28 janvier 2020

En plein dérapage

La façon chaotique, pour ne pas dire tragicomique, dont se déroule le procès d'«impeachment» de Donald J. Trump au Sénat de Washington illustre à quel point le système politique dont les États-Unis étaient si fiers est en complet dérapage. Il s'éloigne à grandes enjambées de toute prétention démocratique pour ressembler de plus en plus aux absurdes semblants d'États qu'étaient l'Italie des années 1920 et l'Allemagne des années 1930. Ce qui est d'autant plus invraisemblable que, contrairement à elles, l'Amérique de 2020 vit, du moins en apparence, une ère de prospérité.
Un président ignorant, inexpérimenté, vaniteux et autocratique règne (presque littéralement) en chef de clan népotiste sur une population profondément divisée dont l'esprit civique et la tolérance sexuelle, raciale et idéologique sont en pleine régression. Des fossés profonds s'élargissent encore, séparent les riches des pauvres, les Blancs des gens de couleur, les régions côtières à la culture plus ouverte d'un intérieur de plus en plus dominé par des «rednecks» aux préjugés quasi indéracinables.
Le régime politique est le fief d'une classe gouvernante dépassée, profondément partisane et égoïste, devenue incapable des compromis réalistes qui permettaient au gouvernement de fonctionner tant bien que mal. Le mécanisme électoral est fortement vicié par un système de primaires qui fait des élus les jouets consentants de groupes d'intérêts minoritaires et peu représentatifs de l'électorat général, ainsi que par un découpage des circonscriptions contrôlé par des cliques régionales qui l'exploitent pour perpétuer leur mainmise sur le pouvoir.
La plupart des quelques avancées trop timides mais prometteuses réalisées sous la présidence précédente de Barack Obama ont vite été effacées par un repli frileux foncièrement réactionnaire. Une politique étrangère prétentieuse et incohérente qui déconcerte et insulte ses proches alliés tout en flattant les pires démagogues jadis ennemis réduit de plus en plus l'influence dont jouissait la première puissance mondiale; la stratégie financière et commerciale qui l'acompagne et l'inspire sacrifie allégrement les investissements nécessaires dans l'avenir pour gonfler la bulle tape-à-l'oeil d'une prospérité à très court terme, s'aliénant du même coup bon nombre de ses partenaires les plus utiles et les plus fiables.
L'absolu minimum pour commencer à enrayer ce dérapage est que la majorité du Sénat accepte de transformer l'actuel simulacre en véritable procès, grâce à l'intervention de témoins significatifs. Sinon, la tentative tardive mais nécessaire de destituer le chef d'État qui est à la fois le symbole et une des causes de ce désastre est vouée à l'échec, rendant possible sinon de plus en plus probable la continuation d'un faisceau de tendances suicidaires. Assistons-nous au début du véritable «Déclin de l'empire américain»?