06 janvier 2012

Noël sur le ponton

Nous étions rentrés au Marin, sans en être vraiment conscients, tout juste une semaine avant Noël, en pleins préparatifs du Réveillon.

Après avoir un peu tergiversé entre amener Janine au Diamant pour une fête typiquement familiale et antillaise (oui, mais chez qui?) ou descendre à Sainte-Anne, où la fidèle Sainte-Lucienne Henrietta nous invitait chez elle pour le Christmas Dinner, nous avons fini par accepter la proposition de nos voisins de quai les Chenuz, qui s'associaient avec d'autres résidents de la Marina pour célébrer le Réveillon à la belle étoile sur le ponton même, entre "gens de bateaux".
Florence et deux autres copines s'occupaient des courses et de la cuisine, tandis que Michel et les gars dressaient une grande table sur des tréteaux improvisés sous un grand parasol, le long de la Marie-Joseph, donc à trois pas du Bum chromé. L'un apportait une glacière, l'autre un grill pour la cuisson, et tout le monde payait sa part des frais. En plus de fournir le micro-ondes et un frigo, nous avons conscrit les parents et amis pour du boudin créole et un punch-coco (les Larcher), des petits pâtés épicés et un schrobb-maison (Raymond Marie et Ginette).
Cet apport imprévu d'apéritifs et d'amuse-gueules s'est avéré si abondant -- et si délicieux -- qu'il a fait bifurquer le réveillon prévu "à la française" en soirée créole, la quinzaine de convives ayant à peine l'appétit de goûter aux très bons oeufs mimosas, salades vertes, magrets de canard grillé et gratin dauphinois qui devaient suivre.
Si bien que lorsque les agapes ont pris fin vers les une heure du matin de Noël (nous étions quand même à table depuis 20h30), il restait amplement de quoi nourrir encore autant de monde! Nous nous sommes donc entendus pour remettre ça le soir suivant dans un "Party de restes" fort réussi. D'autant plus qu'après une série d'averses, le temps s'est mis au beau pour les deux soirées...
Nous en avons profité pour faire plus ample connaissance avec quelques voisins, notamment Frédo, la "dame à la pipe" dont le monocoque est notre vis-à-vis à babord, et Cloclo, une blonde rigolotte et rondelette qui s'est immédiatement liée d'amitié avec Azur. Le fait que le tiers des convives se prénommaient Michel ou Michèle a bien donné lieu à quelques quiproquos, mais bah! Un beau Noël, d'un style inédit pour nous et encore plus pour notre passagère.
Un famille allemande s'est inséré avec son modeste monocoque juste en face de notre coque tribord. Papa, maman et un petit lutin blond presque blanc dont la gaîté contagieuse et l'énergie sans bornes mettent en joie tout le voisinage. Qu'elle galope autour de ses parents quand ils sortent faire les courses, ou qu'elle se livre à des séances impromptues et quelque peu échevelées de danse-ponton, ou qu'elle poursuive un interminable bras-de-fer avec un hula-hoop blanc pailleté pour en maîtriser les gyrations.
Dans l'intervalle, j'ai eu le désagrément de subir une infection à la jambe, due à des piqûres de moustiques "grenadins" mal soignées. Lucien, le médecin de Raymond Marie, a eu beau me bombarder d'une demi-douzaine d'onguents, d'antibiotiques et de teinture d'iode, ma cheville gauche a doublé de volume et pris une belle teinte homard-bouilli, tandis que la droite sa marbrait de taches violacées entourant des cratères de pustules crevées. Pas très joli, et assez douloureux par moments.
Cela a quelque peu handicapé nos activités pour les derniers jours du séjour à bord de Janine, mais un projet au moins s'est réalisé. Le chauffeur Rodolf est venu nous cueillir au ponton tôt le lendemain de Noël pour nous emmener faire un grand tour de la Martinique. Les Trois-Îlets, domaine et musée de la Pagerie, panorama de Fort-de-France
du haut du vieil hôpital Clarac puis descente sur la Savane, la cathédrale et le Marché couvert, remontée de la Côte caraïbe jusqu'à Saint-Pierre, visite de la Distillerie Depaz (et petits achats), lunch créole savoureux au Bambou du Morne-Rouge sous une pluie diluvienne, qui par chance s'est arrêtée dès que nous avons repris la route.
L'après-midi s'est passée à suivre à petit train les méandres de la sauvage route du nord, avec son décor de ravines vertigineuses tapissées de vignes lianes, de bouquets de bambous et de fougères géantes, jusqu'à la pointe extrême de Grand-Rivière,
où la rencontre de l'Atlantique et de la Mer des Caraïbes provoque, même par temps calme, des houles spectaculaires qui viennent se fracasser sur un nouveau brise-lames géant que Janine a tenu à parcourir jusqu'au bout: pour une fois elle se sentait chez elle, le rude paysage marin ressemblant à sa Normandie natale.
Le lendemain soir, nous sommes allés la reconduire à l'avion, apparemment fort heureuse de son aventure nautique et tropicale... mais pas fâchée au fond, après trois semaines de vagabondage, de retourner à son train-train parisien.
Nos seuls visiteurs réguliers étaient maintenant les trois merles noirs qu'Azur nourrissait tous les matins de nos restes de pain, croissants, brioches, zakaris, etc. Chaque fois que je me réveillais et grimpais sur le skybridge pour le lever de sommeil, ils étaient perchés sur les garde-fous ou les mains courantes, l'oeil brillant et aiguisé.
Cela faisait un peu drôle, mercredi matin, de nous retrouver seuls à bord, Azur et moi, pour la première fois du séjour. Nous avions l'intention d'en profiter une dizaine de jours encore, mais trois circonstances nous ont fait changer d'idée. D'abord mes jambes infectées, dont la gauche surtout guérissait bien moins vite et moins bien que prévu, rendant pénible toute traversée du ponton pour aller à terre. Puis le fait qu'un des antibiotiques prescrits par le Dr Lucien m'avait mis la digestion à l'envers, m'obligeant à ne me nourrir que de bananes, de jus et d'eau pendant trois jours (même pas une goutte de rhum!) -- avec cependant un effet secondaire positif, j'y ai perdu 7-8 kilos que j'essaierai de ne pas reprendre. Enfin, depuis le lendemain de Noël, la connexion Internet de la Marina ne marchait plus, ce qui, en l'absence de télé et vu la rareté des journaux, nous coupait pratiquement du monde.
Comme il n'y a qu'un vol direct par semaine sur Montréal, nous nous sommes résignés à prendre le prochain, l'après-midi du Jour de l'An. Ce qui fait que depuis dimanche soir, nous avons réintégré notre douillet cocon du LUX Gouverneur…
Heureusement, la jambe va mieux!