26 février 2020

Un «miroir» Trump-Sanders?

Personne ne semble avoir remarqué à quel point l'actuelle pré-campagne présidentielle des Démocrates est, sur plusieurs plans, le miroir de celle des Républicains en 2016.
a) Comme Trump, Sanders est un «étranger» dans son propre parti. Le premier a longtemps été Démocrate avant de s'inscrire au GOP; le second n'a jamais été officiellement Démocrate, même s'il s'est généralement allié au parti pour les campagnes électorales et les actions législatives. 

b) Tous deux ont une saveur fortement populiste, faisant appel directement aux citoyens plutôt que de se fier à des appareils de parti, et adoptant des lignes de pensée souvent divergentes de ceux-ci.
c) Tous deux ont des caractéristiques qui les distinguent des politiciens traditionnels et de la «sagesse conventionnelle»: Sanders revendique un socialisme (relativement modéré) et un pacifisme qui tranchent avec les amitiés avec Wall Street et le messianisme Yankee courants dans son parti; Trump ne se gêne pas pour adopter des attitudes sexistes et racistes, et pour creuser des déficits, dans un parti dominé par une morale puritaine et un conservatisme fiscal.
d) À mi-chemin de la course, tous deux ont clairement pris l'ascendant sur un peloton chicanier de candidats beaucoup plus centristes et conventionnels. L'argument majeur de leurs adversaires est qu'«ils ne peuvent pas gagner» contre le nominé officiel de l'autre parti.
e) Tous deux sont relativement âgés pour devenir le Chef d'État d'une grande puissance. Leur état de santé est périodiquement remis en cause.
f) En conséquence de tout cela, on constate dans le leadership Démocrate la même panique apparemment impuissante qui affectait la direction du GOP il y a quatre ans. Et un même scepticisme quasi unanime des «pundits» et des commentateurs experts dans les médias grand public.
g) Étrangement, ces éléments négatifs ne semblent en rien affecter un bloc solide de partisans, et ils n'ont pas l'air de convaincre même la masse plus modérée des adhérents des deux partis, attirés clairement par des candidats atypiques qui font malgré tout figure de gagnants.
Trump l'a emporté en 2016, même si c'est avec une minorité des suffrages. Pour 2020, tous les sondages depuis bientôt quatre and indiquent que Sanders est plus populaire que l'actuel Président, et donc qu'une victoire, sans être certaine, est tout à fait envisageable.
Cela dit, il existe quand même entre les deux des différences notables. Le langage de Sanders est nettement plus policé que celui de son rival, ses positions plus claires et plus constantes, sa moral personnelle et politique beaucoup moins sujette à caution.
Les réticences à son égard sont plus idéologiques que morales.

22 février 2020

Post-impeachment (suite)

Les évènements des 10 derniers jours montrent à quel point les Démocrates avaient raison d'invoquer l'«impeachment» contre Donald Trump, et combien les Républicains ont eu tort de le prendre de façon superficielle et strictement partisane. Dès le lendemain de son acquittement, le Président dédouané s'est empressé de confirmer les pires inquiétudes à son sujet.
Il lui a fallu à peine une semaine pour prendre des mesures bassement vindicatives contre des témoins qui l'avaient chargé, apparemment de bonne foi; pour accorder une bordée de pardons présidentiels strictement sur une base d'amitié et d'affinités à des membres de l'establishment politique et financier clairement coupables de corruption; pour s'en prendre de façon grossière et mensongère à ses adversaires politiques; pour remplacer systématiquement dans des positions clefs des hauts-fonctionnaires jugés compétents et patriotiques par des politiciens ayant ouvertement accordé leur loyauté à sa personne plutôt qu'au pays; pour rejeter sans la moindre preuve la forte probabilité affirmée par ses propres services de renseignement que les Russes, une fois de plus, s'occupent déjà à favoriser sa réélection.
Les erreurs combinées de l'opposition démocrate et de son soutien républicain, que je soulignais dans un précédent message, lui ont ouvert toute grande la voie vers une mainmise de longue durée sur l'appareil gouvernemental et sur le processus politique. Ses actions font déjà la preuve qu'il était essentiel, comme l'affirmaient ses accusateurs, de lui arracher le pouvoir immédiatement, sans attendre le verdict populaire d'une élection d'automne qu'il a désormais tout le loisir de fausser en sa faveur avec, vraisemblablement, des aides illégales de l'étranger.
Même l'annonce que le Kremlin joue en même temps la carte d'un soutien discret au plus progressiste de ses rivaux à la présidence, Bernie Sanders, doit sonner une cloche d'alarme. Vladimir Poutine n'a certainement aucune affinité pour le Sénateur «socialiste indépendant» du Vermont, mais il le considère sans doute comme celui ayant le moins de chance de détrôner Trump en novembre. Cette manoeuvre s'apparente donc à celles, dévoilées par l'enquête d'«impeachment», qui consistaient pour Moscou à exploiter la piste ukrainienne afin de déstabiliser ce qui fut l'adversaire probable le plus dangereux de Trump, Joe Biden.
Le seul côté positif de l'affaire est que le Président russe pourrait bien se tromper là-dessus: Sanders est sans doute un idéaliste à tendance socialiste, mais c'est aussi un politicien professionnel d'expérience, rusé, éloquent et beaucoup moins aveuglé par une idéologie de gauche classique que ne l'affirment ses adversaires. En témoignent ses premiers résultats dans les primaires, le solide soutien d'une base relativement large qui va de l'extrême-gauche au centre modéré, sa capacité d'une part d'enrichir sa caisse de campagne de dons de toutes tailles, et d'autre part de présenter un programme qui répond à bon nombre des problèmes de la classe moyenne, et surtout le fait souvent négligé que non seulement récemment, mais sans interruption depuis le milieu de la campagne présidentielle de 2016, les sondages lui ont donné sur Donald Trump un avantage assez mince, mais réel, dans la faveur populaire.
Face à ce constat d'ensemble, la seule option envisageable non seulement pour les Américains progressistes, mais pour les modérés et les conservateurs lucides et patriotes, est de tout faire pour qu'au lemdemain du scrutin de novembre, ce Président indigne du pouvoir ne soit pas en mesure de poursuivre encore quatre ans son saccage d'une démocratie américaine qu'on découvre bien plus fragile qu'elle ne se prétendait. De fait, le pire danger pour Sanders pourrait venir non des Russes ou de Donald Trump, mais d'un leadership du parti Démocrate qui interviendrait pour nuire à un candidat «trop progressiste» à son goût

12 février 2020

Réactions «post-impeachment»

J'ai attendu une semaine après la fin abrupte du processus d'«impeachment» de Donald Trump pour permettre à mon esprit de décanter un peu les multiples réactions qui me provenaient de toutes parts et les réflexions que cela m'inspirait. Maintenant que je crois y voir un peu plus clair, voici:
1. Les Démocrates ont commis plusieurs erreurs importantes dans leur approche; certaines étaient évidentes dès le départ, d'autres sont plus perceptibles après coup. Certaines n'ont trait qu'à l'«impeachment» même, d'autres pourraient affecter les suites électorales de l'évènement. (a) En voulant jouer à coup sûr, ils ont été trop restrictifs dans le choix et la rédaction de leurs articles d'accusation. Ceux-ci ne tenaient pas compte de la variété et de la multiplicité des transgressions du Président: mensonges éhontés et souvent ridicules, défense opiniâtre de collaborateurs clairement coupables, obstructions répétées et attaques publiques contre la Justice et les magistrats, détournement de fonds votés par le Congrès pour d'autres fins (notamment «le Mur»), infractions aux lois du financement électoral, utilisation évidente de sa fonction pour son profit personnel et celui de sa famille, etc. Il aurait à tout le moins fallu ajouter un article d'«entraves à la justice» exploitant les découvertes contenues dans le second volume du Rapport Mueller. (b) Ils se sont limités à des offenses ayant trait à la politique étrangère, un thème qui a peu de résonance dans la masse de la population. Leurs efforts pour lier cela à la politique intérieure en alléguant un effet néfaste sur le processus démocratique étaient insuffisants et peu convaincants pour les partisans de Trump et les indépendants. Par le fait même, ils n'insistaient pas suffisamment sur le caractère criminel de plusieurs actes du président et de l'entourage immédiat sur lequel il avait le controle direct et dont il était responsable juridiquement. Ces deux premières lacunes ont empêché une population souvent politiquement peu informée de voir la taille réelle du problème. (c) Malgré le risque de prolonger le processus, il était probablement nécessaire qu'ils testent devant les tribunaux au moins certains des multiples refus de Trump et de son administration de collaborer à leur enquête; même sans aboutir, de tels efforts auraient mis en lumière la duplicité de l'entourage présidentiel et auraient privé les défenseurs de la plupart de leurs arguments contre les défauts du processus d'«impeachment». (d) Ils ont sous-estimé la partisanerie des élus Républicains, faisant trop confiance à leur habituel puritanisme conservateur et aux précédents des épisodes Nixon et Clinton. Ce faisant, ils n'ont pas fait tous les efforts possibles pour rendre l'ensemble de la démarche bi-partisane; il aurait fallu trouver les bons arguments et effectuer les démarches nécessaires pour attirer et conserver dans leur camp au moins un petit groupe de dissidents du GOP, aussi bien à la Chambre qu'au Sénat. Je crois qu'ils n'avaient pas bien pris la mesure du changement de mentalité dans le parti adverse ni de l'emprise qu'y exerçait Donald Trump.
2. Je soupçonne que les Républicains, par opportunisme à courte vue, ont gravement endommagé la réputation de leur parti auprès de l'électorat en général. D'une part, ils se sont montrés pusillanimes, laissant voir la terreur que leur inspire la simple menace d'un courroux présidentiel. De plus, leur refus systématique d'aborder le fond du problème et leur mauvaise foi dans la critique de la démarche des Démocrates devraient entacher leur crédibilité auprès des électorats (majoritaires) qui ne leur sont pas déjà acquis. Le tout a culminé dans leur refus d'intenter à Donald Trump un véritable procès, limitant la session du Sénat à un simple échange de plaidoiries, sans la moindre présentation de preuves matérielles ni de témoignages; leur argument que les preuves avaient déjà été présentées à la Chambre par les Démocrates était d'une faiblesse désolante, d'autant plus qu'ils avaient eux-mêmes vertement critiqué la manière dont cela s'était passé. Le «cas Bolton», celui d'un ex-proche du Chef d'État qui se disait prêt à prêter serment comme témoin direct de faits pertinents à l'accusation, était particulièrement flagrant. Les effets de cet épisode sur le Parti républicain se feront sans doute sentir surtout après que le Président Trump aura quitté le devant de la scène, et donc relâché le contrôle qu'il exerce sur ses partisans. Peu importe que ce soit dans un an ou dans cinq.
3. En même temps, les deux partis auront contribué à démanteler l'équilibre des pouvoirs qui est au coeur du système politique américain, en particulier la tension salutaire qui existe entre les pouvoirs propres au Congrès et ceux de l'administration sous l'autorité de la Maison Blanche. La faute des Démocrates est involontaire; c'est d'avoir échoué dans leur tentative de destitution d'un Chef d'État qui le méritait pourtant mais qui a maintenant les mains beaucoup plus libres pour agir sans contrainte ni opposition. Celle des Républicains, plus grave à mon avis, est d'avoir sciemment (quoique sans doute à regret pour plusieurs) collaboré à cet échec. Le «Troisième Pouvoir», celui des tribunaux, ne s'en sort pas non plus indemne, victime d'une part des attaques vicieuses du Président contre son intégrité, d'autre part du soupçon de partisanerie aggravée qui plane sur lui, dû à une série de nominations douteuses et biaisées par Donald Trump de magistrats de haut niveau.
4. Les suites immédiates de l'«impeachment» raté n'ont pas tardé à apparaître: basses vengeances de la Maison Blanche contre certains des témoins les plus crédibles de la poursuite, recul de la Justice sur la sentence réclamée contre Roger Stone, un complice de longue date du Président; dommage évident à la candidature de celui qui apparaissait comme le rival le plus crédible à la réélection présidentielle, Joe Biden. Il fait peu de doute que d'autres feront surface dans un proche avenir qui s’annonce plutôt inquiétant, mais riche en rebondissements.

10 février 2020

Oisiveté et spiritalité

Une «amie Internet» colombienne de Medellin, Clara Gutierrez, a réagi de façon très constructive à la lecture sur Facebook de mon «Manifeste citoyen», ce qui en retour m'a inspiré des suivis de réflexion dont j'ai envie de partager ici les deux suivants, sur l'impact social de l'atrophie de l'emploi et sur la place de la religion dans le vide spirituel créé aussi bien par le socialisme athée que par le capitalisme matérialiste.
a) Ce que les personnes exclues du marché du travail par des facteurs économiques et technologiques peuvent et doivent faire de leur vie est, pour moi, l'un des problèmes non résolus les plus importants auxquels l'humanité est confrontée, avec la santé de la planète et la crise migratoire. Le revers de cette médaille est le statut qu'une classe inactive en permanence peut avoir dans nos sociétés obsédées par le travail et les salaires. 
 Je n'ai pas de solutions toutes faites. Les deux questions doivent être traitées non seulement par les gouvernements et les économistes, mais par les sociologues, les psychologues, les travailleurs sociaux et, en fin de compte, les philosophes. 
 Les historiens peuvent également jouer un rôle utile en examinant le fonctionnement quotidien des cultures passées dominées par les «classes oisives» telles que celles soutenues par le servage ou l'esclavage: la Grèce antique et l'Empire romain, la caste mandarine de Chine, l'aristocratie et les sociétés «gentrifiée» de l'Europe et de la Confédération sudiste aux U.S.A., etc. Comment vivaient les personnes qui ne travaillaient pas, que faisaient-elles qui était utile ou gratifiant, comment amélioraient-elles et préservaient-elles leur statut, etc.? De telles études pourraient révéler à la fois des voies possibles et des erreurs à éviter.
b) Sur un autre plan, la question de la religion touche non seulement au vide spirituel du capitalisme et du socialisme, mais aussi au mélange explosif de croyances et coutumes contradictoires induites dans les pays industrialisés par l'immigration massive récente de cultures très différentes, notamment celles de l'Hémisphère Sud et de l'Islam. 
 Mon court texte "À quoi sert la religion" n'est qu'un premier pas dans ce qui doit être une démarche de réflexion beaucoup plus profonde sur le sujet. Il cherche à montrer que même les athées et les agnostiques peuvent et doivent jouer un rôle dans ce débat, autrement que par leur condamnation trop fréquente de la foi en tant que pure superstition. 
 D'un autre côté, il est essentiel pour la paix et l'harmonie mondiales que les croyants abandonnent, ou du moins réduisent considérablement leur rejet souvent condescendant et parfois violent de toute foi sauf la leur - y compris l'option "aucune foi" (dont je fais partie). Sur une planète de plus en plus mondialisée, la tolérance mutuelle devient non pas une simple vertu, mais une nécessité absolue. 
 Un corollaire assez difficile à admettre pour certains est que les gouvernements doivent devenir totalement laïques, ne privilégiant ni une croyance en particulier, ni l’absence de croyance; d'autre part, ils doivent exiger des dirigeants de toutes les hiérarchies une promesse explicite de tolérance à cet égard – ce qui, dans certaines religions, est considéré comme un blasphème. 
 Quant au ou aux rôles spécifiques que la spiritualité peut et doit jouer dans nos vies individuelles et collectives, j'ai été principalement influencé par deux auteurs. Albert Camus, dans «La Peste», a montré qu'il peut exister une morale humaniste en dehors de toute croyance religieuse - l'«impiété» ne doit être vue ni comme un crime ni comme un échec moral. Amin Maalouf, dans «Les Identités meurtrières», a mis en garde contre le danger spécifique d'intolérance inhérent aux grandes religions monothéistes, notamment le judaïsme, l'islam et le christianisme. La croyance en un seul Dieu conduit trop souvent au rejet de toute autre divinité ou entité spirituelle ... tandis que les polythéistes acceptent généralement plus les croyances diverses des autres.