En regardant les commentateurs du monde entier se fixer ces jours-ci sur «le tort que Donald Trump fait à l’Amérique», je me suis brusquement rendu compte d’un constat que j’avais fait instinctivement, mais jamais formulé explicitement: Trump, en particulier le Trump du second mandat, n’est coupable de rien.
Quoi? Trois facteurs pourtant d’une évidence criante militent en ce sens:
1. Il existe un consensus de plus en plus unanime chez les spécialistes que le Président américain manifeste tous les symptômes de la sénilité, au moins autant sinon plus que ne le faisait Joe Biden dans la seconde partie de son mandat. Et cela renforce encore la révélation faite pendant la première Présidence trumpienne que «le Président adopte presque systématiquement l’avis de la dernière personne qui lui a parlé». Donc, si Trump, comme je l’ai écrit un peu légèrement, manifeste une mentalité fasciste, ce n’est pas qu’il est fasciste, mais que son cerveau en débandade a écouté le dernier conseiller influent qui prônait les aspects de cette idéologie qui étaient attrayants à son ego démesuré.
2. Pendant toute sa carrière autant privée que publique, Trump n’a jamais défendu une ligne de pensée cohérente. Il adoptait simplement des idées plus ou moins à la mode, souvent contradictoires, qui lui étaient suggérées soit par ses intérêts propres, soit par sa soif maniaque de popularité et de visibilité publique.
3. Lorsque son (ex?) âme damnée Steve Bannon est allé, comme le révèle de façon convaincante Giuliano da Empoli dans «Les Ingénieurs du chaos», passer plusieurs mois en Italie étudier les méthodes de la clique Casaleggio pour amener au pouvoir le mouvement d’extrême-droite Cinque Stelle, il ne cherchait pas à faire de Donald Trump un Hitler ou même un Mussolini américain… mais un Beppe Grillo. Un bouffon, donc, comme l’a spectaculairement formulé la plus spectaculaire pancarte des manifs «No Kings» d’il y a huit jours: «Elect a clown - get a circus». Un clown, ou, si vous préférez, une marionnette dont on pouvait tirer les ficelles.
Or aucun être sensé n’a jamais accusé Polichinelle des bêtises qu’il commet sur le castelet; le responsable est sinon celui qui tire les ficelles, du moins celui qui a écrit le scénario. En conséquence, tous ceux qui se concentrent sur les décisions saugrenues, souvent absurdement provocantes, du Président se fourvoient dramatiquement. La vraie question qu’il faut se poser, ce n’est pas «comment peut-on s’opposer à Trump» (qui, selon ce qui précède, n’y est probablement pour presque rien) mais «qui est à l’origine de ces idées et de ces provocations… et comment on peut contrer ce ou ces individus infiniment plus dangereux?»
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Ce qui précède me ramène à mon lancinant cheval de bataille: ni les individus, ni même les partis politiques, ne sont responsables du chaos courant. Les coupables sont les élites gouvernantes dépassées et égocentriques de toutes obédiences, qui ont abdiqué leur responsabilité d’assurer le bien du peuple face aux puissances d’abord de la finance puis de la technologie; la faute en est donc au régime politique foncièrement oligarchique qui les maintient en place.
Et si on prétend que donner le pouvoir de décision politique au peuple est une grave erreur, c’est qu’on fait la gaffe macho de considérer celui-ci comme «la masse des citoyens». Or, dans tous les pays, il y a à peu près autant de citoyennes que de citoyens qui auraient alors le droit de décider, et dans bon nombre de pays, elles sont même les plus nombreuses.
Et je vous défie de prétendre que dans l’état actuel des choses, les femmes adultes du monde entier, et plus proprement celle des États-Unis, jugeraient prioritaire de construire une salle de bal à la Maison Blanche, de donner 20 milliards de dollars à l’Argentine et d’expédier un porte-avions militaire au Vénézuéla plutôt que de forcer Israël à laisser entrer l’aide humanitaire à Gaza, de fournir du chauffage, de l’électricité et de l’eau potable autant que des armes à la population l’Ukraine à la veille de l’hiver, et d’expédier une aide d’urgence à la Jamaïque et à Cuba menacées par un gigantesque ouragan.
Est-ce vraiment plus risqué pour l’humanité de leur permettre de faire ce genre de choix plutôt que de les laisser aux mains des Trump, Netanyahou, Poutine et leurs partisans (surtout masculins)?