05 juin 2018

La nouvelle «normalité»

Ce qui doit nous inquiéter dans le phénomène Donald Trump est moins M. Trump lui-même que son effet délétère sur le climat moral de l'Amérique.
On compare souvent son sort avec celui de ses prédécesseurs Richard Nixon et Bill Clinton, tous deux soumis à un processus de destitution. En réalité, les situations ne sont pas comparables. Nixon était un Président conservateur, mais compétent et expérimenté, pris en faute sur une seule mauvaise action, l'effraction du Watergate dont le seul objet était d'assurer sa réélection et qui ne cherchait en rien à fausser le fonctionnement de l'État. Clinton était un Président centriste novice et roublard, mais dont les mandats ont été marqués de plusieurs réussites bénéfiques pour le peuple et le pays; il a fauté sur une affaire de morale personnelle profondément sexiste pour laquelle il n'a sans doute pas été assez puni mais qui n'avait aucune incidence sérieuse sur la vie publique.
Donald Trump n'a ni l'expérience quelque peu cynique de Nixon, ni la naïveté imaginative et ouverte de Clinton. Son incompétence politique, économique et sociale est flagrante, son amoralité est profonde et arrogante, sa sincérité et sa franchise sont inexistantes. Aucune des actions qu'il a entreprises jusqu'ici ne visait le bien du pays tel que perçu par la majorité des citoyens, mais uniquement soit ses chances de réélection, soit sa défense contre les multiples enquêtes de la Justice et du Congrès sur ses actions passées, soit la mise en oeuvre de ses propres préjugés et de ceux de la clique qui l'encense et l'influence: stigmatisation de l'immigration, tentative de destruction de la santé publique, encouragement explicite ou tacite à la discrimination raciale et sexuelle, rétrécissement de l'État et réduction de ses sources de revenu, démolition des sauvegardes écologiques et financières, confusion de la religion et de la politique, etc. Sans parler de sa campagne vicieuse pour discréditer le système de Justice et les tribunaux, pour éliminer les protections réglementaires des plus démunis et des plus fragiles...
Il s'est entouré, en plus de sa propre famille, de personnages pour le moins douteux souvent extraits soit des marges les plus réactionnaires de la société, soit de milieux affairistes à l'honnêteté fortement suspecte, soit de chapelles aux crédos guerriers entachés de complotite aiguë. Au moins la moitié de son entourage immédiat se compose de gens qui n'auraient jamais dû mettre le pied à la Maison Blanche, encore moins en faire leur principale place d'affaires.
Pire encore, par l'enchaînement étalé au grand jour d'une série sans fin de scandales moraux, financiers et politiques dans lesquels parfois lui-même, plus souvent bon nombre de ses proches sont directement impliqués, il réussit clairement à éroder le sens de moralité et de justice de ses compatriotes, à faire paraître «normales» des situations, des tendances et des actions que sous tous ses prédécesseurs, peu importe leur allégeance politique, la citoyenne et le citoyen moyens considéraient à bon droit non seulement inacceptables, mais répugnantes et «anti-américaines» dans leur essence même. C'est le «pas pris, pas coupable» érigé en règle primordiale du droit et de la gouvernance publique.
Ce que je crains, c'est que même si Donald Trump disparaissait de la scène à court terme, cet effet de son passage laisserait de longues traces dans l'avenir, sous la forme d'une nouvelle «normalité»...