30 avril 2019

Yves Préfontaine

J'ai attendu plusieurs jours pour en parler. Le deuil peut avoir besoin de silence.
Yves Préfontaine était bien plus qu'un vigoureux poète, un activiste politique, un fanatique du même jazz que j'aime, un érudit à la conversation scintillante; il était pour moi le précieux ami d'enfance avec qui, de la rive de notre village ancestral de Trois-Pistoles, je partais en verchères à rames pour aller sur les Îlets voisins cueillir des bleuets gonflés de soleil et des groseilles pourpres délicieusement sûrettes dont nos mamans faisaient de somptueuses confitures.
Malgré bien des divergences de vie et de carrière, malgré nos cinq ans de différence d'âge, on aurait dit que notre commun prénom nous rapprochait, si bien que nous ne nous sommes jamais longtemps perdus de vue: deux collégiens passionnés de politique lui à Montréal, moi à Québec; actifs à Radio-Canada, lui comme animateur de jazz à la radio, moi comme jeune journaliste; présents dans les milieux littéraires foisonnants de la Révolution tranquille, l'un en poésie, l'autre en théâtre; des deux côtés de la barrière politique, lui comme chef de cabinet de Camille Laurin, moi comme reporter politique à La Presse; dans des champs bien éloignés de la culture, lui anthropologue professeur universitaire, moi chroniqueur et vulgarisateur des technologies de pointe... Même notre passion commune pour la navigation à voile nous faisait faire le grand écart, entre son sloop du côté du Lac Champlain et mon catamaran ancré à la Martinique sur lequel nous nous étions pourtant promis de nous retrouver un jour.
Les deux dernières grandes rencontres, l'une chez lui dans Côte-des-Neiges pour la célébration d'un de ses anniversaires en compagnie du peintre Edmund Alleyn et du poète Paul Chamberland; l'autre près du Stade olympique, à ma dernière pendaison de la crémaillère qu'il a émaillée d'une lecture de poèmes (avec Denise Boucher et Serge Legagneur) sur un fond ciselé par la guitare de Michel Robidoux.
Je ne risque pas d'oublier.

16 avril 2019

Lendemain de la veille

Je regarde sur la télé française les premières images de l'intérieur de Notre-Dame de Paris au lendemain de l'incendie: ça serre le coeur, le sol couvert des débris de la flèche et du toit et la lumière qui descend par les parties effondrées de la voûte. Indubitablement, la reconstruction va demander des fortunes et des années, probablement des décennies.
Un souvenir très clair me revient du jour, il y a une quarantaine d'années, où Azur et moi avions attaqué l'interminable escalier en colimaçon de la Tour sud, éclairé ici et là par d'étroites meurtrières. C'est avec un mélange de fascination, d'oppression claustrophobique, d'essoufflement que nous avons gravi par étapes les quelque 400 marches étroites de pierre usée pour déboucher sur le belvédère qui coiffe la façade principale. Nous avons ensuite emprunté les passerelles qui faisaient le tour d'une partie du toit en pignon, avec une vue fabuleuse d'un côté sur le quartier du Marais et de l'autre sur la Seine, par les interstices entre les incroyables gargouilles, chimères et statues qui coiffent les murs.
Une extraordinaire expérience que, sur le moment, nous nous trouvions un peu fous d'avoir entreprise, mais dont on se dit maintenant que nous n'aurons jamais la chance de la revivre... et bon nombre d'entre vous non plus, hélas!

07 avril 2019

Un trou noir politique?

Même à la retraite, je suis toujours tenté de céder à mes vieux instincts de journaliste politique -- local, national et international. Mais voici que sur les trois plans, je me trouve devant des situations absurdes ou impossibles à débrouiller.
Au Québec, le débat sur la laïcité dégénère en une bordée d'insultes auxquelles je n'ai aucune envie d'en rajouter. Il me semble pourtant que la question est facile à résoudre: les seules passions qu'elle suscite prouvent qu'une législation sur le sujet est indispensable; et malgré toutes mes réserves à l'égard de François Legault et de son gouvernement, la loi qu'ils proposent est de loin ce que nous avons vu de plus raisonnable et de plus clair jusqu'ici, que ce soit de la part des Libéraux ou des Péquistes. Elle n'est pas parfaite, mais elle ne comporte aucune injustice flagrante ni effet à long terme qu'il soit impossible de corriger par la suite; rien n'empêche de l'améliorer à mesure que l'usage en montrera les failles. Les hurlements actuels sont injustifiés, et de longs délais de discussion ne changeront pas grand chose.
À Ottawa, le régime Trudeau confirme toutes les inquiétudes que j'avais à son sujet dès le lendemain de l'élection. Le premier ministre n'a ni l'autorité naturelle, ni le jugement, ni la profondeur de pensée qu'exige notre époque de changements chaotiques dans un pays divers et complexe à la Constitution dysfonctionnelle. Et les Libéraux démontrent tous les défauts des «vieux partis», ce qu'ils sont, sans en montrer les qualités de constance et de modération. Mais l'opposition conservatrice ne promet rien de mieux, et le NPD a poursuivi sa course suicidaire vers l'insignifiance, notamment en choisissant un chef respectable, mais impensable comme Premier ministre pour la majorité des Canadiens et des Québécois.
À l'international, de multiples conflits régionaux au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique ne sont pas plus près d'une solution qu'il y a dix ans, et de nouveaux apparaissent en Amérique latine: Vénézuéla, Brésil...
À Washington, la folle cavalcade de Donald Trump va se poursuivre encore deux ans, les efforts désorganisés des Démocrates étant bien incapables d'en bloquer la plupart des effets désastreux et les Républicains piétinant leurs principes les plus chers pour conserver des miettes d'un pouvoir dont ils ne savent que faire. Un rare signe encourageant: la qualité et la variété étonnantes des multiples candidats qui se pressent à la barrière de la course Démocrate à l'investiture pour la Présidentielle de 2020. L'effet est pour l'instant brouillon, mais il me semble que les électeurs yankees auront pour une fois un choix intéressant face à un adversaire qui n'a aucune bonne raison d'être réélu.
L'Union européenne se trouve confrontée à un Brexit non seulement inévitable, mais horriblement mal préparé, aux effets imprévisibles et catastrophiques pour les Britanniques, bien sûr, mais probablement aussi pour le reste du continent -- sans doute plus qu'on ne le prévoit. Et ce ne sont pas des élections parlementaires européennes sans véritable passion ni enjeu qui vont faire quoi que ce soit pour améliorer la donne. Il y a bien sûr l'inconnue d'une alliance des «vraies» gauches autour du mouvemement DiEM 25 de Yanis Varoufakis qui met un peu de piment, mais elle risque peu d'avoir un impact significatif, d'autant plus que son programme manque clairement d'audace et de promesse de vrai changement. À l'échelle nationale, pas grand chose à attendre de gouvernements soit usés, soit incapables: que seront l'Allemagne post-Merkel, l'Angleterre post-May, la France post-Macron, l'Italie post- Conte/Salvini, l'Espagne sans tête, la Grèce sous tutelle financière, une Europe centrale déboussolée et tentée par le populisme, etc.? Bien fin qui peut se hasarder à leur prédire un avenir quelconque, encore moins un qui soit positif.
Tout ça est bien de nature à me faire baisser les bras. C'est bien le temps que je prenne des vacances à bord du Bum chromé, aussi loin de l'Internet que des télés et des journaux. Pourvu que la santé nous le permette.