22 novembre 2007

18 novembre 2007

Les grandes vacances, c'est ça! Et si vous pensiez que nous étions déjà en vacances depuis des années (opinion fermement soutenue par mon frère Antoine), hé bien vous n'aviez rien vu!
Pourtant, ça n'avait pas si bien commencé. Lundi, la cage thoracique toujours de travers et plutôt douloureuse, je me suis résigné à aller au bourg du Marin voir le médecin (qui, grâce à l'intercession du copain Raymond Marie, m'a pris presque tout de suite), puis la clinique radio qui a rapidement diagnostiqué une fracture simple d'une côte du côté gauche (j'ai failli dire "babord") et une fêlure d'une autre à tribord (oups!). Donc, retour chez le Dr Salomon, qui me renvoie à la pharmacie voisine pour des mètres d'élastoplast, des kilomètres de sparadrap et divers onguents aussi odorants qu'efficaces -- enfin, espérons.
La bonne nouvelle, c'est que ce petit défaut d'infrastructure ne va pas m'empêcher de naviguer, à condition de me bander consciencieusement le torse et de ne pas trop souquer sur les manoeuvres. Donc, mardi, re-tournée d'adieux aux parents et amis, en passant par Fort-de-France pour les dernières emplettes.
C'est finalement mercredi matin que nous nous mettons en route, par un très beau temps à peine traversé par quelques grains grisâtres. Le moteur babord, son câble d'allumage remis à neuf, tourne de son mieux, les gros yachts à moteur ont fui sous d'autres cieux, désencombrant la marina. Après l'habituelle faufilade à travers les voiliers au mouillage, le Bum chromé ronronne vers Sainte-Lucie, ses voiles rapidement gonflées par une brise d'est quasi idéale, et la coque bercée d'une houle confortable. Escale dans le creux de Rodney Bay pour une longue trempette et un déjeuner sur le pouce, et descente pépère au moteur le long de la côte jusqu'à un des plus jolis mouillages que nous ayons vus jusqu'ici, Marigot Bay.
Imaginez une anse assez profonde entre deux collines, aux eaux bien protégées du roulis. Et juste au moment où vous vous dites: "Parfait!", vous vous rendez compte de votre erreur: vous apercevez au fond un goulot laissé libre par une barre de sable habitée d'une cabane turquoise et de quelques cocotiers, derrière lesquels se niche une sorte de petit lac bien rond, totalement à l'abri du vent, entouré d'hôtels rustiques et de bars ouverts sur la verdure environnante. Un vrai paradis du plaisancier.
Dans la quasi-obscurité, nous trouvons un bon coin pour jeter l'ancre, Gérard part à terre rencontrer des copains (y'a pas un coin de la Caraïbe où il n'en a pas une pelletée), tandis que du haut du skybridge, nous écoutons la fort bonne musique de jazz qui émane du bar J.J.'s voisin, le temps de prendre sommeil. Quelle mise en train pour cette descente sur les Grenadines!
Jeudi, la côte sainte-lucienne masquant le vent, nous pout-poutons en suivant le littoral jusqu'à la seconde ville de l'île, Soufrière qui, il faut le dire, a bien plus de charme que la capitale Castries.
Le mouillage choisi par le skipper est au sud du port, engoncé entre les deux "pitons" qui sont la marque de commerce nationale. Il s'agit de deux montagnes de 8 à 900 mètres, dont l'altitude modeste est compensée par le fait qu'elles plongent directement dans la mer, ce qui leur donne un aspect spectaculairement vertigineux, comparable seulement (du moins dans notre expérience) aux caps du Saguenay et à certains fjords de Norvège.
Gérard s'est entendu à l'avance avec son copain Johnson, un "boat-boy" qui nous aide à nous amarrer à une bouée, nous trouve un taxi fiable et une liste de bonnes adresses pour demain. Cependant, à cause de l'orientation du vent, le mouillage est loin d'être calme: la brise s'engouffre entre les deux Pitons et descend sur nous comme d'une soufflerie, atteignant des pointes de 20 noeuds. Heureusement que nous sommes sur un cata, les monocoques voisins ont l'air de rouler inconfortablement.
Après un peu de vagabondage dans les rues de ce qui n'est en réalité qu'un gros bourg sympa mais plutôt endormi, Redmond le taxi nous emmène vers "le seul volcan en activité qu'on peut visiter en voiture", un slogan publicitaire qui, pour une fois, correspond à l'exacte vérité. Une brèche dans le cône de la Soufrière (la montagne a le même nom que la ville et qu'une bonne demi-douzaine d'autres volcans de la région, et ses derniers sursauts remontent seulement à 1979) permet à la route de pénétrer jusqu'à un belvédère construit presque au centre du cratère, d'où s'échappent des fumées sulfureuses à la caractéristique odeur d'oeuf pourri. Sur la gauche, un escalier de pierre descend vers un bassin d'eau grise très chaude et chargée de soufre dans laquelle, après une courte hésitation, nous nous plongeons avec un plaisir imprévu mais bien réel.
Sortant du volcan par l'autre côté du cratère, nous nous retrouvons dans une passe en forme de selle de cheval où niche une élégante auberge, le Ladera, dont le restaurant, Dasheene, nous a été fortement recommandé. Avec raison. Non seulement les aliments (et les coquetels, notamment une surprenante concoction de rhum, curaçao, ananas et fruit de la passion sur un fond de thé à la citronnelle) sont excellents, mais le panorama est rien moins que magnifique: bar et salle à dîner construits de pierre et de bois verni sous un toit de paillote sont suspendus à peu près à mi-hauteur entre les sommets des deux Pitons, offrant une vue plongeante à couper le souffle sur la jolie baie entourée de verdure et bordée de sable blanc où est mouillé notre bateau.
La plupart des clients sont malheureusement de jeunes Américains coincés, qui ont visiblement peur de se risquer dans la cuisine locale (tout à fait respectable) et se contentent de steaks, poulets grillés ou même hamburgers. Pouah. Heureusement, il y a là un couple un peu plus âgé et plus déluré -- la jeune femme est photographe professionnelle--, avec qui nous avons un échange sympathique.
Malgré le roulis au mouillage, la nuit se passerait très bien si, pour une raison mystérieuse, ma côte cassée qui se faisait presque oublier depuis trois jours ne s'était remise à me causer des douleurs lancinantes, qui m'ont empêché de dormir jusqu'à trois heures du matin. Je me lève, lis un peu et retourne me coucher... et soudain, comme par enchantement, la douleur disparaît et je dors d'un trait jusque vers huit heures, réveillé seulement par les préparatifs de départ.
Nous profitons d'un bon vent de travers qui nous amène à près de huit noeuds à la pointe nord de Saint-Vincent. Escale à l'abri d'un cap boisé, le long d'une plage de sable gris bordée d'une rangée de cocotiers espacés avec une précision géométrique. Un bon bain dans une eau juste assez fraîche est suivi d'un lunch de côtelettes grillées à bord et d'une courte sieste.
Nous repartons au milieu de l'après-midi pour accoster au coucher de soleil dans la baie de Blue Lagoon, au sud de la capitale vincentoise, Kingstown. C'est une petite marina assez sympa qui ne compte que trois modestes pontons, dont la plupart des places sont occupées par des bateaux de location de Moorings, Sunsail et FootLoose, face à un petit complexe comportant hôtel, bar-restaurant et quelques boutiques. Mais la baie est mal protégée du vent, si bien que les pontons oscillent sans arrêt en frottant contre leurs pylones; curieusement, une fois descendus dans notre cabine, nous n'entendons rien de ce vacarme et dormons parfaitement bien.
Samedi matin, nous profitons du voisinage immédiat du resto pour nous offrir un gros déjeûner à l'américaine, avec oeufs, saucisses, toasts et confitures. Puis nous prenons un taxi qui dépose Gérard à l'aéroport (seul endroit où remplir les formalités de douane) avant de nous amener au centre-ville, qui semble n'être qu'une énorme, animé et bruyant marché à l'ancienne. Nous y circulons un bout de temps, dénichant ici du "bay rum" (remède souverain des Antillais contre tous les maux, de l'arthrite aux piqûres de moustiques), là de beaux gros avocats traditionnels, verts et dodus, bien éloignés de ces petits machins noirs et ridés qu'on nous vend sous ce nom à Montréal et à Montpellier.
Une soudaine et vigoureuse averse nous oblige à nous abriter à l'entrée d'un minuscule bistrot rempli d'amateurs de rhum Sunset et de bière Hairoun. Pas de place pour s'asseoir? Qu'à cela ne tienne: avec un large sourire, le gigantesque patron sort d'un fourre-tout voisin une table pliante, une banquette de bois brut et une chaise de plastique, et presto! nous voilà installés à une terrasse improvisée où, d'un geste plein de courtoisie, il dépose une bière et une bouteille d'eau minérale. Avec des verres ce serait mieux... mais faut pas trop demander, tout de même!
Vidal, un chauffeur de taxi disert et chaleureux qui nous avait abordés plus tôt, nous rattrape et nous propose de visiter les principaux lieux d'intérêt de Kingstown. Sa voiture est propre et confortable, il a du bagout et semble savoir de quoi il parle. Allons-y.
Nous escaladons d'abord une invraisemblable route en lacets encombrée de chèvres, de poules, de chiens et d'enfants qui s'écartent de justesse devant le pare-choc. Au sommet, à quelque 200 mètres d'altitude, nous pénétrons dans une forteresse fin 18e qui me fait fortement penser à la Citadelle de Québec, en plus petit. Cela n'a rien d'étonnant, toutes deux ont presque exactement la même histoire. Ce sont les Français qui ont commencé à les construire vers les 1750-60, et les Anglais qui les ont terminées au tournant des années 1800. Dans l'une comme dans l'autre, deux rangées de canons, une tournée vers la mer, l'autre vers la terre, et pour les mêmes raisons: défendre le port d'un côté, de l'autre prévenir une attaque d'une population locale hostile (Caraïbes et Noirs marrons ici, Amérindiens et Canadiens français là). L'intérieur, comprenant une prison et des logis militaires, a été transformé en musée dont l'élément le plus intéressant est une collection de tableaux historiques d'un style coloré, vif et original, peints par un ancien officier britannique. La vue sur la ville et le port est remarquable et, de l'ancienne guérite transformée en phare, l'on perçoit au loin les premières îles des Grenadines, notre prochaine destination.
Après la visite des deux églises qui se font face, la protestante et la catholique (celle-ci plus petite et plus hétéroclite, mais nettement plus charmante, avec ses décorations baroques, ses steel-drums remplaçant l'orgue et son joli jardin aux nénuphars) et un rapide tour de ville -- dont beaucoup de rues sont bordées d'arcades abritant des étals rudimentaires de vendeurs de tout et rien --, retour à la marina.
Le restaurant de l'hôtel n'a rien de gastronomique, mais il nous réserve quand même une agréable surprise: les meilleures frites que nous ayons mangées depuis la Belgique, surtout lorsqu'on les trempe dans un goûteux ketchup maison. J'en profite pour faire un peu d'Internet (courrier, et surtout comptes à payer) avant de rentrer à bord pour une seconde nuit ici, encore plus agitée que la première.
Dimanche matin, calme plat. Non seulement le vent s'est calmé, mais tous les commerces sont fermés et pratiquement personne ne bouge sur la rive. Normal, les îles ex-anglaises demeurent beaucoup plus "croyantes" que les françaises, avec leurs fortes communautés adventistes très pratiquantes qui s'ajoutent aux anglicans, aux méthodistes et à des minorités catholiques probablement d'origine française et espagnole. Dimanche, ici, demeure vraiment "le jour du Seigneur".
Après une petite demi-heure de galère pour dégager l'ancre coincée dans un corps-mort par dix mètres de fond, nous mettons la voile vers le sud. Par bonheur, sitôt sortis sous la pointe de Saint-Vincent, le vent reprend, orienté franc est et d'une belle constance, entre 15 et 18 noeuds. Nous filons donc vers Bequia (bizarrement prononcé "Beckoué") à plus de huit noeuds de moyenne, portés de plus par une longue houle dans la même direction.
Il nous faut à peine deux heures pour jeter l'ancre dans la baie de la première des Grenadines. Pendant que Gérard descend au village remplir les formalités de douane, Azur entreprend la préparation d'un plat de ses fameuses pâtes à l'ail, qu'elle avait eu l'imprudence de nous promettre il y a deux jours. Sitôt le skipper revenu, nous lâchons le tablier pour le maillot de bain. La plage voisine est superbe, l'eau d'un bleu-vert invitant. Pendant que nous y pataugeons avec délice, une bande de fous de bassan tropicaux (cousins des nôtres par la taille et la forme, mais assez différents par la couleur, grise et bleuâtre plutôt que blanche et noire) arrivent en tournoyant au-dessus de nos têtes puis se mettent à pêcher entre les baigneurs comme si ceux-ci n'existaient pas, les frôlant presque au passage. Le spectacle est d'abord un peu inquiétant: en plongeant presque à la verticale, ils prennent le profil et la vitesse de petites torpilles, précédées d'un bec luisant et bien pointu. Puis nous nous y habituons et suivons leur manège avec une fascination croissante, applaudissant comme des enfants lorsqu'ils émergent avec dans le bec un petit poisson argenté.
La baignade nous a certainement ouvert l'appétit, nous faisons un sort à la montagne de pâtes "al dente" qu'a fait cuire Azur, puis à la plus grande part d'un énorme et juteux ananas légèrement arrosé de rhum vieux. Au coucher de soleil, les sons d'un concert de gospel et de calypso qui se tient au village voisin nous tirent doucement de la sieste, pour une fin de journée tout en douceur. Dur, dur, les vacances aux Antilles...

14 novembre 2007

11 novembre 2007

La dernière semaine aura été celle des visites. D'abord, avec les vacances de la Toussaint et la fin prochaine de la saison des tempêtes tropicales, la Marina reprend vie. En fin de semaine, les pontons voisins qui hébergeaient les catas de location étaient pratiquement vides, les bateaux partis en mer emmenant en croisière des familles ou des groupes d'étudiants.
Évelyne, la "jeune" soeur d'Azur, est débarquée de la navette de Guadeloupe pour passer deux jours avec nous. Par une sorte de miracle, elle a convaincu son fils Bruno de venir garder sa demi-douzaine de chiens pour lui permettre sa première visite en Martinique depuis la mort de son papa, il y a quinze ans. Elle était en meilleure forme que lorsque nous l'avions vue en janvier.
Elle nous a entraînés dans un pèlerinage sentimental sur les lieux de sa jeunesse: maisons des parents et des grands-parents, la résidence d'une vieille tante qu'à notre étonnement ravi nous avons découverte encore verte à 90 ans et plus, en train de cultiver son jardin! Et pour finir, les cimetières de Sainte-Anne et du Marin, où sont enterrés son père et sa mère.
Avec le cousin Daniel, nous l'avons emmenée manger chez Brédas à Saint-Joseph, qui a fait pleinement honneur à sa réputation tout en nous accueillant comme de vieux amis retrouvés. Pour compléter la journée, nous avons fait une tournée du nord de l'île, avec des arrêts au port de pêche de Marigot et au Robert.
Le lendemain midi, merci aux embouteillages sur la route entre le Lamentin et Dillon, elle a raté le bateau qui devait la ramener dans son île, et a dû se rabattre sur l'avion. Bof. Mais elle était radieuse, et Azur et elle ont eu de longues conversations chuchotées, entrecoupées d'éclats de rire, qui leur ont clairement fait du bien à toutes deux.
À peine était-elle partie que sont arrivés les Belaye père et fils. Même si Anthony (le fils) a le mal de mer, il n'a eu aucun problème pour habiter le Bum chromé à quai. Eux non plus n'étaient pas venus en Martinique depuis un bout de temps, nous sommes donc allés faire le tour des nouveautés, avec une étape gourmande à l'Habitation Dillon, près de Fort-de-France, un de nos favoris.
Robert, qui était en piteux état autant moralement que physiquement il y a un an, a bien repris du poil de la bête, et échafaude de grands projets: avec son fils et un neveu, il envisage d'ouvrir une affaire sur la route de Gosier, dans une propriété qui a jadis appartenu à son père. À vue de nez, le concept est raisonnable, et on lui souhaite fort que ça marche, il en a besoin.
Au lendemain de leur départ, nous avons commencé à planifier notre propre embarquement: en principe, nous partons lundi pour voguer par petites étapes vers Trinidad, où se feront le nettoyage annuel de la coque et l'antifouling.
Comme une espèce de test de l'état du bateau, nous avons décidé d'aller faire un tour en mer et une baignade à Sainte-Anne. Bien nous en a pris: le moteur babord, qui marchait à peu près correctement il y a deux semaines refusait carrément de démarrer. Une fois au large de Sainte-Anne, Gérard a plongé pour voir ce qui se passait là-dessous; rien du tout. Quand nous avons ouvert la trappe du moteur, nous avons découvert que la panne était due à un détail idiot: un des fils de l'allumage était rompu.
Et pendant que nous faisions la réparation (Gérard plongé sous la trappe et moi en haut aux manettes pour tester le résultat), j'ai trouvé le tour de glisser sur un outil et de me péter la cage thoracique sur la rampe de l'escalier du skybridge. Je ne sais pas encore quelle est l'étendue des dégâts, mais si la douleur persiste à ce niveau, je suis bon pour une visite au docteur et au radiologiste lundi, ce qui risque de retarder le départ de deux ou trois jours.
Cela ne nous empêche pas de nous livrer aux dernières emplettes et de faire le circuit des visites d'adieux à la famille, aux copains et aux relations de travail (capitainerie, conseiller fiscal, etc.). Aussi rencontré un couple de Lyonnais fort sympathiques qui se cherchent un bateau de grande croisière et examinent avec intérêt notre voisin l'Escampette. Nous les mettons en contact avec les proprios au Damant, on verra ce que ça donne.
Dans l'intervalle, la Baie du Marin est envahie d'une véritable flotte de motor-yachts géants. C'est un énorme transporteur de bateaux, tout gris et orange, qui les a amenés. Il s'est arrêté juste en face de la marina, directement devant la pointe du Club Med, et s'est tout doucement enfoncé dans la mer. Nous avons compris qu'il vidait l'air des ballasts situés au fond de sa coque pour laisser l'eau pénétrer et permettre aux yachts formant sa cargaison de se mettre à flot et de sortir par leurs propres moyens. Assez fascinant comme spectacle.
Il semble que ce soit un rite annuel: les millionnaires font transporter leurs bateaux (entre 30 et 50 mètres de long!) de la Méditerranée vers la Mer des Antilles à l'automne, et les récupèrent du côté de Majorque ou d'Ibiza quand revient le printemps. En attendant, ils sont sept ou huit super-yachts rutilants, hauts de trois ou quatre étages, qui occupent les bouts des pontons de la marina, peuplés d'équipages en uniformes impeccables et attendant de se réapprovisionner et/ou que leurs propriétaires arrivent à bord pour repartir vers Saint-Martin, Saint-Barth, Mustique ou autres repaires des gens de cette espèce.
Bof. Comme Lucky Luke, nous allons partir d'ici en chantant, dans le soleil couchant!

02 novembre 2007

Un village nomade et la Toussaint

Le village autour de nous se dépeuple. Il y a une semaine, au moins trois des voisins proches nous ont quittés, après une fête d'adieu assez réussie sur le ponton. Et hier, c'était au tour de Mamayamba (l'ancien cata de Yannick Noah qui était amarré juste devant nous) de partir se mettre au mouillage à quelques milles d'ici, du côté de l'Anse Caritan.
Je dis village? Plus nous partageons la vie de la marina, plus elle nous fait penser en effet à un petit village, mais d'une espèce bien particulière.
D'abord, la population est très fluctuante: tous les jours ou presque, des voisins s'en vont et d'autres viennent prendre leur place, que ce soit sur notre rue (ponton), soit dans le proche voisinage. Parfois, cela se fait au compte-gouttes, parfois par de véritables migrations, comme c'est le cas ces jours-ci.
De plus, dans un village traditionnel, lorsqu'une famille s'en va, du moins sa maison reste là. Dans une marina, chaque famille disparaît (ou arrive) avec sa "maison", qui peut être bien différente de celle qui la suit ou la précède. Et il arrive fréquemment que l'espace ainsi libéré n'est pas rempli immédiatement, mais demeure vacant plusieurs jours, voire des semaines.
Enfin, presque tout ce qui se passe chez quelqu'un a lieu au vu et au su de tous les voisins, depuis la douche matinale jusqu'à la lessive et aux petits travaux (devoirs des enfants, lavage de vaisselle, réparations...). Comme la surface habitable des bateaux est généralement exiguë, beaucoup d'activités qui, dans une maison, auraient lieu à l'intérieur déménagent sur le pont ou même sur le ponton voisin.
Tout cela crée un climat bien particulier d'intimité forcée, où la tolérance et l'esprit d'entr'aide doivent compenser pour l'espace restreint, souvent aléatoire, qui reste à la vie privée. À la fin du compte, on s'y fait assez bien... après quelques ajustements pas toujours évidents.
Finalement, au lendemain de notre retour de Trinité, le technicien de CanalSat est venu réaligner notre antenne télé sur le satellite, et nous pouvons de nouveau jouir d'une image stable... et d'un tas de chaînes dont nous ne regardons en fait que quelques-unes. Au moins, il y a les nouvelles internationales (LCI, EuroNews, TV5) qui nous manquaient.
Un peu plus tard, les anciens voisins de l'Escampette sont venus faire un tour, pour faire visiter leur bateau (à vendre) à des acheteurs potentiels. À notre grand plaisir, ils ont amené les enfants, à qui nous avons donné les cadeaux rapportés pour eux de la croisière dans la Baltique: une "matriochka", collection de poupes emboîtées, pour Lila, et "Magnus le Viking" pour Nino, un livre d'images norvégien fort bien fait racontant l'amitié entre le premier petit Viking installé à Terre-Neuve et un enfant autochtone. Tous deux sont venus passer une bonne heure à bord, à regarder la télé (il n'y en a pas chez eux au Diamant) et à jouer des jeux d'ordinateur.
Le lendemain matin, est arrivé un émissaire d'une Française de Guadeloupe qui veut louer le Bum pour la période de Noël. Il a examiné le cata sous toutes ses coutures. Son rapport a dû être favorable, car dès le lendemain sa patronne (elle dirige les activités d'une grosse société pharmaceutique dans la zone Caraïbes) nous a appelés pour confirmer la réservation, d'abord de vive voix, ensuite par écrit. Un peu plus tard s'est pointé un couple qui a commencé par parler de location, puis a fini par demander à Marie-José si nous leur vendrions le bateau. Pas question, du moins pour l'avenir prévisible.
En fin de semaine, Gérard est disparu pour quatre ou cinq jours, il devait aller à Saint-Vincent régler des affaires personnelles. Bien entendu, dès le lendemain de son départ, de petits problèmes techniques ont commencé à surgir. Il y a eu d'abord la drisse de grand-voile qui s'est mise à battre le tambour sur le grand-mat, faisant à l'intérieur du carré un bruit infernal. En souquant ici et larguant par là sur les diverses manoeuvres, j'ai réussi à la tendre pour qu'elle se calme. Moins évidente est la solution à une pompe automatique de cale qui a commencé à faire du vacarme juste sous notre cabine, difficulté que nous avons d'abord résolue en la soulevant hors de l'eau. Mais deux jours plus tard, comme l'eau montait dans le fond de la coque suite à des pluies diluviennes, nous l'avons replongée dans la flotte... où elle a résolument refusé de pomper. Un autre achat probable à ajouter à la lampe de mat qui nous est tombée sur la tête la semaine dernière.
Mardi, nous sommes allés passer la journée à Fort-de-France-en-ville, où nous avions à peine mis les pieds depuis plusieurs années, malgré plusieurs séjours en Martinique. Nous avons flâné autour du marché central, fait du lèche-vitrine dans les bazars des traditionnels marchands syriens et chinois du quartier, acheté des noix et des bonbons aux vendeuses sur le trottoir de la rue Antoine-Siger, pris un jus au Bar de l'Impératrice face à la Place de la Savane (en grands travaux, suite notamment aux ravages perpétrés par l'Ouragan Dean) et mangé dans un repaire de marins bretons le long de la Jetée, en face de la gare des taxis-pays. La ville a beaucoup évolué, sous l'impusion du nouveau maire Serge Letchimy, urbaniste et successeur d'Aimé Césaire. Mais par-ci, par-là, au détour d'une rue, nous découvrons tout-à-coup un paysage urbain typique du vieux Fort-de-France que nous avions connu dans les années 1960, avec ses petites bicoques en bois de couleurs vives et ses magasins étroits mais chaleureux (photo).
La journée a cependant été assombrie quand nous avons appris, à la Pharmacie de l'Impératrice, le décès l'an dernier de notre ancien copain (et joyeux compagnon de virées) Berly Glaudon. Nous avions pourtant eu de bonnes nouvelles de lui en janvier 2006, et nous nous étions alors promis d'aller lui rendre visite aux Trois-Îlets à notre prochain passage. Hé bien, c'est raté pour de bon.
Pour ne pas changer de sujet, aujourd'hui, jour de la Toussaint, est la "fête des morts" pour les Martiniquais, qui font alors la tournée des cimetières pour saluer leurs disparus et couvrir leurs tombes, des croix les plus modestes piquées sur un tas de sable (photo) jusqu'aux caveaux tuilés les plus grandiloquents, de fleurs et de lampions. Comme c'est la première fois depuis nombre d'années qu'Azur est ici à cette date, elle a décidé de sacrifier à la tradition.
Nous sommes donc partis ce matin avec Gérard (revenu hier soir) pour passer d'abord à Sainte-Anne, où nous avons retrouvé sans trop de difficulté le tombeau du papa de Marie-José, René Manuel. Le cimetière était assez achalandé, mais plutôt calme. Même chose une heure plus tard au Diamant, devant le caveau (fermé et cadenassé) de la grand-mère.
C'est finalement à Rivière-Pilote, où est enterrée la belle-mère Yaya Lagrandcourt, que j'ai compris le sens réel de l'expression "Fête des Morts". De chaque côté de l'entrée du cimetière s'étalaient, dans une atmosphère de kermesse villageoise, une demi-douzaine de boutiques vendant qui des fleurs naturelles ou artificielles, qui des lampions, qui même des eaux gazeuses, des noix ou des bonbons.
À l'intérieur, on avait dressé une sorte de pavillon ouvert où une équipe en T-shirts aux armes de la commune accueillait et dirigeait les visiteurs. Malgré une série d'averses diluviennes, ceux-ci circulaient entre les tombeaux (souvent de grande taille et abondamment décorés) en causant à haute voix et échangeant des salutations et des souvenirs -- qui donnaient parfois lieu à de bruyants éclats de rire -- avec des parents ou des connaissances croisés au hasard des allées. Le tout se terminant, aussi souvent qu'autrement, au bistrot en face qui faisait clairement des affaires d'or. Les morts, en Martinique, ne risquent vraiment pas de s'ennuyer!