31 janvier 2016

En attendant Lima

Après un jour et deux nuits à longer sans l'aborder la Côte Pacifique de la Colombie, nous avons vécu mardi dernier en Équateur notre première «vraie» escale sud-américaine. Il y avait bien eu la mythique Carthagène, mais c'est en réalité une ville de la Caraïbe et de l'isthme d'Amérique centrale, bien plus que du continent.
Cela dit, l'équatoriale Manta a été une déception. Ce n'est qu'un immense port de pêche industrielle, de béton et d'acier sans âme, à l'interminable môle bordé de dizaines de gros chalutiers tous gris et bleus surmontés de nids-de-pie vertigineux et hérissés de treuils et de grues d'une laideur fonctionnelle.
Une courte balade dans la ville, affairée mais de peu d'intérêt historique ou architectural, n'a servi qu'à faire quelques emplettes dans une pharmacie à l'américaine bien achalandée, puis sur un marché central d'un pittoresque étudié pour capter l'oeil de touristes en croisière comme nous: c'est supposément le lieu de naissance et la capitale mondiale du mal-nommé «panama», ce chapeau de paille claire au bandeau noir caractéristique.
Un coup d'oeil rapide au décor peu avenant et au menu (en anglais uniquement, of course) du drôlement nommé «Café Louis XIV» nous a convaincus de rentrer manger à bord. Dans la navette du retour, un Écossais critique s'est exclamé: «De Manta, je puis dire que nous avons tout vu ce qu'il y avait à voir!» — «Et ça vous a pris combien de temps?» — «Un gros dix minutes.»
Guayaquil, la métropole chaotique du pays, est une autre histoire. Ses trois millions d'habitants, en grande partie métis d'espagnol et d'indien, semblent agités d'un mouvement perpétuel animé par un charivari de musiques fortement rythmées et striées de coups de klaxon rageurs jaillissant des éternels embouteillages.
Luis, quinquagénaire préposé à l'accueil touristique à bord du Mariner, nous avait branchés pour la visite sur Abdo dont le taxi éminemment inconfortable était bien compensé par une volubilité informée... et francophone! Au pas de charge et sans perdre une syllable, il nous a promenés pendant quelques heures à travers cohue et bouchons. Ici un quartier de barraques d'adobe peintes à la va-vite de couleurs psychédéliques et tenant debout par miracle, là un secteur industriel et commercial tout neuf et rutilant, ailleurs un centre historique d'un style colonial orné mais sans excès.
Les trois sommets de la visite: d'abord une balade à pied dans le joli parc municipal. Il a la particularité d'être habité par des perchées de flamboyants perroquets sans doute décorés par les mêmes ouvriers qui ont peint les maisons voisines, mais surtout par un prélassement incongru d'énormes iguanes qui se font chauffer au soleil au beau milieu des allées de sable ou sur les troncs des arbres au-dessus, ignorant dédaigneusement aussi bien les volées de pigeons omniprésents que les milliers de guayaquilenos qui viennent là se délasser... avec la même frénésie qu'ils font tout le reste! «Ce sont les seuls iguanes citadins de la planète», souligne avec fierté notre Abdo.
Ensuite le parcours du Malecon, promenade variée semée de monuments, d'oeuvres d'art contemporain et de zones d'activités diverses pour enfants, sportifs et retraités qui se prolonge sur plus de deux kilomètres sur les rives du fleuve Guayas. C'est, en mieux, ce que Montréal a tenté de faire avec son Vieux-Port.
Entre les deux, un succulent repas au Caracol Azul (l'Escargot bleu), élégant et sobre restaurant moderne reproduisant le décor des résidences coloniales d'antan. Au menu, de pourtant goûteux plats principaux sont écrasés par nos entrées, deux délicieuses variations sur la pieuvre: soit en ceviche, marinée dans le citron vert et le piment et reposant sur un nid d'avocats et poivrons, soit parfaitement grillée en salade d'oignon cru et feuilles de chêne. Le tout précédé par des «pisco sours » qui, s'il n'en tient qu'à moi, auront été les premiers d'une longue série.
Cet intermède gastronomique se renouvelle le lendemain à bord, quand nous faisons l'essai du chic Signatures, le restaurant français exclusif du Mariner. Chouchoutés dans un décor de palace parisien par le maître d'hôtel luxembourgeois Stéphane et par un discret serveur philippin, nous dégustons de décadents médaillons de homard en sauce cardinal et un impeccable velouté de moules au safran (avec un joli pouilly-lugné), suivis d'un sorbet à la piña colada puis d'un carré d'agneau juteux à souhait et surtout d'originaux et succulents tournedos de veau en croûte de roquefort accompagnés par un solide hermitage. Cette débauche de haute cuisine valait amplement d'endurer la nuit difficile  que notre digestion vieillissante nous a ensuite fait vivre.
Salaverry, notre point d'entrée au Pérou, nous plonge dans un autre univers. C'est un village de pêche devenu depuis les années 1960 le port d'entrée de l'importante ville de Trujillo, située à une quinzaine de kilomètres vers l'intérieur.
Ses maisons ternes et ses entrepots sombres sont engoncés inconfortablement dans un creux d'une infinie ligne droite de dunes de sable jaune sale, coincées entre du côté mer de vastes battures de boue noire où serpentent des estuaires compliqués de ruisseaux tombés des Andes invisibles et du côté terre de hautes collines presque parfaitement coniques dont le même sable ocre-gris est tacheté de minces végétations olive sombre.
Ajoutez à cela un ciel bas et perpétuellement grisâtre, traversé par une vaste population en éternelle giration d'oiseaux de mer dominés  par les silhouettes brunes de préhistoriques pélicans chauves, et vous aurez l'image d'un cercle inédit de l'Enfer de Dante. Déprimant au premier abord, ce qui est le décor typique de toute la côte nord péruvienne devient à la longue prenant et même envoûtant.
Faute d'avoir réservé assez tôt notre place, nous sommes privés de l'intéressante excursion du jour vers Chan Chan, site pré-inca d'une très grande ville (entre 60 et 100 000 habitants vers le 7e siècle de notre ère) entièrement construite de terre séchée et remarquablement organisée et décorée. Tant pis.
En soirée, pour la veille de l'arrivée tant attendue à Lima, nous avons droit à un authentique concert... ce qui n'est pas si fréquent qu'on le croirait à bord d'une croisière de luxe pourtant truffée de spectacles et d'«entertainments» de tous genres.
Cette fois, le pianiste Panos Karan a eu le culot de programmer un récital tout Chopin dont l'essentiel consiste en l'intégrale des douze pièces du premier livre des Études, magnifiques mais difficiles à jouer et pas toutes faciles d'écoute (sauf l'archi-célèbre troisième et la spectaculaire neuvième). La salle, à demi-remplie au départ, s'est un peu vidée en  cours de route, mais ce qu'il en restait à la fin a offert à l'interprète une ovation debout amplement méritée.

26 janvier 2016

Changement d'océan

Il y a eu bon nombre de rêves inassouvis que j'entretenais depuis mon enfance «amoureuse de cartes et d'estampes». Plusieurs ont fini par se réaliser: Notre-Dame de Paris et le Pont-Neuf, la Tour de Pise et celle de Londres, la Place Saint-Marc et le Ponte Vecchio, le rocher du Parthénon et les lauriers d'Olympie, les Hiéronimos de Lisbonne, la mosquée-cathédrale de Cordoue, le Sahara et son Atlas, Cuzco et Macchu Picchu, Singapour, Gorée, le canal de Suez, les Pyramides de Gizeh, Tahiti et Bora Bora, le Fuji Yama...
D'autres s'estompent dans l'improbabilité de l'âge et des instabilités politiques: les temples de Louxor et ceux d'Angkor Wat, le Kilimanjaro, les chutes du Zambèze, Tombouctou, l'Himalaya et le Potala, Taj Mahal... Il reste la liste des possibles sinon probables, dont deux viennent miraculeusement de tomber dans mon escarcelle: Cartagena de las Indias et le Canal de Panama!
Nous avons levé l'ancre de Fort-de-France dimanche il y a huit jours pour une étape sans histoire jusqu'à St. George's, Grenada, capitale de l'«île aux épices» que nous connaissions bien de deux ou trois précédentes excursions dans les Grenadines. Petit détour jusqu'au marché pour me faire avoir par une trop souriante vendeuse de calebasses à touristes, dont les minces sachets de poudre de cannelle, muscade, gingembre, cari et autres flottaient sur un trompeur coussin de feuilles de bananes adroitement repliées comme des ressorts de vieille Ford.
Deux jours plus tard, Kralendijck, microsopique capitale de la crêpe coralienne et néerlandaise de Bonaire, nous offrait en compensation un savoureux dîner de barracuda sur le grill associé à une géométique et aromatique pyramide de riz brun caramélisé. Le tout servi au coude-à-coude dans un sympathique boui-boui aux couleurs vives, en face duquel une galériste rotterdamoise sexagénaire m'a équipé de tout l'attirail d'acrylique et d'aquarelle dont j'aurai besoin pour illustrer le reste de notre voyage.
Nous avons fait l'impasse jeudi sur la quasi-jumelle hollandaise Aruba, visiblement plus dynamique mais ceinturée au large de plates-formes pétrolières et au plus près d'un port crénelé d'un rempart de conteneurs criards, parfois écornés de rouille, à l'effet plutôt rébarbatif.
J'ai vainement tenté de nous organiser pour le lendemain une visite sur mesures (et en français!) de la mythique Carthagène colombienne, dont je rêvais depuis ma lecture enfantine des épopées andines de Gustave Aymard et des exploits pirates de Francis Drake. Les services d'excursion de Regent n'avaient clairement pas les ressources requises, et la seule agence de voyages locale offrant des services francophones n'avait rien de disponible à si court terme. Ce qui n'a pas empêché son responsable (fils d'une Guadeloupéenne) de se montrer très serviable, nous fournissant une foule de renseignements précieux et nous pointant vers le plus typique et le plus généreux des restos de cuisine locale.
La Mulata, étirée sur une demi-douzaine de petits salons flanquant une longue ruelle couverte aux murs blanchis à la chaux, proposait non seulement un plantureux menu de crevettes à l'ail, poissons divers et viandes mijotées en ragoûts pimentés (pour un prix tout-compris n'atteignant même pas le niveau d'une entrée chiche dans un bistrot parisien), mais encore une tranche de vie locale inénarrable.
D'un côté de l'allée s'exclamait un bruyant party de bureau bien arrosé, dont il était clair que les commis, secrétaires et autres acolytes ne risquaient pas de rentrer au travail avant la fermeture du vendredi soir; de l'autre côté, le long du mur de notre salle, une fête de famille ponctuée de pauses-photo groupait au moins quatre générations, depuis les deux mémés encore vigoureuses jusqu'à un rondelet nouveau-né, entre lesquels s'intercalaient notamment un motard sulfureux et une brune aux courbes dignes de figurer dans les pages centrales de Playboy!
Ressortant dans la petite rue tortueuse, toute de pavés inégaux bordés de murs ocre, turquoise, roses et blancs, nous hélons le premier taxi jaune moutarde qui passe. Sans regarder sa trogne, je lui propose dans mon castillan approximatif un forfait généreuxpour nous balader un bon moment à travers la vieille ville (patrimoine de l'Humanité selon l'UNESCO) puis nous ramener au port des croisières, assez éloigné.
Il hoche la tête sans rien dire et embraye. J'aurais dû me méfier. Non  seulement il ne connaît pas un mot de français ni d'anglais, mais son espagnol est pimenté d'un accent local presque incompréhensible et il est vite évident que sa connaissance de la ville est incertaine et qu'il n'a aucune idée de la direction à prendre pour nous ramener à bord!
Le reste de l'expédition est à pleurer... ou à mourir de rire, selon le point de vue. Je dois sortir mon iPad et lui pointer sur la carte de la version e-book du Petit Fûté, heureusement précise et interactive, les quelques lieux que nous tenons à voir: cathédrale, places, forteresse, palais coloniaux et sections remarquables des remparts.
Puis, presque intersection par intersection, c'est moi qui dois le guider pour sortir de la (fabuleuse) ville fortifiée vers la banlieue de Manga, tout au bout de laquelle se trouve le terminal de croisière  — auquel bien sûr il n'a pas accès, n'étant pas accrédité comme taxi touristique! Rouge de honte ou de colère, va savoir, il accepte un rabais sur le forfait promis et nous plante là avec un bon kilomètre à marcher dans une chaleur intense à travers ce qui aurait été, dans un autre contexte, un fascinant aviaire tropical. Malgré sa bêtise et une frustration assez légitime, je n'ai pas tout raté. Ma prochaine rencontre avec les rufians de Drake sera mieux illustrée. Re-bienvenue à bord!
Consolation certaine, la dernière image que nous offre Carthagène à la nuit tombée est d'une beauté imprévue. Traversant la baie qui abrite le port, notre paquebot laisse dans son sillage les hautes tours blanches asymétriques qui à l'arrivée encadraient de façon peu appétissante le quartier historique; les voici transformées par un tour de passe-passe du crépuscule en un rideau ondoyant, piqué de minuscules points de lumière, déployé sur le fond sombre du ciel au-dessus du parfait miroir d'une Mer caraïbe absolument étale où se reflète  une pleine lune qu'on dirait découpée à l'emporte-pièce dans un drap d'ancien or aztèque. Magique.
L'escale du lendemain à Colon, notre dernière du côté Atlantique, est sans intérêt autre qu'anecdotique. La ville, créée par les Américains au milieu du 19e siècle en prévision de la construction du canal et pour marquer leur hégémonie sur le pays, est clairement en voie de décrépitude. Le toit même de la gare maritime est déplumé de la plupart de ses tuiles, et le seul  quartier qui montre un signe de vie est la Zone franche, dont l'activité économique se déroule  strictement derrière ses portails clos, sans profiter en rien aux habitants des alentours.
Nous levons l'encre vers minuit pour entrer dans le Canal proprement dit et nous présenter à l'aube aux écluses «montantes» de Gatun, qui en trois paliers élèveront les près de 50 000 tonnes du Mariner à 26 mètres au-dessus du niveau de l'océan, où nous traverserons un superbe lac d'eau douce bordé d'une végétation luxuriante et parsemé de petites îles d'un vert vif entourées de l'étrange teinte vieil or du flot limoneux et opaque.
Partout autour de nous circulent lentement des ferries et des cargos, de moyens à gigantesques, dans une atmosphère de science-fiction. À la sortie du lac et du labyrinthe des îles, le canal de la Couleuvre, taillé dans un sol rocheux orange et saumon coupé de coulées d'un mauve presque blanc, ajoute encore au surréalisme des couleurs du paysage, aussi ponctué des taches vives de longs trains de conteneurs qui le longent pratiquement sans interruption.
Nous passons presque toute la journée sur notre balcon, ravis, à contempler cet étonnant ballet, saluant de la main les équipages des vaisseaux qui nous croisent et les grappes de badauds qui nous contemplent des bords de route et des quais des petits villages semés çà et là. Peu avant le coucher de soleil, des locomotives trappues de taule argentée s'attellent aux flancs de notre navire pour le tirer doucement d'un tronçon à l'autre des écluses «descendantes» de Miraflores, à la sortie desquelles une courte embouchure nous amène aux eaux quelque peu houleuses du Pacifique.
Comme la nuit tombe, nous traversons la foule stationnaire des cargos qui attendent leur tour pour parcourir le canal en sens inverse, tandis qu'en fond de scène s'allument peu à peu les milliers de lumière de la capitale, Panama City.

24 janvier 2016

D'un bateau à l'autre

Petit regard en arrière, avant d'aborder la grande croisière... 
Le retour en Martinique s'est fait d'une seule traite, donc en partie de nuit. Ayant démarré de Bas-du-Fort samedi le 9 en milieu d'avant-midi, nous avons longé la côte est de Basse-Terre puis le beau petit archipel des Saintes. Nous pensions y faire un rapide arrêt-baignade, mais des averses vives et répétées nous en ont dissuadés. 
Nous avons alors filé franc sud sous un vent moyen assez peu favorable pour atteindre Portsmouth, au nord de la Dominique, en milieu d'après-midi. Lunch tardif de côtelettes d'agneau sur barbecue, en profitant de l'accalmie habituelle fournie par les montagnes de l'île. La nuit était bien tombée lorsque nous avons affronté la houle hachée et la forte brise de travers du Canal de la Dominique avant de retrouver le calme plat et le ronronnement des moteurs sous le vent de la pointe nord de la Martinique vers minuit. 
Il était trop tard pour qu'un mouillage au large de Saint-Pierre soit de quelque utilité; aussi bien descendre directement pour doubler à l'aube le Morne Larcher, contourner le Rocher du Diamant et rentrer au bercail du Marin peu avant dix heures dimanche. 
Il nous restait tout juste une semaine avant de nous embarquer pour la longue croisière autour de l'Amérique du Sud. Avec pas mal de préparatifs, notamment pour moi des examens médicaux réclamés par mes médecins montréalais, pour nous deux des vaccins imposés par la compagnie de croisière, plus quelques achats et quelques formalités reliées au Bum chromé. 
Nous nous en sommes consolés dimanche dernier à midi par un fabuleux banquet d'adieu avec trois couples de copains chez l'ami et superbe chef Jean-Charles Brédas, dont le restaurant, drapé de lin écru et largement ouvert sur un jardin tropical au-dessus d'une ravine sauvage de Saint-Joseph, est déjà un enchantement, sans même parler de la cuisine. 
Le premier bruyant et coloré «vidé» du Carnaval 2016 coupait en deux la ville de Fort-de-France en milieu d'après-midi. Cela a obligé le cousin Daniel qui nous conduisait au quai d'embarquement à de jolies acrobaties, empruntant notamment (sur le conseil illégal d'un policier secourable!) deux voies à l'envers du sens unique. 
Il était 17 heures passées quand nous avons finalement atteint notre cabine à bord du Regent 7-Seas Mariner, un mini-paquebot de luxe un peu plus grand (700 passagers) que les Seabourn auxquels nous étions habitués. Grand confort dans une «junior suite» avec lit king-size, salle de bain complète et balcon suspendu huit étages au-dessus de l'océan. Tout un changement de nos quartiers, pourtant assez spacieux pour un voilier, du Bum chromé.
La suite une fois bien en mer...

10 janvier 2016

La Face cachée de... la Dominique

Après cinq jours à renouer paresseusement connaissance avec la Martinique et le rythme tout différent de la vie dans la Marina et sur le Bum chromé, il a fallu lundi nous retrousser les manches et préparer notre départ en mer. En premier lieu, on nous a changés de quai (maintenant Ponton H, 4e amarrage à droite). Et comme d'habitude une foule de détails qui retroussent et de petits défauts.
Enfin, comme j'écris ceci (jeudi), nous sommes en mer depuis trois jours. Première escale Saint-Pierre au nord de l'île, pas beaucoup de vent, mer assez calme, un peu de pluie. Mercredi, très longue journée mouvementée par la côte «au vent» de la Dominique, la face cachée puisque les voiliers ne l'empruntent jamais ou presque. Paysage sauvage, de falaises rouges et ocre abruptes surmontées de montagnes d'émeraude aux sommets coupés de nuages blancs comme des boas de plumes d'aigrettes. Quatre ou cinq petits ports de pêche aux allures primitives, nichés dans les rares échancrures où dévalent des torrents scintillants. Et pour finir, une sacrée douche sur le skybridge juste avant l'arrivée à Marie-Galante par bon vent à la tombée de la nuit.
Hier matin, on voulait faire découvrir à notre équipage cette île au charme ancien hors du commun, mais le moteur de l'annexe a fait défaut et celui de tribord refusait de démarrer. Donc on s'est traînés sur une seule patte et des voiles mollassonnes jusqu'à la marina de Bas-du-Fort, Guadeloupe; toute une opération pour amener notre oiseau infirme à quai, avec l'aide d'un type sympa de la capitainerie.
Ici pour deux jours, le temps de trouver et d'installer les pièces de rechange chez Volvo et Yamaha — diesel et hors-bord! On va en profiter pour des retrouvailles avec la famille d'Azur et celle du vieux copain décédé Robert Belaye, indépendantiste acharné et superbe radiojournaliste, jadis de Radio-Canada Int'l à Montréal puis fondateur ici de Radio-Caraïbes. Il y a aussi Yves Gélinas, le fils marin vagabond de Gratien qui, d'après la copine sherbrookoise devenue antillaise Jacinthe, doit être en Guadeloupe sur son Jean-du-Sud, mais je n'arrive pas à le localiser. Peut-être en Martinique (sa prochaine escale prévue) la semaine prochaine?
(samedi) OK, tout est réparé... et ça n'a pas coûté beaucoup plus cher que la rançon de François 1er après Pavie! Les techniciens ont fricoté dans les entrailles du Bum et remplacé quelques ferrailles hier matin, après quoi nous sommes partis en voiture
avec Marco et Twiggy pour une belle balade jusqu'à la toujours spectaculaire Pointe des Châteaux, ponctuée par un excellent lunch — fruits de mer et christophines avec un original beaujolais rosé — à l'Assiette gourmande, à Saint-François. En soirée, Shirley Belaye et son fils Anthony sont venus passer un beau moment à bord, chargé de souvenirs de l'ami-mari-père Robert, disparu en 2009.
Ce matin, on remet les voiles (et les moteurs) pour rentrer d'une longue traite à la Martinique en passant par les Saintes et le flanc «sous le vent», le plus calme, de la Dominique. Arrivée prévue au Marin vers midi dimanche... et début des préparatifs pour la prochaine croisière sud-américaine. Y'a pas de répit pour les impies — et les retraités.