14 novembre 2015

Au lendemain du Bataclan

Il y a bien assez d'«experts» pour disséquer les causes à court terme et les remèdes immédiats aux attentats terroristes, assez de bonnes âmes pour compatir avec les victimes et leurs proches, assez d'amis de la France pour proclamer leur solidarité, que je me permets de faire l'impasse sur ces formes d'intervention tout à fait honorables. Mon tempérament libre penseur et iconoclaste me pousse plutôt vers des thèmes de réflexion encore un peu confus mais à plus longue portée — et sans doute plus dérangeants. Je m'en excuse d'avance auprès de ceux dont je heurterai ici la sensibilité.

Toutes les croyances sont égales, y compris l'incroyance

Aucune religion qui persiste à faire une distinction qualitative entre «croyants» et «incroyants» ne devrait être tolérée, encore moins encouragée par les États: la proclamation solennelle par un clergé que toute foi — y compris le rejet de la foi — sera inconditionnellement respectée par ses membres doit être un préalable au droit d'exercer dans un pays. Non seulement la critique des croyances quelles qu'elles soient doit être admise par tous, elle doit être activement soutenue par les autorités. J'ajouterai que sans le mythe de la vie après la mort et du Paradis pour les croyants que véhiculent toutes les grandes religions, le recrutement des terroristes-kamikazes serait impossible. Les Identités meurtrières d'Amin Maalouf ne vont pas assez loin, mais la dénonciation qui s'y trouve du danger inhérent aux religions monothéistes est un point de départ incontournable en ce sens.

Dénoncer les terroristes ne suffit pas

Ce ne sont pas les seuls terroristes que les évêques, rabbins, imams et autres lamas doivent dénoncer, c'est la mouvance entière des intolérances religieuses, même pacifiques en apparence. C'est elle qui constitue le terreau qui donne naissance aux activistes de la mort, qui les nourrit et les protège. Si on ne s'attaque pas de l'intérieur à ce qui est la racine profonde du mal, la «guerre au terrorisme» se poursuivra sans fin, car la cohorte des «guerriers de Dieu» ne cessera d'être renforcée par de nouveaux-venus  radicalisés par les circonstances ou par des prosélytes dissimulés dans la masse des naïfs innocents.

Croire en Dieu ou croire en l'homme?

Je pense que nous arrivons à un carrefour majeur dans l'histoire humaine, où il va falloir choisir entre croire en Dieu et croire en l'Homme. L'évolution du dernier tiers de siècle indique fortement qu'il y a incompatibilité entre les deux. En particulier depuis la montée des Taliban et d'Al Qaida en Orient, le lent génocide des Palestiniens par les Juifs d'Israël, le démembrement «confessionnel» de l'ex-Yougoslavie. Une laïcité passive et superficielle des États n'est plus un rempart suffisant contre l'intransigeance religieuse et l'obscurantisme. La Peste de Camus est à relire d'urgence.

Une absence d'idéaux

Assis complaisamment sur des principes qu'il ne respecte même pas dans la pratique (liberté de l'individu, égalité des sexes, démocratie politique...), l'Occident est tombé dans le piège d'un capitalisme totalitaire dont le seul moteur efficace est la rapacité et l'enrichissement personnel à tout prix. En diabolisant les diverses variantes du progressisme social et économique, il a concédé aux superstitions religieuses le monopole crucial des idéaux inspirants. Or c'est là un élément clé dans la nécessaire formation d'une élite des jeunes curieux et altruistes, dévoués au bien commun et à l'amélioration du sort des peuples. Le peu d'impact concret des vagues récentes de contestation (Printemps arabe, Indignados, Occupy Wall Street) a démontré qu'il n'y a plus pour les jeunesses du monde de cadre intellectuel positif et donc d'exutoire pratique à leur soif de «refaire le monde», un monde qui en a pourtant bien besoin. Au lieu d'être motivées par la joie de s'atteler à cette tâche, elles se trouvent face au choix absurde de s'inscrire au MBA ou de se ceinturer de dynamite. Ce constat, que j'avais déjà fait au lendemain de l'écroulement du Wall Street Center, conserve toute sa désolante pertinence.

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