27 mars 2024

Montagnes russes… à l’Italienne

Pour me consoler que ma hanche droite fasse des siennes et m’empêche de voyager du moins à court terme, j’ai puisé dans mes souvenirs de nos époques de vache maigre, pour reproduire un des repas de «comfort food» inventés par mon irremplaçable Azur: un gros bouillon parfumé d’un quart d’oignon, de persil, de romarin, de cuillerées de pesto et de chili sec, qu’on écume pour y plonger aussitôt une bonne poignée de spaghettis pendant sept minutes, tandis qu’on râpe une demi-livre de cheddar vieux. Vider la marmite, y jeter un quart de tasse d’huile d’olive et deux gousses d’ail écrasées, et y reverser les pâtes al dente en mélangeant à feu élevé pendant deux minutes. Servir dans des assiettes creuses en couvrant de bonnes pincées de fromage odorant et déguster jusqu’à ce que les plats soient pratiquement nets – vous ne pourrez pas vous en empêcher –, avec un verre de sangiovese. Ça, c’est quand on était fauchés; comme je ne le suis plus, j’ai coiffé le tout sans le moindre remords d’un double espresso Lavazza de luxe, «corrigé» d’un ballon de grappa Poli Cleopatra. Dur, la vie.

24 mars 2024

Un dimanche comme les autres?

Un dimanche bien ordinaire, où Montréal continue sa valse-hésitation entre l’hiver et le printemps. Le menu de la salle à dîner du LUX est sans intérêt (comme trop souvent), idem celui de la télé. Grand Prix vroum-vroum en Australie, embrouilles financières de Trump sur CNN, 3e manche d’un tournoi de tennis so-so à Miami. Mais pendant que je regarde le Torontois Shapovalov se battre lui-même face à ché-pus-qui, on annonce la venue d’un de mes vieux favoris, l’Écossais Andy Murray contre un jeune tchèque en pleine ascension, Tomas Machac. Mieux que rien. Un regard dans l’armoire aux provisions s’accroche sur un paquet de lasagnes vertes qui doivent traîner là depuis des années. Mieux que rien, bis. Avec une sauce alfredo en bocal, quelques tranches de mozzarella, un rien de jambon et d’ail et une couche de parmesan râpé pour gratiner, pourquoi pas?

Pendant que la lasagne niaise dans le four (200°C, 25 minutes), je sirote un deuxième gin-tonic, un oeil blasé sur Miami qui transpire sous un ciel grisonnant. Et tout-à-coup, ça devient palpitant. Murray et le tchèque s’échangent des coups fumants avec un acharnement superbe – et presque pas d’erreurs, ce qui est rare de nos jours. Le temps que ça sente drôlement bon dans la cuisine, ils ont chacun gagné une manche serrée (7-5). Ce qui aurait dû être rivalité de routine se transforme en un superbe pas-de-deux d’une étrange harmonie qui me rappelle la grande époque des McEnroe, Navratilova, Federer et cie. 

Je profite de l’entre-acte pour sortir le plat du four et le transférer dans une assiette déposée sur un plateau de bambou avec un verre de rouge… Retour au match, où le Tchèque, astucieux et plus énergique, mène 5-2 contre un Andy quasi quadragénaire qui serre les dents dans une grimace opiniâtre: la fin est proche. Mais oups et double oups! La première fourchettée de lasagne qui a bien oublié sa date de péremption est un pur délice fondant d’une douceur toute florentine, tandis que le tennisman écossais «vintage» se découvre une seconde jeunesse et multiplie les coups d’éclat – imité par son jeune rival un moment décontenancé. Le temps de déguster religieusement mon chef-d’oeuvre culinaire improvisé, ils en sont à 6-6 au bris d’égalité du 3e set d’un des meilleurs affrontements que j’ai vus depuis le mémorable Wimbledon  de 2009. Murray perd à la fin… mais c’est inévitable pour un chant du cygne, non?

Un dimanche comme les autres? Pantoute!

07 mars 2024

Une campagne américaine peu ragoûtante

Je ne puis m’empêcher de suivre de près les bizarres vire-voltes de la politique chez nos voisins du sud… même si elles ont souvent le don de me frustrer. C’est le cas des primaires du «Super Tuesday» de cette semaine et de leurs diverses retombées. 

On savait que le Démocrate Joe Biden, sans rivaux directs dans son parti puisque Président sortant, allait vivre un quasi-couronnement. On pouvait prévoir la même chose pour son pendant Républicain Donald Trump, malgré le baroud d’honneur de la pauvre Nikki Haley. Loin de contredire ces pronostics, la soirée de mardi n’a fait que les amplifier, mettant en évidence bien plus de négatif que de positif. Essayons de faire la part des choses et d’imaginer les suites vraisemblables.

En premier lieu, le «Super Tuesday» est un affrontement concocté sur des lignes partisanes  et promotionnelles bien plus proches de la joute sportive teintée de commercialisme que de l’exercice démocratique. La multitude des scrutins simultanés fait que les médias, à leur corps défendant, ne peuvent faire autrement que de sautiller de l’un à l’autre en cherchant le spectaculaire ou le scandaleux, sans la moindre mesure de perspective ni profondeur d’analyse. Ils ne peuvent nous offrir, du moins dans l’immédiat, qu’une mosaïque fortement influencée par le «spin» des deux partis, incapables qu’ils sont d’endiguer le flot de données disparates pour un moment de réflexion sur la signification et les conséquences des résultats partiels dont ils nous inondent. Sans oublier l’obligation d’interrompre aux pires moments la diffusion des nouvelles pour insérer, dans un flot déjà indigeste, des messages publicitaires vitaux pour leur propre survie. La chose m’était d’autant plus évidente que je sautillais moi-même entre trois réseaux câblés concurrents (MSNBC à gauche, CNN plus au centre et FOX News loin à droite) et deux ou trois chaînes généralistes (PBS, CBS, ABC).


Deuxièmement, la formule même des primaires expose les pires lacunes du modèle démocratique représentatif, de trois façons:

A) Elle met l’accent non sur le pouvoir et la responsabilité des citoyens mais sur un concours de popularité dont la focalisation purement élitiste se concentre sur des candidats-vedettes – sans restrictions ni préoccupations pour leur compétence et leur aptitude à exercer la charge qu’ils convoitent. Il n’y a aucun rapport entre les succès sportifs d’un Steve Garvey et l’expérience au Congrès d’un Adam Schiff… et pourtant c’est sur cette base que se déroulait leur affrontement en Californie – qui a donné une quasi-égalité.

B) Elle balaie sous le tapis les questions mêmes que l’exercice démocratique se doit de résoudre, chaque candidat étant forcé de défendre non pas ses convictions sur ces questions, mais les idées dont il croit qu’elles peuvent influencer en sa faveur des votants souvent tenus dans l’ignorance des véritables enjeux. Le sain affrontement des opinions informées est transformé en guerre de slogans vides de sens, parfois même pernicieux.

C) Elle accorde sur le choix des candidats ultimes à l’élection un pouvoir disproportionné à une minorité de partisans fanatiques, souvent agressifs et manipulés par des meneurs d’opinion qui se fichent totalement du bien commun ou n’en ont qu’une vision déformée (à gauche comme à droite, hélas). Lire à cet effet la critique incisive de ce genre d’exercice dans le mal titré mais fort éclairant «Pour en finir avec la démocratie participative» (Textuel, France, 2024).


Troisièmement, le cumul prématuré de multiples scrutins partiels crée une échéance artificielle nuisible à ce qui serait un des rares avantages de la formule des primaires à l’Américaine: l’évolution graduelle de l’opinion publique, grâce à un chapelet d’évènements répartis sur plusieurs mois et dans diverses régions du pays, vers une meilleure compréhension de l’actualité, des enjeux et des particularités locales qui influencent le cours du processus politique.


Passons à l’effet du «Super Tuesday» sur les candidats majeurs. La résultante principale est  la certitude d’un match-retour entre deux vieux (dans tous les sens du terme) adversaires qui se détestent… et dont on peut arguer qu’ils sont les plus déplorables têtes de file possibles pour leurs partis respectifs –pour des raisons similaires et contradictoires.  Et Trump et Biden sont carrément trop vieux pour reprendre ou conserver le gouvernail d’un État hyper-puissant qui, malgré une certaine lassitude et désaffection, continue d'exercer une influence parfois inquiétante sur le sort de la planète entière. 

A) Trop vieux par l’âge – je puis en témoigner sans être accusé de calomnie ou de préjugé, étant leur ainé à tous deux. Biden est visiblement en manque d’énergie et de mobilité, Trump agité par une sorte de frénésie nerveuse qu’il tente de faire passer pour une seconde jeunesse. Le premier a d’évidentes lacunes de mémoire et de concentration, le second des failles de logique et de perception de la réalité qui sont incompatibles avec la direction d’un pays surtout de grande taille. Au mieux, chacun pourrait jouer le rôle d’un conseiller expérimenté auprès d’un leader plus jeune, plus dynamique et plus cohérent.

B) Trop vieux par la santé. Rien ne dit qu’aucun des deux sera à même de terminer un épuisant mandat de quatre ans, soit pour cause de décès, soit simplement par incapacité physique d’assumer la charge jusqu’à la fin. Le moins âgé, Trump, est de loin le meilleur candidat pour un infarctus ou une crise cardiaque fatale. L’idée même d’élire un Président en sachant qu'il devra tôt ou tard céder la place à un(e) vice-président(e) non élu(e) est sérieusement anti-démocratique.

C) Trop vieux par l’expérience et par la vision. Tous deux ont passé le plus clair de leur vie active dans un siècle différent politiquement, socialement et techniquement. L’expérience pourtant réelle dont ils peuvent se targuer ne serait pertinente au gouvernement que passée au filtre critique d’un esprit plus jeune et plus conscient des réalités du 21e siècle. Ici encore, je puis en témoigner personnellement: ma vision des choses n’est valide qu’une fois confrontée à celle de trois neveux qui ont entre 30 et 40 ans de moins que moi… et j’en suis parfaitement conscient, comme ils le sont sans doute.


(la suite à venir)

29 janvier 2024

Belle journée, beaux amis

Escapade quasi magique hier avec mon complice Claude Normand (époux de ma vieille et chère amie disparue Sonia del Rio) chez le peintre Jacques Léveillé et sa Marilyn, à l’Estérel derrière Ste-Adèle. Ils ont une magnifique maison de campagne dont la salle à dîner offre une triple vue sur un jardin actuellement bien enneigé en bordure de lac, au bout d’une petite rue perdue, dans un esprit voisin de la propriété de ma soeur Marie et de Jean dans le Bas-du-Fleuve, mais plus forestier que villageois. 

Tout le rez-de-chaussée est décoré des oeuvres que Jacques peint avec une patience de bénédictin dans son atelier au sous-sol. «Enfant d’après le Refus global», comme il se définit lui-même, il a opté pour une sorte de retour aux sources classiques: un réalisme lumineux et original teinté de surnaturel, quelque part entre Vermeer de Delft et Alex Colville, réalisé à partir d’une réflexion approfondie et une série d’études préliminaires, avec des huiles spéciales et par une accumulation de couches minces et de glacis qui peuvent prendre des éternités à sécher, si bien qu’il complète moins d’une dizaine de grandes toiles par an; il rétablit son équilibre mental en «barbouillant» (dit-il) des abstractions plus petites et plus spontanées. Son parti-pris du représentatif rigoureux ne l’empêche pas d’avoir une connaissance encyclopédique et une admiration explicite pour les grands peintres de l’ère moderne et contemporaine, depuis les impressionnistes jusqu’aux automatistes abstraits.

À nous quatre sont venu s’ajouter trois voisins intelligents, férus de culture et de voyage, ce qui a donné lieu à des échanges vifs et enrichissants depuis l’apéritif au champagne jusqu’au digestif (une douce grappa Cleopatra de Poli que j’avais apportée), en passant par des rillettes (concoctées par l’ami Claude), un velouté de légumes, un fondant boeuf bourguignon, des fromages et fruits sec et des  gâteaux aux fruits et à l’orange, le tout bien arrosé, notamment d’un étonnamment bien mûri hautes-côtes de  Beaune 2002 que j’avais ramené de la cave de l’appartement de Montpellier.

La conversation vagabondait agréablement, parfois brillamment, de la politique et de l’évolution sociale et technologique aux expéditions à l’étranger, aux beaux-arts, à la musique, au théâtre, à la danse. Avec pour pimenter l’ensemble d’assez fréquents souvenirs de jeunesse surtout fournis par Claude et moi… et flatteusement bien accueillis par les plus jeunes. J’ai notamment «pris le crachoir» un bon moment pour leur narrer l’extraordinaire pendaison de la crémaillère qu’Azur et moi avions tenue il y a 12 ans (déjà!) au dernier étage du LUX Gouverneur, avec guitare, chansons et récital de poésie par leurs auteurs!

Arrivés à l’Estérel vers midi, nous n’en sommes repartis qu’à la nuit bien tombée pour rentrer à Montréal, comblés aussi bien physiquement qu’intellectuellement. Quel plaisir d’avoir de nouveaux et bons amis!

17 janvier 2024

Un «Cygne noir» perturbant la politique américaine?

 Une pandémie globale. Une émeute au Capitole. Une star de la télé-réalité à la Maison Blanche. Ces dernières années, on a vu l'impensable devenir réel. On pensait qu'on avait une bonne compréhension de l’avenir, en politique et au-delà, puis quelque chose de gigantesque et d’imprévu a changé la donne. Donc, il faut peut-être déployer un peu plus d'imagination avant de supposer qu’on sait ce qui va se passer en 2024. Il semble certainement que nous nous dirigeons vers un match revanche de Donald Trump contre Joe Biden et une élection déplorable. Mais l'histoire récente nous apprend que quelque chose d'inattendu pourrait être au tournant de la rue. Le magazine Politico a demandé à un éventail de futuristes et de technologues, d'historiens, de politologues, d'analystes et d'autres prognosticateurs avertis: quel pourrait être le «cygne noir» événementiel qui perturbe la campagne de 2024?

Ian Bremmer, président-fondateur de Eurasia Group et de Gzero Media: une élection perturbée jugée inéquitable, dans la foulée de l’insurrection du 6/1/2021.

Mathew Burrows, du Stimson Center: un conflit ouvert avec la Chine, suite à l'élection spectaculaire d’un président nationaliste à Taiwan et à une déclaration d’indépendance.

Julia Azari, professeure de science politique à l'Université Marquette: une manifestation violente faisant des morts au cours d’une assemblée publique de Donald Trump.

Alec Ross, auteur et cadre du Secrétariat d'État sous Obama: un ouragan spectaculairement destructeur qui se déchaîne dans le pays peu de temps avant l'élection.

Avi Loeb, chef du projet Galileo, ex-président du département d'astronomie de Harvard: la découverte ou révélation d’un objet technologique provenant de l'espace interstellaire.

Charlie Sykes, rédacteur en chef et hôte du podcast Balwark: un virus numérique mondial paralysant les satellites et le système bancaire, vaporisant des milliards de dollars.

Bill McKibben, environnementaliste et auteur: un sursaut du réchauffement climatique causant incendies, inondations, tempêtes, sécheresses, vagues de chaleur meurtrière.

Bill Scher, journaliste à Politico, au Washington Monthly et à «The DMZ»: un coup d’État mettant fin au régime de Poutine et affectant les équations politiques à travers le monde.

Robert L. Tsai, professeur de droit à l'Université de Boston: une décision impopulaire de la Cour suprême relançant violemment le débat sur le droit à l’avortement.

Jeff Greenfield, analyste et auteur de télévision: Maladie, blessure grave, attentat à la vie d’un des deux candidats qui auront un âge combiné de 160 ans le jour du scrutin.

Joshua Zeitz, écrivain contribuant au magazine Politico: le désordre mondial croissant (Ukraine, Moyen-Orient) provoquant un conflit armé aux répercussions mondiales.

Reynaldo Anderson, professeur d'études afro-américaines à l'Université Temple: L’ordre mondial perturbé par l’Afrique accédant au statut de pouvoir politique international.

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Pour ceux qui veulent en savoir plus, voir le site de Politico à: < https://www.politico.com/news/magazine/2024/01/05/unpredictable-events-2024-election-turmoil-experts-00133873>