27 mars 2019

Une laïcité tricotée serrée à portée planétaire

Le débat de l'Assemblée nationale sur la laïcité est trop souvent traité au Québec (et accessoirement au Canada) comme une question d'intérêt local; dans le reste du monde, il est purement ignoré. En réalité, il faut le voir comme le cas le plus général et le plus universel possible de conflit sur cette question. Et cela, pour plusieurs raisons dont chacune est partagée par plusieurs pays ou régions du monde, mais dont la juxtaposition me semble unique chez nous.
1. Les Québécois sont un des peuples les plus foncièrement laïques au monde. Non seulement parce qu'ils n'ont pas une appartenance majoritaire à une ou l'autre religion ou secte, mais surtout parce que la plupart d'entre eux ne pratiquent aucune d'entre elles. Moins du quart des églises, synagogues, mosquées, temples qui parsèment son territoire sont fréquentés régulièrement.
2. Cette laïcité est non seulement largement répandue, elle est récente et spontanée. Il y a deux générations, la population était fortement catholique et romaine, elle a choisi sans la moindre pression extérieure, sans la moindre propagande idéologique, de ne  plus l'être.
3. Cette évolution ne s'est accompagnée d'aucune persécution des minorités religieuses. Au contraire, en cours de route, l'État québécois, avec l'accord tacite de la population, a permis et même subventionné la création d'écoles juives, arméniennes, musulmanes, en même temps qu'il tolérait la survie d'institutions catholiques et protestantes déjà existantes.
4. La solution proposée par le gouvernement tient compte que les droits des individus s'appliquent aussi bien à ceux qui sont affectés négativement par le port de signes religieux par des personnes en autorité qu'à ces personnes elles-mêmes.
5. Aucun lien explicite ou implicite n'est invoqué entre le problème de la laïcité et celui de l'immigration ou celui de l'emploi. Cela est confirmé par le déroulement vigoureux mais relativement serein d'un débat sur l'opportunité d'admettre des exceptions à la laïcité dans des secteurs sensibles, en particulier l'enseignement primaire et secondaire; en même temps, le faible niveau de chômage rend peu crédible toute tentative d'amalgame malsain entre ces trois questions.
Ces facteurs font que la façon dont se passe et se dénouera la discussion publique sur la laïcité dans notre sphère restreinte devrait avoir, du moins moralement et intellectuellement, des répercussions disproportionnées sur les multiples afrrontement qui se produisent sur le même sujet un peu partout sur la planète. Le Québec n'est pas une exception, il devrait être un exemple.
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Mauvaise foi (dans le sens littéral)
Les gens qui, comme Jagmeet Singh ou Justin Trudeau, affirment qu'"à cause de la loi du Québec", les Droits de la Personne seront en danger font preuve de malhonnêteté ou d'ignorance.
Ce n'est pas la loi qui est en cause, c'est une règle religieuse qui cherche à enfreindre la laïcité de l'État; or, celle-ci est la seule formule qui puisse garantir à tous les citoyens la liberté de culte et de conscience.
Rien dans la loi présentée par la CAQ n'interdit à quiconque de pratiquer la religion qu'il veut. La loi empêche seulement les gens occupant une fonction d'autorité dans l'État d'en profiter pour imposer leur affirmation religieuse à ceux qui sont en situation d'infériorité vis-à-vis eux et qui pourraient être d'une autre croyance.
Il n'y a pas violation des droits d'un individu, mais conflit entre les droits de deux individus. Et il est clair que c'est le droit de l'inférieur qui doit être protégé dans ce cas, non celui du dominant. Même dans l'interprétation la plus étroite possible des Droits de la Personne.

16 mars 2019

Politique et vie privée

Je suis frappé par le degré auquel le débat politique américain est étroitement lié au problème crucial de l'opposition entre confidentialité et transparence posé par la Révolution de l'information numérique. Non seulement les individus (en particulier les personnages publics) mais les institutions vivent désormais dans une «maison de verre» où les données sont aussi susceptibles de dévoilement intempestif que de falsification. Des exemples:
a) Le Russiagate, sur la probabilité de complicité entre la campagne de Donald Trump et le Kremlin, porte principalement sur des échanges d'information stratégique, du piratage de messages confidentiels et des jeux de propagande électorale.
b) Le rôle de l'avocat de Trump, Michael Cohen, a consisté entre autres à dissimuler des faits intimes; les amis du Président au magazine National Enquirer ont acheté les mêmes informations pour ensuite empêcher leur diffusion.
c) Les difficultés d'Hillary Clinton sont nées entièrement de sa négligence à assurer la sécurité de ses courriels.
d) Le FBI et le Ministère de la Justice sont accusés d'avoir révélé des faits découverts (ou fabriqués?) dans le but d'influencer le Congrès et l'électorat.
e) Le camp Trump reproche aux médias traditionnels de manipuler les nouvelles à des fins partisanes («fake news»).
f) Le réseau social Facebook admet avoir vendu les données confidentielles de plus de 50 millions d'utilisateurs à une firme de sondages liée à Steve Bannon, conseiller et organisateur politique du candidat Trump.
g) Trump lui-même est un fervent usager de Twitter, un outil numérique qui lui permet de s'adresser tous les jours au grand public sans passer par le filtre des médias. Il est aussi clairement coupable de fréquents mensonges et distorsions de la réalité des faits.
h) L'affaire Julian Assange/Wikileaks se fonde directement sur des activités de piratage et de dévoilement de données institutionnelles et financières confidentielles, dont des secrets d'État.
De tout cela (et d'autres indices encore), je déduis que tous ceux qui s'intéressent à la politique américaine et à ses effets sur la planète devraient se pencher avec encore plus d'attention sur le conflit vie privée/transparence rendu plus aigu par la Société de l'information.