11 septembre 2013

Grève du cassoulet

C'est une lubie qui nous a pris brusquement lundi, à l'issue d'une chaude discussion... et juste au mauvais moment. "Puisque tu ne veux pas bouger de la maison, ai-je dit, moi j'ai faim, je m'en vais à Toulouse m'offrir un vrai bon cassoulet."
Le temps de rafler en passant ma brosse à dents, un dentifrice, un déodorisant et l'iPad, je me retrouve devant l'ascenseur. La porte n'est pas encore ouverte qu'Azur me rejoint: "Je viens avec toi!" – "Non!" – "Oui!" – "Non." – "Oui.", etc. Vingt minutes plus tard, nous voilà à la Gare Saint-Roch, où l'on annonce un TER (express régional) pour Toulouse dans un quart d'heure, plus un "AVIS À TOUS LES VOYAGEURS..." que nous ignorons superbement — et bien à tort!
Peu avant 16h30, nous sommes en route, assis dans un compartiment à quatre avec une dame verbeuse de Sète et un jeune sportif souriant mais taciturne qui va descendre à Béziers. Le train est bondé et bruyant, mais file à bonne allure.
Comme je contemple sur l'affichage électronique la liste des arrêts, il me vient une autre idée. Et si au lieu de Toulouse, nous nous arrêtions à Castelnaudary, trois-quarts d'heure plus tôt, qui est quand même la capitale reconnue et le lieu de naissance du cassoulet? C'est plus petit, on ne connaît pas, et ça fera moins loin pour rentrer à Montpellier demain. Entendu. Le nouvel occupant du siège d'en face lève le nez des mots croisés dans lesquels il s'absorbe depuis une bonne heure et me fait une grimace cryptique. Je comprendrai bientôt pourquoi.
Il est un peu plus de six heures du soir quand nous descendons du TER à la minuscule gare de Castelnaudary, piquée juste au pourtour de la petite ville. Avant d'appeler un taxi pour l'hôtel et restaurant le plus agréable (sinon le plus proche), je vais voir le guichetier: "À quelle heure les trains pour Montpellier demain?" – "Y'en a pas." – "Pardon?" – "Demain, y'a grève, vous n'avez pas entendu les avis en montant à bord?" Non, mais ça me revient tout à coup des informations parcourues plus tôt sur Internet: demain mardi et jusqu'à mercredi midi, arrêt de travail des services publics dans toute la France pour protester contre le nouveau régime des pensions... Oh merde!
Tant pis, une fois rendus aussi bien en profiter le mieux possible. Nous débarquons donc à l'Hôtel-Restaurant du Centre et Lauraguais, à vingt pas du Canal du Midi, suivant les conseils souvent avisés du "Petit Fûté". Une dame dont la corpulence pourrait servir de réclame pour son produit-vedette nous accueille: "Une table pour le dîner et une chambre? Certainement... mais vous nous laissez finir de manger d'abord, hein?" Une réception un peu brusque mais aussi prometteuse; voilà quelqu'un qui a ses priorités bien en place!
Après un premier apéro au Grand Caffé (sic) en face, nous revenons nous attabler devant des "blacassis" (kir royal à la blanquette de limoux) et de délicieuses bouchées aux rillettes. Jolie table nappée et serviettée de blanc, vaisselle et verrerie à l'avenant, menu appétissant. Sachant que le plat de résistance sera copieux, nous débuterons modestement par un tartare d'avocat aux crevettes, suivi dans mon cas par le cassoulet aux deux confits (quoi d'autre?) et pour Azur (par esprit de contradiction, forcément) par des rognons à la moutarde. Avec un corbières rouge La Voulte-Casparets d'excellente tenue. Et pour finir un beau roquefort assez crémeux et une tarte rhubarbe et framboise. Au moins, nous ne sommes pas venus pour rien.
Le cassoulet est des plus traditionnels, servi gratiné dans une cassole bien chaude; les haricots sont fondants mais fermes sous la dent, le jus liquide aux arômes de thym, les viandes ont contribué leur goût à la saveur de l'ensemble tout en conservant chacune sa personnalité: confit d'oie, canard, saucisse de Toulouse, échine, lard. Un délice dès la première bouchée... j'allais dire jusqu'à la dernière sauf que c'est le type même du plat dont le meilleur appétit ne vient jamais à bout! Disons que j'en ai laissé à peine un tiers, tandis qu'Azur nettoyait le fond de son assiette de rognons de veau tendres et parfumés, servis sur un beau risotto aux herbes.
La chambre est ce qu'on peut attendre d'un hôtel campagnard de bonne tenue. Pas très grande, mais confortable sans le luxe des maisons plus étoilées dont nous avons pris l'habitude en vieillissant. Toilettes et douches refaites à neuf, des rideaux qui masquent mal la lumière crue des réverbères de la rue toute proche. Si notre nuit n'est pas de tout repos, ce n'est pas vraiment la faute des lieux, mais celle de notre gourmandise...
Au matin, qui se découvre frais, gris et pluvieux, se pose le problème du retour. Vaine visite à la gare pour confirmer l'absence totale de trains. Il faudrait prendre une navette jusqu'à Carcassonne, puis un car vers Narbonne, et là, Inch Allah pour espérer une arrivée chez nous en milieu de soirée. C'est donc un sympathique chauffeur de taxi (avec lequel nous avons bien négocié le coup) qui nous a ramenés à Montpellier en deux heures tout juste, le temps d'attraper un repas — bien plus modeste — au resto du coin.