison Blanche. Ces dernières années, on a vu l'impensable devenir réel. On pensait qu'on avait une bonne compréhension de l’avenir, en politique et au-delà, puis quelque chose de gigantesque et d’imprévu a changé la donne. Donc, il faut peut-être déployer un peu plus d'imagination avant de supposer qu’on sait ce qui va se passer en 2024. Il semble certainement que nous nous dirigeons vers un match revanche de Donald Trump contre Joe Biden et une élection déplorable. Mais l'histoire récente nous apprend que quelque chose d'inattendu pourrait être au tournant de la rue. Le magazine Politico a demandé à un éventail de futuristes et de technologues, d'historiens, de politologues, d'analystes et d'autres prognosticateurs avertis: quel pourrait être le «cygne noir» événementiel qui perturbe la campagne de 2024?

Ian Bremmer, président-fondateur de Eurasia Group et de Gzero Media: une élection perturbée jugée inéquitable, dans la foulée de l’insurrection du 6/1/2021.

Mathew Burrows, du Stimson Center: un conflit ouvert avec la Chine, suite à l'élection spectaculaire d’un président nationaliste à Taiwan et à une déclaration d’indépendance.

Julia Azari, professeure de science politique à l'Université Marquette: une manifestation violente faisant des morts au cours d’une assemblée publique de Donald Trump.

Alec Ross, auteur et cadre du Secrétariat d'État sous Obama: un ouragan spectaculairement destructeur qui se déchaîne dans le pays peu de temps avant l'élection.

Avi Loeb, chef du projet Galileo, ex-président du département d'astronomie de Harvard: la découverte ou révélation d’un objet technologique provenant de l'espace interstellaire.

Charlie Sykes, rédacteur en chef et hôte du podcast Balwark: un virus numérique mondial paralysant les satellites et le système bancaire, vaporisant des milliards de dollars.

Bill McKibben, environnementaliste et auteur: un sursaut du réchauffement climatique causant incendies, inondations, tempêtes, sécheresses, vagues de chaleur meurtrière.

Bill Scher, journaliste à Politico, au Washington Monthly et à «The DMZ»: un coup d’État mettant fin au régime de Poutine et affectant les équations politiques à travers le monde.

Robert L. Tsai, professeur de droit à l'Université de Boston: une décision impopulaire de la Cour suprême relançant violemment le débat sur le droit à l’avortement.

Jeff Greenfield, analyste et auteur de télévision: Maladie, blessure grave, attentat à la vie d’un des deux candidats qui auront un âge combiné de 160 ans le jour du scrutin.

Joshua Zeitz, écrivain contribuant au magazine Politico: le désordre mondial croissant (Ukraine, Moyen-Orient) provoquant un conflit armé aux répercussions mondiales.

Reynaldo Anderson, professeur d'études afro-américaines à l'Université Temple: L’ordre mondial perturbé par l’Afrique accédant au statut de pouvoir politique international.

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Pour ceux qui veulent en savoir plus, voir le site de Politico à: < https://www.politico.com/news/magazine/2024/01/05/unpredictable-events-2024-election-turmoil-experts-00133873>

12 janvier 2024

Les vrais dangers de l’IA

 Un débat bien mal engagé: Le réveil soudain du monde politique au potentiel perturbateur de l’intelligence artificielle sur la société et l’économie est aussi peu compréhensible au citoyen moyen (peu et mal informé) qu’engagé sur un ensemble de fausses pistes qui, au lieu de résoudre le problème qu’on veut traiter, risquent de le rendre encore plus aigu et inextricable.

La méconnaissance de la vraie nature du sujet et l’impardonnable retard du monde politique à y faire face sont la cause de trois fautes cruciales de perspective qui affectent l’ensemble du débat et empêchent de discuter et de percevoir les voies réelles de solution.

Le facteur temps: en premier lieu, la capacité bien réelle de rupture qu’injecte l’intelligence artificielle dans le fonctionnement de la société et de l’économie, en particulier dans les pays les plus industrialisés, n’est pas une réalité nouvelle et soudaine. C’est la suite logique d’un processus de recherche et de développement qui, avec des succès et des échecs divers qui n’ont rien d’exceptionnel, fait son bonhomme de chemin depuis au moins 40 ans sans que les autorités politiques et scientifiques aient fait l’effort même pas de le baliser,  mais d’en reconnaître l’existence et les conséquences possibles. Il s’ensuit que l’idée qu’on pourrait changer rapidement et facilement le cours de cette évolution au moyen de quelques mesures à court terme et à courte portée est d’une flagrante absurdité.

L’IA dans son contexte: deuxièmement, beaucoup des reproches qu’on fait aux découvertes récentes dans ce domaine ne sont pas le fait de l’intelligence artificielle en soi, mais de ses interactions avec au moins trois autres secteurs de haute technologie bien distincts: les télécommunications sans fil, les réseaux numériques et la miniaturisation des circuits. Le premier est la cause principale du chaos créé dans les pays dits «avancés» par une pression migratoire exacerbée depuis les régions plus pauvres de la planète: télévision par satellite et réseaux sociaux n’ont pas accentué le monstrueux décalage de richesse et de confort de vie entre les premiers et les seconds, mais sont clairement responsables de la dramatique prise de conscience de ce décalage dans les populations défavorisées. Le deuxième ne fait que démontrer à quel point la mainmise du privé sur une nouvelle catégorie de médias, d’une part sans des mécanismes indispensables de sécurisation des informations véhiculées et d’autre part sans la moindre existence d’un code efficace imposant véracité et équité, a mis à mal aussi bien la sécurité que le droit à la vie privée des citoyens face au double phénomène des usurpations (criminelles) d’identité et des accumulations (injustes mais légales) de données confidentielles à des fins commerciales et publicitaires. Le troisième a permis la production et la diffusion à travers la planète, à des coûts sans cesse plus réduits, des supports et des appareils mobiles ou non qui multipliaient et facilitaient l’expansion des deux autres ordres de phénomènes. Que l’intelligence artificielle renforce et accentue ces tendances est évident, mais elle n’en est pas la cause première.

Le pour et le contre: la troisième erreur dans l’orientation du débat est que ce dernier ne met l’accent que sur les aspects négatifs les plus apparents des effets de l’intelligence artificielle, sans le moindre effort pour faire la part des choses entre les dangers réels qu’elle comporte et les avantages tout aussi réels qu’elle introduit dans nos vies. Deux exemples évidents: les progrès de la reconnaissance vocale et de la traduction automatique sont un pas important dans l’amélioration des relations directes entre gens et peuples de cultures et de langues différentes; les avancées spectaculaires dans la maîtrise des sons et des images de synthèse ouvrent des champs nouveaux et passionnants pour les artistes, en même temps que les sites et applications de diffusion (gratuits ou peu coûteux) facilitent de manière spectaculaire l’accès pour tous à la culture, en particulier aux oeuvres d’artistes marginaux et audacieux non plus seulement des grands centres traditionnels, mais de toutes les régions de la planète.