26 août 2008

18 aout 2008

Cette date doit avoir quelque chose de maléfique. L'an dernier, l'ouragan Dean y dévastait la Martinique. Cette année, c'est une bien triste nouvelle qu'elle nous apporte: la tante Marcelle d'Azur, qui était entrée à l'hôpital pour une opération plutôt anodine, est décédée subitement de complications imprévues au début de l'après-midi. Bien sûr, à 88 ans, ce n'était pas totalement inattendu, mais nous l'avions vue chez elle à Balata il y a un mois, nous lui avions parlé au téléphone il y a moins d'une semaine depuis le mouillage de Sainte-Lucie et elle semblait en forme pour durer plusieurs années encore. En contrepartie, son dernier frère survivant, Vincent, était décédé il y a trois mois et il n'est pas rare que le départ d'un proche ait cet effet sur les personnes âgées.  
L'appel du cousin Daniel nous est parvenu en milieu d'après-midi alors que nous faisions la sieste. Hier matin, nous étions allés reconduire Geneviève et Yves à l'aéroport, nous promettant une semaine ou deux de repos et de solitude après les périodes fort animées du Tour des Yoles et de l'excursion aux Grenadines. Ceci va évidemment nous obliger à reformuler nos plans.
Vendredi, nous avions fait faire un tour presque complet de la Martinique à ma nièce et à son copain; il nous paraissait un peu absurde qu'ils ne soient venus ici que pour s'embarquer sur la cata et en débarquer. Nous avons donc contacté Éric, chauffeur de taxi émérite de Trinité doublé d'un guide touristique professionnel, qui est venu nous prendre tous les quatre à la Marina.
Première étape, les Trois-Îlets et le Musée de la Pageraie, lieu de naissance de l'Impératrice Joséphine. Un très joli point de vue en haut du bourg sur la Baie de Fort-de-France, puis la route semi-circulaire vers la capitale, également contemplée du haut du belvédère de l'hôpital derrière Trenelle.
Par la route de Balata, bordée de superbes maisons coloniales jadis habitées par les notables blancs et mulâtres du pays, nous avons rejoint la Trace, qui s'insinue le long des mornes du centre de l'île à travers la forêt tropicale, dans un délire de fleurs éclatantes, de lianes, de fougères arborescentes et de délicats bambous, le tout surplombé de mahoganys centenaires.
Comme la Montagne Pelée était enveloppée de nuages opaques, inutile de grimper jusqu'au point de vue de l'Aileron, pourtant superbe par temps clair. Nous avons donc bifurqué au Morne-Rouge pour descendre vers Saint-Pierre et la Côte caraïbe.
En ce jour férié de l'Assomption (C'est un mystère pour moi que la France, pays "laïque", célèbre autant de fêtes religieuses!), la rhumerie DePaz est fermée. Dommage, car c'est sans doute notre préférée en Martinique, autant pour son charmant emplacement que pour ses installations fonctionnelles... sans compter qu'on y vend un des plus fins rhums hors-d'âge de l'île, introuvable ailleurs qu'à la distillerie même.
Pour nous consoler, nous allons nous taper un repas typiquement martiniquais à "La Paillotte", un petit resto dont la terrasse est un auvent dressé directement sur la plage de sable noire. Rhum blanc pour les uns, vieux pour les autres, accras abondants et savoureux, délicieux "touffé" de requin et colombo (cari) de poulet, très bonne pieuvre en sauce à laquelle il ne manque qu'un soupçon de piment, riz vapeur bien détaché et "pois rouges" (haricots en sauce) succulents. Au moins, Yves et Geneviève auront eu un bon aperçu de la cuisine locale dans son plus traditionnel.
Après que la nièce se soit trempé les orteils dans l'eau, nous regrimpons sur les pentes de la Pelée pour redescendre sur la Côte atlantique par le village-jardin d'Ajoupa Bouillon jusqu'au Lorrain puis au petit port de pêche du Marigot, aujourd'hui complètement endormi sauf pour trois ou quatre gamins qui pêchent à la ligne au bout du quai.
À Sainte-Marie, embouteillage monstre: c'est la fête communale (évidemment, l'Assomption!) et des courses de chevaux se déroulent sur la belle grande plage qui longe le bourg. Nous arrivons à nous dégager de la cohue pour un détour vers le Musée du Rhum Saint-James, élégant et pédagogique (même si nous privilégions toujours DePaz). C'est le temps d'acquérir quelques sérieuses bouteilles, dont une partie resteront à bord, les autres repartant qui pour Montréal, qui pour Montpellier. On n'est jamais trop prévoyant.
Un peu plus loin, courte étape au belvédère du Mont Poirier, un des plus beaux panoramas de la Martinique -- c'était d'ailleurs un des favoris d'Aimé Césaire, paraît-il. La redescente sur un étroite route ultra-sinueuse est l'occasion pour Azur de lancer une de ses expressions préférées: "Tirez roches, mettez paille!" ou, en bon français, "enlevez les pierres, étendez de la paille", sous-entendu: "On va tomber!"
Le reste du trajet le long de la côte, via le Robert, le François et le Vauclin, s'est déroulé sans autre incident qu'une courte averse. Le chauffeur Éric nous dépose au parking de la marina, où je dois négocier à la hausse sa rémunération -- il nous a clairement pris à la bonne.
Pour Yves et Geneviève, cette balade semble avoir été un digne couronnement à une bonne semaine de vacances sous les tropiques... du moins si j'en juge par leur intention fortement exprimée de revenir bientôt.

14 aout 2008

Mardi matin, les incontournables tractations avec les boat-boys qui assiégeaient les rares bateaux au mouillage n'ont rien donné: nous avions ce qu'il nous fallait comme provisions, et eux n'avaient rien des deux choses qui seules nous intéressaient: langouste (pas la saison) ou poisson et fruits de mer (trop tôt dans la journée).
Il était quand même pas loin de dix heures quand nous avons levé l'ancre pour longer la falaise de Bequia, où s'incrustent une des curiosités antillaises les plus déjantées, les maisons troglodytes construites par un excentrique amériain il y a une cinquantaine d'années. A suivi une vigoureuse discussion sur les mérites comparés d'un arrêt à Mustique (question de prendre un pot au célèbre Basil's -- un must pour un amateur de bars comme moi) et d'une descente directe soit sur Mayreau, soit sur les Tobago Cays.
C'est cette dernière option qui l'a emporté, grâce à une puissante alliance entre Gérard (pour raisons de facilité de navigation et d'horaire) et Azur (sobriété oblige). Nous avons donc mis le cap sur la pointe ouest de Canouan, derrière laquelle se nichent les archi-populaires mais toujours fabuleuses Cays.
Nous y sommes arrivés peu avant quinze heures. Une douzaine de voiliers, dont une bonne moitié de catas, y mouillaient, nombre très modeste pour l'endroit. Immédiatement, nous avons sorti masques, tubes et palmes et abaissé l'échelle de plongée.
 Il n'y avait personne d'autre dans la zone délimitée par des bouées et réservée aux baigneurs, si bien que les tortues de mer, parfois sauvages, y folâtraient librement. Nous en avons vu une bonne douzaine de toutes les tailles, dont quatre à la fois rencontrées par Yves et Geneviève à mi-chemin du récif coralien en forme de fer-à-cheval qui ceinture et protège les quatre îlets qui constituent les Cays. Ceci, sans compter une foule d'étoiles de mer, plusieurs bancs de petits poissons brillants et de majestueuses carangues argentées aux extrémités noires qui, sans vergogne, venaient nous frôler les mollets.
Pendant ce temps, Gérard mettait à l'eau l'annexe, dans laquelle il amenait Azur et Pauline à la superbe plage de sable blanc qui prolonge une des îles. Pas d'iguanes cette fois, mais nous avons constaté un curieux phénomène: du côté atlantique, l'eau était nettement plus chaude (au moins quatre ou cinq degrés) que du côté caraïbe, pourtant distant d'à peine une dizaine de mètres.
De retour à bord, Gérard a allumé son barbecue (un vrai! pas question pour le Bum de ces simili au gaz propane) pour y griller une gargantuesque pièce de boeuf: au moins trois kilos, que nous regardions en nous disant qu'on n'en viendrait jamais à bout. Hé bé, la voile et la plongée doivent sérieusement aiguiser l'appétit, puisque une heure plus tard, il n'en restait que deux bouts d'os et quelques lisières de gras. Pommes de terre vapeur et joli bordeaux fourni par nos invités avaient aussi disparu dans la foulée. Lorsque nous avons jeté les restes comestibles par-dessus bord, c'était rigolo et fascinant à la fois de voir l'espèce de ballet-bataille rangée entre mouettes au-dessus de l'eau et poissons au-dessous pour se les approprier.
Au lever de soleil, magnifique, autre coup de plongée dans une eau un peu fraîche mais d'une transparence incroyable. Sitôt après le café (Yves Number Two -- même Pauline l'appelle maintenant comme ça -- a trouvé le tour de faire cracher un excellent cappucino à notre mini-espresso), vingt minutes de navigation nous amènent à Mayreau, un de nos lieux favoris de tout l'archipel. 
Comme dit Azur, s'il y avait un paradis terrestre, il serait probablement ici. Un super bar-restaurant de pierre et de paillottes niché sous des bouquets de cocotiers, du sable blanc et fin comme une belle farine qui se prolonge sous la quille en étendues d'un vert turquoise inimitable, le tout serti entre deux récifs coralliens où vagabondent des poissons et molluques de toutes les teintes de l'arc-en-ciel. Quelques pélicans qui planent et plongent et remontent avec un éclat palpitant en-travers de leur énorme bec.
Et à peine une demi-douzaine d'autres voiliers, dont un cousin germain: un cata Leopard 46 battant pavillon canadien, mais portant sur le hauban la même combinaison que nous: fleurdelisé québécois et tête-de-mort et tibias croisés sur fond noir. C'est un couple d'ex-québécois qui font du charter à partir de Sainte-Lucie; ils ont actuellemment à bord une jeune famille de Terrebonne qui en est à ses premières vacances antillaises et qui n'en croit pas ses yeux, sa bouche et ses oreilles. Je passe un bon vingt minutes à causer avec eux en flottant comme un bouchon devant leur jupe tribord.
Parallèlement, Gérard est parti avec Pauline à bord du canot d'un rasta barbu à grande tuque multicolore avec qui il est à tu et à toi. Paraît que c'est le prince du lambi; ça se vérifie une heure plus tard quand il les redépose avec un gros sac contenant une charge de kilos de ce savoureux coquillage. Ne reste qu'à déménager le tout dans une glacière ad hoc, qu'un autre canot-rasta viendra bientôt remplir de glaçons.
Mais ce midi, le menu est plutôt genre barracuda-lentilles brunes, élaboré autour du poisson que "nous" (enfin, on se comprend) avions pêché avant-hier en descendant de Sainte-Lucie.
Un dernier plongeon, dont nous émergeons à grand regret pour entreprendre le voyage de retour vers la Martinique. En effet, plutôt que de partir tôt ce matin pour remonter en deux journées coupées par une nuit au mouillage, nous avons décidé de prolonger le plus possible le séjour aux Grenadines, puis d'effectuer tout le trajet d'un seul coup, en naviguant de nuit une bonne partie du chemin.
Mais lorsque nous sortons de la petite baie de Mayreau pour nous diriger vers le nord, surprise: la mer est calme comme un lac, sans un souffle de vent. De fait, nous ferons tout le voyage, près de 18 heures, à moteur, sans même un frémissement véritable dans les voiles. "Jamais vu ça", avoue Gérard qui a pourtant suivi cette route des dizaines de fois depuis plus de vingt ans.
Voyons le bon côté de la chose: les inévitables veilles de nuit, qui nous inquiétaient un peu (Geneviève et Yves, quoique habitués au bateau, n'ont jamais navigué dans cette région et moi seulement une fois ou deux), deviennent alors une sinécure. Pour sustenter les veilleurs, Gérard nous a préparé sa fameuse quiche aux lardons, ainsi que deux ou trois grosses bouteilles de thé froid.
Pour éviter que le trajet soit trop ennuyeux, le dieu Neptune nous envoie quelques visiteurs: une grande tortue de mer qui vient nous fixer de son oeil curieux à quelques mètres à peine, puis un ballet de dauphins bruns qui nous accompagnent en présentant leur habituel spectacle de sauts groupés et synchronisés, enfin, plus rare, un petit troupeau de grands dolichocéphales gris sombre qui, contrairement à leur habitude, viennent s'ébattre tout près de notre étrave tribord pendant plusieurs minutes avant de s'éloigner à la nuit tombante.
Azur et moi nous couchons tôt, car je dois prendre le quart vers une heure du matin, après Yves et Geneviève. Lorsque je les relève peu avant Soufrière, Gérard, qui somnolait avec Pauline dans le cockpit, vient me tenir compagnie un bout, rejoint vers les trois heures par Azur qui s'est aussi réveillée. C'est au lever du jour que je retourne dormir, au moment où nous abordons le passage entre Sainte-Lucie et Martinique.
Lorsque je remonte sur le pont, vers les huit heures, nous venons de doubler la Pointe Dunkerque et pénétrons dans le cul-de-sac du Marin, où la Marina nous attend.

12 aout 2008

Il était 9h30 dimanche matin quand nous avons finalement décollé du ponton pour pointer vers le sud et Sainte-Lucie. Tel que prévu, Gérard emmenait avec lui sa fille Pauline, qui en est à ses derniers jours de vacances en Martinique avant de rentrer chez sa mère en France.
Contrairement aux prévisions pusillanimes de la météo, nous avons senti en doublant la Pointe des Salines que nous allions avoir du vent. Effectivement, toute la descente sur Sainte-Lucie s'est faite sous grand-voile et génois à 8 noeuds ou presque, avec une brise de nord-est qui descendait rarement sous les 18 noeuds. 
Tout le monde était juché sur le skybridge, Geneviève bombardait de questions Gérard qui répondait toujours avec patience, souvent avec plaisir: il adore qu'on s'intéresse à la mer, à la voile et à son métier.
Yves (qui a rapidement acquis le sobriquet de "Yves Number Two" pour nous distinguer) était plutôt fasciné par l'électronique de bord, et c'est donc surtout moi qui étais la cible de ses interrogations: lecteur de cartes numériques, radar, radios VHF et ondes courtes, téléphone Iridium, accès Internet par radio et par satellite, ordinateur de bord, sondeur, anémomètre, etc. tout y a passé.
 Étant donné le bon air qui soufflait même rendus sous le vent de la côte sainte-lucienne, nous avons décidé de descendre le plus loin possible et de mouiller à l'extrême-sud de l'île, afin d'atteindre les Grenadines dès lundi. Mais en arrivant en vue des Deux Pitons, nous n'avons pu résister à la tentation d'un des sites les plus spectaculaires des Petites Antilles.
Gérard s'est donc activé sur la VHF et le cellulaire jusqu'à réveiller son copain Johnson, "boat-boy" émérite, qui faisait la sieste. Il nous a donné rendez-vous au petit mais délicieux mouillage entre les Pitons, où il nous a attachés à une bouée avant de nous prendre à son bord en route vers la petite ville voisine de Soufrière.
Je ne reviendrai pas sur les charmes somnolents de celle-ci, ni sur la spectaculaire excursion à l'intérieur du volcan qui la domine, puisque nous avons déjà vécu ça l'an dernier.
Mais Geneviève, Yves et Pauline, qui en étaient à leur première expérience, ont été bluffés par le bain de soufre où s'ébattaient une bande de gamins locaux (pas de touristes à cette saison) et la promenade le long des fumerolles et des flaques de lave. Pauline a même rempli une bouteille d'eau grise de soufre pour épater ses copines et son institutrice de retour à Frontignan.
Johnson nous avait déniché un gigantesque taxi capable d'accueillir une quinzaine de personnes, dont le chauffeur James nous a ensuite déposés à l'entrée de Dasheen's, le remarquable restaurant de l'auberge de luxe Ladera, située exactement à mi-chemin entre les deux Pitons. Ceux dont c'était le premier passage ici ont goûté avec délices au "Ladera Punch", une concoction originale à base de thé de citronelle, rhum et jus tropicaux, encore meilleure quand on la boit face au splendide coucher de soleil qui s'étale juste derrière les vertigineux sommets dont les bases plongent directement dans la mer à nos pieds.
James et son super-taxi sont venus nous récupérer après un très bon souper pour redescendre, par une cahoteuse route à flanc de montagne, jusqu'à la plage privée sur laquelle nous attendait Johnson. Entre-temps, le vent de terre habituel à cet endroit s'était entièrement calmé, et nous avons eu calme plat pour la première nuit au mouillage.
Heureusement, dès que nous sommes sortis de la zone des Pitons tôt lundi matin, le vent a repris, d'abord modeste plus de plus en plus ferme, pour nous accorder une seconde excellente journée de voile à travers le Canal de Saint-Vincent puis le long de cette île.
En cours de route, nous avons bien sûr pointé à nos passagers le site du tournage de "Pirates des Caraïbes", puis la forteresse Saint George qui domine la capitale Kingstown (et qui ressemble comme une soeur à la Citadelle de Québec). Nous avons amplement eu le temps de nous rendre dans la rade de Bequia avant la tombée du jour, pour une rapide mais rafraîchissante baignade avant un bon repas.
Comme la douane était fermée depuis longtemps, ce n'est qu'au matin que Gérard, accompagné de Geneviève et d'Yves, s'est rendu à terre accomplir les formalités et faire un petit marché de pain, fruits et légumes frais.

10 aout 2008

Raymond Marie est passé nous voir jeudi en fin d'après-midi, prendre un punch à bord. Pour nous remercier d'avoir embarqué une partie de sa famille pendant le Tour des Yoles, il nous a apporté de beaux gros avocats verts de son jardin. 
Les avocats antillais n'ont rien à voir avec les petites boules noires fripées et rabougries qu'on vend sous ce nom en Europe et en Amérique du Nord. Ce sont de belles grosses poires dodues à la peau luisante d'un vert intense, parfois tavelé d'un peu de jaune. Losqu'ils sont bien mûrs, la chair a la couleur et la texture du beurre frais, et un parfum bien plus suave et plus marqué que ceux que nous connaissons. 
Le début de la semaine avait été consacré à récupérer un peu d'énergie du mouvement perpétuel du Tour des Yoles. Henrietta la Sainte-Lucienne est venue deux fois compléter un grand ménage du bateau en compagnie de Gérard, qui lavait tout l'extérieur à la grande eau. Il fallait aussi réparer le frigo dont la porte fermait mal, revisser quelques vis et boulons, remplacer une valve de la pompe à eau, etc.
Une autre onde tropicale a apporté sa charge d'averses courtes mais violentes; on annonce une tempête en début de formation au large du Cap-Vert, mais il y a peu de risque qu'elle touche la Martinique si jamais elle se transforme en cyclone en traversant l'Atlantique.
La nièce Geneviève et son copain Yves ont débarqué samedi après-midi de l'avion de Guadeloupe, en provenance de Montréal.
Nous sommes allés avec Gérard les prendre à l'aéroport, ils ont été frappés de plein fouet par la chaleur (autour de 35° ces jours-ci), d'autant plus que, nous ont-ils dit, le Québec connaît un été affreux, frais et pluvieux. Ils sont donc blancs comme des yogourts, faudra leur donner un peu de couleurs! 
Yves, que nous n'avions rencontré qu'une fois brièvement pendant la Nuit blanche de Montréal, est un prof de l'UQAM dans la quarantaine, barbu et légèrement grisonnant. Sympathique mais pas très loquace.
Geneviève, une rouquine dans la petite trentaine dont le soleil fait fleurir les taches de rousseur sur une peau de lait, s'occupe d'organisation de congrès; mais surtout elle a un voilier sur le Lac des Deux-Montagnes au Québec; elle avait fait se premières armes nautiques comme hôtesse et équipière sur un charter en Australie il y a une quinzaine d'années. On voit qu'ils ont l'expérience du bateau, leurs bagages se composent de sacs à dos et sacs de sport pliants qui ne prendront pas de place à bord.
En les ramenant sur le Bum chromé, nous nous sommes arrêtés Chez Annette compléter les provisions: comme ils n'ont qu'une semaine de vacances et que leur objectif est de faire le plus de voile possible, nous avons décidé de lever l'ancre dès le matin dimanche vers Sainte-Lucie et les Grenadines. Gérard a donc pris avec lui tous les passeports et les papiers du bateau, pour pouvoir passer à la douane officialiser notre départ dimanche dès l'ouverture du bureau situé dans la galerie de boutiques de la Marina.

07 août 2008

4 aout 2008

Charles et son neveu, le fils du sénateur de la Martinique Serge Larcher, devaient se joindre à nous pour l'étape Sainte-Anne-Le François, mais la circulation entre le Diamant et le Marin vendredi matin était si difficile qu'ils y ont renoncé.
Nous partons tôt du ponton afin d'aller rejoindre la flotte au large de Sainte-Anne... pour découvrir que le départ a été retardé d'une heure. Tant pis, on en profitera pour prolonger un petit-déjeuner expédié en vitesse, et pour plonger dans l'eau déjà chaude de l'Anse Caritan. 
Cette avant-dernière étape du Tour des yoles contourne l'extrémité sud-est de l'île par la Pointe des Salines, l'Îlet Cabrit et la spectaculaire et redoutable Table du Diable (photo) aux récifs en dents de scie, pour remonter ensuite la Côte atlantique très venteuse jusqu'aux îlets et à la plage du François. C'est une des plus longues, des plus variées et des plus difficiles journées de toute la course, d'autant plus que la fatigue commence à gagner les équipages et rend les manoeuvres moins précises.

Notre favorite Brasserie Lorraine, gagnante de la veille, commence très bien la journée mais rate un bord après l'Îlet Cabrit et se retrouve reléguée à plusieurs minutes des meneurs. UFR-Siapoc, la seule yole qui a encore une chance sérieuse de rattraper la meneuse Mirsa, tente de pousser celle-ci à l'erreur, en vain. Elle ne lui reprendra guère qu'une minute ou deux à l'arrivée, laissant Joseph Cottrell, désormais peu menaçant, l'emporter par une marge assez étroite.
Outre sa difficulté, l'étape du François est caractérisée par un des plus beaux et des plus populaires mouillages de toute la Martinique, les Fonds-blancs (dont j'ai déjà parlé) également surnommés "la Baignoire de Joséphine". 
Ce samedi après-midi, ceux-ci sont rapidement transformés en une gigantesque disco flottante, entre les plates-formes mouvantes de laquelle circulent sans arrêt les scooters de mer et les annexes remplies de candidats zoukeurs, au grand dam des pauvres baigneurs qui se tiennent vaille que vaille à l'abri de leurs propres bateaux pour éviter de se faire assommer. La fête se prolongeant tard dans la soirée, nous sommes même forcés d'aller jeter l'ancre un peu plus loin pour pouvoir dormir.
Au lever du jour, après un rapide petit-déj de zakaris et marmelade de citron-vert, nous partons nous ancrer dans le fond de la Baie du François pour y récupérer nos passagers du jour. Comme il s'agit de l'étape finale du Tour -- et que c'est dimanche --, tout le monde veut en être. Gérard doit donc faire plusieurs fois la navette entre le Bum et un embarcadère surchargé, d'où il extrait tour-à-tour le cousin Daniel avec sa fille Armelle et son petit-fils Johann, sa propre famille (son frère Jean-Philippe, Mathilde et Pauline), Miguel avec sa copine Marion et sa fille, enfin Chantal et Virginie qui fournissent le repas, un savoureux couscous précédé d'accras, de boudin et de féroce.
Nathalie nous sert de figure de proue!
C'est la première fois depuis que nous en avons pris possession que le Bum chromé transporte une quinzaine de personnes, dont deux gamins remuants. Nous nous sentons un peu envahis et désorientés au départ, mais il s'avère bientôt que les dimensions spacieuses du cata et la division des espaces extérieurs en trois zones bien distinctes: cockpit, skybridge et banquette avant, rendent cela tout-à-fait vivable (pour une journée, s'entend; je ne nous vois pas traverser de nouveau l'océan avec un tel équipage!).
Cette manche "atlantique" ultime a un aspect curieux et plutôt frustrant: pendant presque la moitié de la journée, nous allons perdre les yoles de vue tandis qu'elles font la course au fond de la Baie du Robert, dont l'embouchure est bloquée par plusieurs petites îles et dans laquelle il nous est impossible de pénétrer.
Il faut donc nous fier à la radio pour suivre le déroulement des événements, en particulier l'extraordinaire numéro réussi par la malchanceuse Rosette, qui par la faute de ses deux chavirements précédents est écartée du podium final, mais qui se venge et fait la preuve de ses hautes qualités en emportant brillamment la dernière étape. Pendant ce temps, les quatre meneurs se marquent deux par deux: Mirsa et UFR pour la première place, Joseph Cottrell et Brasserie Lorraine pour la troisième. Dans les deux cas, l'écart entre les deux yoles est d'une dizaine de minutes. 
C'est UFR qui vient le plus près de réussir l'exploit, reprenant environ sept minutes de son retard... mais ce n'est pas suffisant. Mirsa 
est proclamée grand vainqueur du Tour des yoles 2008, suivie d'UFR, de Cottrell et de Lorraine. 
Pour Mirsa, dont l'équipage est jeune, c'est un exploit inespéré et imprévu: bien peu d'experts lui accordaient des chances de victoire cette année. Pour Brasserie Lorraine, qui devait courir avec une "vieille" yole (la nouvelle n'étant pas prête à temps) et qui n'était que 9e l'an dernier, c'est aussi une grande réussite.
Par contre, pour UFR, vainqueur des deux précédentes éditions et grand favori au départ, la deuxième place est une déception. Mais les plus déçus sont certainement les équipiers de Joseph Cottrell, deux fois deuxièmes précédemment... et qui ont été clairement les meilleurs sur la plupart des étapes, une seule erreur leur ayant coûté une victoire finale qu'ils auraient bien méritée.
Pendant que la fête ultime du Tour 2008 se met en branle dans la Baie de Trinité, nous débarquons la plupart de nos passagers, qui regagneront leur domicile en voiture à travers un embouteillage monstre. Hélas, Gérard apprend par la même occasion que des voyous ont défoncé sa précieuse 4X4 que son frère avait garée derrière le bourg. Ont disparu un téléphone mobile, la radio de bord, des cartes bancaires et divers documents, sans compter des vitres cassées et une carrosserie abîmée.
Après un rapide passage au poste de police (qui le renvoie chez les gendarmes du Marin), il revient à bord en masquant tant bien que mal une humeur massacrante, et nous décidons de rentrer "à la maison" immédiatement, malgré l'heure tardive.
Le plus gros de la navigation vers le Marin se déroule donc à la belle étoile, avec un bon vent de nord-est et un ciel dégagé qui en font un enchantement. Tandis que les autres passagers font la causette en bas dans le cockpit, Azur, Pauline et moi tenons compagnie au skipper juchés sur le skybridge, bercés par la houle plus longue de l'Atlantique et par une brise encore très douce, au son du concerto de guitare de Rodrigo. Quelle plus belle façon pourrions-nous trouver de couronner une semaine extraordinaire?

2 aout 2008

Comme la distance entre Fort-de-France et Anses-d'Arlet est trop faible pour former une étape complète, les organisateurs lui ont ajouté un détour vers le Lamentin, au fond de la Baie de Fort-de-France, et une boucle autour du Rocher du Diamant, quelques milles plus bas.
Pour la première fois, nous sommes ancrés assez près de la ligne de départ pour assister aux derniers préparatifs. Pendant que Gérard part avec l'annexe récupérer Miguel, le fils de Raymond Marie qui nous accompagne aujourd'hui avec sa fille, nous regardons les équipiers et les suiveurs s'activer autour des yoles, en vérifier l'état, déplier les voiles, pousser les barques à l'eau, y planter les mats, etc. 
Il faut dire que chaque yole est accompagnée pendant la course d'un "canot suiveur" motorisé qui transporte des équipements de rechange et repêche les équipiers tombés à l'eau (fréquent). Ses occupants font partie de l'équipe et prennent part aux préparatifs.
Une demi-heure avant le départ, nous partons nous placer au centre de la Baie, pour avoir une bonne vue sur la première partie de la course du jour. La première heure ressemble aux journées précédentes, quelques yoles de tête luttant de très près pour la première position. Encore une fois, des grains fréquents accompagnés de pluie compliquent la navigation.
Après la Pointe-du-Bout, deux incidents changent profondément la situation: en premier lieu, Joseph Cottrell, qui menait depuis le début de la semaine, chavire et perd un bonne demi-heure à écoper et à se remettre en route, d'autant plus qu'elle a fait l'erreur de vouloir repartir trop vite avec une trop grande voile.
Deuxièmement, Mirsa, qui jusqu'ici était troisième au classement général, parvient à échapper au peloton. Elle double en solitaire le Rocher du Diamant et remonte franchir la bouée d'arrivée des Anses-d'Arlet avec près d'un quart d'heure d'avance sur tout le reste. Une performance spectaculaire qui modifie la donne. Désormais, plutôt qu'un peloton de tête étroitement groupé dont les membres se surveillent avec une certaine prudence, il y a un favori clair après lequel tous les autres devront courir en prenant tous les risques... et en espérant qu'il fera une erreur à son tour.
Pour marquer l'événement, je déniche sur mon iPod un vieux succès de Nino Ferrer, "Satané Mirza", que nous faisons jouer à tue-tête sur la sono du Bum, au grand étonnement des voisins...
Nous allons jeter l'ancre à Grande-Anse, un mouillage plus vaste et mieux protégé que l'Anse-d'Arlet proprement dite. Là, après un bon repas à bord, Raphaëlle nous quitte malgré nos objurgations: elle doit recevoir des invités vendredi, et comme toute bonne Antillaise, tient absolument à ce que sa maison soit impeccable et tous les préparatifs réglés au petit poil avant qu'ils arrivent. Impossible de la faire changer d'idée.
Miguel et sa fille débarquent eux aussi, promettant de se joindre à nous dimanche pour l'étape finale. Avec seulement Charles à bord, nous nous sentons tout seuls!
La quatrième étape reprend une partie du parcours d'hier, des Anses-d'Arlet au Rocher du Diamant, et se termine par une régatte à trois bouées dans la Baie du Diamant. Joseph Cottrell se débat comme un beau diable pour rattraper son retard, mais c'est une autre yole, Rosette, qui anime le gros de la course... avant de chavirer misérablement (elle avait fait la même chose la veille) et de se retrouver reléguée loin derrière au classement cumulatif.
Cette fois encore, plusieurs grains menacent sans vraiment nous tremper. Une fois la passe du Rocher franchie, Gérard a rapidement positionné le Bum chromé le long de la mangrove devant la crique de la Cherry, d'où nous pouvons suivre l'ensemble des péripéties. Sitôt les premières yoles arrivées à la bouée finale sur la plage du Diamant, nous nous hâtons de trouver une bon mouillage à l'embouchure de la crique, en face du Novotel Diamond Rock. Juste à temps d'ailleurs, car nous sommes suivis de peu par les trois-quarts de la flotte des spectateurs, dont plusieurs n'arrivent pas à trouver place et doivent repartir vers des mouillages moins avantageux.
C'est au tour de Charles de nous quitter: il n'a que quelques kilomètres à faire pour rentrer chez lui, au-dessus du bourg du Diamant. Dès le matin suivant, il est remplacé par plusieurs membres de la famille de Gérard, dont sa maman Mathilde qui arrive avec un plantureux colombo de poulet pour le lunch, et par la nièce de Raymond Marie, Chantal, et sa copine Virginie. S'y ajoute une invitée surprise, Nathalie, jeune amie française de Gérard, qui devait nous accompagner pour une seule journée mais qui finira par faire le reste du Tour à bord.
L'étape d'aujourd'hui, presque en ligne droite à travers le front sud de la Martinique, prend la forme d'un long bras de régatte classique où les concurrents jouent au chat et à la souris, sans prendre d'avantage décisif. C'est finalement l'outsider marinois, Brasserie Lorraine, qui en profite pour se donner une légère avance qu'elle conserve de justesse sur Joseph Cottrell à l'arrivée sur la plage de sainte-Anne. Comme il s'agit d'un favori local (elle est basée au village voisin), cette victoire est bruyamment célébrée sur le front de mer et sur la flotte spectatrice -- le Bum chromé ne cédant pas sa place, chargé qu'il est de Marinois bon teint!
Plutôt que de mouiller au large de Sainte-Anne, nous décidons de rentrer au bercail de la Marina  du Marin toute proche, histoire de faire un tour sur le plancher des vaches, de renouveler les provisions, de remplir les réservoirs d'eau presque vide et de recharger les batteries.

29 juillet 2008

Nous sommes arrivés à Trinité en début d'après-midi dimanche. La baie valsait dans un tourbillon de folie carnavalesque causé par le Prologue du Tour, une régatte autour de trois bouées qui ne faisait pas formellement partie de la course, mais servait simplement à définir l'ordre des positions au départ du lendemain. 
Cela n'empêchait pas l'excitation d'avoir gagné tous les occupants de la centaine de catamarans et des encore plus nombreuses embarcations à moteur -- du scooter de mer au yacht de pêche en haute mer, en passant par les canots, les zodiacs de toutes tailles, les vedettes rapides -- qui encombraient la baie. Gérard a dû se livrer à de véritables tours de passe-passe pour nous trouver un mouillage correct; inutile de dire qu'il y est parvenu, près de la rive où se trouve l'École de Pêche régionale.
En fin d'après-midi, nous sommes rejoints par nos premières passagères, Jessica et sa fille Naomi (12 ans), qui viennent s'ajouter à Pauline (9 ans), la fille de Gérard. Jessica est une nièce d'Azur qui vit à Washington; nous avions vécu chez elle le "bogue de l'an 2000", la nuit du  1er janvier du nouveau millénaire. Comme d'habitude, elle passe ses vacances chez sa mère à Goyave, en Guadeloupe. Apprenant que nous allons suivre le Tour des yoles, elle a décidé, à notre grand plaisir, de venir vivre deux jours à bord avec nous avant de repartir vers les USA via Pointe-à-Pitre.
J'interromps ici le flux du récit pour fournir quelques précisions hautement encyclopédiques sur l'événement que nous allons vivre et son contexte. Les yoles étaient à l'origine des barques de pêche typiquement martiniquaises: longues, étroites et légères, fonctionnant à rames et à voile. 
Elles ont depuis longtemps perdu leur rôle utilitaire, mais ont conservé une vocation sportive lors de multiples régattes qui, pour les gens de l'île, suscitent une véritable passion. La semaine du Tour -- une invention d'un vieux copain à nous, Georges Brival -- est depuis un quart de siècle le sommet de ce sport, l'équivalent du Tour de France pour les cyclistes.
Il faut dire que peu de compétitions nautiques offrent la couleur, le drame et l'imprévu d'une grande course de yoles. Imaginez une meute d'élégants canots effilés surmontés de voiles multicolores, affrontant des vents de 15 à 25 ou même 30 noeuds et des houles de deux à trois mètres, soit parfois le double de la hauteur de leur bordage. Leur configuration particulière les oblige à de nombreuses manoeuvres et virements de bord, si bien que malgé leur vitesse de pointe élevée, il est relativement facile pour les spectateurs de les suivre d'assez près dans leurs propres bateaux. Ce qui ajoute grandement à l'intérêt du spectacle.
Anomalie pour des voiliers, les yoles sont en effet des bateaux à fond rond, sans la moindre quille ni dérive ni safran. Elles font une dizaine de mètres de long par deux ou un peu plus de large et sont dotés d'un seul mat planté tout à l'avant, portant une voile carrée tenue par deux vergues en V et manoeuvrée par deux à quatre hommes.
À l'arrière, trois équipiers actionnent la godille, une longue rame qui sert à la fois de gouvernail et d'aide à la propulsion. Sur le côté, une demi-douzaine de perches coulissantes (on les fait glisser d'un bordage à l'autre au moment des virements de bord) supportent autant d'hommes qui courent dessus ou s'accrochent dessous avec une agileté de singes: leur tâche est de préserver l'équilibre instable de la barque, périlleusement penchée vers l'autre côté par la force du vent dans la voile; à l'occasion ils doivent même sauter à l'eau pour alléger l'embarcation! 
Enfin, le long du flanc sous le vent, deux ou trois écopiers s'acharnent presque comiquement à vider l'eau qui parvient toujours à embarquer, parfois même remplissant la yole à ras-bord et la faisant caler ou chavirer -- ce qui évidemment stoppe net sa progression. Mais quand tout va bien, une yole habilement manoeuvrée semble surfer sur la crête des vagues, poussant des pointes à plus de quinze noeuds!
Par tradition, une course de yoles commence sur une plage et se termine sur une autre. Une paire de bouées rouges et blanches délimite plus spécifiquement les lignes de départ et d'arrivée, à quelques mètres de la rive.
Cette année, elles sont 18 à prendre le départ, dont trois ou quatre avec le statut de favorites pour gagner le Tour, et deux ou trois autres considérées comme outsiders capables de remporter une ou l'autre étape. Toutes portent le nom de leur commanditaire, sauf Rosette, propriété d'un fanatique, Alex Rosette, qui finance en grande partie lui-même son bateau et son équipage.
Quand nous nous sommes levés lundi matin, les grands canots aux couleurs vives dormaient sur la plage, renversés et dématés, leurs "bois" (mats, vergues et perches) sagement rangés à côté d'eux. Vers 7h30, les équipages et les suiveurs sont arrivés pour entreprendre les préparatifs.
Une heure plus tard, les yoles étaient toutes mises à l'eau, les mats montés, et les voiles parfois blanches, mais plus souvent rouges, bleues, jaunes, oranges, mauves ou vertes, commençaient à se déployer. Joli spectacle. Pendant ce temps, l'imposante flotte de bateaux spectateurs (dont le Bum chromé) levait l'ancre pour aller se positionner le long du parcours.
Le Tour se déroule en sept étapes, une par jour, chacune offrant une perspective et des difficultés particulières. La première, de Trinité à Saint-Pierre, consiste d'abord à remonter le Nord abrupt et venteux de la Côte atlantique, jusqu'au village de pêcheurs de Grand-Rivière, face au "Canal de la Dominique" dont les vagues fortes, courtes et traîtresses sont célèbres dans toutes les Antilles.
Une fois réussis les virages délicats vers l'ouest puis vers le sud, les yoles redescendent en longeant la Côte caraïbe, aux vents moins violents mais plus capricieux. Après avoir doublé le bourg isolé du Prêcheur, au-dessus duquel se dresse la Montagne Pelée, elles entrent dans la Baie de Saint-Pierre, sur la rive de laquelle se situe la ligne d'arrivée.
Dès le départ, la course se dessine comme une bataille à trois entre les deux grands favoris que sont Joseph Cottrell (voile rouge, frappée d'un hippocampe jaune) et UFR-SIAPOC (blanche) et un outsider de taille, Mirsa-Dr Roots (blanche bordée de bleu, frappée d'un triangle central). Cottrell prend d'abord la tête, bientôt rejoint par les deux autres qui s'échangent la deuxième place.
Pendant ce temps, à l'arrière, deux ou trois concurrents moins adroits ou plus malchanceux embarquent de l'eau ou chavirent et doivent s'arrêter pour écoper et se remettre à flot, reprenant leur route sous voilure réduite avec un bon quart d'heure de retard. Notre favorite sentimentale, Brasserie Loraine (elle est du Marin), se retrouve handicapée par une longue déchirure diagonale à travers sa voile, qui l'obligera à s'arrêter pour remplacer le gréement crevé, perdant ainsi un dizaine de précieuses minutes.
L'arrivée à Saint-Pierre est un des plus serrées de l'histoire du Tour, les trois meneurs franchissant la bouée avec à peine quelques secondes d'écart. Il faudra même plusieurs instants aux juges pour proclamer que Joseph Cottrell est le vainqueur d'étape. Malgré son avarie, Lorraine est quand même sixième ou septième.
Grâce à l'expérience de Gérard, qui en est probablement à son dixième Tour, le Bum chromé est toujours bien placé pour suivre les péripéties de la course. Cela veut dire louvoyer sans arrêt entre les centaines d'embarcations spectatrices de toutes tailles, à travers une houle et des sillages qui bousculent sans arrêt les bateaux, surtout les plus petits, notamment les omniprésents scooters des mers. Au-dessus de nos tête zigzaguent deux hélicoptères (la télé locale et la Sécurité civile) et de petits avions traînant des banderolles publicitaires.
Il ne faut surtout pas croire qu'une fois l'étape terminée et les derniers canards boiteux arrivés (parfois avec une bonne heure de retard), la journée est finie! C'est là, au contraire, que commence la phase la plus populaire du Tour.
Pour beaucoup de Martiniquais, la Semaine des yoles est l'occasion d'une festivité qui rivalise avec Noël et le Carnaval. Tous ceux qui peuvent se le permettre louent le plus grand bateau possible et le remplissent de parents, d'amis, de bière Lorraine et de rhum. Il y a aussi les catas promotionnels, loués par des entreprises qui les bardent de banderolles publicitaires et qui invitent leurs amis et leurs clients préférés pour une journée ou pour la semaine. La région et le département affrètent aussi des bateaux "officiels" qui accueillent des notables locaux ou étrangers; cette année, leur invitée vedette est Ségolène Royale, très populaire ici.
Les autres amateurs, moins connus, moins argentés ou moins chanceux (les bateaux disponibles se font vite rares), paient jusqu'à une centaine d'euros par étape pour prendre place sur un des nombreux catamarans de location qui acceptent des passagers à la journée. 
Si bien que la plupart des embarcations de la flotte spectatrice se festonnent de grappes humaines qui frisent (quand elles ne dépassent pas) la capacité limite permise. Un cata comme le nôtre va couramment emmener de 25 à 30 personnes, une vedette rapide une douzaine, un canot de pêcheur de six à huit. Cela fait une population flottante (littéralement!) de trois à cinq mille amateurs qui sont là autant sinon plus pour faire la fête que pour admirer les performances des yoleurs.
Parfois en cours de route et immanquablement à l'arrivée, les bouteilles se débouchent, les haut-parleurs se mettent à boumer, les filles à zouker en bikinis "brésiliens" (les plus populaires et les plus révélateurs). Souvent trois ou quatre bateaux s'arriment bord-à-bord pour improviser une discothèque vers laquelle convergent rapidement scooters de mer, canots et annexes chargés de fêtards.
Heureusement, ces réjouissances ne se prolongent pas trop dans la nuit, car il faut soit rentrer chez soi (passagers à la journée) parfois à l'autre bout de l'île, soit se lever tôt le lendemain pour accompagner l'étape suivante.
Gérard et moi débarquons au quai de Saint-Pierre pour renouveler les provisions... et nous faisons prendre dans une violente averse tropicale (nous ne voyons même plus les maisons de l'autre côté de la rue) qui nous laisse complètement trempés... mais un peu rafraîchis, ce qui n'est pas un mal.
Une fois la fête calmée, nous parvenons à vivre une nuit assez paisible, d'autant plus que nous sommes ancrés dans une petite baie un peu au sud, et nous nous réveillons dans une condition tout à fait acceptable pour aborder la seconde manche du Tour, la descente vers Fort-de-France.
Celle-ci est pas mal plus courte et en principe plus paisible que celle d'hier, car elle suit de près la côte "sous le vent" aux vagues moins violentes. Mais la météo se met de la partie pour nous ménager plusieurs grains qui modifient aussi bien la direction que la force des vents, forçant les équipages à tenter d'anticiper ces brusques changements ou à effectuer des mesures parfois risquées pour s'y adapter après coup.
Encore une fois, c'est Joseph Cottrell qui franchit la première la ligne d'arrivée sur la plage de "la Française", suivie de près par Mirsa et UFR. Notre yole "locale" favorite, Brasserie Lorraine, se présente bonne quatrième à la dernière bouée. Mais nos acclamations se transforment en cris de déception lorsque, prenant son dernier bord pour couper à l'intérieur de la bouée rouge, elle embarque de l'eau et se couche sur le flanc. Une rivale la dépasse triomphalement et une autre, Digicel, va également la doubler... mais elle aussi chavire à quelques mètres de la bouée. L'équipage de Lorraine, écopant avec l'énergie du désespoir, parvient donc à redresser et à remater pour préserver une très honnête cinquième place.
Tout le bord de mer de la capitale martiniquaise, depuis le nouveau ponton qui nous sépare du Canal Levassor jusqu'à la pointe de l'antique Fort Saint-Louis, est envahi par une foule festive dans laquelle il est bien impossible de distinguer nos prochains passagers, Ce sont Raphaëlle et Charles Larcher, qui nous accompagneront jusqu'au Diamant, tandis que Jessica, Naomi et Pauline débarqueront ici.
Moi qui deteste les téléphones, en particulier mobiles, je dois admettre que cette fois ils nous rendent bien service, autant pour retracer Charles et sa femme que pour prendre contact avec les parents qui doivent ramener Jessica et sa fille à l'aéroport, la fille de Gérard chez sa grand-mère au Marin.
À la nuit tombante, les échanges de passagers se terminent, Raphaëlle ayant même apporté avec elle quelques provisions et un complément de pharmacie qui nous faisait défaut. Petit punch de bienvenue, souper frugal et dodo.

27 juillet 2008

La semaine s'est passée plutôt calmement, avec quelques poussées d'activité. Nous avons renoué avec nos deux restos favoris, Marin Mouillage et Ti-Toques, et en avons profité pour retrouver de vieux copains, notamment Raymond Marie (qui nous avait présenté Gérard à l'époque) et Pancho, le patron de la Boutique du Marin-Pêcheur, grand ami de notre pote californien Jean-Marie Deschamps.
Nous sommes aussi allés faire un tour au Diamant, où Azur tenait à passer au cimetière dire bonjour à sa grand-mère Cécé et à son oncle Vincent; nous en avons profité pour déguster en compagnie de Raphaëlle Larcher un fameux steak d'espadon au poivre, spécialité du restaurant du Diamant-les-Bains, où le patron Andrieux a pris sa retraite, confiant la direction à un couple antillais gentil, mais qui nous a paru sans grande personnalité.
Les derniers jours ont été consacrés aux préparatifs du départ pour le Tour de la Martinique des yoles rondes, probablement le principal et certainement le plus original événement sportif de l'année martiniquaise. À bord d'un bateau, il y a toujours un petit quelque chose qui cloche ou qui reste à faire. Cette fois, la porte d'un frigo ferme mal, le téléphone Iridium n'a plus de crédit, il faut réinstaller les logiciels de navigation et de communication sur le nouvel ordinateur de bord (apporté au moment du décès de l'oncle Vincent, il y a deux mois), etc.
Donc visites dans les boutiques d'accastillage et d'électronique de la marina, expéditions au magasin Carrefour et au centre commercial la Galleria du Lamentin, avec un détour gourmand vers l'Habitation Dillon voisine, et achat d'une montagne de provisions au marché Champion du Marin, que tout le monde surnomme Chez Annette. Comme Azur avait quelques mois de "milan" à rattraper avec toutes ses parentes et copines, il lui a aussi fallu une bonne centaine d'euros de recharges téléphoniques.
Enfin, hier samedi, nous avons levé l'ancre pour passer la nuit au mouillage de l'Anse Caritan, à Sainte-Anne, histoire de piquer une tête à l'eau, mais surtout de gratter les coques et de vérifier que tout fonctionnait correctement. Dès le lever du jour, cap sur Trinité, où la course démarre demain.