Ce texte propose une approche réaliste pour effectuer une transition pacifique d'une démocratie «représentative» à une plus authentique, en réponse aux troubles actuels dans plusieurs nations habituellement stables:
- Une assise idéologique qui s'efforce de réduire l'opposition néfaste entre l'initiative individuelle et la solidarité collective, dans un contexte laïque.
- Un système politique fondé sur l’intervention directe des citoyens dans les décisions et la gouvernance des sociétés, sur la base d’informations factuelles et dans le respect des droits et obligations des individus et des communautés.
- Un outil approprié pour développer et promouvoir ces réformes: un réseau social coopératif démocratiquement contrôlé par ses utilisateurs et géré par des experts, libre d'objectifs commerciaux ou de biais partisans.
Ces trois éléments doivent être considérés ensemble, comme cruciaux pour le succès d'un projet progressiste d'évolution politique, économique et sociale au 21e siècle, plus spécifiquement dans le contexte d'une ère «post-pandémique» qui rend un tel projet à la fois nécessaire et réalisable.
A ~ Une idéologie ouverte et laïque
Les quatre dernières décennies ont vu l'échec de trois grands systèmes de pensée, des mythes totalitaires (dans le sens où ils affectent tous les aspects de la vie humaine) qui prétendaient rendre le monde compréhensible pour les citoyens ordinaires et fournir aux dirigeants des principes d'action et des outils pour le gérer: le socialisme collectiviste, le capitalisme libéral et individualiste, et l'islamisme radical.
Cela a commencé à la fin des années 1980 avec la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'empire soviétique, ce qui a probablement porté un coup mortel à la doctrine socialiste-communiste qui avait émergé dans l'Allemagne et la France du 19e siècle avant de se propager avec des succès divers en Russie, en Chine et dans de nombreux pays du Tiers Monde. Les intellectuels et les dirigeants, en particulier en Occident, ont alors proclamé la victoire finale et irréversible du seul système rival apparent, l'individualisme libéral élaboré à l'Âge des Lumières en France, en Angleterre et en Écosse et transplanté vigoureusement dans le Nouveau Monde. Mais en réalité, les deux décennies suivantes ont révélé les lacunes et les vices de cette conception, culminant dans les graves crises financières et sociales du début des années 2000.
Le vide idéologique qui a suivi a ouvert la porte à la renaissance improbable d'une troisième vision étrangère à la culture occidentale, d’origine religieuse mais de plus en plus politique: le fondamentalisme islamique, dérivé du salafisme médiéval et du wahhabisme du 18e siècle. Mais cette approche a rapidement révélé ses propres limites, n'offrant qu'une perspective passéiste essentiellement négative, dont le prosélytisme agressif a tendance à dégénérer en tyrannie oppressive, sinon en terrorisme meurtrier. Une autre tendance idéologique est également apparue, celle des partis «verts» et des militants écologiques, mais sa perspective parfois trop pointue et son incapacité à vaincre l'opposition et les tactiques dilatoires des élites politiques et financières la maintiennent en marge de véritables luttes de pouvoir.
Une nouvelle voie a semblé s'ouvrir au début des années 2010 avec l'émergence dans diverses régions du monde de protestations populaires basées non sur des dogmes idéologiques, mais sur les problèmes spécifiques auxquels sont confrontés les gens ordinaires. Après le choc d'une pandémie mondiale et mal contrôlée, il faut s'attendre à ce que ces mouvements retrouvent une plus grande énergie et virulence et un plus vaste auditoire. Le problème est que leur attitude est presque entièrement réactive et critique: nous vivons dans une sorte de no man’s land où les citoyens se retrouvent «sans carte ni boussole» de la part d'autorités intellectuelles ou morales pour guider leurs actions vers des réformes favorables. La protestation est nécessaire et justifiée, mais elle ne peut pas rester uniquement négative. À défaut d'une vision positive, porteuse d'espoir et d'optimisme, elle s'épuise et meurt sans résultats pratiques et durables.
Le projet exposé ici, bien que venant d'une source modeste sans aucune prétention à l'autorité, a l’audace de traiter à la fois cette carence et les multiples échecs des idéologies majeures. Il veut offrir une alternative claire et simple: une approche qui s’oppose aux «vérités» conventionnelles et combine le dynamisme apporté par la concurrence entre les initiatives individuelles et la stabilité équitable offerte par la solidarité collective. Il ne se prétend pas la seule solution, mais une démonstration qu'une solution réaliste n’est pas inimaginable.
Un triple défi
Le monde du 21e siècle est confronté simultanément à trois problèmes majeurs: une crise écologique qui met en danger la santé de la planète et de ses habitants; une mutation technologique comparable en amplitude à celles qui avaient transformé la vie de l'humanité lors du passage de l'ère des chasseurs-cueilleurs nomades à celle des agriculteurs sédentaires, puis de cette dernière à l'ère de l'urbanisation industrielle; enfin des migrations massives de populations des régions pauvres et conflictuelles du monde vers les régions industrialisées et plus paisibles de l'Europe et de l'Amérique du Nord.
Ces trois défis sont en grande partie à l'origine de deux vagues de fond opposées qui secouent, surtout depuis 15 ans, les sociétés de la planète, en particulier mais pas seulement dans le monde occidental: les partis «populistes» souvent ultra-conservateurs à fixation identitaire, généralement menés par des démagogues xénophobes (Rassemblement National, Ukip, Aube Dorée, Alternative pour l'Allemagne, jusqu'à un certain point Islamisme radical…) et les révoltes citoyennes spontanées, progressistes mais post-socialistes et sans chefs apparents (Printemps Arabe, Indignados, Occupy Wall Street, Casseroles, Nuit Debout, Gilets Jaunes...). Ces deux courants, malgré leurs réelles divergences, expriment un même rejet du système politico-économique dominant qui associe la démocratie représentative à l'économie capitaliste libérale, ainsi que du contrôle exercé sur nos sociétés par une alliance élitiste de classes politiques privilégiées et de puissances financières cupides et sans vision autre que leur propre intérêt. Cette perte de confiance généralisée, sous-jacente à l'évolution politique et sociale récente du monde, a été projetée soudainement et massivement au premier plan de l'actualité par une catastrophe sanitaire d'une ampleur que nous n'avions pas connue depuis plus d'un siècle.
• La crise de l'environnement
L'émergence dans de nombreux pays de partis «verts» témoigne de la prise de conscience croissante de la dégradation rapide et mal maîtrisée de l'équilibre écologique de la planète, rendue de plus en plus évidente par la multiplication des catastrophes climatiques (ouragans, inondations, canicules, sécheresses…) et parfois par une crise de l'agriculture et de l'alimentation.
Verts et écologistes ont des arguments tout à fait valables contre la croissance effrénée et l’industrialisation incontrôlée. Mais leur discours a plusieurs faiblesses: la première est qu’ils voient souvent la protection de l’environnement comme une «cause» en soi, distincte des autres questions majeures qui se posent à nos sociétés, alors qu’elle en est un élément profondément imbriqué qu’il est impossible de traiter séparément; la seconde est qu’ils comptent naïvement pour apporter des solutions sur un régime politique existant dont les dirigeants n’ont pas le moindre intérêt propre à le faire et dont le fonctionnement ne permettra jamais aux défenseurs de l'environnement de prendre eux-mêmes le pouvoir avant qu’il ne soit trop tard; la troisième est de ne pas assez distinguer entre les excès de la surconsommation dans les pays avancés et le rattrapage juste et nécessaire que s’efforce de réaliser le reste du monde.
Le problème écologique comporte quatre volets principaux: la nécessité de mettre fin à une pollution aux effets dévastateurs sur la vie et la santé des peuples; une nouvelle gestion plus économe et moins destructrice de notre boulimie d’énergie et de ressources; des modes de production et des produits nouveaux respectueux de la protection de l'environnement; un traitement humaniste et équitable des problèmes socio-économiques causés par ces nouvelles exigences.
• La rupture technologique
La Révolution de l'Information n'est pas seulement une expression à la mode au sens plus ou moins nébuleux. Elle identifie une véritable mutation mentale des sociétés humaines où la génération, la circulation, le traitement et l'utilisation de l'information transforment les modes matériels de production, facilitent et accélèrent de façon incontrôlée les flux transfrontaliers de capitaux et de biens et développent une multitude de produits immatériels (logiciel, données, contenu numérique, le «Nuage», intelligence artificielle) aux caractéristiques inédites qui chamboulent notre mode de vie et dont la théorie économique ne sait pas tenir compte. Quelques exemples:
- Télescopage du temps et de l’espace qui désoriente les populations
- Communication multidirectionnelle qui frappe les médias classiques
- Produits «hors-la-loi» qui circulent sans frontières
- Outils nomades quittant maisons et bureaux pour poches et sacoches
- Communautés instantanées qui redéfinissent les strates sociales
- Vie privée exposée par l’indiscrétion numérique et le «big data»
- La Tour de Babel revue par le traitement informatique de la parole et de l’écrit
- Un Prolétariat robotique aux effets néfastes sur le marché de l’emploi
- Métiers et services virtuels qui redéfinissent les expertises
À cela s’ajoutent deux nouveautés qui affectent la santé même du capitalisme dominant: la «blockchain» et son sous-produit la crypto-monnaie qui menace le monopole des États et des banques sur l’argent et les changes; la multiplication de véhicules financiers numériques souvent abstrus, qui détournent les capitaux de la création et la distribution de produits et services utiles vers des investissements abstraits, non-productifs mais attrayants car ils offrent des rendements plus importants et plus rapides.
• Les migrations perturbatrices
La mondialisation telle qu'on l'entend actuellement est strictement axée sur des impératifs financiers et commerciaux, malheureusement sans préoccupation pour ses autres dimensions, en particulier pour ses effets négatifs sur les populations. Cet oubli volontaire revient nous hanter, sous la forme surtout de phénomènes migratoires intensifiés et accélérés; non seulement cela affecte profondément les peuples des pays d'origine directement touchés, mais cela provoque en retour des perturbations sociales et économiques qui déstabilisent les sociétés forcées d'accueillir des afflux étrangers souvent massifs. La conséquence la plus perverse de cette tendance est de nourrir dans les pays riches une vague de réactions xénophobiques et racistes contre toute immigration qui favorisent l'émergence de partis puis de gouvernements de l'extrême-droite la plus réactionnaire.
Le déclenchement des migrations prend deux formes distinctes. D'une part, comme conséquence indirecte de la multiplication des échanges financiers et commerciaux transfrontaliers et de leur caractère souvent néo-colonialiste, il se produit des conflits raciaux, idéologiques et économiques, notamment au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Afrique, qui tendent à dégénérer en guerres civiles ou régionales dont les principales victimes sont les populations sans défense. Ces dernières tentent d'échapper aux mitraillages, aux bombardements et aux persécutions en se réfugiant dans des régions du monde plus stables et plus pacifiques, dans la grande majorité des cas en Europe de l’Ouest. Plus directement, la mondialisation non seulement accentue les inégalités économiques entre régions industrialisées et régions rurales, mais rend ces inégalités plus visibles par les images rutilantes transmises par la télévision par satellite et par l'Internet banalisé, qui recouvrent désormais la quasi-totalité de la planète. Il en résulte une forte pression à l'émigration de masses de travailleurs atrocement pauvres vers l'Europe de l'Ouest pour l'Afrique et l’Asie, vers l'Amérique du Nord pour l'Amérique centrale et du Sud.
Dans les deux cas, les déplacements se font souvent hors du cadre normal de l’immigration, gérés par des criminels de la «contrebande humaine» en l’absence de modes légitimes de transport. Et ils injectent dans les pays «riches» de nouvelles minorités visibles dont les langues, les coutumes et les croyances sont souvent aux antipodes de celles des populations existantes, créant des conflits sociaux parfois virulents.
Un équilibre à trouver et préserver
Le débat sur l'orientation idéologique dans les pays occidentaux se résume trop souvent à faire un choix entre le capitalisme et le socialisme, entre l'individualisme et le collectivisme. En réalité, la question est loin d'être aussi simple: les deux tendances sont fortement enracinées dans nos mentalités, probablement inscrites dans nos gènes mêmes. Même les plus libérales de nos sociétés conservent un fond de solidarité «tribale» qui se manifeste par les sentiments nationalistes et le régionalisme, et encore plus dans les situations de crise (guerres, épidémies, désastres naturels...). En revanche, il faut être aveugle ou de mauvaise foi pour nier que la cupidité individuelle soit un puissant ressort de progrès économique. L'intuition fondatrice d'Adam Smith, selon laquelle les efforts d'enrichissement personnel contribuent, même involontairement, à la prospérité de l'ensemble d'une société, a été abondamment confirmée par les faits. En d'autres termes, l'alternative n’est pas de choisir entre l'individuel et le collectif, mais de trouver un modus vivendi acceptable entre les deux.
Il n'est pas facile d'imaginer comment on peut remplacer un principe simple et monolithique comme la primauté de l'individu ou, au contraire, celle du bien commun, par une antinomie instable comme le couple ambition personnelle/solidarité collective. Mais plus nous avançons dans le nouveau millénaire, plus l'exercice paraît indispensable et inévitable, au point qu’il s'impose comme la pierre d’assise d’une nouvelle vision d’ensemble pour l’avenir de l’humanité. À cette dualité, il faut ajouter une autre nécessité aussi difficile à réaliser mais incontournable, celle d'une neutralité absolue des pouvoirs publics face à toute confession et tout dogme spirituels.
•Solidarité collective
Non seulement l'instinct grégaire est un atavisme qui se perpétue dans l'espèce humaine depuis ses débuts, il est un facteur majeur de survie et de progrès pour toute collectivité. Les exemples historiques d'efforts collectifs couronnés de succès, autant que de sacrifices efficaces d'un ou de quelques individus pour le bien de tous, sont trop nombreux et trop probants pour ne pas être significatifs. De plus, cet instinct s'est avéré la seule force capable de canaliser positivement, à moyen et à long terme, la brutalité de la rapacité personnelle, d'en tempérer les excès et d'en répartir les bénéfices avec une certaine équité. Il est le pendant incontournable de la mécanique implacable du marché, dont la véritable fonction est d'arbitrer la rivalité des intérêts privés et non, comme le voudraient ses partisans, de répartir correctement la richesse publique. Pour ces deux raisons, toute société qui prétend ignorer le réflexe collaboratif ou en restreindre exagérément la portée ne peut que se nuire à elle-même — un grand nombre de nations sont hélas en train d'en faire la preuve.
•Initiative individuelle
En contre-partie, Marx et ses successeurs ont fortement sous-estimé la force et le profond enracinement dans l'âme humaine de la volonté d'acquisition et d'enrichissement personnel (et de son corollaire, l'obsession de transmettre ses acquis à ses descendants), qui est bien plus ancien et bien plus naturel qu'un simple «réflexe de classe» résultant de l'évolution des modes de production, comme le voudrait leur théorie. Il s'ensuit que tout groupement humain qui s'abstient de tirer profit de ce trait du caractère de l'espèce, serait-ce pour les meilleures raisons philosophiques ou morales, se prive d'un levier majeur d'amélioration de son confort et même de sa survie matérielle. En revanche, l'expérience n'a jamais démontré que cet instinct était sans danger pour tous les membres de la collectivité. La cupidité a beau être un puissant ressort économique, elle demeure un vice social pernicieux et déstabilisateur qu'il est risqué de laisser s'exercer sans frein ni contrôle; il est extrêmement probable que la célèbre et mystérieuse «main invisible» d'Adam Smith a besoin d'un sérieux coup de pouce réglementaire pour agir en fonction du bien de tous.
•Laïcité absolue
L'exigence de laïcité est d'abord dictée par le désir d'assurer une plus grande harmonie sociale en réduisant les frictions entre les adeptes des diverses religions; mais elle a aussi une composante historique, puisque chacune des trois grandes idéologies existantes est plus ou moins fortement colorée par le point de vue d'un ou plusieurs dogmes confessionnels. La chose est évidente dans le cas de l'islamisme; elle est aussi avérée pour le capitalisme, en particulier par les travaux de Max Weber reliant l’éthique du travail au protestantisme puritain; quant au socialisme, il se situe paradoxalement au confluent de la notion chrétienne de charité et de défense des plus faibles et de la philosophie essentiellement athée de Wilhem Hegel, qui a fortement influencé Karl Marx et ses adeptes.
La tentation peut être forte de procéder à des «accommodements raisonnables» au principe de neutralité, mais cela ne fait qu'aboutir à des situations embrouillées et conflictuelles. C'est surtout le cas à mesure que nos sociétés deviennent de moins en moins homogènes, sous l'effet notamment des flux migratoires sinon causés, du moins fortement accentués par la mondialisation: les concessions faites à telle ou telle église ou mosquée ne peuvent qu'inciter d'autres temples ou synagogues à en réclamer à leur tour. Or, les exigences des uns et des autres ne seront jamais les mêmes et s'avéreront le plus souvent contradictoires, créant ainsi un écheveau ingérable d'exceptions.
B ~ Un système politique mis à plat
Les bouleversements politiques récents dans plusieurs pays «stables» (France, Royaume-Uni, Italie, USA, Allemagne…) exigent non pas un simple «retour à la normale» qui ne résoudra rien des lacunes économiques et sociales révélées par les crises, mais une remise en état beaucoup plus importante. En même temps, de nombreux indices permettent de croire que les conditions d'une réforme d'une envergure suffisante pour apporter des réponses durables et équitables aux problèmes qu'affrontent réellement les peuples sont enfin réunies... mais il est important de comprendre que ces conditions ne sont pas seulement ni même principalement économiques.
Il faut d'abord s'attaquer à une rénovation en profondeur d'un régime politique qui se prétend un élément majeur de la solution, alors qu'en réalité il fait partie des obstacles à surmonter, puisqu'il se pose en soutien indéfectible et en garant de la légitimité d'un système social et financier défaillant. À partir du moment où on accepte la justesse de cette perception, on ressent aussi l'urgence de repenser la démocratie sur une base qui en modifie l’équilibre central: elle ne doit plus être axée sur la «représentativité» d'une élite ambitieuse et égoïste. La seule issue plausible est la prise de contrôle directe des processus de législation et de gouvernement par les citoyens eux-mêmes – peu importent les dangers potentiels d’un tel changement.
Cette étape proprement politique est un préalable indispensable à tout effort efficace de réforme sérieuse de l'économie et du fonctionnement de nos sociétés pour faire face au triple défi de la révolution de l'information, de la dégradation écologique et du choc de la mondialisation. Ce qui est proposé ici est donc une alternative politique radicale, un programme idéologique progressiste et un plan d’action réaliste pour effectuer la transition vers une démocratie réelle de ce qui est en fait une oligarchie élitiste.
1. Démocratie directe
L'ensemble du peuple d’un État national doit détenir directement le pouvoir politique, sans intermédiaires élus. Le citoyen moyen des pays industrialisés et de nombreux autres en voie de l'être a désormais un niveau d'instruction et l'accès à des sources d'information comparables à ceux dont disposent la plupart de nos gouvernants; l’argument élitiste voulant qu’elle ou il n’ait pas la compétence, les loisirs ou le sérieux nécessaires pour décider de son propre sort ne tient plus. À ce titre, chaque adulte responsable de ses actes a le droit et le devoir d'approuver ou de rejeter lui-même les lois et les grandes orientations de la Nation et de prendre part au limogeage des membres indignes ou inefficaces du Gouvernement. Chacun doit donc pouvoir délibérer sur tout sujet soumis à la décision du peuple, à condition d'être suffisamment renseigné sur la question traitée. S'il ne l'est pas, il peut exiger qu'on lui fournisse les informations objectives nécessaires; une fois cette condition remplie, il sera automatiquement jugé apte à voter. Toute mesure ainsi adoptée prendra force de loi; son exécution peut cependant être retardée par le Sénat (voir plus loin) soit pour ménager un délai de prudence et de réflexion, soit pour permettre un nouveau vote. Elle ne peut cependant jamais être annulée autrement que par une nouvelle décision de l'ensemble des citoyens. Aucune instance législative «représentative», exécutive ou judiciaire ne doit pouvoir renverser une décision du peuple souverain.
2. Gouvernement compétent
Il faut se rendre à une évidence en apparence «antidémocratique»: la sélection d'un exécutif gouvernemental sur la base du vote populaire ne correspond plus aux besoins des sociétés modernes. Pendant environ deux siècles, le modèle de gouvernement «de l'honnête homme», mis au point par la France et par les pays anglo-saxons, a été la norme (avec quelques variantes) en Occident et dans ses ex-colonies. Pour plusieurs raisons, ce modèle auquel s'accrochent toujours nos élites est périmé. Non seulement la gestion, mais la perception même des besoins et de leurs solutions sont devenues d'une complexité qui demande un tout autre niveau de préparation et d'expertise, un niveau que la règle «démocratique» interdisant d'exiger des preuves de compétence des candidats ne permet pas d'assurer.
En conséquence, le Gouvernement ne doit plus être chapeauté par un Cabinet pigé parmi des élus sans expertise particulière, mais par un exécutif d’experts composé d'un Premier ministre et d'un nombre suffisant de ministres pour en diriger les principaux services et organismes. Il s’agit de personnes choisies pour leur compétence dans la gestion des affaires publiques et dans les domaines sous leur autorité. Elles sont embauchées après appel à candidatures par le Sénat (voir ci-dessous), sur la base de définitions de poste rédigées par des spécialistes et validées par l'ensemble des citoyens (ou par des comités citoyens ad hoc). Ces définitions incluent explicitement le respect des orientations fixées directement par le peuple. On aura ainsi un gouvernement idéologiquement neutre, mais obligé de mettre en pratique les choix politiques démocratiquement adoptés.
3. Supervision orientée vers le bien commun
Le besoin d'une supervision constante sur l'appareil gouvernemental n'est pas éliminé par le passage à une démocratie directe. Cette fonction ne pouvant être exercée au jour le jour par l’ensemble des citoyens, il faut donc la confier à un organisme de taille restreinte, formé de membres choisis par le peuple parmi des candidats répondant à des qualifications dont l'objectif est d'assurer leur préoccupation pour le bien commun; par exemple, avoir consacré au moins cinq des dix dernières années de leur vie professionnelle au service public, dans une des activités suivantes: fonction publique, forces armées, enseignement, santé publique, recherche scientifique indépendante, organisations ouvrières ou professionnelles, organismes de bienfaisance, etc. Ce «Sénat» n'aura cependant aucun pouvoir exécutif ni législatif direct, mais une large autorité de contrôle et de surveillance des activités de l'État. Ainsi, il pourra gérer l'embauche et le congédiement du Cabinet, la tenue de l'État civil et des votes populaires, le respect et la mise à jour de la Constitution, veiller sur le fonctionnement de la Justice et de la sécurité publique, garantir la liberté et l'objectivité de l'information...
La catastrophe de la COVID-19 a par ailleurs démontré la nécessité qu'il existe au plus haut niveau de l'État un organe responsable de l’information dont les priorités absolues soient le bien-être du peuple au-delà des considérations économiques et des influences de divers groupes d'intérêts. Le système de partis qui est une composante essentielle de la formule représentative non seulement ne favorise pas la réalisation de cette priorité, mais y pose de sérieux obstacles structurels. Le Sénat tel que proposé corrige cette anomalie.
4. Information libre et objective
Les organismes et les professionnels exerçant des activités de cueillette, de traitement et de diffusion des informations d'actualité, couramment appelés «la presse», ont un rôle essentiel à jouer comme principale source des renseignements sur lesquels les citoyens doivent fonder leurs décisions collectives. À ce titre, ils ont droit à un statut spécial, défini par une loi votée par le peuple: d'une part, leur liberté d'action et d'expression doit être protégée contre les pressions du Gouvernement, du monde des affaires ou de tout autre groupe d'intérêts; de l'autre, ils doivent être soumis à un code de déontologie leur imposant véracité et impartialité sur les sujets pertinents à la vie démocratique, sous peine de sanctions allant jusqu'à l'exclusion à vie. Les médias imprimés, électroniques et numériques devraient être répartis entre organes publics, organes commerciaux et organes associatifs, et disposer de moyens leur permettant d'être en concurrence véritable les uns avec les autres. Cette diversité dans un cadre juridique bien défini est, dans un monde imparfait, la meilleure façon connue de réaliser une authentique «liberté de presse».
Une autre menace à la qualité de l’information est l’existence avérée de manipulations perverses, pour des fins partisanes ou personnelles, sur la gigantesque masse de données non controlées ni réglementées charriées par les réseaux numériques. Les efforts louables de «fact checking» des médias existants ne peuvent être qu’une solution partielle; le problème est majeur, et des ressources et efforts considérables doivent y être consacrés rapidement.
5. Réseau virtuel universel
Dans un contexte où les citoyens de territoires souvent étendus et inégalement desservis sont appelés à prendre directement les décisions politiques majeures, l'État doit assurer l'existence, le fonctionnement, la sécurité et la confidentialité d'un réseau numérique accessible à tous, quels que soient leur situation géographique ou leur niveau économique. Ce réseau constitue un «forum virtuel» où les citoyens peuvent s'informer et débattre des lois à adopter et des décisions collectives à prendre, inscrire leurs votes et effectuer l'essentiel de leurs échanges avec les organes du Gouvernement et autres institutions publiques. Il pourra jouer des rôles similaires au niveau des instances régionales et locales et remplir les autres fonctions de l'Internet classique (courriel confidentiel, achats et banque en ligne, réseaux sociaux...). En cas de crise ou de catastrophe, il doit offrir une voie rapide, fiable et universelle de communication bidirectionnelle entre les autorités et les populations menacées.
C ~ Un forum public autonome
La dernière composante ci-dessus peut sembler excessivement technique comparée au reste, mais l’évolution récente des collectivités et l’avènement d’une Société de l’Information en font un outil indispensable pour réaliser des changements structurels importants dans la gestion du pouvoir et la prise de décision. L’arme principale disponible pour imposer l’évolution progressiste qui s'impose est l'opinion publique, préférablement renforcée par des moyens technologiques accélérant et élargissant son action et multipliant son impact. Les approches traditionnelles: grèves, défilés et manifestations, révoltes pacifiques ou armées ont perdu une grande partie de leur efficacité, face à la puissance et à la sophistication des forces dont disposent les pouvoirs en place et aux méthodes qu'ils ont développées pour répliquer aux mouvements populaires classiques. Surtout depuis le tournant des années 2010, les formes diversifiées des «réseaux sociaux» et les smartphones ont souvent montré leur efficacité et leur capacité de prendre en défaut la censure et les réactions des gouvernants.
Mais ces ressources ont actuellement un défaut commun: elles tombent sous la propriété et le contrôle non pas des citoyens et consommateurs, mais d'entreprises privées dont l'objectif premier n'est pas le bien public mais leur propre intérêt financier, et dont les relations avec les autorités sont sujettes à caution. Pour répondre à ce danger tout en préservant une indépendance vis-à-vis des pouvoirs en place, le réseau proposé ne doit ni appartenir au secteur privé, ni être une agence de l’État. La solution évidente est d’en faire une coopérative appartenant à ses utilisateurs, financée par des fonds publics garantis par la Constitution, sans contrôle externe. Il serait coiffé d’un Conseil de direction composé en majorité d’usagers soit élus soit choisis au hasard parmi des bénévoles, plus quelques membres de son personnel technique et quelques représentants du Sénat, dont le rôle sera non de superviser, mais d’en protéger la liberté contre les pressions indues.
Pour répondre aux exigences de sécurité et de fiabilité, le réseau doit avoir (1) une équipe technique compétente et convaincue; (2) des protocoles efficaces d’identification à l’entrée mais aussi pour l’accès à des fonctions critiques; (3) une infrastructure solide incluant suffisamment de redondance pour demeurer au moins minimalement actif dans des situations difficiles, même catastrophiques.
Une liberté d’expression progressiste et laïque
Enfin, pour respecter le principe d’un équilibre entre liberté individuelle et conscience collective, il est logique que communautés et groupements d’intérêt aient accès en tant que tels aux débats sur le forum virtuel. Cependant, ceci pose une variété de problèmes complexes et de risques de conflits qu’il faudra résoudre à mesure qu’ils apparaîtront. Il est essentiel que tout réseau «citoyen» permette l'expression de la plus grande variété possible d’opinions politiques, sociales et économiques, même conservatrices et sectaires, mais sa préoccupation principale doit demeurer de promouvoir le progrès social et l'équité, dans un contexte dégagé de tout préjugé religieux ou idéologique et de toute expression haineuse. N’importe quelle critique ou suggestion doit donc être recevable, pourvu qu'elle réponde à trois conditions: qu’elle constitue une amélioration perceptible (ou la prévention contre une dégradation) de l'état actuel des choses, qu'elle ait une chance raisonnable de succès et qu'elle soit dictée par le bien commun et l’équité, incluant la tolérance d’avis opposés. Toute tentative de «faire reculer l’horloge» sous prétexte que «c’était mieux dans le temps», toute intervention fondée sur un texte «sacré» (qu’il provienne du Coran, de la Bible, des Évangiles, de Marx ou de Mao) pourra être sujette à la censure d’une majorité des membres du Conseil.
L'obligation de laïcité publique pose une autre difficulté: certaines religions et sectes font du rejet de toute autre croyance un critère d'inclusion. Tout groupe qui souhaite être actif en tant que tel sur le forum doit donc renoncer formellement à un tel comportement. Les autres obstacles ne peuvent être résolus qu’un par un, en utilisant le bon sens et l'empathie plutôt qu’une rigueur légaliste. La tendance actuelle des pays modernes à soumettre aux tribunaux tout désaccord même mineur entre individus ou groupes devrait être restreinte au minimum. Cela signifie, entre autres, un recours beaucoup plus prudent et moins agressif aux Chartes des droits individuels, par exemple pour légitimer des codes vestimentaires (notamment selon le sexe) ou des interdiction alimentaires.