01 octobre 2016

Retour des Croisades

Je relis, un peu au hasard, des pages de l'excellent «Les Croisades vues par les Arabes», d'Amin Maalouf... et je suis saisi d'une curieuse impression. 
Toutes proportions gardées, les Croisades des années 1000 à 1200, c'est en quelque sorte l'Islamisme radical d'aujourd'hui, retourné à l'envers. Une bande de sectaires plus ou moins incultes à l'esprit étroit qui se lancent à l'assaut d'une civilisation plus ouverte et plus raffinée, mais minée par la décadence et les dissensions internes. Godefroy de Bouillon et cie, c'est Ben Laden et Daech... et Saladin, c'est Barack Obama (en plus efficace). L'Égypte et l'empire ottoman alliés boiteux, c'est l'UE et les USA. Poutine, c'est les émirs retors qui pactisent en cachette avec les croisés. Etc.
Rien n'y manque, ni la volonté d'annihiler l'adversaire, ni l'ignorance historique, ni la destruction de monuments irremplaçables, ni même le terrorisme (bombarder une population avec les têtes coupées de ses concitoyens tués, vous appelleriez ça comment, vous?).
Notre passé lointain revient nous hanter de bien étrange façon...
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Quelques précisions supplémentaires en réponse aux objections de mon ami Jean-Guy Rens. En premier lieu, Maalouf ne prétend pas écrire une histoire objective, mais «vue par les Arabes», donc partiale et à tendance apologétique, mais l'exercice est aussi valable et instructif que les travaux des historiens occidentaux (soi-disant scientifiques) essentiellement fondés sur les affirmations des mémorialistes chrétiens. 
Deuxièmement, il suffit de comparer les arts, les architectures et les textes savants de l'époque pour détecter laquelle des deux civilisations était alors la plus avancée et la moins sectaire; Maalouf précise d'ailleurs que la culture arabe était alors sur le déclin — comme je crois hélas qu'est la nôtre aujourd'hui.
Même à son apogée, l'art roman du 11e siècle ne se mesure pas à l'art iranien, syrien ou andalou de la même période, ni par la sophistication technique ni par la taille des monuments ou le raffinement des finitions; les écrits non plus (logique, maths, chimie, physique, astronomie, médecine, géographie... je mets de côté les théologies, aussi tordues d'un côté que de l'autre). Près de la moitié des habitants des métropoles arabes savaient lire et écrire au 12e siècle, contre moins de 10% de ceux des villes chrétiennes (voir Wikipedia), les lettrés européens se devaient de savoir lire l'arabe littéraire et parfois le farsi, ceux du monde musulman connaissaient de l'Occident le grec et le latin classiques, mais estimaient n'avoir aucun besoin  du français, de l'italien ou de l'allemand courants.
C'est à l'approche de la Renaissance — en partie grâce à l'obscurantisme des Ottomans d'une part, au souffle libérateur du protestantisme de l'autre, que la situation s'est vraiment inversée... bien après la fin des Croisades. Et Il faut ajouter que les croisés étaient principalement des paysans et des soldats incultes, pas des intellectuels (à l'exception d'une minorité de moines-chevaliers plutôt intolérants). 
Je maintiens ma métaphore, même si elle n'est pas parfaite.

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