Peu après mon bain de lever de soleil dans Saltwhistle Bay, c'était le départ de Mayreau pour la courte balade à travers les récifs et hauts-fonds jusqu'aux Tobago Cays. Ces mythiques îlots vert rutilant et blanc doré sont en effet incrustés dans un fer-à-cheval de rochers et de corail qui en rend la navigation périlleuse, mais qui en retour leur assure une zone de mer turquoise d'un calme plat même dans les plus brusques bourrasques. Par temps ensoleillé, ils sont l'attraction majeure des Grenadines et, pour Azur, "le paradis sur terre".
24 décembre 2011
Une rentrée secouée (18 déc.)
Un jus chez Basil's
Enfin, dans les petites anses du côté au vent et sur les collines, nichées dans la verdure ou sous les cocotiers qui ombragent le sable blanc, des résidences aussi luxueuses que discrètes, sur des terrains dont chacun vaut le prix d'un appartement avec jardin privé à Neuilly ou dans Mayfair. Mustique c'est, comme on dit au Québec, "la clâousse".
Comme c'est la première visite de Janine aux Grenadines -- et que nous avions une petite envie de langouste -- , nous sommes venus y passer une nuit après avoir effectué notre entrée dans l'archipel par la plus modeste Bequia, où nous avons mangé dimanche de l'excellent poulet épicé et des côtes levées dans un nouveau restaurant "les pieds dans l'eau", au bout de la belle plage qui borde la rive sud d'Admiralty Bay, et avons dormi confortablement à l'ancre avant de plonger dans l'eau propre et fraîche au petit-déjeuner puis de mettre la voile pour Mustique.
Il nous fallait aussi y faire le plein d'eau, car nos réservoirs étaient vides pour une raison mystérieuse: ou bien nous les avions mal remplis en partant, ou bien il y a une fuite quelque part, ou une pompe dysfonctionnelle... Le jeune préposé au service musticien nous a réglé ça dès notre arrivée avec promptitude, sourire... et autant d'élégance stylée qu'un butler de la Vieille Angleterre!
Puis le skipper et Twiggy ont entraîné Janine à terre à bord de l'annexe pour un premier contact avec le "paradis des milliardaires". Elle a eu droit à tout... c'est-à-dire à la plage des pêcheurs, à la tournée des quatre boutiques et à un jus tropical (ils sont vraiment très bons) chez Basil's, qui venait d'ouvrir pour la journée. Pendant ce temps, Moris négociait l'acquisition de cinq belles langoustes -- à consommer en route -- et de quelques kilos de chair de lambis, à rapporter en Martinique, où elle est presque introuvable. Il y a ajouté une douzaine de coulirous, ces cousins de notre éperlan qui sont délicieux frits.
Resté seul à bord avec Azur, je suis descendu nager aux alentours, dans une eau turquoise mais déjà chaude, échangeant quelques mots avec nos voisins de bouée, des sexagénaires Américains qui font une virée pépère en groupe dans les îles avec d'autres membres de leur yacht club floridien.
Un vent de sud, presque de face, nous a empêchés de faire de la voile, mais nous sommes arrivés en début d'après-midi dans l'anse de Saltwhistle Bay, presque déserte... ce qui surprend à cette saison, habituellement touristique. Nous avons donc choisi un très bon emplacement, près de la plage et non loin du ponton, et j'ai plongé avec Moris tandis que Twiggy faisait frire les coulirous et gonfler du riz blanc. Avec des avocats bien mûrs comme entrée, cela faisait un délicieux et léger repas de "cuisine- pays", arrosé d'un coup de rouge.
Au matin, je dormais si bien que j'ai failli rater le lever de soleil. Je me suis jeté à l'eau juste à temps pour le regarder en nageant paresseusement faire son show habituel à travers la frange de cocotiers, tandis que les silhouettes de pélicans et de fous de bassan plongeaient à tour de rôle dans les rouleaux blanc et vieil or de l'autre côté de la barre de sable clair. Deux chiens fantômatiques mais amicaux m'ont accompagné dans une bonne marche le long de la grève.
12 décembre 2011
Retour au bercail
La brise tiède caresse mon dos nu. Juchė sur le skybridge du Bum chromé, je contemple la pleine lune couleur de barbe-à-papa qui s'estompe en s'enfonçant sous l'horizon saumoné à l'embouchure du mouillage de Wallilabou, au centre de Saint-Vincent. On n'est décidément plus à Paris.
Derrière moi, le décor bien particulier de la petite anse (qui a servi au tournage d'épisodes de "Pirates des Caraïbes") est encore plongé dans une semi-pénombre, le soleil levant dore tout juste les crêtes des collines environnantes. Pas un bruit sauf le chuintement des vagues sur la courte plage abrupte, tandis que je tape cette reprise du blogue sur mon iPad.
Avant de quitter la France mardi, nous sommes allés dimanche vivre une seconde soirée du Festival de cinéma de Janine Euvrard, à la fois plus conviviale et plus éprouvante. À notre arrivée rue Monsieur-le-Prince, Janine et Michel nous ont persuadés de sauter la séance de 18h et d'attendre celle de 20h30, clou de cette journée consacrée au cinéma iranien. Azur a plutôt choisi de rentrer à l'hôtel, voulant mėnager ses forces pour le long voyage du surlendemain.
Je me suis donc retrouvé seul avec Michel Euvrard à boire un verre (excellent) au "Père Louis", sympathique bar à vins voisin. Mais pas pour longtemps; quelques minutes plus tard Anne (la patronne du ciné) et Janine débarquaient avec... Azur, qui avait rebroussé chemin pour venir nous retrouver. Le temps de le dire, le reste de l'équipe nous rejoignait pour envahir la salle à dîner en contrebas: Frédo le photographe, l'animateur Dominique Vidal, Carole la co-programmatrice et deux ou trois autres, dont j'oublie noms et fonctions.
Bouffe moyenne mais chaleureusement partagée, discussion animée sur le déroulement de l'évènement, arguties sur le sens d'un même mot arabe au Maghreb et en Égypte, potins parisiens bien épicés...
Nous redescendons au tréfonds du cinéma vers une salle qui s'est tout-à-coup remplie. Et vers un film percutant mais parfois difficile à digérer: une combinaison de bandes dessinées, photos, vidéos floues ou tremblantes prises par des téléphones portables, témoignages oraux en arrière-plan ou projetés en blanc sur noir, courriels et twitters qui conjointement s'efforcent de donner une idée juste et complète des espoirs, atrocités et déceptions de la campagne électorale de 2009 à Téhéran, cet espèce de prologue de l'actuel soulèvement arabe.
Le plus dur pour Azur, c'est la longue scène où un garçon honnête, des plus ordinaire, assis simplement sur un banc de parc public, explique en détail, à sa cousine qui vient d'être libérée après des semaines de détention comme "provocatrice" (manifestante), comment il s'est retrouvé de l'autre côté de la barricade à matraquer, emprisonner et violer des gens comme elle, jusqu'à ce que l'assassinat gratuit de trois adolescents, commis au coin d'une rue sombre avec une bande d'autres "défenseurs de la Révolution islamique", l'écoeure suffisamment pour qu'il laisse tout tomber. Pour moi, le choc est plutôt de recevoir en plein visage les côtés violemment physiques et émotifs, parfois sanglants et macabres de ce phénomène sur lequel je réfléchissais dans l'abstrait et que nous appelons pudiquement le "Printemps arabe".
De toute façon, nous sommes assez secoués que nous n'avons pas la patience de rester pour le débat public qui suit, entre un savant historien du Moyen-Orient et un correspondant iranien d'un journal français de gauche, avec une journaliste du quotidien catho "La Croix" comme modératrice.
Lundi, dernier jour à Paris, nous tentons de joindre, avec plus ou moins de succès, les copains que nous avions promis de rencontrer mais que nous ne verrons pas faute de temps. Ce sont les Dubray et Frachon, Gérald et Paule, que nous avions connus ensemble à Aix mais qui vivent maintenant séparés en région parisienne (leur fils Julien, ironie du sort, a émigré à Montréal); Louis-B. Robitaille ex-correspondant de La Presse, qui vit entre Paris et Sète; et Marine Karbowski, la belle-fille peintre de Bernard Savonet.
Le personnel de l'hôtel aussi tient à nous faire ses adieux comme si nous étions de la famille. Le fils du proprio, "Monsieur Laurent", en particulier, nous entretient dans le bar pendant une bonne heure avant de nous permettre de grimper à la chambre finir nos bagages!
Au réveil, un taxi nous ramasse et nous emmène rue d'Anjou prendre Janine, puis à Orly au salon d'attente d'Air Caraïbes. Bon vol, nourriture agréable (malgré une crise aiguë d'indigestion de ma part) et vol pratiquement sans histoire qui nous dépose en fin d'après-midi au Lamentin. Là, nous ratons (comment? dans un aéroport grand comme ma poche?) les cousins Daniel et Charles, venus nous accueillir, mais pas le taxi Rodolfo qui nous descend avec une célérité inaccoutumée jusqu'à la Marina du Marin. Installation à bord, les voisins helvético-languedociens Michel et Florence, l'ami éternel Raymond Marie et le cousin Charles, qui a fini par nous rattraper, viennent célébrer ça dignement au rhum paille dans le cockpit arrière.
Depuis le dernier passage, il s'est ajouté à notre coin de Marina deux branches de pontons, foisonnantes de catas de plus en plus imposants. . Ce qui vivait jadis au rythme d'un paisible village flottant sous un soleil tropical a pris des allures de banlieue en pleine croissance sous un ciel qui s'obstine à demeurer gris et pluvieux, depuis des semaines nous dit-on.
Un peu plus tard arrivent notre femme de confiance, Henrietta, toujours aussi jeune -- quoique quatre ou cinq fois grand-mère -- et son fils Charles, dit Twiggy, qui nous accompagnera une fois de plus comme cuisinier et homme à tout faire. Pendant qu'ils se livrent au grand branle-bas de la préparation du Bum à une dizaine de jours en mer, nous allons avec notre passagère prendre un apéro au Mango Bay. Le patron hollandais nous accueille avec sa faconde habituelle et ce vieux vagabond de Pancho, qui a pris sa retraite de la vente d'agrès de pêche, vient prendre une bière avec nous.
De l'autre côté de la rue, l'increvable Lucille nous a réservé une table à Marin-Mouillage, car Azur a hâte de faire goûter à Janine la plus authentique cuisine locale. Au menu, coquille de lambis épicée et féroce d'avocat à la morue salée, suivis d'un abondant et goûteux poulet boucané accompagné de légumes-pays. Difficile de demander mieux.
Jeudi, il fait encore gris, mais on annonce mieux pour le lendemain. Ce sont donc les derniers préparatifs du départ: provisions "chez Annette", inventaire et vérification de tout l'équipement de bord et des instruments de navigation.
À mon habitude ici, je me lève avec la première lumière du jour vendredi et découvre un ciel déjà bleuté, semé de nuages floconneux prometteurs de beau temps et même d'un peu de vent. Nous levons l'ancre sitôt tout le monde à bord et les formalités remplies. Une fois la Pointe des Salines laissée à babord, une petite brise vient gonfler le génois pour nous pousser vers Sainte-Lucie sur une mer sans vagues... ce qui rassure notre amie Janine, dont c'est le premier jour de voile sous les Tropiques.
Les moteurs coupés, nous descendons à un modeste cinq noeuds jusqu'au charmant mouillage de Marigot Bay, dont nous voulons épater Janine. Nous nous y amarrons sans problème à une bouée libre en milieu d'après-midi, avant de partager un agréable repas que Twiggy est allé chercher dans un restaurant voisin. Un steel band joue dans un des bars-dancings derrière nous, mais ou bien il s'arrête très tôt, ou bien le son ne pénètre pas dans nos cabines, car nous dormons comme des bûches jusque bien après le lever du soleil.
C'est dans le calme plat que nous filons vers le sud, d'abord sous le vent de Sainte-Lucie puis celui de Saint-Vincent, jusqu'à l'étroite et profonde anse de Wallilabou et ses références ciné-flibustières.
03 décembre 2011
Gaîtés parisiennes
Belle soirée bien parisienne mercredi, rue Monsieur-le-Prince à deux pas du Luxembourg. C'était l'ouverture du 5e festival "Proche Orient - que peut le cinéma" que notre amie Janine Halbreich Euvrard organise tous les deux ans contre vents, marées et contretemps et auquel nous contribuons avec grand plaisir à la mesure de nos moyens -- au même niveau que les émirs de la Ligue arabe, paraît-il, mais bof. Est presque émir qui veut, de nos jours!
Comme il se doit dans ce quartier branché de l'Odéon, ça démarrait en face du cinéma dans un pub irlandais très "atmosphère" qui jouait du Leadbelly et du Joan Baez en sourdine. Nous étions les premiers arrivés, j'ai pris une Harp, Azur un cognac, et un beau Berbère dans la jeune quarantaine s'est pointé à notre table: "Vous avez vu Janine?" C'est le cinéaste dont le film inaugurait l'évènement, Nabil Ayouch.
Notre amie a débarqué dix minutes plus tard, suivie de son ex-ex (puisqu'ils revivent ensemble) Michel Euvrard, du photographe "officiel" Frédé (militant CGT de son métier), du co-animateur du festival Dominique Vidal (ancien patron de Janine au Monde Diplomatique), de la costaude et fascinante ambassadrice de la Palestine à l'Union européenne Leila Shahid, de la patronne du cinéma Anne Vaugeois (bien française malgré son nom), etc.
En vingt minutes, l'endroit se peuplait d'une faune germano-pratine de gauche mâtinée de journalistes, où tout le monde parlait haut sans paraître entendre personne, tandis que champagne et bordeaux arrosaient grignotages, pizzas au thon et salade maghrébine. Janine nous a prėsentés à un peu tout le monde jusqu'à ce qu'il soit temps de traverser la rue pour plonger au fond des entrailles du ciné "Trois Luxembourg" -- quatre escaliers à pic, je m'attendais presque à me retrouver dans les catacombes de Lutèce.
La petite salle était remplie à quelques fauteuils près, et la séance commençait par la projection vidéo du "Sout al Horeya", cet hymne de la révolte égyptienne de février que j'avais tout bêtement repiqué de YouTube sur un DVD. Applaudissements nourris de ceux qui comprenaient l'arabe, polis des autres -- nous avions négligé de sous-titrer en français. Curieux comme, à dix mois d'intervalle, ça redevient pertinent et émouvant, face à ce qui se passe de nouveau Place Tahrir...
Le premier film, un court-métrage, mettait en scène un Palestinien et son fils venus revoir, après des décennies, leur village d'origine devenu musée archéologique à ciel ouvert. Une séquence extraordinaire: pendant plus de cinq minutes, le père est suivi pas-à-pas le long de la route déserte par la voiture des soldats israéliens qui viennent de l'expulser du site, une 4X4 à la grille agressive qui gronde et rampe dans la poussière comme un grand fauve. Hallucinant et presque insupportable.
Le film principal "My Land" de Nabil Ayouch est aussi un documentaire, plus long et plus complexe. Le cinéaste, mi-juif, mi-marocain, a eu l'idée étonnante et efficace de montrer à des Israéliens dans la vingtaine, pour obtenir leurs réactions, des entrevues qu'il a tournées avec de vieux réfugiés palestiniens parqués dans les camps libanais, chargés de la douleur de l'exil et des regrets du pays perdu, dont ils évoquent éloquemment les couleurs, les saveurs et les parfums de soleil, d'olivier et de jasmin. Les réactions sont aussi variées qu'imprévues, avec comme seul point commun une invraisemblable ignorance (parfois même indifférence) des jeunes Israéliens vis-à-vis leur propre histoire.
Azur, en particulier, a été émue et interpellée par la dimension humaine, émotionnelle, que cette approche donne à un conflit dont on ne voit habituellement que des images de violence guerrière, dont on n'entend que des discours politiques. Le débat qui a suivi traduisait bien cet aspect inédit, notamment à travers les échanges entre la Palestinienne Leila Shahid et Yael ben Yefet, une des animatrices du massif mouvement contestataire israélien de l'été dernier.
Le volet plus personnel de la soirée était pour nous le lancement informel de mon pamphlet "Refaire le monde", une cinquantaine de pages dont une centaine d'exemplaires imprimés à la va-vite chez un photocopieur du Quartier Latin ont été distribués par Janine et ses collègues aux personnalités présentes, dans l'espoir de susciter un intérêt menant à une publication plus officielle.
Après avoir pensé faire la ronde des éditeurs parisiens manuscrit en main, des conversations avec les Euvrard et quelques autres m'ont en effet lancé dans une tout autre direction. J'ai choisi une approche "virale", parlant et faisant parler du texte par mes copains ici et là, et faisant circuler des exemplaires dans les milieux intellectuels, littéraires et journalistiques qu'ils fréquentent. Entre autres, Janine va le faire lire à son ami Stéphane Hessel, auteur du spectaculaire et imprévu succès de librairie "Indignez-vous!", et une représentante du mouvement français des "indignés" qui était présente mercredi m'a déjà contacté. On verra bien.
Je suis allé manger il y a une dizaine de jours avec un vieux copain et complice de l'époque de Michel Cartier et de ViaNet, Jean-Michel Billaut. L'ancien directeur de l'Atelier de la Cie bancaire et "Monsieur Internet" français a perdu une jambe et s'est mis au vert dans son village près de Montfort-L'Amaury, mais il n'a rien abandonné de sa verve ni de son énergie.
Le même soir, retrouvailles avec un autre camarade des années '80, Jean-Claude Quiniou, dans son douillet appartement de la rue de Buci. L'ancien critique du Parti communiste en matière de technologies a encore un peu vieilli depuis notre dernière rencontre, et j'ai l'impression que sa mémoire courte n'est plus ce qu'elle était. Nous avons donc passé le gros du temps à échanger des souvenirs d'enfance et de jeunesse, entrecoupés de nouvelles sur nos vieilles connaissances communes. Sa compagne Ghislaine et leur fils Mathieu sont passés en coup de vent, entre un cours d'université et une réunion militante, changeant complètement le ton et le tempo de la conversation...
Pour le reste, nous avons retrouvé avec plaisir les amies Gisèle Maia et Janine Chapon, revisitant avec la première un de nos restos chouchous du Bd Saint-Germain, Vagenende, et entraînant la seconde au fond du XVe arrondissement, Porte de Vanves, pour le fabuleux couscous du Caroubier.
Il fallait bien aussi jouer un peu aux touristes, surtout que j'étrennais ma dernière folie photographique, le superbe reflex a77 de Sony avec ses 24,3 millions de pixels, son viseur électronique dernier cri, son écran orientable et ses zillions de fonctions -- y compris la vidéo HD, dont je ne suis pas sûr qu'elle va me servir.
Ça s'est traduit par une série de virées en autobus dans tous les coins de Paris (le temps a été plutôt clément pour la saison), y compris la grimpette sur la Butte en Montmatrobus, et la descente à la nuit tombante des Champs Élysées,
La bonne nouvelle ultime, c'est que nous aurons une agréable compagne pour naviguer sur le Bum chromé à partir de la semaine prochaine. La vieille amie d'Azur Janine Chapon a décidé de venir avec nous en Martinique jusqu'à Noël.
Les prochaines nouvelles vous proviendront donc du ponton 6, Marina du Marin!
11 novembre 2011
Elle est à toi, cette chanson…
06 octobre 2011
En deuil de souvenirs
02 octobre 2011
La France a (pour l'instant) un Sénat!
01 octobre 2011
Retrouvailles
09 août 2011
Le Suicidé de l'année?
18 juin 2011
Douze Hommes rapaillés
Nous hésitions à rentrer à Montréal dès la mi-juin, mais la seule soirée d'hier le justifiait. Amplement. Près de trois heures magiques à baigner dans la poésie du vieil ami Gaston Miron, interpétée en musique par "12 Hommes rapaillés" animés par un génial mélange de complicité et d'amour des textes. Ce spectacle était en fait le cadeau d'anniversaire que nous offrions à ma soeur Marie, et nous trouvions sympa de le vivre avec elle et Jean, son compagnon de bientôt trente ans. Trois jours à peine après notre arrivée de Paris, nous nous sommes trouvés tous les quatre devant le foyer du Théâtre Maisonneuve de la PdA, après avoir franchi un espèce de "parcours du combattant" résultant de la juxtaposition des installations en plein air des Francofolies et de travaux majeurs de voirie sur la rue Sainte-Catherine. Assis à nos excellentes places (3e rangée au centre), nous nous demandions si les attentes suscitées par la version sur disque seraient satisfaites. Dès l'entrée en scène de Michel Faubert avec "La Corneille", tous les doutes étaient levés.La collaboration de Gilles Bélanger et Louis-Jean Cormier pour transposer en chansons notamment de larges extraits du poème-fleuve "la Marche à l'amour" s'avérait non seulement une réussite dans le respect scrupuleux de l'esprit du poète, elle y ajoutait le tour de force de coller à la peau de chacun des artistes tout en dévoilant les multiples facettes de l'homme Miron: le côté sombre de Pierre Flynn (superbe) et de Martin Léon, le romantisme assumé de Richard Seguin et de Daniel Lavoie, la vigueur juvénile de Yann Perreau, la sensibilité de Vincent Vallières et de Jim Corcoran, la voix graveleuse et la ferveur nationaliste d'Yves Lambert devenaient des éléments cohérents d'une seule personnalité complexe. Comme il était interdit de prendre des photos, j'ai piqué l'image ci-dessus sur un site des Francofolies ;-\
15 juin 2011
Un épisode très parisien
(15 juin 2011) Le dernier séjour à Paris aura été très "parisien", dans le sens social et même mondain du terme. Il a été marqué par des retrouvailles avec de vieux amis, dont trois que nous n'avions pas vus depuis des années. Nous avons pris le TGV de Montpellier assez tard samedi le 4 (impossible de trouver des places le lendemain, retour des vacances de l'Ascension), après avoir regardé à la télé la Chinoise Li Na battre en finale de Roland-Garros notre favorite et gagnante de l'an dernier, Francesca Schiavone. Décevant pour nous, mais c'était un bon match. Nous avons donc débarqué du train presque en pleine nuit à la Gare de Lyon, sans dessus dessous pour cause de travaux. Les panneaux de direction temporaires étaient si précis que nous avons échoué au sous-sol, face à un terminus d'autobus, au lieu du poste de taxis sur le parvis à l'étage. Faute de mieux, nous avons donc hissé nos bagages dans un bus 63 qui nous a déposés à l'Odéon, où nous savions pouvoir trouver des taxis à n'importe quelle heure. Traîner nos valises à travers la foule des fêtards du samedi soir boulevard Saint-Germain nous a curieusement rajeunis, nous ramenant à l'époque de nos premiers voyages en France, quand nous hantions les petits hôtels étudiants du Quartier Latin! Il était près de minuit quand nous sommes enfin arrivés à notre hôtel habituel (beaucoup plus luxueux, celui-là) de la rue Saint-Didier, près du Trocadéro. Heureusement, le gérant de nuit, qui nous connaît bien, avait gardé la chambre libre, et notre chasseur belge préféré Pascal, promu barman entre-temps, nous a d'autorité servi un bon cognac pour nous requinquer. Mieux encore, on avait déposé dans la chambre la valise de vêtements que nous avions laissée là en consigne il y a plus de six mois, après la croisière sur le Danube. Dimanche, lunch à la bonne franquette au Pub Kléber tout près, où la patronne est venue nous embrasser comme de vieux amis et nous faire part du décès de son conjoint de plus d'un demi-siècle... que nous ne connaissions ni d'Ève ni d'Adam! Puis repos et re-cognac en regardant "Vamos" Nadal battre, plus difficilement que d'habitude, son éternel rival Federer pour remporter son sixième Roland-Garros. Lundi, après quelques réticences, Azur m'a accompagné dans un mythique resto de La Villette, "Au Boeuf couronné", temple des belles pièces de viande depuis 1865, quand il voisinait avec les grands abattoirs de Paris, démolis depuis. Nous y attendait la vieille copine Maryse, que nous n'avions pas vue depuis un Noël chez Armande en Martinique, et dont l'appartement de la Place des Fêtes, près des Buttes-Chaumont, nous a plusieurs fois accueillis au cours des décennies. Azur a eu droit à un énorme et tendre rognon de veau, moi à un copieux filet de boeuf béarnaise précédé d'un impressionnant trio d'os à moëlle fondants à souhait. Mardi, une de nos habituelles balades en bus à travers la grisaille de Paris. Mercredi, séance de bouquiniste (Azur achète le dernier Pivot, mais le lira-t-elle?) et petites courses, pharmacie pour les yeux encore un peu rouges de madame. Quelques coups de téléphone au hasard à des amis un peu perdus de vue, qui nous permettent de reprendre contact entre autres avec nos anciens complices de Forcalquier de 1983-84, le technologue et adjoint de recherche Gérald Dubray de Fresnes et l'ingénieur-écrivain Jean-Claude Quiniou de la rue de Buci, toujours marxiste mais divorcé de son rôle de critique du Parti communiste français en matières d'informatique et de télématique. Plus les incontournables Euvrard de Montparnasse et l'ex-montréalais Hervé Fuyet, maintenant en semi-retraite à Malakoff, d'où il dirige les éditions virtuelles russe et anglaise du quotidien L'Humanité. Jeudi, flânerie du côté de Saint-Germain et découverte d'un minuscule restaurant que nous ajouterons impérativement à notre liste de coups de coeur. L'Épigramme cache ses cinq ou six tables nappées de rouge dans la petite et étroite rue de l'Éperon, derrière la rue de Seine. Monsieur, anglais, et madame, française, préparent avec amour des classiques de la cuisine bourgeoise "revisités" et allégés: blanquette, coq au vin, pot-au-feu... Et pour finir, une crème catalane parfumée à la menthe et brûlée sous nos yeux comme il se doit. Vendredi midi, nous retrouvons à l'une de nos grandes tables favorites, le Passiflore de Roland Durand, rue de Longchamp, Janine et Michel Euvrard et Quiniou, immédiatement reconnaissable même si l'âge et la maladie l'ont sérieusement aminci. Manquent à l'appel Fuyet et sa fille karatéka Peggy, qui nous ont fait faux-bond pour un mariage en Allemagne, et Dubray, que je n'ai pu joindre à temps pour lui fournir les détails du rendez-vous. Dommage, mais tant pis. Le chef Durand nous escorte lui-même à notre place en habitués de marque, ce qui ne manque pas d'impressionner un peu nos amis parisiens. Ils sont encore plus ravis des fines ravioles de homard à l'asiatique qu'on nous sert en entrée, puis des petites mais rondelettes cailles rôties sur lit de mousseline, arrosées d'un fin mercurey dont Quiniou, en particulier, se délecte ostensiblement. Azur est tout heureuse de retrouver sa copine Janine, avec qui elle a développé des "atomes crochus" étonnants, et presque autant de renouer avec un Quiniou que la retraite a visiblement adouci et relaxé depuis nos derniers contacts il y a près de dix ans. Lui qui était toujours à la course, braqué sur ses projets et ses initiatives (notamment les Prix Möbius du CD-ROM qu'il organisait avec sa femme Ghislaine Azémard), se contente de me glisser une épaisse enveloppe de ses derniers écrits, puis se joint à la conversation générale, raconte avec verve des souvenirs de jeunesse et des anecdotes de famille (son fils, philosophe connu, l'a traité publiquement de "dinosaure" ou quelque chose d'aussi flatteur) et discute avec humour les dernières péripéties politico-sexuelles -- affaire DSK oblige! Nous retrouvons le Quiniou bon copain avec qui jadis, dans notre salon de l'Île des Soeurs, nous chantions à tue-tête du Félix, du Vigneault et du Ferrat assis par terre autour d'une marmite de homards! C'est avec une vraie surprise que nous découvrons en nous levant de table qu'il est bientôt 16 heures, que nous sommes les tout derniers clients et qu'on est déjà en train de dresser les tables pour le soir... Cela ne nous empêchera pas de nous attarder devant un digestif au bar de notre hôtel avec les Euvrard. Après un samedi de tout repos, nous traversons de nouveau Paris dimanche midi pour grimper les (durs) escaliers de l'atelier de Pantin où nous devons rejoindre Marine, la fille peintre de nos amis Savonet-Dolonne. Elle nous remet le surprenant tableau que nous lui avions acheté il y a plus d'un an, "Les oiseaux préfèrent marcher", dont les dominantes vert tendre et mandarine lui donnent une atmosphère de rêve éveillé. Comme (dimanche aidant) la plupart des bouis-bouis du coin sont fermés, nous la convainquons de nous accompagner pour une seconde session au "Boeuf couronné", toujours aussi savoureux. Cette fois, je m'offre un trop abondant tartare, Azur une grillade d'espadon. Avec le même vigoureux Lalande de Pomerol qui nous avait comblés la semaine dernière. Lundi, veille du départ pour Montréal, nous retrouvons Gisèle Maia chez Wepler, la grande brasserie écaillère de la Place de Clichy. Ces dames règlent son compte dans les règles de l'art à un pantagruélique plateau de fruits de mer, tandis que je me contente de modestes quenelles de brochet (une fois n'est pas coutume). Puis nous passons chez Gisèle, près de la porte de Saint-Ouen, où avec l'aide de son neveu Thierry et malgré les distractions imposées par sa remuante petite-nièce Camille, nous configurons pour Internet et autres apps l'iPad que Marie-José a résolu de lui léguer -- avec la ferme intention de se procurer un iPad 2 dès son retour au Québec. Somme toute, une dizaine de jours plutôt bien remplis, avec deux seuls regrets. J'aurais bien aimé visiter l'expo Manet au Musée d'Orsay, et voir une pièce intitulée "Que faire?", en référence plus ou moins directe à Lénine, où un vieux couple qui peut-être nous ressemble dissèque l'actualité à coups de citations classiques au Théâtre de la Colline dans le 20e. Une autre fois?
01 juin 2011
Pastis marseillais et Rita Piazza
(1 juin 2011)Retour tranquille en train d'une agréable petite virée du côté de la Canebière. Nous avions promis à nos deux copains qui vivent dans le coin, Rita Piazza, la soeur de mon très vieil ami François, et Bernard Savonet, de passer les voir avant de repartir vers Montréal. De toute façon, même si nous n'avons pas envie d'y vivre, Marseille demeure une ville fascinante, pleine d'un charme brouillon et d'une vitalité nerveuse, si bien que deux jours là-bas sont loin d'être une pénitence. L'express de Nice nous a donc déposés en milieu d'après-midi lundi à la Gare Saint-Charles, d'où un taxi nous a emmenés à une allure d'escargot jusqu'au même hôtel que nous avions fréquenté à deux reprises par le passé. La Résidence du Vieux-Port a été rénovée et modernisée dans l'intervalle, mais en préservant la saveur méridionale qui, ajoutée à un emplacement fabuleux au début du quai qui longe la rive droite du port, la rend irrésistible. Nous nous sommes retrouvés dans une grande chambre claire, toute de blanc, de rouge écarlate et d'ocre ensoleillé, dont la petite terrasse au quatrième étage donnait sur la forêt de mâts de la marina et, plus loin, sur les deux forts et la colline où campe Notre-Dame de la Garde. Impossible de toucher rapidement Rita, que nous aurions aimé voir en debut de soirée. Elle a fini par nous rappeler, et nous avons pris rendez-vous pour le lendemain soir. Nous sommes donc partis seuls nous balader dans la foule de flâneurs de tous âges le long des terrasses qui encadrent le vieil hôtel de ville, avec un arrêt-pastis (obligé) aux Canotiers, avant de nous rendre à une de nos destinations marseillaises favorites. La Maison du Pastis est une boutique unique au monde, dédiée à tous les alcools anisés. Fondée il y a bientôt vingt ans par un Belge tombé amoureux en même temps du pastis, de la ville et d'une jolie Marseillaise, elle offre un choix fabuleux de produits artisanaux provenant d'une grappe de villages de la région, mais aussi de Corse et d'Afrique du Nord. Nous en sommes sortis chargés de quelques belles bouteilles introuvables ailleurs, dont un Mazzarini corse, un Boyer aux effluves de réglisse et une absinthe "maison" qui titre au-dessus de 60 degrés d'alcool. La météo nous promettait de la pluie pour mardi, elle s'est heureusement trompée. Ce qui nous a permis une jolie balade sous un ciel un peu gris avc l'ami Savonet, à travers les vivants quartiers de la cité, en premier lieu le belvédère de la "Bonne Mère", le tout entrecoupé d'une très respectable et copieuse bouillabaisse à la "Cuisine au Beurre", traditionnel resto de fruits de mer nommé d'après un film du tandem Fernandel-Bourvil. Le tout se terminant par un cocktail luxurieux au milieu des vols de moineaux impertinents qui ont élu domicile sur une terrasse de l'Espace Borrely, le long des plages du côté du Prado. Malheureusement, comme nous nous préparions à rentrer rencontrer la copine Rita, Azur a été prise d'une rougeur et d'une assez vive douleur aux yeux, résurgence d'une infection bactérienne contractée en croisière il y a six semaines et dont elle e croyait débarrassée. Cela a nécessité une descente d'urgence chez un ophtalmologiste où il a fallu longuement faire la queue, puis à une pharmacie ouverte en soirée. Le temps de revenir à l'hôtel, il était trop tard pour voir Rita. On se reprendra au prochain passage, sans doute cet automne... Prochaine étape à partir de dimanche, une semaine et quelque à Paris avant le retour à Montréal à temps pour la Saint-Jean et le Festival de jazz.
27 mai 2011
Indignados et printemps arabe
(27 mai 2011) Avant de grimper dans ma chaire de prêchi-prêcheur, un ou deux plaisants intermèdes. Nous avons entamé mardi avec les Chantefort le jambon "belotta" ramené de la Boqueria de Barcelone, qui trône désormais sur son support de bois au centre de la table de cuisine. Un peu gras, il est cependant d'une douceur fondante marquée de la pointe d'amertume caractéristique qui prouve que l'animal dont il provient a bien été nourri de glands de chêne. Découpé en fines tranches, accompagné de melon de Cavaillon bien mûr, c'est un plaisir digne des dieux -- et de nos amis.
21 mai 2011
DSK et la femme de chambre
(21 mai 2011) Bien installés dans le confort et le beau temps de Montpellier, nos voyages ces jours-ci sont mentaux et intellectuels plutôt que physiques. Ils ne nous passionnent pas moins. Forcément, l'affaire Strauss-Kahn occupe l'avant de la scène. Pour les Nord-américains (donc voisins des USA) que nous sommes, la plupart des réactions françaises nous sidèrent, autant par leur irréalisme que par ce qu'elles révèlent d'un fond sexiste qui subsiste dans la mentalité. En premier lieu, les amateurs de complots s'en donnent à coeur joie: 57% des Français, selon un sondage, croient à un "coup monté" et bon nombre de politiciens (souvent de gauche, hélas), ne se sont pas abstenus d'insinuations en ce sens. Alors que, face aux faits connus, c'est assez invraisemblable: choisir une noire de 32 ans (pas très attrayante, dit l'avocat de DSK) comme appât, organiser le "piège" pour qu'il se passe sans témoin ni photographe, et qu'ensuite la présumée victime aille se plaindre à des collègues plutôt qu'à la direction ou à la police? Ben voyons! Même l'affaire Clearstream était mieux montée que ça! Le fait que l'hôtel ait attendu une heure pour alerter la police me fait d'ailleurs soupçonner que sa première réaction aura été de balayer le tout sous le tapis -- d'autant plus que selon des journalistes américains, DSK aurait été l'objet d'autres plaintes du même genre dans le même hôtel depuis un an et demi, qui n'ont jamais été rendues publiques. J'ai l'impression que c'est parce qu'une bonne partie du petit personnel était déjà au courant que le Sofitel s'est résigné à appeler les flics. Deuxièmement, réclamer pour Strauss-Kahn la présomption d'innocence, d'accord, mais il y a des limites. Quant un pick-pocket bien connu se fait prendre pratiquement la main au gousset, on tient quand même compte des antécédents! Or, selon des sources diverses (dont un article d'octobre dernier sur "forum.aufeminin.com"), quand il participait à des réunions en province, DSK demandait qu'on lui fournisse une "chambre d'hôtel garnie", et certaines élues évitaient de se trouver seules dans une pièce avec lui, par crainte de sa "drague lourde". Sans oublier l'incident Piroska Nagy, pas très joli, au FMI en 2008. Ou l'accusation portée contre DSK à la télé en 2007 par la journaliste et écrivaine Tristane Banon d'un quasi-viol en 2002; elle a décidé de ne pas donner suite, mais elle n'a rien retiré de ses allégations. "Oui, mais de la drague lourde au viol, il y a toute une marge", argumentent les défenseurs de l'ex-patron du FMI. Ce n'est pas faux… mais il est aussi vrai que le glissement de l'une à l'autre est tout à fait envisageable, de même qu'un vol de sac dans la rue n'est pas une agression armée, mais peut dégénérer en violence si la victime résiste. La différence, au fond, en est bien plus une de degré que de nature. On devrait aussi prendre en compte le contexte. Les flics de New-York ont l'habitude de gérer les incartades (souvent carabinées, j'en ai vécu) de personnalités, notamment des diplomates de l'ONU. S'ils sont allés alpaguer une sommité internationale comme DSK en première classe d'un avion d'Air France en partance, ils ne l'ont pas fait sans biscuit. Je trouve par contre dommage que la droite se soit la première préoccupée du sort de la femme de chambre vraisemblablement agressée (Gisèle Halimi étant une heureuse exception); la gauche a fini par s'y résigner, mais bien tard et bien à reculons -- je pense en particulier à la réaction de l'ancien ministre de la Justice Robert Badinter quand le journaliste Laurent Joffrin (pourtant de gauche lui aussi) lui a fait remarquer qu'il n'avait pas eu un mot de compassion pour la présumée victime: "Mais ce serait équivalent à admettre que DSK est coupable!", s'est indigné Badinter, inconscient du parti-pris grossier qu'il trahissait ainsi. Dans le même sens, je crains fort que la "défense" de DSK ne se résume à une campagne massive de salissage contre une immigrante mal équipée pour y faire face et dont la vie pourrait être brisée. C'est en tout cas le plus prévisible, étant donné la personnalité de ses avocats et les pratiques courantes aux USA, en particulier à New-York. L'autre possibilité, qui s'avérera de plus en plus vraisemblable au fil du temps, c'est qu'il plaide coupable à une accusation réduite en offrant un paquet d'argent en "dommages et intérêts". Pas très honorable, tout ça... Évidemment, le nombrilisme des Français (tout aussi virulent que celui qu'ils reprochent aux Américains) a fait que pendant près d'une semaine, télé et journaux ont pratiquement oublié ce qui se passait dans le reste du monde, en particulier dans le "printemps arabe" qui risque de se transformer en été très chaud. Je me sens assez ambivalent face à cette éventualité: d'une part heureux que la réaction en chaîne de révoltes populaires (que j'avais prédite et espérée dès la première étincelle à Tunis, fin janvier) vienne briser l'immobilisme complaisamment accepté par l'Occident d'une brochette de régimes tyranniques -- de l'autre atterré non seulement du peu de soutien concret qu'on fournit aux révoltés, mais encore et surtout de l'absence totale d'un cadre idéologique à leur suggérer pour poursuivre leur action. Je reviens à ma première réaction en février, quand je disais dans un courriel que ces révolutions allaient se retrouver "sans carte ni boussole" et ne pourraient compter ni sur les penseurs de gauche, ni sur ceux de droite pour leur en fournir. Les événements récents me donnent tragiquement raison. D'abord, les mouvements de gauche du monde arabe ont été systématiquement déconsidérés par les Occidentaux et écrasés (souvent avec la connivence de ceux-ci) par les autocrates, favorisant ainsi indirectement la montée des extrémistes islamiques dont nous avons maintenant peur -- ceci n'est pas une vue de l'esprit, j'ai assisté en personne à la version algérienne du processus dans les années 80 et 90. Les gauches occidentales sont elles-mêmes largement discréditées depuis la chute de l'empire soviétique; elles se perdent d'une part dans des querelles de personnalités et d'ambitions individuelles, d'autre part dans des arguties de chapelles qui rappellent tristement la stérilité des débats scolastiques du Moyen-âge. Je ne vois pas du tout comment, malgré la bonne volonté de certaines, elles peuvent offrir un cadre adapté aux besoins urgents des actuelles révoltes populaires. En revanche, il faut un sacré culot pour proposer comme seule alternative à "la rue arabe", ainsi qu'on le fait, une démocratie bourgeoise mâtinée de capitalisme sauvage qui ne peut que prolonger, sinon exacerber, les inégalités sociales et politiques dont ces peuples sont déjà victimes et contre lesquelles ils se soulèvent, se contentant d'en permuter les petites élites bénéficiaires! Je suis étonné, pour ne pas dire choqué, que les voix progressistes de l'Occident ne s'élèvent pas vigoureusement contre cette imposture, et qu'elles ne voient pas que là précisément se trouve la cause de l'instabilité et de l'insatisfaction que l'on perçoit clairement en Tunisie et de plus en plus en Égypte, et de la dégérescence des mouvements populaires en luttes de clans et de tribus dans la plupart des autres pays, la Libye la première. Donc, pas de solution toute faite. Qui donc pourrait organiser (par Internet, sinon physiquement) un grand forum des penseurs progressistes aussi bien des pays en développement que des plus industrialisés, pour tenter d'élaborer un projet de remplacement, une structure idéologique apte à réaliser et maintenir le délicat équilibre entre la regrettable mais incontournable inégalité créatrice de richesses et l'obligation absolue d'une meilleure répartition de ces richesses, équilibre pour lequel il faut immédiatement cesser de compter sur "les mécanismes du marché"? À mon avis, c'est seulement dans un contexte de ce genre que peut se révéler un débouché crédible à moyen et à long terme pour les énergies fabuleuses libérées par les actuelles révoltes. Pour revenir à des choses plus intimes, nous nous sommes offert mardi un festin délicieusement décadent au toujours merveilleux Jardin des Sens, avec pour (mince) prétexte la naissance du premier petit-fils de nos voisins Chantefort du dessous. En compagnie de l'ex-correspondant de La Presse à Paris Louis B. Robitaille (qui habite Sète) et de l'ancien directeur du tourisme français à Montréal Jean-Pierre Dréan, retraité à Aniane. Foie gras poêlé fondant avec un jurançon moëlleux à souhait en entrée, puis pigeon rôti et sa pastilla d'abats, diaphanes cannelloni de langoustines, séduisants ris de veau aux crevettes, etc. Sans parler des desserts indécents (par exemple carpaccio de fraises gariguettes aux cinq coulis ou tartelette soufflée à la poire caramélisée). Il a fallu deux jours pour digérer…