18 août 2009

Une (sainte) virée dans les Causses

(18 août 2009) La France est un pays laïque. Vous me le dites, je veux vous croire... encore faudrait-il qu'elle le prouve! Nous en avons fait de nouveau l'expérience samedi matin, au moment de partir pour Millau rejoindre nos voisins et amis Chantefort.

"Autobus à 8h45 du lundi au samedi - à 11h05 les dimanches et jours fériés...", dit l'horaire d'Hérault Transport. Nous étions donc à la gare routière bien avant 8h30 ce samedi 15 août, à attendre patiemment avec une bonne demi-douzaine d'autres voyageurs. À notre arrivée, pas un bus en vue.
Un quart d'heure se passe, il en pointe enfin un... ouf! Il décharge ses voyageurs, remplace son panneau "MONTPELLIER" par un disant "GARAGE" et se prépare à repartir. - "Vous n'allez pas à Millau?" - "Vous voyez pas, c'est écrit GARAGE." - "Alors où il est, le bus de Millau?" - "J'en sais rien, c'est pas mon boulot."
À 9h00, un autre bus arrive de Clermont-L'Hérault, dont le chauffeur est plus coopératif. Il ne va pas à Millau, mais il nous donne le No du bureau d'Hérault Transport. Qui aboutit à un message enregistré: "Bonjour, nos bureaux sont ouverts du lundi au vendredi, de 8h30 à 12h30 et de 14h30 à 18h..." Ça nous fait une belle jambe! Le chauffeur, décidément dans le club des gentils, fouille sur son portable et nous déniche le numéro du garage des bus de l'Hérault.
Par miracle, ça répond. Cependant, le type qui j'ai au bout du fil n'est au courant de rien; il promet de se renseigner et de me rappeler immédiatement. Contre toute attente, il tient parole... mais voyez l'entourloupe: "Désolé, il n'y a pas de bus ce matin. Je vous explique. Du lundi au samedi, c'est valable à condition que le jour ne soit pas férié; or, aujourd'hui, c'est samedi, mais c'est aussi l'Assomption de la Sainte-Vierge, donc jour férié, donc horaire du dimanche!" CQFD. Si j'étais la Sainte-Vierge, je serais tellement gêné que j'en endosserais la burqa.
Heureusement, face à la gare, il y a un stand où flâne un des taxis que nous connaissons. Par chance, en ce beau samedi matin, il a envie d'aller se balader dans la nature au lieu de faire le poireau en tête de ligne, si bien que nous négocions un prix correct pour l'assez long trajet (une heure et quart) jusqu'à Millau, où nous arrivons juste à temps pour que la copine Michelle vienne nous cueillir. Bien nous a pris de venir quand même, car elle et André nous ont concocté un week-end délicieux dans ce qui s'avère leur région de prédilection, et son coin natal à elle.
Ça commence par la contemplation obligée du Viaduc, qui est à la fois une prouesse technique et à mon goût une réussite architecturale: on dirait une collection d'éventails blancs déployés, flottant presque en apesanteur sur la vallée où se niche la ville. Loin d'enlaidir ou de dénaturer le décor, il faut avouer que ça y ajoute un élément d'élégance et de légèreté (je n'ai pas résisté à l'envie de piquer une superbe photo sur le Net).
Millau même, dont Michelle nous dit qu'elle a longtemps été un gros bourg à moitié endormi, en a clairement profité: beaucoup de constructions du vieux quartier ont été restaurées agréablement, les activités y sont en plein boum, le tourisme est ostensiblement florissant et le renommé marché du samedi, où nous nous arrêtons, montre autant de variété et de qualité dans les produits que de vitalité dans l'achalandage. J'y trouve un intrigant "pâté paysan aux trompettes de la mort" que je dédierai à ma soeur Marie, la plus mycologue de la famille.
Nous prenons ensuite la route grimpante et sinueuse du Causse Noir et du village de Lanuéjols, où se trouve la maison de campagne de nos amis. C'est un tout petit bourg (un peu plus 300 habitants) typique des hameaux semi-montagnards plus ou moins désertés de la région, dont cependant une bonne partie des maisons ont été joliment retapées et transformées en résidences secondaires par des citadins des villes les plus proches.
Celle des Chantefort est adossée à la propriété familiale des parents de Michelle, maintenant occupée par sa soeur. Le rez-de-chaussée sert de cave et d'entrepôt, le premier étage abrite la cuisine et la chambre principale, le second deux autres chambres (dont la nôtre), plus une salle de bain au plafond bien pentu et un bureau ouvrant sur un joli patio couvert, taillé dans la colline à l'arrière, qui joue le rôle de salle à dîner par beau temps. Le tout rénové grand confort, tout en respectant l'antique rudesse des murs. Le temps de nous installer, notre hôtesse a préparé un élastique et savoureux aligot pour accompagner trois sortes de saucisses grillées, dont nous nous régalons. La sieste vient tout naturellement après ça.
Au réveil, nous trouvons André rivé au petit écran qui diffuse la première corrida de la Fiesta de Bilbao. Notre copain, aficionado affirmé et sans complexes, a trouvé le tour de s'abonner à la télé espagnole par satellite, pour être sûr de ne rien rater des activités taurines d'outre-Pyrénées.
Une fois la dernière mise à mort exécutée et la dernière carcasse traînée hors de l'arène par le classique attelage de trois chevaux blancs, nous redescendons sur la place du village où, derrière une belle vieille fontaine, se déroule une partie de pétanque acharnée (si un jeu aussi civilisé peut être ainsi qualifié?).
Un court trajet nous dépose à l'entrée du Château d'Ayres, un ancien prieuré aux murs couverts de lierre tout naturellement transformé en hôtel de charme. Le patron Jean-François Demontjou tombe dans les bras de nos hôtes, visiblement des habitués, et nous accueille avec chaleur. Il nous fait rapidement visiter les lieux (c'est l'heure du "coup de feu") puis nous installe à une table toute rose dressée dehors sous d'immenses chênes et sequoias. Après avoir mangé (légèrement, because l'aligot du midi) et bu un fitou très parfumé, nous causons un moment avec notre amphitryon, maintenant plus libre de son temps, et complétons la visite d'une série de salons magnifiquement tapissés et meublés et d'une salle à dîner intérieure qui me fait irrésistiblement penser à celle de la Belle et la Bête de Cocteau!
Dimanche avant-midi, Michelle nous entraîne sur les petites routes du voisinage, visiter d'abord un très beau hameau voisin fait de bergeries anciennes coiffées de lauzes (toits de pierres plates), où se déroule une fête en l'honneur de la restauration du four à pain traditionnel. Une nouvelle série de côtes en lacets plonge dans la vallée voisine puis remonte sur l'autre flanc à travers la forêt de l'Aigoual, jusqu'à la montagne du même nom.
Sur le sommet pelé, parsemé de bruyère et exposé à tous les vents, se dresse une curieuse construction à tourelle qui est, de fait, une station météo. Il y a foule, moins pour le petit musée scientifique que pour le panorama spectaculaire embrassant les quatre points cardinaux (et, par temps clair, des paysages de treize départements). Malgré le brouillard de chaleur qui trouble un peu la vision, nous identifions facilement le Pic-Saint- Loup dans la direction de Montpellier au sud, les crêtes des Cévennes au nord, les ondulations du plateau du Larzac et même les vagues silhouettes neigeuses des Alpes à l'est.
La forêt que nous traversons en redescendant, en grande partie de conifères, nous fait fortement penser à certains paysages des Laurentides -- il n'y manque qu'un lac ou deux. Le temps de revenir à Lanuéjols, André a fait griller des côtes de mouton tout en causant avec son ami et complice tauromane Bernard, venu se joindre à lui pour les prochains jours.
Re-sieste un peu plus courte, et re-corrida à laquelle nous assistons cette fois presque en entier: le satellite nous a quand même lâchés temporairement au milieu du spectacle, déboussolé par une ondée aussi soudaine que vive. Commentaires assez acidulés de nos deux experts sur la qualité inégale des taureaux et celle, encore plus modeste à leur avis, des toreros.
À la demande d'Azur, changement de chaîne pour attraper la fin de l'Open de tennis de Montréal qui, ô surprise, oppose l'Argentin Del Potro à l'Écossais Murray, alors que tout le monde salivait dans l'attente de la première confrontation Nadal-Federer depuis Madrid. J'avoue que cela enlève pas mal de piment à l'affaire, qui fournit pourtant un assez bon match jusqu'au milieu de la troisième manche, où brusquement l'Argentin craque et s'effondre.
Hier midi, avant notre départ, Azur a invité tout le monde à l'hôtel voisin, dont André et Michelle nous vantaient avec raison les prouesses en matière d'omelette aux cèpes. Après un fort bon déjeuner consommé en toute lenteur (disons que le rythme du service était bien méridional), nous avons laissé nos deux aficionados assumer en célibataires leur passion tauromachique, tandis que Michelle nous ramenait à Montpellier en empruntant le chemin des écoliers qui conduisait à travers les paysages à couper le souffle des causses (hauts plateaux du Massif central) au Cirque de Navacelles.
C'est un immense canyon, "le plus grand d'Europe" se vante le guide touristique, qui forme un amphithéâtre descendant en pentes abruptes sur trois cents mètres de hauteur jusqu'au petit village de Navacelles et à la cascade de la rivière Vis, tout au fond. Quel paysage! Nous nous arrêtons longuement pour le contempler, d'abord en arpentant le belvédère qui en longe un flanc, puis en sirotant un rafraîchissement dans un café qui le surplombe. Assez curieusement, la seule oeuvre littéraire qui y soit liée (à ma connaissance du moins) est un poème du Québécois Jean-Guy Pilon que j'avais lu dans un des premiers numéros de Liberté, quand j'étais encore étudiant. Souvenirs de jeunesse...
Nous rentrons finalement à Montpellier en longeant les belles Gorges de l'Hérault, au moment où le soleil tombe sur une journée de vraie canicule (37° à l'ombre) qui, par chance, nous a épargnés en grande partie sur nos routes de montagne. Et puis tiens! Les multiples plaisirs du week-end nous ont même fait oublier les péripéties autobuso-religieuses d'avant-hier...

12 août 2009

Tour de France, canard et Manitas

(10 août 2009) Pour une fois, nous avions délaissé notre repaire parisien habituel de l'avenue Kléber pour un hôtel de charme rue Monsieur-le-Prince, à trois pas de l'Odéon et du Luxembourg. Chambre coquette (un peu petite) sous les toits, petit déj dans une cour intérieure de vieilles pierres et de fer forgé adoucis par des giclées de plantes vertes, personnel qui vous traite comme de vieux amis... L'atmosphère en ville était celle, particulière, du Paris touristique de la fin juillet, un peu moins achalandé que de coutume (sans doute un effet de la crise). Moins de Parisiens, de restaurants ouverts, de pollution, d'encombrements de circulation; plus d'étrangers un peu perdus, de files de grands cars, de queues devant les monuments. Nous en avons profité pour nous balader sur les quais, flâner sur les berges de Paris-Plages qui débutait, écumer les bouquinistes et les revendeurs de disques. Aussi pour explorer un ou deux coins que nous connaissions moins, notamment le Parc André-Citroën,

dans le 15e juste à côté du Pont Mirabeau chanté par Apollinaire et Ferré, en vue de la version originale de la Statue of Liberty de Bartholdi qui, comme tout le monde le sait, réside sur une île au milieu de la Seine. Le Routard nous a pilotés vers trois bons choix de restaurants à prix moyen: l'Auberge Etchégorry pas loin de la Place d'Italie dans le 13e, cuisine basque et accueil chaleureux; le Progrès, bistro archi-parisien (cuisine idoine et serveuse-maîtresse-d'école rigolote) au début de la rue de Bretagne dans le Marais; et I Golosi, un italien comme on les aime avec pour patronne une mamma comme on n'en fait plus, rue de la Grange-Batelière pas loin des Grands Boulevards dans le 9e. Nous en avons retrouvé un quatrième, d'un charme fou: le Dôme du Marais, rue des Francs-Bourgeois près de la rue Vieille-du-Temple. Tous fortement recommandés. Nous nous étions promis d'aller voir au moins deux ou trois spectacles, mais même la lecture exhaustive de Pariscope et de l'Officiel des Spectacles n'a rien déniché de vraiment intéressant: des reprises éculées et des boulevards sans élan au théâtre, des chanteurs peu connus dans les cabarets, des musiciens de 3e ordre dans les boîtes de jazz. À défaut de mieux, l'événement central de notre séjour a donc été l'arrivée du Tour de France sur les Champs-Élysées, le dernier dimanche. Nous avions eu l'heureuse idée d'aller bruncher à la terrasse du Drugstore Publicis, à trois pas de l'Étoile. L'assiette n'avait rien de pharamineux (les prix non plus, heureusement), mais comme position stratégique, alors pardon!
Le personnel a vite compris que nous étions là pour le point de vue et que nous n'avions pas l'intention de lâcher notre table aux toutes premières loges tant que la dernière boucle ne serait pas courue. Plutôt que de s'en offusquer, ils s'en amusaient et se sont ingéniés à nous faciliter la vie, m'offrant même une chaise sur laquelle grimper pour faire des photos au passage des coureurs! Il faut dire qu'Azur, avec son flair habituel, avait déniché une Réunionnaise parmi les serveuses, et en un tour de main s'était fait des complices de tout le personnel féminin. Et comme un des garçons, passionné de voile, a compris que nous avions un joli cata aux Antilles... Ceci dit, rien de bien spectaculaire à raconter sur la course même: longtemps avant l'arrivée à Paris, la messe était dite et tout le monde savait que l'Espagnol Contador gagnait et que le "revenant" américain Armstrong le suivait de près. Il restait à admirer le spectacle, bien plus dans la foule que sur la piste, et à se tordre le cou pour tenter d'apercevoir le sprint final qui se déroulait en fait à l'autre bout de l'avenue. Nous en avons rapporté un joli parasol jaune dont l'inscription "Tour de France 09" prouve au moins que nous y étions. Beaucoup plus consistant a été l'autre sommet du séjour parisien (bon, vous allez encore dire que je ne parle que de bouffe, mais tant pis), un somptueux déjeuner au Relais Louis XIII, rue des Grands-Augustins, deux étoiles depuis toujours dans le Michelin et un décor historique fabuleux. Au menu, une quenelle de brochet fondante comme ça se peut pas, après laquelle nous avons partagé un croustillant caneton challandais dont la poitrine était rôtie et la cuisse confite.
Rien de surprenant à cela, le chef Manuel Martinez a fait ses classes à la Tour d'Argent, fameuse pour ses canards numérotés. Apprenant cela lorsqu'il est venu nous saluer au milieu du repas, Azur s'est mise à échanger avec lui des anecdotes plus ou moins olé! sur son ancien patron Claude Terrail, avec qui elle copinait dans les années 50-60. Résultat, nous qui étions entrés comme de vagues clients-touristes sommes sortis deux grosses heures plus tard traités comme des enfants de la maison, après un dessert à se damner et quelques digestifs d'un âge vénérable. Retour par le TGV à Montpellier, puis une semaine complète pratiquement sans bouger un orteil pour récupérer de ce mois de vagabondage. C'est tout juste si nous avons défait les bagages le troisième jour! Heureusement, les Chantefort du dessous ont sonné la cloche du réveil en montant prendre l'apéro pour nous inviter chez eux à Millau, le week-end prochain. Au programme, visite du fameux viaduc et du célèbre marché de produits gourmands régionaux; ça se refuse pas! Dans l'intervalle, Jean-Pierre Dréan a aussi rappliqué pour nous intimer l'ordre exprès de l'accompagner samedi soir dernier aux Arènes de Palavas, où se tenait une grande Fiesta Gitana en l'honneur de Manitas de Plata.
Nous nous sommes donc retrouvés dans une pizzeria semi-sympa (le semi, c'était pour la patronne un peu grincheuse) avec une joyeuse équipe composée à parts égales de Français et de Québécois. Il y avait notamment le fils d'Yves Corbeil et sa copine bordelaise, ainsi que le cancérologue qui avait soigné Dréan à Montréal et sa femme, en vacances dans le Midi. Après une pizza à la brandade de morue (si-si-si, c'est très bon), nous nous sommes dirigés vers les arènes sous un ciel noir zébré d'éclairs. Dréan nous a fait entrer par la porte des artistes (bien sûr, il connaissait tous les organisateurs), puis nous nous sommes faufilés par l'escalier des W.C. pour trouver une bonne place plus haut dans des estrades quelque peu dégarnies. Pas surprenant, il tombait des gouttes à toutes les dix minutes et le tonnerre roulait presque sans arrêt, à tel point qu'on s'est demandé pendant près d'une heure si le spectacle allait avoir lieu. Ce que nous ignorions, heureusement, c'est qu'au même moment les dunes qui forment le bord de mer de Palavas étaient assaillies par un véritable ouragan pimenté par la foudre, qui a saccagé paillottes et campings et donné une sacrée frousse aux estivants. Mais assez curieusement, le mauvais temps a entièrement épargné la zone des arènes, si bien qu'avec près d'une heure de retard, la Fiesta a pu se mettre en branle.
Le projet, à première vue une bonne idée, était d'illustrer par la musique et la danse le long voyage qui a mené les gitans de leur lieu d'origine dans le nord de l'Inde à travers l'Asie, l'Europe et le Proche-Orient jusqu'aux Balkans d'un côté, au Maroc et à l'Espagne de l'autre. Le tout devant se dérouler sur une scène dressée sur le sable des arènes, devant un attroupement représentant un campement de gitans avec feux de camp, femmes qui dansent, enfants qui jouent et animaux qui errent en liberté. Malheureusement, la combinaison d'une nervosité évidente causée par le mauvais temps et les retards et d'un manque flagrant de préparation et d'entente entre les groupes participants a complètement saboté le rythme et les enchaînements, surtout en première partie. Musiciens indiens, gypsies hongrois et guitaristes-chanteurs andalous étiraient leurs pièces à n'en plus finir, avec en plus d'interminables interruptions muettes pour ajuster les équipements et le dispositif, tandis que les figurants du campement communiquaient leur palpable ennui au reste du public. Il devait bien être minuit quand, grâce surtout à un (excellent) ensemble de flamenco qui a eu le coup de génie de faire enfin le pont entre la scène en haut et le campement gitan en bas, le spectacle est retombé sur ses pattes... mais entre-temps, une bonne moitié des spectateurs avaient pris le large.
Ceux-là ont cependant raté une finale qui rachetait tout le reste: Manitas, qui avait célébré la veille ses 88 ans, faisant le tour de l'arène tout de blanc vêtu dans une décapotable turquoise des années '60, avant de monter sur scène guitare en main jouer quelques-uns de ses airs les plus aimés (ses "mains d'argent" ont encore les doigts extraordinairement agiles). Puis l'ensemble des participants sont venus se joindre à lui sur l'estrade pour compléter une fiesta qui se poursuivait encore à notre départ, passé deux heures du matin.

01 août 2009

Escapades écossaises

(20 juillet 2009) Nous avions l'intention de passer au moins deux jours dans l'intérieur du pays, mais les charmes de l'Apex Hotel et la lassitude de changer de gîte tous les deux jours nous incitent à changer notre projet. Nous resterons centrés sur Édimbourg, mais ferons une grande journée de tournée dans les highlands, possiblement jusqu'au fameux Loch Ness.
Duncan, le chauffeur trentenaire déniché par l'hôtel, vient donc nous prendre un matin à mi-séjour pour nous emmener d'abord au typique village de Dunkeld, dont le charme a curieusement résisté à l'inévitable touristisation galopante.
Flânerie dans les rues (et une ou deux boutiques), et surtout une heure toute paisible passée dans le parc et les ruines de l'abbaye dont la nef sert encore d'église paroissiale.
Nous nous attardons avec délectation sous les arbres immenses et sur les pelouses qui descendent en pente douce vers une paresseuse rivière où les gens du pays, assis sur des tabourets pliants, pêchent la truite sans même nous accorder une seconde d'attention.
Pénétrant dans les terres hautes, au gré de vallées se faufilant le long de vifs ruisseaux enserrés entre des collines de plus en plus abruptes, nous débouchons sur le spectacle étonnant de Blair Castle,
vaste château moyen-âgeux hérissé de tourelles et de créneaux... mais entièrement peint en blanc sous ses toits d'ardoise sombre.
Courte promenade du côté de son parc aux cerfs, où une nombreuse famille (mâle, une dizaine de femelles et trois ou quatre bambis tachetés presque trop gracieux pour être vrais) broute tranquillement à l'écart des touristes, ne s'approchant que lorsque le gardien leur apporte à manger.
Après un détour vers le "Jardin d'Hercule", un parc à l'italienne entourant un bel étang aux nénuphars en fleurs, nous reprenons la route vers le nord et la distillerie de Dalwhinnie (en Écosse, tous les villages ont l'air d'avoir des noms de scotchs single-malt... ou vice-versa).
Le quinquagénaire alerte -- faut nous voir galoper derrière lui dans les escaliers -- qui nous fait visiter est passionné par son sujet, qu'il connaît clairement de première main. Il nous fait passer par toutes les étapes, du maltage de l'orge qui s'effectue traditionnellement sur le plancher même de la distillerie, jusqu'à la double ou triple distillation puis au coupage (à l'eau pure) et au vieillissement dans une cave sombre où sont entreposés cinq mille fûts qui ne sont manipulés qu'à la main, toute machine (susceptible de faire des étincelles dans une atmosphère fortement imbibée d'alcool) y étant interdite.
Après l'inévitable achat d'une ou deux bouteilles dans la boutique attenante, nous reprenons la voiture pour chercher un endroit où manger. Mais il est déjà 14h30, et tous les restos et hôtels où nous tentons notre chance ont déjà fermé leur cuisine. Nous finissons par nous rabattre, nonobstant les réserves de Duncan, sur un modeste routier dont le stationnement est encombré de poids lourds -- un bon signe à notre avis.
Plus routier que ça, tu meurs: il y a même dans les W.C., à côté de l'urinoir, une cabine de douche pour permettre aux chauffeurs de camions de se rafraîchir! La cuisine est à l'avenant, sans chichis mais bien faite et plantureuse. Azur hérite d'une énorme salade et d'un poisson frit, je décide qu'il est temps de goûter au plat national, le "haggis", dont la description (un hachis de tripes et abats de mouton) me faisait hésiter jusqu'ici. Bien m'en prend, car avec une bière, servi en entrée avec des boulettes de patates écrasées et arrosé d'une sauce piquante, c'est excellent. Surtout suivi d'un tendre et juteux steak de gibier. L'addition pour trois s'élève tout juste à ce que nous auraient coûté un apéro et des amuse-gueule dans un restaurant montpelliérain moyennement huppé!
Vers quatre heures, bien rassasiés, nous reprenons la route pour déboucher à Fort Williams, sur les bords d'un immense fjord aboutissant éventuellement sur la Mer d'Irlande (tant pis pour le Loch Ness, c'était vraiment trop loin et de toute façon, chacun sait que le monstre est parti en vacances à l'Île de Ré). Après un bout de chemin le long de la côte, nous nous enfonçons de nouveau dans les montagnes et le parc du Loch Leven.
La route tortueuse suit surtout le fond des vallées et le rivage des nombreux lochs qui y nichent, longeant et croisant à l'occasion une spectaculaire ligne de chemin de fer à l'existence bien éphémère: d'après Duncan, à peine une dizaine de trains l'avaient empruntée avant qu'une gigantesque avalanche n'en emporte un tronçon -- sans faire de victimes, heureusement. Face à l'énormité et à la difficulté de la tâche de déblaiement et de reconstruction, les autorités ont tout simplement baissé les bras et laissé les choses en l'état.
Duncan est un type sympathique mais un peu taciturne, qui a pris un bout de temps à se dégeler et à sortir de son laïus de guide (fort compétent, soit dit en passant) pour converser d'autres sujets. Nous avons fini par apprendre qu'il a roulé sa bosse dans le Pacifique, vivant quelques années en Nouvelle-Zélande puis en Australie, où il est ensuite retourné avec sa copine américaine faire, en trois mois, le tour de la Tasmanie en vélo et en camping.
La copine (ici, ils disent plutôt "my partner", il nous a fallu un moment avant de distinguer s'il s'agissait d'un garçon ou d'une fille) est actuellement aux USA dans sa famille, attendant la réponse à une demande de visa permanent pour le Royaume-Uni. Et elle trouve qu'il ne n'appelle pas assez souvent, ce qui a incité Azur à ordonner à Duncan de stopper la voiture pour lui passer immédiatement un coup de fil!
Pour compléter la journée, notre chauffeur-guide nous a amenés voir sa merveille éco-technologique préférée, la Falkirk Wheel. Qui n'a d'ailleurs rien d'une roue, mais ressemble plutôt à un accessoire géant de robot culinaire. Il s'agit en réalité d'un ascenseur unique au monde permettant de connecter deux canaux qui relient Édimbourg à Glasgow, mais qui sont décalés de quelque 25 de mètres de hauteur.
Tournant autour d'un axe horizontal à mi-hauteur, deux immenses sas d'écluse suspendus dans des berceaux symétriques à la forme bizarroïde accueillent barges et bateaux de plaisance pour les soulever ou les abaisser, sans utiliser d'autre énergie que celle fournie par les eaux du canal supérieur! Fabuleux.
La veille de notre départ, nous sommes partis à pied nous balader dans la vieille ville, le long de ce qu'on appelle le "Royal Mile", formé de quatre rues et places qui s'étendent de l'antique château médiéval (devenu musée) au victorien palais de Holyrood, résidence officielle de la Reine lorsqu'elle est en Écosse -- autrement qu'en vacances en son château "personnel" de Balmoral.
C'est au cours de cette balade que j'ai enfin trouvé le souvenir que je cherchais pour ma soeur Marie, une authentique cornemuse en format réduit. Bien hâte de voir comment elle va se débrouiller avec.
Même s'il n'était recommandé par aucun guide et fréquenté par aucun touriste à notre connaissance, le Wee Windaes, posté en diagonale de l'archi-connue maison du réformateur protestant John Knox, nous a servi une très bonne cuisine locale: haggis pour moi (décidément c'est un goût qui s'acquiert) et succulentes saucisses de bécasse au poivre vert pour Azur.
Une chance d'ailleurs que nous avons bien mangé samedi après-midi, car dimanche matin c'est une autre histoire.
Cela faisait deux jours que j'essayais vainement de réserver des billets d'avion Édimbourg-Paris sur le site Web d'Air France. Sans succès, mais je ne m'en faisais pas trop car avant de me placarder un vilain "Sorry, service unavailable" au moment de confirmer la réservation, le système indiquait qu'il y avait amplement de la place sur le vol direct de 9h10 que nous voulions prendre.
Oh yeah? Lorsque, découragé après sept tentatives infructueuses, je me suis résigné à subir les affres du système de réservation téléphonique samedi après-midi, la demoiselle que j'ai fini par toucher après un bon vingt minutes de musak m'a gaiement révélé que (1) il ne restait plus que trois places à bord, dont deux en classe affaires et que (2) pour nous garantir la réservation jusqu'au lendemain, il fallait que nous lui fournissions une adresse et un No de carte de crédit "british" bon teint, sinon elle ne répondait de rien.
Mémémémé! Un, j'ai des cartes françaises et canadiennes en parfait ordre de marche; deux, vous êtes une ligne française et non britannique, que je sache? "Sorry, sir, mais la loâ c'est la loâ, rien à faire." Rien? "Yes, vous pouvez aller acheter directement vos billets à l'aéroport. Mais comme on est samedi, le guichet ferme à five P.M. et vous n'aurez sans doute pas le temps." C'est gai, oui?
Sachant que nos réservations étaient valables jusqu'à minuit, nous sommes quand même partis tôt dimanche matin pour arriver à l'aéroport vers 7h45, amplement à temps pour "notre" avion. Il est quand même peu probable qu'un loustic ait la curieuse idée de racheter nos billet dans le milieu de la nuit. Penses-tu!
Au guichet d'Air France, on nous apprend (dans la langue de Shakespeare, of course) que les billets ont bel et bien été vendus, et qu'il ne reste plus une seule place. "Vous pouvez toujours prendre le vol suivant qui décolle à midi 10, je vous réserve des.... oups! Complet, celui-là aussi." Le suivant? À 17h30. Il reste des places en classe affaires.
Faute de mieux, que voulez-vous? OK. On nous propose quand même de nous mettre en liste d'attente sur le 12h10, si jamais des passagers ne se présentaient pas? On dit oui, bien sûr, et qu'on reviendra au guichet sans coup férir à 10h45 pour prendre des nouvelles. En passant, sur le comptoir trône une gentille affichette disant que le guichet-billets est ouvert tous les jours jusqu'à 19h30. Si on aurait su!
Comme on est dimanche et que de toute façon l'aéroport n'a pas de resto, seulement un café genre Starbucks à chaque bout, le menu du petit déj consiste en café, brioche et eau minérale (pas même de jus frais). On n'est plus à l'Apex, il s'en faut de beaucoup.
Retour au guichet, pour une autre mauvaise nouvelle: on ne saura pas avant 11h30 s'il y a des places à bord du 12h10. Pouvons-nous au moins enregistrer d'avance nos bagages, comme ça on pourra franchir le barrage de sécurité et attendre dans un confort relatif au Salon d'Air France, auquel nos billets hors de prix nous donnent droit? Nyet. Pas d'enregistrement avant la confirmation, et au max deux heures avant le départ.
Finalement, à 11h40, la préposée aux ventes nous envoie presto au comptoir d'embarquement, il y a de la place à bord. Sauf que. À la pesée, une de nos valises fait cinq kilos de trop (la limite est désormais de 32 kilos, règle internationale). La gérante qui s'occupe des retardataires décide qu'elle ne nous laisse pas passer, ça va prendre trop de temps. Trois minutes après, les bagages sont rééquilibrés et repesés, mais rien n'y fait. Elle a pris sa décision et refuse de se déjuger.
Elle nous enjoint de nous représenter au comptoir à 15h30 pour l'enregistrement, pas une minute plus tôt. Re-Starbucks, cette fois pour des sandwiches (oeufs durs, fromage jaune, jambon pâlot) et encore de l'eau. Lecture des journaux d'avant-hier et Sudoku, y'a même pas de télé et le stand à journaux n'a que de l'engliche.
Vers 14h45, me dégourdissant les jambes, j'aperçois de loin une file de gens qui semblent attendre devant le comptoir d'enregistrement d'Air France. Et c'est le cas. Retour en quatrième vitesse au Starbucks récupérer le chariot et Azur (pas forcément dans cet ordre) pour enfin nous approcher du Graal. Notre charmante gérante, encore elle, ne s'excuse en rien (c'est nous qui avons dû mal comprendre, et puis elle sait qu'on est des clients, mais elle a d'autres chats à fouetter! Allez ouste, en ligne!).
Au bout d'un moment, je me rends compte qu'elle nous a pointés sur la queue "économie", alors que l'allée menant au comptoir "affaires" est vide. Changement de cap, qu'elle observe en fronçant les sourcils mais sans finalement dire quoi que ce soit.
Dernière péripétie: après une heure et demie d'attente (au salon, enfin, où il y a de la bibine et des sandwiches de meilleure qualité), nous finissons par gagner nos places à bord... pour apprendre qu'il n'y aura pas de repas chaud pour nous, ils ont été décommandés "parce qu'apparemment vous avez changé de vol au dernier moment", nous explique le steward. Lorsque nous lui expliquons la situation, il me tend un formulaire de plainte en précisant que si je le remplis tout de suite, il va lui-même le contresigner. Gentil, mais en attendant, re-sandwiches avec, heureusement, un bon bordeaux.
Si vous saviez comme les brochettes poulet-et-boeuf du modeste sushi à côté de notre hôtel parisien, rue Monsieur-le-Prince, goûtaient bon même à onze heures le soir, en arrivant de Charles-de-Gaulle!

Petits plaisirs d'Édimbourg

(17 juillet 2009) L'Apex Hotel de Waterloo Place, une fois que nous réussissons à le trouver après plusieurs tentatives, est une très agréable surprise. Je l'avais déniché sur Internet en désespoir de cause, tous les "bons" hôtels recommandés par les guides étant complets. Et malgré sa cote "quatre étoiles", le prix plutôt "deux étoiles" me faisait craindre le pire.
Pas du tout. Derrière une façade élégante début XIXe juste à côté d'un petit pont à arches à trente pas du coeur de la ville, c'est un "boutique hotel" récemment ouvert au décor moderne mêlé d'un peu d'ancien, équipé d'un très bon bar et d'un restaurant plus qu'acceptable. Notre chambre, qui donne hélas en partie sur un immeuble en rénovation qui nous cache une bonne partie de la vieille ville, est grande, jolie et très confortable. À tel point que dès mardi matin, après avoir goûté le somptueux petit déj à l'anglaise offert avec la chambre, je fonce à la réception prolonger de trois jours notre réservation!
Pour faire connaissance avec Édimbourg, dont nous savons que c'est une ville très étendue, nous prenons le classique bus touristique à deux étages, qui a notre étonnement prend à peine deux heures pour faire le tour de ce qu'il estime valoir la peine d'être vue. Après réflexion, nous comprenons que (a) certains des sites intéressants, comme Queen's Ferry et la chapelle de Rosslyn (rendue encore plus célèbre par Da Vinci Code) sont trop excentrés pour justifier le trajet et que (b) plusieurs autres sont dans des zones piétonnes (notamment The Castle, spectaculaire) dont le bus ne peut s'approcher.
Les deux premiers jours, nous circulons surtout dans la "Nouvelle ville" qui est un peu l'équivalent du Paris haussmanien: belles grandes avenues se croisant à angles droits, places carrées dont les grilles ouvrées protègent de jolis parcs urbains, immeubles bourgeois du milieu du XIXe abritant aujourd'hui des bureaux et des commerces, dont toutes les boutiques de luxe de la ville. Aux deux extrémités, les deux grands hôtels victoriens cinq étoiles, le Caledonia de pierre rouge vif au spectaculaire pignon et à l'entrée décorée d'une colonnade,
et le gris sombre Balmoral, à la façade ultra-sculptée surmontée d'une tour d'horloge si haute qu'elle sert de point de repère presque partout en ville.
La première chose qui nous frappe en circulant dans les rues est le type physique des Écossais: au moins la moitié de ceux et celles que nous croisons ont des têtes rondes rousses ou brunes, bien enfoncées sur des épaules massives et des corps compacts. La seconde est leur informalité assez bon enfant, qui tranche nettement avec le tempérament plus sec et plus formaliste des Anglais. La troisième, que ce côté presque bonasse peut s'effacer instantanément sous des poussées de colère aussi féroces qu'imprévisibles.
Recommandation commune de Michelin et du Routard (ce n'est pas si fréquent), l'Oloroso est un resto très Philippe Starck, juché sur le toit d'une des belles maisons de Castle Street. Deux qualités lui font pardonner son aspect vraiment trop tendance pour notre goût: une cuisine de produits locaux haussée au niveau de la véritable gastronomie, et une vue imprenable, de sa terrasse, sur une bonne partie du vieux quartier et notamment sur le Castle.

Les chics canassons d'York

(13 juillet 2009) Malgré la différence de langue et de climat, nous nous sentons presque chez nous à York. Comme Montpellier, c'est une ville de taille moyenne, fortement marquée par son université et jouissant d'un centre piétonnier agréable. On peut faire facilement à pied le tour de ses principaux attraits, en particulier le Minster, sa cathédrale et ancienne abbaye aux vitraux exceptionnels.
Peu de très haute restauration, mais comme à Montpellier aussi, un bon nombre de petits restaurants de bonne qualité à prix doux, ajustés à la bourse des étudiants. Plus un musée exceptionnel, celui de l'histoire des chemins de fer, situé derrière la très belle gare victorienne et son hôtel d'époque (le Royal York, what else?).
Samedi matin, nous sommes partis explorer, et avons immédiatement débouché sur une course de bateaux-dragons (curieusement semblables à ceux de Singapour il y a quatre ans!) qui se déroulait près d'un pont enjambant l'Ouse tout près de l'hôtel. Nous avons continué la balade à travers le vieux quartier du marché, jusqu'à un sympathique restaurant de fruits de mer, le Loch Fyne (délicieux flétan et truite).
Au mur, une affiche claironne la grande semaine locale de courses de pur-sang, qui se termine justement cet après-midi. Tiens, pourquoi pas? Un taxi nous amène à l'hippodrome situé aux portes de la ville, à travers un embouteillage monstrueux: le Racing Week, c'est clairement tout un événement pour York et sa région.
À notre grande surprise, une bonne moitié des amateurs de courses ont sorti leur tenue des grands jours: les femmes en robe de couleurs vives (parfois) à crinollines et coiffées (souvent) d'invraisemblables chapeaux à fleurs grands comme des parasols, les messieurs en complet gris-cravate, incluant l'occasionnel haut-de-forme. Moi qui croyais que ce genre de déguisement était une licence poétique que s'était offerte le réalisateur de "My Fair Lady", j'ai presque l'impression d'être sur le site du tournage.
D'ailleurs, impossible de pénétrer sans une "tenue correcte" dans les zones huppées de l'hippodrome: avec nos jeans-sandales, nous n'avons droit qu'à la tribune populaire, quel que soit le prix que nous sommes prêts à y mettre. Et même là, le nombre de complets et de robes-coquetel est étonnant, autant que la foule: il doit bien y avoir 20-25 000 personnes assemblées dans les divers enclos et tribunes.
Pas besoin de dire que dans les circonstances, l'intérêt est bien plus au parterre et dans les estrades que sur la piste même. D'autant plus que la multitude de stands de bookmakers affichant qui sur une ardoise ou un carton griffonné, qui sur un tableau lumineux dernier cri les cotes les plus alléchantes, ajoute à la couleur (et au bruit) du spectacle.
Pour la course principale, un Grand Prix doté d'une bourse de 150 000£, je décide de tenter ma chance et fais du shopping pour les meilleurs "odds" sur le No 4 (pigé au hasard, je n'y connais rien ici), qui oscille entre 10 et 15 pour 1. Je me décide enfin pour SportingBet, qui offre du 14 mais semble mieux équipé et plus sérieux que la plupart de ses rivaux. Après avoir écouté la façon dont les "punters" énoncent leurs paris, je m'avance avec assurance: "Ten each way on the four." Un rouquin en costume olive me tend aussitôt un coupon de caisse qui est mon billet.
Nous dénichons une place assise dans les marches de la grande estrade, le dos à une rampe d'escalier, nous relevant seulement au départ de l'épreuve. La piste est immense, si bien que la course d'un mille et deux furlongs démarre tout à l'autre bout, les chevaux ne nous paraissant guère plus gros que des souris derrière la barrière. Heureusement, le tableau d'affichage au milieu du champ se transforme en écran géant, offrant en gros plan les premières phases de la compétition.
Dans l'intervalle, les cotes ont évolué, mon No 4 étant désormais estimé à 25/1; j'aurais dû attendre. Pour l'instant, il se comporte pas mal, se tenant parmi les cinq ou six premiers. C'est seulement après le virage final, lorsque la quinzaine de concurrents se présentent sur le dernier droit (qui doit bien faire un kilomètre), que nous pouvons regarder notre argent courir "en direct".
Un instant, je crois avoir touché le gros lot: à 2-300 mètres de l'arrivée, le 4 s'est hissé en tête et semble vouloir tenir le coup. Faux espoir, le 2, grand favori, vient le coiffer au fil d'arrivée suivi du 6. Bof, je n'ai pas tout perdu, le pari placé me rembourse ma mise, plus le prix d'entrée.
Toutes ces émotions nous ont donné soif, nous arrivons à capturer une table dans la brasserie derrière les estrades, que nous finirons par partager avec trois dames à chapeaux qui engoutissent des quantités impressionnantes de saucisses-purée et de rosbif-Yorkshire pudding, sans compter des pints de bière locale.
Après deux autres épreuves moins excitantes (pour pouliches sur courte distance et pour novices de 3-4 ans plus ou moins estropiés), nous décidons de nous défiler avant la fin pour éviter la galopade vers les stationnements et les taxis.
Dimanche, nous complétons notre tour de ville et suivons une recommandation du routard, le restaurant Melton's, champion de la cuisine locale... et des portions gargantuesques. Ma tourte au steak et à la bière est aussi énorme que savoureuse, Azur hérite d'un foie de veau-bacon de très bon niveau. Pause à la terrasse d'une taverne au bord de l'Ouse, pour contempler les ébats des cygnes, oies et canards en sirotant un digestif.
L'hôtel nous a déniché un chauffeur aussi discret que compétent pour la dernière étape de notre trajet vers le nord. Nous faisons un détour vers la superbe petite ville de Dunham, antique et coquette, à la sortie de laquelle nous nous arrêtons pour bouffer dans un resto de bord d'autoroute, une des rares vraies déceptions du voyage: décor prétentieux, barman revêche, service inexistant, nourriture standard sans saveur. Fallait bien que ça arrive au moins une fois, pour justifier tous ces préjugés contre la cuisine anglaise!
Pour entrer en Écosse, nous quittons l'autoroute et zigzaguons par monts et par vaux à travers le joli parc des Lothians. Le temps se couvre au moment où nous franchissons le Mur d'Hadrien (une ruine à peine perceptible sous un vallonnement de gazon qui se perd à l'horizon vers l'ouest) et atteignons une borne de pierre symbolique qui marque "The Border" entre l'Angleterre et sa voisine du nord.
Graduellement, le paysage devient plus sauvage et plus tumultueux, avant de s'apaiser à l'approche de la capitale. Édimbourg est sous une pluie fine quand nous y entrons en fin de journée, tout paraît gris et sévère.

Dans l'Angleterre profonde

(10 juillet 2009) Avant de quitter Londres, nous avons voulu répéter une expérience qui nous avait bien réussi à Saint-Pétersbourg il y a deux ans, louer une voiture avec un guide individuel francophone. Malheureusement, la gentille dame allemande qu'on nous a envoyée non seulement parlait un français approximatif, mais encore était obsédée par les fastes de la monarchie (allusions multiples à Diana et inévitable relève de la garde à cheval devant Buckingham Palace) et ne faisait preuve d'aucune fantaisie.
Au lieu de nous conduire dans des lieux moins connus comme nous le lui demandions, elle s'est obstinée à reprendre le circuit classique déjà parcouru en bus touristique la semaine dernière. Les deux exceptions intéressantes ont résulté de requêtes précises et explicites de ma part: le joli cloître de l'Abbaye de Westminster -- où, coup de chance, défilait le célèbre choeur en soutanes rouges et surplis blancs --, puis sur la rive sud de la Tamise la reconstitution, exacte jusqu'au toit de chaume, du Globe Theatre de Shakespeare.
De retour à Marble Arch, ayant surmonté les tenaces préjugés d'Azur contre la cuisine indienne, je l'ai entraînée derrière notre hôtel, à la Porte de l'Inde, sans doute un de meilleurs restaurants du genre dans une ville qui en regorge pourtant. De fines entrées végétariennes ont ouvert la voie à un fabuleux homard, sauce au cari doux et légèrement fruité, couché sur un riz basmati presque impalpable. Dessert parfaitement assorti, simplement des quartiers de mangue fraîche dégoulinants de jus.
Après Londres, nous avions décidé de nous rendre en Écosse par le chemin des écoliers. Pas de train ni d'avion, mais des trajets en voiture interrompus par de plus ou moins longues escales à Bath, Shrewsbury, Carlisle et York, pour aboutir à Edimbourg en début de semaine prochaine.
Mardi matin, un second chauffeur-guide, hélas du même acabit que celle de la veille, est donc venu nous prendre pour nous emmener vers Bath. Andrew, un médecin à la retraite qui arrondit ses fins de mois en jouant les cicerones, parle un meilleur français que sa collègue, mais semble bien plus enclin à nous impressionner par ses hautes relations qu'à nous faire part de ses connaissances. Apprenant que nous habitions Montpellier, par exemple: "Oui, le Languedoc je connais bien, j'y ai passé des vacances comme invité de la comtesse de X dans son superbe château." Et ainsi de suite.
Après deux heures d'embouteillage et d'autoroute pour enfin sortir de Londres, nous sommes arrivés à l'incontournable Stonehenge sous une pluie fine mais persistante. La visite, passionnante, s'est donc déroulée sous un parapluie, mais il faut dire qu'un ciel chargé de sombres nuages ajoutait à l'attrait dramatique du site.
Ce fut ensuite la belle cathédrale de Salisbury, que nous découvrions tout en ayant l'impression paradoxale de bien la connaître grâce à la lecture et relecture du livre de Ken Follett sur les bâtisseurs du gothique, "Les Piliers de la terre".
Une promenade à travers la ville médiévale méticuleusement conservée s'est terminée au Haunch of Venison, une auberge du XVIe siècle toute de colombages, torchis et toits de bardeaux (et tables bancales), avec une jolie vue à travers les fenêtres à petits carreaux plombés sur le jardin foisonnant d'une église voisine. Menu typique de taverne anglaise, arrosé d'une bière tiède.
Notre guide a insisté pour un détour vers Wilton House, somptueuse résidence quadricentenaire des Earls of Pembroke (qu'il connaissait intimement, bien sûr, mais qui, heureusement pour lui peut-être, étaient absents ce jour-là) imprégnée de la mémoire de Shakespeare.
Il était six heures sonnantes quand nous sommes entrés dans Bath, toujours sous une petite pluie. L'Hôtel Queensberry répondait bien à nos attentes, à un détail près: formé d'une séquence de quatre hautes et étroites maisons georgiennes étagées sur une rue en pente raide, il ne possède qu'un seul ascenseur, mais une multitude de petits escaliers plus ou moins casse-cou pour relier les uns aux autres les étages décalés de chacune des résidences.
Pour atteindre notre chambre No 28, il fallait donc prendre l'ascenseur jusqu'au troisième, descendre un escalier et en remonter immédiatement un autre, bifurquer par un couloir étroit, regrimper trois marches, faire un virage en U pour enfin descendre d'un étage jusqu'à notre minuscule palier. Ouf.
Une fois rendus, cependant, la chambre était aussi vaste et confortable qu'élégante, mélange d'antiquités du début du XIXe et de modernisme de bon aloi, y compris dans une grande et fonctionnelle salle de bain.
Mercedi matin, nous avons replongé dans l'univers "Regency" de Georgette Heyer, si cher à maman, avec la visite des Assembly Rooms situées juste au bout de la rue de notre hôtel: salon octogonal à coupole, grande salle de bal au plafond vertigineux, tea-room luxueusement tapissée et card-room (ancien salon de jeux) transformée en café huppé. Le tout amplement orné de colonnes, frises et balustres dans le style peudo-grec cher à l'époque. À chaque tournant, on s'attendrait à croiser Beau Brummell, ou Lady Caroline Lamb suspendue au bras de Lord Byron!
Au sous-sol se trouve un curieux et intéressant musée du costume et de la mode, couvrant en gros de l'élizabéthain à la Guerre froide, avec l'accent sur les couturiers anglais mais sans oublier les grands noms parisiens (Chanel, Dior, Balenciaga). Azur a été fascinée, entre autres, par les vitrines sur l'évolution du sous-vêtement, traitées de façon assez ludique.
Elle en a aussi profité pour se faire une petite copine, qui s'amusait comme une folle à essayer des costumes d'époque!
Contournant le Circle, une charmante place (ronde bien sûr) entourée de 33 maisons aux façades incurvées à colonnades de la fin du XVIIIe, nous sommes descendus par la fameuse rue commerçante de Milson Street jusqu'au coeur du vieux Bath: l'abbaye du XIIIe, le Pump Room néo-classique des années 1760 et surtout les bains romains, conservés dans leur presque entièreté en un état admirable après bientôt 2000 ans, que nous avons longuement parcourus.
En soirée, nous avons eu la chance de tomber sur un jeune chauffeur de taxi imaginatif et passionné par sa ville, qui nous a entraînés hors des sentiers battus.
Il nous a d'abord fait grimper jusqu'à Alexandra Park, un bel espace vert au plus haut sommet de la cité, où nous sommes arrivés juste à temps pour contempler tout Bath baignant dans une chaude lumière de soleil couchant. Puis il nous a emmenés par de petites routes en lacets bordées de grandes résidences georgiennes et victoriennes jusqu'à la délicieuse petite église presque campagnarde de Saint Thomas à Becket, avec son cimetière-jardin envahi de fleurs folles.
C'est presque à regret que nous avons quitté Bath le lendemain. Décidés à éviter les erreurs des deux derniers jours, nous avions annulé l'entente avec la société snob qui devait nous fournir d'autres "guides bilingues" de haut vol et avions demandé à l'Hôtel Queensberry de nous trouver plutôt un simple chauffeur compétent avec une voiture confortable.
Mandat parfaitement rempli, le Marty rondelet, populo et jovial qui est venu nous prendre dans sa Mercedes grise jeudi matin nous a immédiatement mis à l'aise. Après avoir discuté de façon réaliste notre itinéraire du jour, il a décidé que nous avions bien le temps d'un détour par de petites routes embaumées vers Castlecombe, son village favori à l'orée des Cotswolds, "la" région typique de la campagne anglaise.
Vieille église pleine de charme, maisons basses de pierre coiffées d'ardoise, aux fenêtres gaîment fleuries, place publique grande comme un mouchoir de poche avec en son centre une mini-halle de marché semimillénaire, que demander de plus? Le thé pris sur un banc devant l'auberge locale a clôturé une heure de plaisir sans mélange.
Retour par le nord de Bath en contournant l'industrielle Bristol, jusqu'à l'estuaire de la Severn que nous franchissons par un long et très haut pont pour pénétrer au Pays de Galles. Traversée de Chepstow étalée au pied des restes de son château moyen-âgeux, en route vers les ruines archi-célèbres de Tintern Abbey.
Coup de chance et coup de coeur. Malgré la saison, le site est miraculeusement à sec de touristes, ce qui nous permet de plonger en toute quiétude dans le presque excessif romantisme d'un lieu qui a inspiré maint poète. En compagnie de Marty qui semble apprécier l'expérience autant que nous, longue flânerie sous les arcades romanes et gothiques à ciel ouvert, le long des pierres moussues du cloître presque entièrement détruit et dans le jardin avoisinant.
Parcours un peu trop bref de la médiévale Ludlow, aux célèbres maisons à colombages dont certaines perchent dangereusement leurs étages en porte-à-faux au-dessus des rues étroites.
Pour le lunch, nous faisons confiance au Michelin, qui nous guide hors de la ville, le long d'un chemin poussiéreux et tordu jusqu'à la cour d'une auberge bien jolie, mais apparemment déserte. Moment d'inquiétude. Contre toute apparence, le restaurant est encore ouvert à presque trois heures de l'après-midi. Portant bien son nom, "Stonemill at Rockfield", c'est un ancien moulin à blé reconverti avec grâce, la meule, sa roue de grosse pierre et son mécanisme de bois continuant à trôner en plein centre de la place, entourés de meubles rustiques mais confortables.
Seuls clients (avec le chauffeur, of course), nous avons droit à toutes les attentions d'un gentil rouquin passionné de produits locaux, qui nous aiguillonne vers des choix parfois inattendus mais toujours succulents. Un bon point pour Michelin.
The Mill, aux portes du minuscule hameau d'Alveley, non loin de Shrewsbury, est une trouvaille faite sur Internet, dans une liste des auberges anglaises de charme. Ce sera indubitablement le plus bel hôtel et la plus belle chambre de tout le voyage, même si nous y découvrirons à l'usage quelques vices cachés.
Cet autre ancien moulin, beaucoup plus abondamment rénové et agrandi que celui de ce midi, se prélasse sur deux niveaux au coeur d'un immense jardin, au bord d'une rivière sur laquelle une ancienne écluse a formé un bel étang bordé d'une pelouse impeccable semée de saules pleureurs, de peupliers et d'une abondance de rosiers de toutes couleurs.
La chambre, au premier étage avec vue sur l'étang (sans escaliers biscornus, cette fois), est en réalité une suite nuptiale tapissée de tissus à fleurs et dotée, en plus d'un canapé et de fauteuils victoriens assortis, d'un véritable lit à baldaquin à rideaux de velours. La salle de bain, pour ne pas être en reste, se targue d'une baignoire en coin avec jets d'eau pour hydro-massage. Le tout pour un prix à peine supérieur à celui d'un deux-étoiles parisien.
Après une virée dans le jardin via le pont qui enjambe l'écluse, nous nous installons pour la nuit -- et découvrons (a) que la moderne télé à écran plat ne donne accès à aucune chaîne française ou internationale, (b) que le magnifique lit à baldaquin n'est pas tout-à-fait assez grand pour notre confort et (c) que la baignoire apparemment immense ne l'est pas du tout et transforme mes jambes en bretzels pour peu que je veuille me tremper le bedon. On peut pas tout avoir, hein?
En contrepartie, le personnel fait assaut de gentillesse, le petit déjeûner servi dans la chambre est plantureux et délicieux, et notre chauffeur Marty (à qui nous avions avec plaisir redonné rendez-vous pour la prochaine étape) nous attend dans le hall en sirotant un thé et lisant le Times.
Nous nous arrêtons d'abord à Shrewsbury, patrie de Darwin (une des nouvelles idoles d'Azur!), centre-ville peuplé de vieilles maisons pleines de charme, et surtout de l'Abbaye Saint-Pierre et Saint-Paul, site des exploits médiévo-policiers d'un de mes détectives favoris, le frère Cadfael, que je visite avec délectation.
Après consultation du chauffeur et des divers guides (Vert, Routard, etc.), nous devons reconnaître que le long détour planifié par le Lake District et Carlisle nous compliquerait la vie et nous forcerait à foncer trop vite vers les étapes suivantes. Ce sera donc directement le parc national du Peak District jusqu'à York, où nous prolongerons d'une journée la halte prévue.
Cet itinéraire allégé nous permet de batifoler sur les petits chemins sauvages des Peaks, avec leurs troupeaux de moutons à face noire errant sur des flancs de montagnes quasi déserts, leurs murets de pierre se perdant dans l'infini de perspectives saisissantes, leurs hameaux vieillots étirés au long d'une rue unique.
Peck's Restaurant, à Bakewell, est une auberge de bord de route renipée à la moderne, mais avec un goût certain et un menu élégant et de qualité. Pratiquement l'antithèse du Stonemill d'hier, mais tout aussi bon.
Le clou de la journée -- et un des sommets de tout le voyage -- est Haddon Hall, château médiéval et renaissance admirablement conservé et rénové appartenant à une antique famille ducale dont le cadet, qui y habite, en a fait l'oeuvre de sa vie. Azur, rebutée par la longue montée jusqu'au portail monumental de l'ensemble juché sur une haute butte, décide de nous attendre à la première enceinte. Marty et moi montons jusqu'aux deux cours intérieures et y passons plus d'une heure, arpentant les successions de chambres et les jardins descendant en escalier jusqu'à la rivière voisine; nous sommes surtout enchantés par le sens du vécu qui se dégage de tout cela.
Non seulement les salles d'apparat, mais la cuisine, la boulangerie, le garde-manger, les pièces communes ont été rétablis dans leur état originel, on peut toucher du doigt la façon dont seigneurs, domestiques et corps de garde vivaient à l'époque. Émouvant.
Nous continuons à zigzaguer à travers les Peaks, encore plus sauvages dans leur partie nord truffée de grottes et de cavernes, en contraste frappant avec l'aspect hautement domestiqué des campagnes du sud et du centre du pays. Pour faire changement, nous avons choisi à York un hôtel d'affaires moderne et récemment relooké, le Park Inn, qui offre non seulement un confort tout azimut et un lit king-size, mais encore une vue magnifique sur la rivière Ouse et la vieille ville, du haut de son septième étage aux vastes fenêtres.

Un Wimbledon hors du commun

(6 juillet 2009) Marie-José a beau se plaindre que son idole Rafael "Vamos" Nadal lui ait fait faux bond au dernier moment, elle doit quand même admettre que nous avons eu droit à un Wimbledon exceptionnel. D'autant plus que grâce à l'échec d'Andy Murray en demi-finale vendredi (le malheur des uns...), nous avons pu assister en direct à une finale d'anthologie en cinq sets, 78 jeux et plus de 4h30 entre Roger Federer et Andy Roddick.
Pour les demi-finales hommes vendredi, nous avions décidé d'éviter l'incroyable bousculade annoncée sur la ligne Wimbledon du métro, et sommes partis une bonne heure d'avance en taxi. Nous avons bien fait, même si l'embouteillage routier tout aussi conséquent nous a sérieusement retardés; nous sommes arrivés au Gatsby Club à temps pour l'apéro. Celui-ci a été suivi d'un joli gaspacho puis d'un rôti d'agneau parfumé, tendre et fondant, arrosé d'un beau chateauneuf-du-pape. Fraises et champagne au dessert.
Autour de nous, le seul sujet de conversation était l'Écossais Andy Murray, numéro trois mondial et surtout premier joueur britannique à qui l'on accordait une chance sérieuse de se rendre en finale depuis quelque 70 ans. Il fallait être à Londres ces jours-ci pour se rendre compte à quel point la Murray-mania a dominé ce tournoi, de loin le plus emblématique du sport local et donc le plus apte à mettre l'orgueil britannique à fleur de peau.
Impossible d'allumer la télé, d'ouvrir un journal ou de lier conversation avec une serveuse de pub ou un chauffeur de taxi sans que le sujet vienne immédiatement sur le tapis: capable, pas capable? gagnera, gagnera pas? Le Times et le Guardian en ont fait l'objet de leur sondage quotidien (oui à 70-75 p.100), les experts de tout poil disséquaient ses chances, son jeu, ses qualités et ses faiblesses sous toutes les coutures.
Les magazines publiaient des entrevues où non seulement son entraîneur, mais sa maman et sa copine, une jolie rouquine à mi-chemin entre le mannequin flyé et l'étudiante terre-à-terre, révélaient leurs techniques pour le calmer, l'encourager, l'exciter et quoi d'autre. Même son chien y allait de quelques jappements pleins de sous-entendus.
Tous les Anglais (sans parler des Gallois et des Irlandais du nord -- et même du sud, qui sait?) se sentaient tout-à-coup écossais, les Écossais infiniment plus que les autres, bien sûr.
Les historiens épluchaient le passé en remontant jusqu'à la victoire de Fred Perry en '36, en passant par les faux espoirs suscités quatre fois dans la dernière décennie par Tim Henman. Tout le monde balayait du revers de la main les obstacles mineurs qui restaient sur la route de Murray, soit Andy Roddick et Roger Federer.
Quand nous avons gagné nos places sur le Central Court à 14h pile, la tension dans les gradins était à couper au couteau... même si le premier match des demi-finales mettait aux prises ces deux non-entités, Tommy Haas et Federer.
Pourtant, rien n'était encore joué entre eux, car l'Allemand Haas était venu à un cheveu d'éliminer le Suisse il y a un mois à Roland-Garros, remportant les deux premiers sets et tenant bien son bout dans les deux suivants avant de lâcher prise au cinquième. Ce vendredi-ci cependant, Federer avait clairement décidé de ne prendre aucun risque et montrait une forme exceptionnelle dès les premiers engagements, même si cela ne se traduisait pas immédiatement au score.
Comme la veille, le fait d'être sur place changeait sérieusement la perspective. Par la fenêtre grossissante de la télé, le champîon suisse paraît souvent indécis, nonchalant, peu intéressé. Mais vu en personne et en taille réelle, c'est une autre histoire: dès qu'il met le pied sur le terrain, il domine la scène et justifie le surnom de "Patron" que lui attribuent ses confrères joueurs professionnels. D'une moue, d'un sourire en coin, d'un haussement de sourcil ou d'un mouvement d'épaule à peine perceptible, il communique ses émotions et fait vibrer le public.
Après cinq ou six parties pourtant égales quant au pointage, il était clair pour tous (et notamment pour son adversaire) qu'il allait gagner, ce qu'il a pris tout son temps pour faire en trois sets serrés, mais verrouillés comme des cadenas de banque.
Dix minutes plus tard, devant un parterre qui retenait son souffle puis explosait en bravos (flegmatiques, les Anglais?), Andy Murray et Andy Roddick faisaient leur apparition. Chacun de leurs mouvements était accompagné d'un bourdonnement de commentaires dans les gradins, tout au long de la mise en place -- changement de filet, de personnel de balles -- et de la période de réchauffement.
C'est dans un silence presque physiquement palpable qu'a débuté le match. Pendant deux manches et demie, le suspense est demeuré complet, rien ne permettant de départager les concurrents.
Puis graduellement, on a senti que Murray ne trouvait pas de vraie solution au style amélioré et parfois mystifiant de l'Américain. Sans délaisser son incroyable service en boulets de canon, ce dernier se mettait de plus en plus à voler les armes de son adversaire, se déplaçant soudain vers le filet, variant la force et l'effet de ses frappes.
Lorsque Roddick a remporté assez clairement le troisième set, la messe était dite, sauf pour les inconditionnels de Murray. Même en jouant à son meilleur niveau, l'Écossais avait de plus en plus souvent le dessous, et à moins d'une peu probable baisse de régime de l'Américain, on ne voyait plus comment il pouvait encore l'emporter.
Le quatrième set, quoique chaudement disputé, n'était plus en réalité qu'une formalité. Et si l'on mettait de côté l'immense déception des partisans anglais, il posait même la question d'une victoire américaine en finale, tant Roddick montrait une souplesse et des qualités tactiques inédites jusqu'ici.
Comme la veille, nous nous sommes hâtés de gagner la tête de la file de taxis, où on nous a donné comme voisins un couple âgé de Néo-Zélandais et leur fils trentenaire... qui dormait littéralement debout, accroché tant bien que mal à une sangle au plafond du cab, occasionnellement secoué par sa maman qui craignait qu'il ne lâche prise et ne se fasse mal en tombant.
Le lendemain, comme nous n'avions pas de billets pour la finale féminine (un Xième duel "fraternel" entre Venus et Serena Williams, aisément remporté par cette dernière), nous sommes demeurés à Londres. L'avant-midi a été consacrée à une balade à pied dans Mayfair, le quartier aristocratique (Grosvenor, Berkeley Square, Pall Mall) que ma soeur Marie reconnaîtra facilement comme le décor habituel des romans "Regency" de l'auteur favori de notre maman, Georgette Heyer.
Nous avons abouti sur Regent Street, tout près de Picadilly, où une étroite petite rue nous a menés au Bentley's Oyster Bar, temple londonien très BCBG du poisson et des fruits de mer depuis bientôt un siècle. Bouquet de crevettes pour Azur, bisque de crabe pour moi, suivis d'un goûteux filet de plie de la Mer du Nord sur un lit de pommes écrasées et petits légumes. Et un sherry amontillado très sec au parfum de noisettes pour accompagner tout ça, une suggestion imprévue mais appropriée du sommelier.
Nous avions demandé aux responsables de la "Wimbledon Experience" de nous avertir si jamais il leur restait des billets pour la finale hommes (ou "gentlemen", comme on dit ici). Tant qu'Andy Murray demeurait en course, il n'en était pas question. Mais miraculeusement, au lendemain de sa défaite en demi-finale, on nous a annoncé qu'en y mettant le prix (je n'ose pas dire combien), ça redevenait possible.
C'est ainsi que, hier après-midi, nous avons eu droit à ce qui restera sans doute dans les annales de Wimbledon comme une des finales de tournoi sinon les meilleures, du moins les plus longues et les plus dramatiques. À classer quelque part entre l'interminable et presque miraculeux McEnroe-Borg des années '80 et le sublime Nadal-Federer de l'an dernier.
À notre arrivée sur le terrain, malgré que les estrades étaient encore pleines à craquer, l'atmosphère était plutôt calme. Rien de la tension de l'avant-veille, tant la déception de la défaite de Murray (disséquée ad absurdum par tous les commentateurs télé, radio et journaux depuis deux jours) demeurait présente aux esprits.
Le début de match a d'ailleurs été un peu trompeur, Federer semblant dominer la situation sans toutefois prendre les devants dans le score, comme il l'avait fait deux jours plus tôt contre Haas. On pouvait croire qu'il allait l'emporter non pas facilement, mais lentement et sûrement. Or un bref passage à vide de sa part en fin de premier set a permis à Roddick d'emballer la manche contre toute attente, faisant entrevoir l'émergence d'un véritable duel.
En deuxième, puis en troisième manche, le Suisse n'a jamais pu mettre en péril le service de l'Américain; mais il remportait le sien en retour, avec une régularité d'horloge, puis s'imposait au jeu décisif. Cependant la question commençait à se poser: pourrait-il gagner la finale sans jamais prendre le service de Roddick?
Question encore plus cruciale après que ce dernier a réussi à le surprendre par un second bris à la fin du quatrième, pour imposer la tenue d'un cinquième set qui, cette fois, ne pouvait se décider par un "tie break".
À 4-4 dans la manche finale, tout le monde attendait maintenant une défaillance de Federer qui aurait donné la victoire à son rival et l'aurait empêché de reconquérir le premier rang mondial. Roddick gagnait la plupart de ses services à zéro, Federer peinait pour conserver les siens.
À 8-8, les deux joueurs refusant obstinément de céder le moindre centimètre de terrain, il est devenu évident que nous nous trouvions soudain face à une "grande finale", digne de s'inscrire dans les annales.
À 10-10, j'ai soufflé à Azur (et au couple de voisins philippins à nos côtés): "Federer va finir par l'avoir." Il me paraissait en effet de plus en plus clair que le Suisse, comme il l'avait fait maintes fois dans le passé, s'était solidement ancré sur ses positions et se sentait de plus en plus à son aise dans une situation de tension extrême qui aurait fait basculer n'importe qui d'autre. Roddick paraissait usé jusqu'à la corde, ses yeux s'enfonçaient dans leurs orbites.
Mais il a fallu attendre 16-14 (un record) pour que l'Américain cède finalement à cette pression incroyable, perdant la main pour la première fois en 39 jeux de service. Chose remarquable, avant de célébrer comme l'aurait fait n'importe qui, Federer est allé trouver son rival malheureux, lui passant le bras autour des épaules pour le consoler tandis que le public, debout, les acclamait tous deux. La grande classe et une digne fin à un magnifique turnoi... malgré l'absence du No 1 et vainqueur de l'an dernier, Rafael Nadal, qui devait sans doute regarder ça chez lui à Majorque avec un peu d'amertume.