25 mars 2018

La première salve?

Il est clair que CNN, la plus puissante chaîne d'information continue aux USA (et probablement au monde) est désormais en guerre ouverte avec le Président Donald Trump. CNN avait une attitude critique à l'égard du chef d'État depuis son élection il y a un an et demi, mais elle a nettement durci ses positions dans les deux derniers jours.
Hier, son antenne principale a consacré le gros de sa diffusion aux manifestations des étudiants en faveur du contrôle des armes à feu, endossant à fond la critique des manifestants que le Président avait cédé à la pression du lobby pro-armes (notamment la NRA). Ce matin, un des patrons de la chaîne est venu à l'écran accuser explicitement le Président de mensonge et d'incompétence. Ce soir, après avoir présenté il y a quelques jours les aveux de rapports sexuels avec M. Trump d'un modèle de Playboy, la chaîne diffuse avec un énorme battage publicitaire les révélations en direct de la star porno Stormy Daniels sur sa propre relation avec le Président, malgré la menace de ce dernier que toute révélation était passible d'une amende d'un million de dollars.
Je crois que cette agressivité accrue est due au constat que depuis plusieurs semaines le Président, qui était généralement en mode «attaque» depuis son arrivée au pouvoir, est maintenant en retraite sur presque tous les fronts:
1. Il a exempté conditionnellement le Canada et le Mexique et absolument l'Union européenne et plusieurs autres pays des tarifs douaniers «universels» qu'il avait annoncés sur l'acier et l'aluminium.
2. Il a accepté de rencontrer le dictateur Kim Jong Un en tête-à-tête sur sa seule affirmation d'une ouverture à l'abandon de son programme nucléaire, alors qu'il avait fait de la dénucléarisation nord-coréenne une condition sine qua non de toute négociation.
3. Il a signé la loi votée par le Congrès prolongeant la capacité de dépenser du gouvernement américain, après avoir annoncé son intention d'y opposer son veto.
4. Il a reculé face à la NRA et au lobby du 2e Amendement après avoir ouvertement promis d'adopter des mesures restrictives au droit de posséder des armes de combat.
5. La défaite d'un candidat au Congrès qu'il avait personnellement soutenu, dans un comté de Pennsylvanie qui avait voté pour lui à 60% il y a un an et demi, a jeté la panique dans les rangs des élus conservateurs et semé de forts doutes sur sa capacité de mener son parti à la victoire (ou du moins de limiter les pertes) à l'élection de mi-mandat de cet automne.
6. Ses alliés Républicains et plusieurs membres de son entourage ont condamné publiquement sa décision de féliciter l'autocrate Vladimir Poutine pour sa réélection à la tête de la Russie.
7. Il a renoncé à ajouter l'agressif Joe diGenova à son équipe juridique dans le dossier russe et n'a pas trouvé de remplaçant prestigieux à son défenseur démissionnaire John Dowd.
8. Il a congédié son ministre des Affaires étrangères Rex Tillerson et son conseiller en affaires internationales H.R. McMaster après avoir assuré qu'il n'en ferait rien.
9. Le nombre de mises à pied et de départs récents dans son entourage immédiat (48% du conseil des ministres et de son cabinet personnel en un an) est un fort indice d'un désarroi croissant dans le personnel de la Maison Blanche.
10. Son principal soutien médiatique, le réseau FOX, a commencé à prendre ses distances à son égard et à véhiculer des opinions moins systématiquement favorables.
11. Sa décision d'imposer à la Chine des tarifs douaniers d'une valeur pouvant atteindre 60$ milliards suscite une véritable levée de boucliers dans les milieux d'affaires qui lui étaient jusqu'ici presque unanimement favorables.
12. La chute brutale des indices boursiers, à deux reprises depuis deux mois, montre que les cercles financiers sont de moins en moins prêts à l'appuyer sans réserves.
Malgré tout, CNN joue gros dans cet affrontement. Je doute qu'ils s'y seraient lancés sans avoir analysé soigneusement la situation, et sans avoir obtenu la garantie implicite d'un appui de plusieurs autres médias de premier rang, notamment le NY Times, le Washington Post et la chaîne généraliste NBC, tous aussi très critiques de M. Trump.
Il sera intéressant de voir dans les prochains jour si d'autres poids lourds s'ajoutent à la curée, et plus spécifiquement si le solide front commun pro-Trump du Parti républicain ne commence pas à se fissurer.

22 mars 2018

La Faute à qui?

Ce qui se passe à Washington est une condamnation de facto de tout le système politique américain. Oui, les Républicains acceptent toutes les turpitudes pour conserver l'illusion du pouvoir à tout prix. 
Mais il faut rappeler qu'il y a deux ans, les Démocrates ne faisaient guère mieux. Ils trichaient tout ce qu'ils pouvaient pour pousser en avant ce qui était clairement une mauvaise candidate, Hillary Clinton, contre un «socialiste» populiste, Bernie Sanders, qui était nettement plus populaire auprès de l'électorat en général et qui aurait vraisemblablement battu Donald Trump; ils agissaient ainsi afin de préserver la mainmise de leur clique de dirigeants sur le Parti, quitte à risquer de perdre l'élection. 
D'une certaine façon, la situation actuelle est le résultat d'une collusion plus ou moins volontaire des deux volets de l'oligarchie politique du «Beltway» pour se réserver le monopole du pouvoir aux dépens des classes populaires. Ironie du sort, la conséquence a été que les Démocrates ont perdu la Présidence... et que le leadership Républicain a perdu le contrôle de son propre parti en même temps que de la Maison Blanche. 
Si l'effet n'était pas aussi catastrophique, on serait tenté de dire «Bien fait pour vous!»

07 mars 2018

Viser les bonnes cibles?

Je crois que dans plusieurs cas, les critiques de Donald Trump se trompent de cibles. Et ses partisans aussi. Je tente ci-dessous une relecture en ce sens de quatre thèmes majeurs des reproches que l'on fait au Président américain.

1. La Personnalité
Accuser Donald Trump de mensonge et d'incohérence est une perte de temps. Bien sûr, il ment sans le moindre scrupule ni remords. Bien sûr, il part dans toutes les directions sans la moindre logique. Mais ses électeurs le savent très bien et s'en fichent totalement: ils sont probablement même heureux d'avoir enfin un Président imparfait, qui mène sa vie et le pays comme ils le font eux-mêmes, à coups de tête et de subites volte-faces, en disant ou «tweetant» ce qui lui passe par la tête, quitte à se contredire dix minutes plus tard.
La même chose est vraie de ses vantardises, de sa roublardise, de son machisme flagrant et de ses poussées (inconstantes, mais réelles et relativement fréquentes) de racisme. Au lieu d'insister d'un ton moralisateur et sans résultat sur les défauts de caractère eux-mêmes, il faudrait démontrer plus clairement les retombées négatives qu'ils ont sur le moral et l'évolution du pays et de la société. Ce n'est qu'à ce niveau que le Président américain est vraiment vulnérable.

2. Le Fonctionnement de la Maison Blanche
De même, reprocher à Donald Trump son népotisme et son comportement brouillon et à son équipe son manque d'expérience politique et sa manière anarchique de gérer les affaires publiques néglige deux réalités pourtant évidentes: le Président a été élu non pour assurer la continuité, mais pour brasser la cage et exercer ses fonctions autrement que ses prédécesseurs, aussi bien Républicains que Démocrates; et le vrai problème est non pas le style de gestion, mais la médiocrité des résultats.
Évidemment, le chaos permanent à la tête de l'État a quelques chose d'inquiétant, qui exaspère visiblement journalistes et commentateurs habitués à plus de régularité et de constance. Mais tant qu'une partie de l'électorat aura l'impression que cela produit des effets positifs, cette critique sera sans conséquence. Il serait bien plus pertinent de faire la preuve que ces effets sont un trompe-l'oeil qui masque assez habilement de profondes lacunes dans la vision et dans l'approche de l'exécutif américain face à un ensemble de réalités nouvelles. 
Dans la protection de l'environnement, dans l'évolution du marché de l'emploi face aux ruptures causées par les progrès technologiques, dans la solution du problème complexe et crucial de l'immigration et dans la nécessaire rénovation des infrastructures, en plus d'un an au pouvoir, M. Trump soit n'a obtenu aucun résultat tangible, soit a nagé dangereusement à contre-courant. Ses deux seules «réussites», une baisse des impôts qui favorise fortement les riches en appauvrissant l'État et la nomination systématique de magistrats réactionnaires aux plus hauts niveaux des tribunaux du pays, sont pour le moins contestables. Quant à son action dans les affaires internationales, elle est incohérente... mais ce n'est généralement pas là un thème qui passionne l'électorat américain, sauf lorsqu'il se sent menacé par un «ennemi» réel ou inventé.

3. Le Malentendu républicain
Parce que Donald Trump a été élu sous la bannière du Parti républicain, à tendance nettement conservatrice, les commentateurs (et les Républicains eux-mêmes) ont tendance à croire qu'il est lui-même conservateur et soucieux de réaliser le programme du parti. La réalité est tout autre. Trump n'a ni ligne idéologique cohérente, ni adhésion ferme à un parti quel qu'il soit. Il a été longtemps apolitique, puis Démocrate plutôt de droite; il est devenu Républicain par pur opportunisme, parce que c'était la seule option qui lui donnait des chances de se faire élire et qu'il avait instinctivement perçu un vide de leadership à la tête du GOP après les épisodes des Bush père et fils et d'un John McCain vieillissant et malade.
Quant à sa pensée, elle n'a aucune permanence mais comporte un curieux, souvent contradictoire mélange d'intuitions personnelles fortement influençables et de lectures primaires de l'opinion publique; elle va donc fluctuer sans cesse au gré d'une part de ses rencontres avec des «penseurs» le plus souvent iconoclastes et simplistes (Steve Bannon, Michael Flynn) et d'autre part des courbes de sondages. La résultante est un salmigondis d'idées de droite et d'extrême-droite et de projets populistes favorisant les petites entreprises et même les classes ouvrières. Il est clair que le «mainstream» du Parti républicain s'y reconnaît de moins en moins et commence à douter que le Président ait réellement l'intention de réaliser son programme — sauf là où cela peut contribuer à le faire réélire.

4. L'Enquête Mueller
Le procureur spécial Robert Mueller est en principe chargé de déterminer l'étendue et les responsables de l'intrusion du Kremlin dans le processus électoral américain en 2016, et plus particulièrement les liens entre l'équipe de campagne de Donald Trump et les agents russes qui ont mené cette opération. Il faut souligner que cette démarche a lieu en parallèle avec des investigations menées par des commissions de la Chambre des représentants et du Sénat, toutes deux contrôlées par le parti présidentiel et donc procédant avec une forte réticence.
Dans un premier temps, l'enquête a démontré clairement la réalité de l'intervention russe pour déstabiliser la candidate démocrate Hillary Clinton et donc favoriser l'élection de Donald Trump. Même les plus féroces partisans du Président l'admettent aujourd'hui. Là où il y a désaccord, c'est sur le rôle joué par son entourage immédiat. Y a-t-il eu «collusion» ou complicité consciente? M. Trump et ses défenseurs affirment que non... et il est vraisemblable qu'ils ont raison. Non pas que l'alors candidat républicain ait fait preuve de clairvoyance et de patriotisme, mais simplement parce que son organisation de campagne était beaucoup trop sommaire et brouillonne, sans structure de commande ni capacité de planification discrète et subtile, pour lui permettre de mener pareille opération en collaboration avec des agents étrangers sans que cela soit immédiatement ébruité.
Il est probable que le procureur spécial en est déjà arrivé à cette conclusion; c'est ce qui expliquerait la stratégie qu'il a adoptée et qui semble dérouter beaucoup d'observateurs. Habile manoeuvrier, M. Mueller sonde systématiquement les points faibles de l'entourage immédiat de Donald Trump, à la recherche de leviers (souvent dans des dossiers qui n'ont rien à voir avec l'élection de 2016) qui lui permettront de faire pression et d'obtenir des aveux non pas de collusion ou de complot, mais de manipulations dont les proches du Président auront été victimes de la part des agents du Kremlin. De telles admissions (par exemple de la part du fils et du gendre du Président) pourraient mener à des accusations de complicité plus ou moins involontaire avec une puissance étrangère pour fausser le fonctionnement de la démocratie américaine.
Cette conclusion serait peut-être insuffisante pour déclencher un processus de destitution de Donald Trump, mais elle réduirait considérablement ses capacités d'action (et de nuisance) d'ici la fin de son premier mandat et poserait un obstacle majeur à sa réélection en 2020. Il me paraît assez vraisemblable que c'est vers un tel objectif que s'oriente aujourd'hui le procureur Robert Mueller.

01 mars 2018

Deux idées et une question

a) Quand je dis que Donald Trump gouverne les États-Unis comme si c'était une PME familiale, ce n'est pas une blague, mais un constat parfaitement sérieux — il me fait penser à Pierre Péladeau au début de sa carrière. Il place les membres de sa famille et ses proches confidents dans les postes-clefs peu importent leurs compétence; il est visiblement incapable de gérer une équipe importante et structurée, et donc se fie uniquement à son cercle immédiat; il prend des décisions par coups de tête, dictées par un caprice fugitif ou une opportunité perçue au dernier moment; il n'a pas de réelle planification, ni d'objectif large à long terme; il n'a aucun outil objectif de mesure de son niveau de réussite et jamais d'alternative en cas d'échec d'une action, etc. Ce qui est normal: toute sa vie, il a géré de cette façon son «empire» immobilier et financier et il est convaincu d'y avoir connu de grands sucès. Et je doute qu'à 72 ans, il va changer ses manières de voir.
b) Les conservateurs Républicains ont de quoi se méfier. Après le DACA (sort des enfants d'immigrants illégaux), M. Trump croit avoir trouvé un deuxième thème qui lui permettrait d'accroître sa popularité dans l'électorat en général: le contrôle des armes à feu. Or, il s'agit là de deux éléments du programme des Démocrates, auxquels la droite Républicaine est en général violemment opposée. Connaissant le passé et le tempérament du Président, je suis convaincu que dans l'espoir de se faire réélire dans deux ans et demi, il est prêt à sacrifier sans le moindre scrupule ses actuels partenaires de gouvernement, quitte à se rapprocher peu à peu des plus opportunistes de ses anciens amis Démocrates (ne pas oublier qu'il l'était lui-même jusqu'en 2008).
c) Je regarde les manoeuvres de son chef de cabinet l'ex-général Kelly pour «épurer» le personnel de la Maison Blanche et je me demande laquelle des deux explications suivantes est la bonne: 1- il cherche à sauver la Présidence de Donald Trump en minimisant les causes potentielles de gaffes, ou 2- il fait sciemment le vide autour du Chef d'État pour l'affaiblir en vue d'un éventuel putsch interne pour s'en débarrasser. Jusqu'ici, je dirais que les deux hypothèses sont à peu près également vraisemblables.