29 juillet 2020

Naïveté politicienne

J'ai suivi cet après-midi la séance du Congrès américain où témoignaient les grands patrons des géants technologiques. Et j'ai été abasourdi par l'incroyable naïveté des élus des deux camps qui «découvraient» en 2020 que la concurrence dans le secteur des technologies n'a rien à voir avec celle des industries traditionnelles. 

Pourtant, dès le milieu des années 1980 dans mes chroniques «Demain l'an 2000» de La Presse, je soulignais cette évidence que le monde de l'information numérique n'est pas un champ de bataille d'entreprises compétitrices à armes plus ou moins égales, mais le territoire fluctuant d'un peloton de quasi-monopoles disposant de clientèles captives et de parts de marché variant souvent entre le tiers et les neuf-dizièmes de la clientèle, qui soit confortaient massivement leurs positions, soit s'avalaient les uns les autres, soit disparaissaient au profit de successeurs du même acabit. 

Parler de «concurrence» dans l'acception classique du terme est un non-sens quand on traite d'Amazon, Microsoft, Facebook, Google ou même Apple. Il est ridicule de dire que ces béhémoths sont «trop puissants» (comme le répétaient à la chaîne et ab absurdo les archéo-capitalistes du Congrès), alors qu'une quasi-toute-puissance est leur nature même et la condition de leur survie! 

Ah! Si au moins les politiciens américains avaient lu La Presse dans leur jeunesse!

22 juillet 2020

Test décisif?

Si je croyais en une quelconque divinité, je serais sûr que l'épisode du coronavirus a été spécifiquement conçu par un être suprême malicieux comme test infaillible pour notre civilisation occidentale, au moment où elle émigre de l'ère industrielle de production matérielle vers une ère virtuelle à base de données. Et je ne vois pas comment nous pouvons être fiers de notre réaction, quelle que soit la manière dont nous interprétons l'événement: accident, affreux complot ou intervention divine.

 a) Social: le credo individualiste quasi-sacré que nous avons hérité du siècle des Lumières a été poussé à un tel extrème qu'il nous aveugle au besoin absolu de solidarité humaine qui n'est pas seulement un impératif moral, mais aussi un facteur crucial pour la survie de notre espèce en période de profonds changements et de turbulences. La pandémie à laquelle il n'y a encore aucun remède médical ne peut être affrontée qu'en prenant des mesures sociales impliquant des sacrifices personnels; notre large rejet de cette nécessité démontre clairement à quel point chacun de nous est guidé non pas par le souci du bien-être d'autrui, mais par ses propres désirs, plaisirs et préjugés égoïstes, au point de risquer la mort pour soi et pour les autres. L'un des pires cas est celui de gens intelligents qui s'accrochent à la notion que tout cela est une conspiration destinée à leur nuire; même s'ils avaient raison, le risque pour les autres est tel que leur choix de mettre tout le monde en danger en promouvant ce concept serait indéfendable. L'effort désintéressé louable d'une petite minorité de travailleurs de première ligne ne fait que souligner l'égoïsme féroce de la majorité. 
 b) Économique: Nous avons approuvé, plus ou moins volontiers, un système impérialiste axé sur le profit et la croissance, qui étend ses tentacules à travers le monde dans une mondialisation purement commerciale. Cela a curieusement faussé un mécanisme local ou régional de production et d'échanges qui tendait à limiter la portée de catastrophes telles que la pandémie. Le résultat est un système planétaire de distribution incroyablement fragile de biens et de services que toute perturbation sociale, sanitaire ou naturelle de grande ampleur met à genoux. La méthode de répartition des richesses communes par le salariat universel ne fait qu'aggraver le problème: elle prive à la fois les individus et les États de revenus nécessaires au moment où ils en ont le plus besoin, assèchant simultanément le flux de trésorerie que la consommation apporte au commerce et à l'industrie. Enfin, le recours excessif à une économie privée qui rejette (à juste titre) les investissements non rentables empêche les communautés humaines de mettre de côté des réserves suffisantes en cas de pénurie et de développer des redondances pour pallier aux services défaillants. 
 c) Politique: Notre démocratie «représentative» a été conçue à une époque où la grande majorité des adultes étaient analphabètes et mal informés des réalités sociales et économiques; restreindre le pouvoir de décision à une petite minorité de bourgeois instruits n'était guère «démocratique» au sens littéral du terme, mais était un compromis valide pendant un certain temps. Les perturbations provoquées par la pandémie révèlent à quel point cette approche a perdu son utilité. Nos élites autoproclamées ont été incapables de saisir l'ampleur et l'urgence du problème, elles ne pouvaient concevoir que des «solutions» improvisées et hasardeuses à ses effets néfastes. Il est clair que dans tous les pays développés, la masse des citoyens est désormais presque aussi bien éduquée et informée que ses dirigeants, et aurait probablement pris de meilleures décisions laissée à elle-même. Nos dirigeants élus ont été aveuglés par leurs propres intérêts et ceux de leurs amis et maîtres de la finance. Leur adhésion aux partis politiques rivaux créés par le système les a poussés à des querelles de clocher et à un refus tragique de s'unir entre eux-mêmes et avec la masse du peuple pour faire face à une adversité commune. 
 Nous échouons clairement au test, et Dieu-la-Mère doit grommeler derrière son masque sombre.