21 septembre 2009

Un verre à Happy Island

(21 septembre 2009) Nous sommes rentrés au Marin tout doucement hier à la nuit tombante. Les voisins de ponton maîtres de la Marie-Joseph, Florence et Michel, étaient là pour nous aider à amarrer le Bum chromé à son emplacement habituel, toujours disponible, et pour nous faire part des dernières nouvelles de la Martinique, rien de bien excitant. La plus triste nous est venue de Paris, où la grande amie Gisèle Maia de Marie-José vient de perdre sa fille Dominique, victime d'un terrible cancer. Mais je reprends où je vous avais laissés. Après l'anniversaire d'Azur célébré de si belle façon à Mayreau il y a douze jours, pas question de reprendre la mer le même soir. C'est donc seulement le matin suivant que nous avons levé l'ancre pour Union, un saut de puce rendu nécessaire par les exigences un peu folkloriques des frontières grenadines: les îles de l'archipel se partageant entre deux pays, Saint-Vincent et Grenada, on passe son temps à visiter les douaniers et à hisser de nouveaux pavillons de courtoisie pour peu qu'on ait envie ou besoin d'aller d'un village à l'autre. Et comme toutes les localités n'ont pas des postes de douane, ça impose des parcours parfois fantaisistes qui sont un des rares désagréments de ce coin de paradis. De toute façon, cette courte escale m'a permis de contenter une vieille envie, celle de visiter ce qui est sans doute le bar-restaurant le plus "les pieds dans l'eau" de l'hémisphère. Happy Island est une île minuscule, en grande partie artificielle, construite à l'abri du récif coralien, au beau milieu de la rade de Clifton à partir de coquilles de lambi, de sable et d'un peu de béton par un rasta unionien imaginatif, Janti, qui y habite en permanence. La seule façon de s'y rendre est évidemment en bateau (annexe de voilier ou "water-taxi" disponible dans la rade). On accoste au pied de trois marches menant à une terrasse meublée de quelques tables et d'un douzaine de chaises dépareillées, devant une originale bicoque coiffée de feuilles de cocotier et de panneaux solaires qui alimentent deux frigos et un gigantesque système de son. Le sympathique patron, toujours en train de travailler avec un acolyte pour agrandir et améliorer son domaine, vous accueille avec une bière ou un excellent punch aux fruits avec ou sans rhum, et s'asseoit avec vous pour faire un brin de conversation. Il a récemment fini d'aménager son intérieur en un original mélange de pièce à vivre, discothèque et snack-bar où, dès que la phase actuelle de leur projet (un "pit" à barbecue qui s'ajoute à leur vivier de langoustes) sera terminée, il pourra faire des soirées de poulet et homard grillés aux accents de reggae, beau temps-mauvais temps. Le lendemain, nous nous sommes arrêtés à Carriacou, la première des îles appartenant à Grenada (donc re-douane), d'où nous sommes repartis presque aussitôt pour l'île principale. Contrairement à notre attente, la traversée a été ponctuée d'un grain rageur marqué de rafales de 25 noeuds et plus, accompagné d'une pluie diluvienne contre laquelle il a fallu déployer tous les coupe-vent et blousons inutilisés depuis la traversée de l'Atlantique. C'est donc avec un certain soulagement que nous nous sommes pointés en toute fin de journée dans la paisible rade de St. George, la capitale de Grenada, pour accoster à la nouvelle marina de grand luxe de Port-Louis, propriété de Camper & Nicholson, une société spécialisée dans la vente et la location de super-yachts. Les larges pontons s'étendent dans un lagon très calme à l'entrée étroite, presque au milieu de la ville. Les installations sont impressionnantes et les services variés et courtois, malgré quelques anicroches visiblement causées par le manque de rodage des équipements et le peu d'expérience d'une bonne partie du personnel. Il y a aussi le caractère très "américain" de l'ensemble: pas d'approvisionnement en alcools, charcuteries et fromages de qualité, menu du midi entièrement composé de hamburgers, sandwiches et salades, carte des vins inexistante, etc. En revanche, une superbe piscine entourée de transats et ombrée de parasols accueille les marins visiteurs, juste à côté d'un bar sympa, offrant un beau panorama sur le lagon et la ville. Et comme ledit bar est équipé d'un grand écran plat de télévision dernier cri et que ce week-end était précisément celui de la fin du U.S. Open de tennis, pas besoin de dire que nous y avons passé pas mal d'heures -- d'autant plus que, le mauvais temps à New-York aidant, le tournoi a débordé sur la semaine suivante. Nous avons donc eu droit aux demi-finales femmes (notamment à la crise de colère qui a coûté le match à Serena Williams) et hommes, et à des bouts des finales. En effet, la pauvreté du menu nous a chassés vers un resto plus intéressant au milieu du match des femmes, et le lendemain soir, c'est un black-out total de la marina qui nous a privés des deux derniers sets de la finale Federer-del Potro. Tant pis. Dans l'intervalle, nous avons pris une journée pour refaire connaissance avec l'intérieur de l'île. Un grand taxi presque confortable nous a d'abord amenés tout au sud, au Phare Bleu, un centre hôtelier doublé d'une petite marina bien cachés au fond d'une anse protégée par un îlot. Les bureaux de la marina partagent avec un élégant restaurant le pont d'un ancien bateau-phare amarré à la jetée. À terre, un second bar-restaurant ouvert sur la baie nous a permis de rencontrer un Québécois, Michel Gagnon, qui navigue dans la région sur son monocoque, le Graffiti. Nous avons ensuite remonté la côte atlantique, aux reliefs spectaculaires, jusqu'à la petite ville de Grenville, que nos avions beaucoup aimée lors d'un précédent passage. Le lunch, pris dans un joli boui-boui simplement intitulé "Good Food", a consisté en un plat unique de cuisine locale: une énorme platée de légumes et de riz relevés de piment et surmontés au choix d'une portion de poisson, de poulet ou de porc. Après nous être baladés dans le pittoresque et mouvementé marché du samedi, nous sommes rentrés en coupant par le centre de Grenada, traversant le parc national Grand Etang, aux montagnes et vallées à couper le souffle. En conséquence, c'est seulement mardi avant midi que nous nous somms remis en route vers le nord, le long d'une côte grenadienne quand même assez venteuse pour nous permettre de progresser à un bon rythme. Une fois à la pointe nord, nous avons dévié de notre route pour aller longer le petit archipel peu fréquenté qui entoure l'Île Ronde, du côté Atlantique. Une navigation assez sportive entre des rochers entourés de remous, dans laquelle Marc et moi nous sommes délectés mais qu'Azur a un peu moins appréciée. Surtout que le vent soufflait de l'est-nord-est en rafales atteignant les 25 noeuds, du bon air pour faire du près... mais aussi pas mal de brassage. Les mêmes conditions ont continué de régner pendant une grande partie de la remontée, jusqu'à l'arrivée à Blue Lagoon, jolie marina à l'extrême-sud de Saint-Vincent dans la soirée de vendredi. Le skipper était seulement un peu frustré de n'avoir jamais l'occasion de déployer le vaste gennaker du Bum, que nous avions hissé pour la première fois: ou bien les vents étaient trop forts, ou ils soufflaient dans la mauvaise direction Samedi soir, mouillage sans histoire dans l'anse entre les Deux Pitons, un de nos coins favoris de Sainte-Lucie. Presque personne sur les bouées et mer tranquille, à un endroit où le vent souffle parfois sérieusement. Hier, enfin, toute la remontée jusqu'à la Martinique s'est faite au moteur, avec le secours bien épisodique de la grand'voile. Voyant que de toute façon nous arriverions assez tard, nous sommes arrêtés à Rodney Bay pour douane, baignade et un buffet-lunch étonnamment bon dans un resto d'hôtel directement sur la plage. Une fois rentrés au Marin, nous nous sommes rendu compte que nous avions assez fait de bateau pour le moment; pendant quelques mois, nos prochains projets et voyages se passeront "sur le plancher des vaches", comme dit Azur.

13 septembre 2009

Réveil de fête en chanson

(8 septembre 2009) Azur a eu droit à une très jolie surprise ce matin. Nous étions encore couchés dans notre douillette cabine du Bum chromé lorsqu'une belle voix mâle s'est mise à chanter directement sous notre hublot: "Joyeux anniversaire, Joyeux anniversaire Marie-José!" Pas très étonnant ni très original en soi... sauf que nous étions au mouillage dans la baie de Mayreau, au beau milieu des Grenadines (pour savoir comment nous étions arrivés là, voir plus loin), et que personne de nos connaissances ne devait se trouver à moins de cent milles marins du bateau. Le temps d'ouvrir le rideau pour jeter un coup d'oeil dehors, le mystérieux chanteur avait disparu.

Deux heures plus tard, à la fin du petit déjeuner, nous avons eu le fin mot de l'histoire. Philippe, membre émérite du personnel de la Marina du Marin et fanatique érudit de jazz et de musique créole, se trouvait en vacances sur un cata loué par des amis, et il nous avait aperçus la veille au soir en entrant par hasard dans la même baie. Au lieu de venir nous trouver, se rappelant que ce huit septembre était le jour de naissance d'Azur, il a attendu le matin... et s'est pointé en annexe avec une des plus belles voix de la Martinique, Ralph Thamar (le chanteur du groupe Malavoy) pour lui pousser cette matinale sérénade! Philippe, Ralph et le capitaine du bateau, un sympathique traiteur de Ducos, ont donc rappliqué à bord du Bum vers les 9h30 (l'apéro peut commencer tôt sous les Tropiques) pour un ti'punch - ou deux - ou trois, enfin, vous me comprenez. Il va sans dire qu'une fête si bien commencée ne pouvait mal finir. Il s'en est donc suivi une baignade prolongée dans les eaux calmes et parfaitement turquoise de la baie, puis un barbecue de langoustes soutenu par un gentil riesling alsacien, des mangues bien mûres et un rhum vieux pour clore le tout. Nous étions arrivés aux Antilles il y a une douzaine de jours, au milieu de la semaine suivant notre week-end cévenol chez les Chantefort. Dès notre installation à bord du Bum, il était entendu qu'à la première occasion, nous prenions le large. Nous avons donc fait une tournée abrégée de quelques copains, téléphoné aux autres, mis fin au bail du mini-appartement qui devait nous servir d'entrepôt (mais ne l'avait jamais fait), rencontré notre virtuose charlevoisien de l'entretien Jean-Sébastien et notre skipper Marc, lequel nous a confirmé qu'il était disponible pour nous aussi longtemps que nous en aurions besoin. C'était précisément ce que nous avions envie d'entendre. Dès lundi dernier, nous avons foncé chez Annette (le supermarché Champion du coin) faire les provisions, avec la ferme intention d'appareiller le lendemain matin. Mais l'aube de mardi s'est levée toute grise et détrempée, victime d'une vilaine onde tropicale. De plus, l'annonce de la formation d'un futur ouragan Fred pointant dans notre direction nous obligeait à reviser notre projet de monter vers le nord (Guadeloupe, Antigua etc.). Nous avons donc attendu la mi-journée pour aller mouiller au large de Sainte-Anne, où Marc estimait qu'il devait s'arrêter quelques heures pour gratter des coques infestées d'algues et de quelques coquillages intempestifs. Le mauvais temps aidant, ce qui devait être un mini-nettoyage s'est prolongé jusqu'au lendemain matin. Par chance, le temps s'est remis au beau mercredi matin et c'est sous un ciel à peine nuageux et par bon vent que nous avons pu mettre le cap sur Sainte-Lucie.
Le reste du voyage jusqu'à ce matin a été pratiquement sans histoire, seulement émaillé de ces petits incidents qui ponctuent tout délicatement les jours heureux: deux nuits paisibles dans le confort inattendu de la nouvelle marina de Rodney Bay, presque déserte à cette saison sauf pour l'Unicorn, le "bateau pirate" qui a servi au tournage des "Pirates de la Caraïbe" et que nous avions comme voisin de ponton, des conversations amusantes et paresseuses autour d'une bière ou d'un punch, un poisson (sûrement un gros?) qui s'est échappé en cassant notre ligne, la découverte d'une très bonne marque de "beurre de pinottes" des Antilles anglaises, le petit regret que notre repaire sainte-lucien préféré, Dasheen's, soit fermé pour cause de rénovations, une rapide et confortable descente directement sur Bequia grâce à des vents atypiques frôlant les 25 noeuds alors que la météo prédisait presque calme plat; 
une bagarre épique entre mouettes et poissons-coffres des Tobago Cays autour des miettes de pain que leur jetait Azur; et ainsi de suite.
Un moment, ce sont des voiliers de poissons volants argentés qui lèvent sous la proue pour aller replonger cinquante ou soixante mètres plus loin. Souvent surveillés d'un oeil intéressé par les goélands et fous de bassan qui nous tiennent compagnie presque constamment. Ou alors de belles grandes tortues de mer dont les carapaces marron clair émergent entre deux vagues, suivies brièvement d'une tête au regard inquisiteur.
Ou (plus rarement cette fois-ci) de petites bandes de dauphins gris-bruns qui viennent longer les coques, apparemment attirés par les musiques qui sortent des haut-parleurs du skybridge, en particulier les binious de Soldat Louis et les Chants de la marine à voile de Raoul Roy.
De toute façon, après les festivités d'aujourd'hui, nous nous contenterons d'une nonchalante excursion aux Tobago Cays avant de rentrer à Mayreau pour une longue sieste et une seconde nuit au mouillage.