16 juillet 2014

Un dernier bout de Languedoc

Mentalement, nous avons déjà un pied à Montréal, même s'il nous reste une douzaine de jours à faire en France.
Les trois dernières semaines ont été plutôt paresseuses, la température alternant entre une dure canicule (36 à l'ombre pendant quatre jours) et un frais automnal (à peine 20 degrés venteux le jour, 12-14 la nuit), ce qui a sapé nos énergies.
Donc bien des heures de «couch potato» devant la télé, partagées entre un fascinant tennis de Wimbledon, plein de surprises et de très bons matchs, et un Mundial de football brésilien dont la phase préliminaire aura finalement été bien plus passionnante que les éliminatoires et la finale!
S'y ajoute ces jours-ci un chaotique début de Tour de France à vélo avec des étapes féroces (Flandres, Vosges, Alsace) courues dans un temps de cochon qui a causé une kyrielle d'accidents et forcé l'abandon de plusieurs vedettes, dont les deux récents vainqueurs Froome et Contador! Mais ce qui nous retient devant l'écran, au fond, ce sont les merveilleux paysages des régions françaises qui défilent vues des airs au hasard de chaque étape...

J'en ai aussi profité pour me remettre au dessin et à la peinture. Cette fois, c'est l'aquarelle qui m'intéresse et après plusieurs exercices d'école sans intérêt, j'ai réussi ce souvenir de Venise sous la pluie qui rend assez bien l'atmosphère particulière du temps et du lieu...

Entre-temps, la météo à Montpellier s'est réalignée sur la saison, nous incitant à mettre plus souvent le nez dehors. Mardi dernier, cela a donné une belle virée dans l'arrière-pays à Aniane, où le vieux copain Jean-Pierre Dréan nous a fêtés au champagne, au rosé-pays et à une savoureuse cuisine maghrébine — fournie par une boulangère-traiteur voisine — sur la terrasse de son nouvel appartement qui jouit d'une vue splendide sur les garrigues environnantes.
Jean-Pierre se porte pas trop mal, mais il a vieilli et ne se déplace plus qu'avec grande difficulté. Heureusement, ses voisines Monique Coste et sa fille Marine l'ont adopté et le chouchoutent avec assiduité. Ça lui permet d'avoir toujours la même joviale faconde et un admirable plaisir de vivre... incluant quelques excès!
Vendredi soir, autre sortie impromptue, aux Estivales. C'est une foire vespérale que Montpellier tient toutes les fins de semaine d'été le long de l'Esplanade qui prolonge la Place de la Comédie. L'allée menant à l'Opéra-Corum est bordée de kiosques offrant de l'artisanat, des produits fermiers, des dégustations de boissons et de nourritures du pays.
On achète des coupons donnant droit à trois verres de blanc, rosé ou rouge de faugères, corbières ou autre pic-saint-loup pour cinq euros, on passe à un des nombreux comptoirs proposant des plats cuisinés, des quiches et tielles (tourtes à la pieuvre, délicieuses) ou des fruits de mer de l'étang de Thau (plateau garni de 12 belles huîtres, 10 grosses crevettes et 12 bulots pour 20 euros) qu'on va s'asseoir pour déguster devant un des trois orchestres jouant en plein air — avec plus de verve que d'harmonie! — de la salsa, de l'occitan ou du rock.
Autour de nous, des bandes de jeunes, des couples de retraités comme nous, des familles avec gamins courant partout et bébé dans une poussette s'attardent sur les parterres et les margelles des fontaines, jusqu'à bientôt minuit. Aucune difficulté à trouver des amateurs pour terminer le plateau de mollusques dont nous avons mangé à peine plus de la moitié!
La veille, j'avais lunché dans un sympathique bistrot-terrasse, La Suite, au milieu de l'enfilade de places simili-antiques du quartier Antigone. La sole meunière (à 9,50 € !) était si réussie que j'ai voulu en ramener une à Azur, restée à la maison. La patronne m'a gentiment prêté une assiette avec promesse de la rapporter dans les jours suivants.
C'est ce que nous avons fait hier midi, nous attablant par la même occasion à l'ombre de la marquise en bordure de la place pour déguster des muscats, suivis d'une planche de charcuteries, d'une assiette de la mer et d'une goûteuse salade de gésiers de canard avec un rosé du pic-saint-loup étonnamment profond.
Et comme nous n'avions pas envie de rentrer, nous avons hélé un taxi en maraude pour une balade improvisée à Villeneuve-les-Maguelone, dont nous n'avons pu apercevoir que de loin la fameuse cathédrale en ruines, puis dans le typique paysage languedocien qui longe d'un côté les étangs salés bordant la Méditerranée et de l'autre les premières vagues de roc gris et ocre touffé de vert sombre des garrigues, jusqu'au vieux bourg partiellement fortifié de Frontignan, une des capitales du muscat.
Nous en avons ramené (en doutiez-vous?) deux muscats doux, un blanc sec, un rosé pétillant et un marc de muscat. Autre dégustation en perspective.
D'ici une semaine, on doit venir installer l'astucieux siège élévateur de bain dont Azur rêvait depuis des mois. Sitôt cela fait, ce sera le TGV pour Paris et Roissy, avec (la santé le permettant) des arrêts à Nîmes pour embrasser les Savonet puis à Montélimar pour taquiner les Euvrard dans leur terrier ardéchois.

Pendant ce temps, en Martinique, le Bum chromé va prendre le large sans nous pour suivre les péripéties du Tour des yôles à la voile. Il va également repartir fin décembre pour une douzaine de jours en mer avec une famille de vacanciers. Espérons qu'il reviendra en bon état pour nous accueillir à notre tour quelque part en février.

22 juin 2014

Folie de jeunesse?

Hier soir, c'était la Fête de la Musique, diffusée directement par France 2 depuis une immense scène déployée au bout de la Place de la Comédie de Montpellier. De quoi nous inspirer un brin de folie... et nous faire oublier pour quelques heures que nous sommes vieux.
En conséquence, nous sommes partis comme des jeunes vers 19h par le tram bleu pour aller souper en ville. Négligeant la probabilité ou plutôt la certitude que la circulation tout autour de la place serait interrompue pour la soirée, y compris celle des tramways. Il a donc fallu rester à bord pour contourner le centre et descendre à l'autre bout, du côté des Beaux-Arts; de là, remonter à pied une interminable rue aux pavés inégaux à travers les vieux quartiers, bouillonnants de jeunes et d'orchestres en train de s'installer sur des dizaines de scènes extérieures, jusqu'à la petite Place Pétrarque. 
Là se trouve un de nos lieux de fête favoris, La Diligence, qui abrite sa gastronomie et sa remarquable collection de scotchs single-malt sous de fabuleuses voûtes gothiques de pierre dorée du 14e siècle et dans une cour intérieure ceinturée de trois résidences moyenâgeuses aux fenêtres géminées et aux arches drapées d'ombres mystérieuses. À mon avis le plus beau restaurant de Montpellier et un des plus beaux de France.
Installés sur des fauteuils de velours cramoisi autour d'une belle table ronde blanche et scintillante, ragaillardis par la présence de voisins italiens extravertis et gourmands, nous avons fait honneur d'abord à un muscat de st-jean de minervois et à un Balvenie single-barrel. Ont suivi une étonnante charlotte rouge et blanche au foie gras pressé et une tielle sétoise à la seiche, puis un filet de pagre poêlé au mélange de petits légumes et petits fruits et un carré d'agneau désossé enrobé d'anis, arrosés d'un pic-st-loup 2009 rouge, léger mais savoureux. Et pour compléter, un moëlleux au chocolat et un très bon plateau de roquefort-munster-brie.
Ce qui nous a mis en excellente forme pour redescendre la rue de la Loge à travers une foule festive jusqu'à une Comédie déja bondée de monde. Par chance, nous avons déniché deux «places assises» les pieds pendants le long d'un des quais de la station de tram hors service. Partout autour des familles entières, plusieurs avec des bébés dans les bras ou dans une poussette, et des bandes de copains et copines se déchaînant sur les rythmes tonitruants projetés par la scène à l'autre bout.
Disons que la musique n'était pas tout à fait dans nos goûts. La preuve, d'une dizaine de «vedettes nationales et internationales» présentées en fanfare par l'animateur Patrick Sébastien, pas un nom que nous connaissions sauf Yannick Noah, l'ancien tennisman devenu star du rock. Ça n'a pas empêché l'irrépressible Azur d'y aller de son numéro de danse tantôt avec un père de famille trentenaire rigolard, tantôt avec un jeune punk médusé...
Nous avons tout de même tenu le coup jusqu'à pas loin de minuit, avant de descendre le boul. Victor-Hugo vers la médiévale Tour de la Babote transformée en délirante disco. De là, un tram (version vieil or cette fois) nous a ramenés jusqu'au portillon de la résidence, serpentant à travers des quartiers en liesse dont les pavés résonnaient comme une seule gigantesque grosse caisse frappée par des centaines de maillets échevelés. Fête de la Musique ou fête tout court? Peu importe.
Le mois dernier s'est passé ultra paisiblement, sauf pour une sortie avec le voisin du dessous et des reprises de contact avec les copains français. Nous avons eu un gros moment d'inquiétude en constatant que le téléphone du vieil ami Dréan ne répondait plus — c'est rarement bon signe à nos âges, surtout que lui avait déjà été gravement malade deux fois depuis quelques années. Heureusement, son voisin chanteur de charme Roland Bertier nous a rassurés: Jean-Pierre a bien été de nouveau opéré, et il a dû déménager dans une résidence mieux adaptée à son état, mais il est toujours là. Nous irons le voir à Aniane avant de reprendre le chemin de Montréal d'ici quelques semaines.
Pour le reste, la bohème Marine des Savonet est rentrée en bon état de ses six mois de stage de peinture et dessin au nord du Vietnam (nous avons failli la rencontrer en mars lors de notre passage en croisière à la Baie d'Along); les Euvrard sont à Paris en attendant leur migration annuelle à la maison qu'ils partagent avec leur fils jazzman en Ardèche, Janine récupérant de son fascinant mais dur voyage en Palestine en avril.
Nous avons fait refaire le carrelage et le plafond de notre terrasse par un jovial et compétent artisan tunisien, qui nous a de plus fait cadeau d'un joli ensemble à salade berbère en forme de main de Fatma. Les tuiles plus claires donnent au balcon un véritable bain de jouvence. De quoi tenter même Azur d'aller s'y prélasser...
Enfin Raymond Marie, de Martinique, nous signale que le Bum chromé est en excellent état et sera loué par un client «corporate» pour la semaine du Tour des Yôles fin juillet. Sa femme Ginette — tout comme notre cousin Daniel — a attrappé la chikungunya, dont une épidémie douloureuse mais pas trop dangereuse (transportée par des moustiques vicieux) sévit aux Antilles... et vient de déborder vers la France.
On va essayer de filer d'ici avant de se faire piquer!

26 mai 2014

Un matin bleu Marine...

Je ne crois pas que la France vire vraiment à l'extrême-droite. Je crois qu'un nombre croissant de Français en ont assez que leurs élites politiques, droite, centre et gauche, ne tiennent aucun compte de leurs opinions et de leurs problèmes. Et en particulier que leur système social, favorable aux bas et moyens revenus, soit miné de l'extérieur par des décisions d'Eurocrates non élus, avec l'assentiment de leur gouvernement. À tort ou à raison, ils ont décidé qu'un vote pour un parti anti-européen et anti-Euro était la seule façon d'exprimer leur mécontentement, puisque tous les partis classiques sont d'accord avec l'orientation actuelle de l'Union européenne. Ils ne sont pas contre l'Europe en soi, mais contre l'Europe fonctionnarisée, ultra-libérale et maniaque de l'austérité qu'on les oblige à avaler. Hélas, il n'est pas du tout certain que les gouvernants, à Paris comme à Bruxelles, vont comprendre le message.
Pourquoi le désaveu en France est-il si tranchant? D'un côté, un Président et un gouvernement socialiste qui trahissent toutes leurs promesses de «réorienter» dans le bon sens une Europe qui, seule, a les muscles et les moyens de relancer l'économie au profit des peuples et non seulement des milieux d'affaires; leurs politiques locales étriquées ne peuvent donc qu'être inefficaces. De l'autre côté, une droite qui se déchire sur des «affaires» honteuses et des querelles d'ambitions, sans programme et sans idées autres que celles qui, pendant près de 20 ans au pouvoir, ont mené au marasme actuel. Une extrême-gauche irréaliste et indécise au discours vétuste, un centre assis entre deux chaises avec une demi-fesse sur celle de droite. Reste un parti d'extrême droite avec une orientation claire et des «solutions» simplistes et rétrogrades mais faciles à comprendre et répondant aux peurs d'un électorat émotivement tenté de regarder vers un passé plus prospère et plus glorieux. Pas étonnant qu'il fasse le plein des mécontents et des nostalgiques.
De toute façon, il n'y a pas qu'en France que l'Europe est remise en cause. Les Eurosceptiques de tout poil doublent leur députation, la plupart des partis au pouvoir et même des «partis de gouvernement» perdent sérieusement des plumes. Au profit des extrêmes qui peuvent aussi bien être de gauche (Grèce, Espagne) que de droite (France, Autriche, Danemark...) et même que du «tous pourris» (Italie). Il faut être aveugle pour ne pas voir là une conséquence directe, à retardement, du refus des «élites» de tout le continent d'entendre le fort avertissement des citoyens lors du rejet de la Constitution européenne il y a bientôt dix ans. La classe politique a choisi d'exclure les peuples de la construction de l'Union pour se soumettre aux diktats égoïstes des Allemands et des financiers, et cela revient la hanter. Les «anti-Européens» ne sont pas le problème, ils sont le symptôme d'une crise autrement profonde.

22 mai 2014

Pourquoi ne pas «Googler» l'économie?

Un problème majeur de la réflexion économique est qu'elle se fonde sur des hypothèses (trop souvent idéologiques) développées à partir d'indicateurs pointus et d'informations partielles, qui ne tiennent jamais compte du tableau complet de la situation. De même, un argument clef en faveur de tout laisser décider par «le marché» est qu'un groupe ou un individu ne dispose pas des faits et des connaissances requises pour faire les bons choix. Cela pouvait se défendre autrefois, lorsque soit les données globales n'étaient pas disponibles, soit les outils pour les traiter et analyser n'existaient pas.
Or, sur ces deux points, les choses ont changé depuis une quinzaine d'années. L'avènement de l'Internet et son utilisation généralisée par les gouvernements et les entreprises ont suscité la génération ou la numérisation d'une masse gigantesque de data sur tous les aspects de la vie industrielle, commerciale et financière, une masse dont une très grande proportion est accessible à tous. Et l'incroyable montée en puissance de l'informatique fournit même aux individus des outils considérablement plus raffinés pour manipuler, trier et exploiter cette masse. Un exemple: les sites et moteurs de recherche permettant de trouver, dans une ville ou un pays, le meilleur prix pour pratiquement n'importe quel produit.
Le parallèle s'impose avec le traitement et la recherche des données générales sur l'Internet. Une seule entreprise, Google, est parvenue en quelques années, avec des moyens qui étaient limités et artisanaux au départ, à enregistrer et classer la quasi-totalité du contenu du Web. Une autre, Wikipedia, a su regrouper et traiter les informations de type encyclopédique de façon infiniment plus complète, plus à jour et plus accessible que n'importe quelle source d'information traditionnelle. Les deux offrent leurs services gratuitement à tous les utilisateurs à travers le monde.
Dans un tel contexte, qu'est-ce qui empêcherait qu'une opération du même ordre soit réalisée dans la sphère économique? Cela consisterait dans un premier temps à regrouper et analyser de façon neutre, non-sectaire, toutes les données d'actualité pertinentes, et dans un second temps, à numériser, classifier et traiter les séries historiques existantes partout dans le monde en remontant graduellement dans le temps. Le tout devant être placé dans un entrepôt virtuel unique, accessible à tous.
Les moyens requis sont sans doute considérables, mais les bénéfices à moyen et surtout à long terme sont tels que même le plus énorme investissement en matériel, logiciel et effort humain paraît dérisoire. Il suffit que le monde des affaires ou préférablement le secteur public international (FMI, Banque mondiale, OCDE) y consacre une fraction minime de ce qu'a coûté la dernière crise financière pour que des résultats tangibles en termes de diagnostics, de validation des approches macroéconomiques et de probabilité des pronostics apparaissent en quelques années, peut-être quelques mois. À tout le moins, l'exercice permettrait de jauger la pertinence et la crédibilité de l'ensemble des sources recueillies et de dresser un inventaire exhaustif des informations manquantes. Et il contribuerait à relativiser la confiance absolue envers «le marché» en offrant des critères objectifs pour déterminer où cette stratégie est efficace, et où elle doit être remplacée ou complétée par une approche plus directive.
Un avantage secondaire mais non négligeable est que les réponses impartiales ainsi obtenues pourraient résoudre au moins une partie des conflits idéologiques chroniques qui perturbent la réflexion sur l'économie et atténuer les «effets de mode» qui secouent et fourvoient périodiquement la confrérie des économistes. Dans bien des cas, en effet, ces aberrations sont dues essentiellement au fait que les partisans des thèses opposées ou dominantes se fient à des données incomplètes et à des méthodes d'analyse trop limitées. 
La publication récente de l'ouvrage de Thomas Piketty, «Le Capital au XXIème siècle», et son retentissement même dans des pays et des milieux normalement hostiles à ses façons de voir, montre le pouvoir et la pertinence d'une étude rationnelle de séries de données beaucoup plus vastes et profondes que celles qui étaient précédemment disponibles et utilisées. Le «phénomène Piketty» est un argument probant en faveur d'une «Googlisation» encore plus globale de l'information économique.

------
Voir:
 «Googling the future?», The Economist, 16/4/2009,
 «Googling the WTO», Krzysztof Peck, Univ. McGill, 12/10/2011,
 «Using Internet Search Data as Economic Indicators», Bank of England Quarterly Bulletin, 2011 Q2

14 mai 2014

Au moment de boucler la boucle...

À strictement parler, notre tour du monde se terminera le jour où, dans quelques semaines, nous débarquerons de l'avion qui nous ramènera à Montréal. Mais dans notre esprit, c'est l'arrivée à Montpellier la semaine dernière qui en a marqué la fin après quatre mois pleins. Car nous nous retrouvons «chez nous», dans nos meubles, nos affaires, nos habitudes, notre voisinage de copains et de connaissances.
Le retour de Venise s'est plutôt bien passé, même si ça ne s'est pas fait comme nous l'aurions préféré. Idéalement, nous serions rentrés tranquillement en train — express italien de Venise à Milan, puis TGV par le Midi de la France. Hélas, c'était irréaliste, les horaires ne concordaient pas et surtout, il n'y avait pas de trajets directs, mais une série de changements qui étiraient le voyage à plus d'une douzaine d'heures... avec presque obligatoirement une nuit d'hôtel au milieu. 
Nous nous sommes donc résignés à prendre l'avion jusqu'à Lyon (une heure et quart en mode économie sur EasyJet, un peu à l'étroit mais avec un personnel étonnamment sympathique) puis deux heures de train de la Part-Dieu à Montpellier. En chemin, nous avons découvert l'efficace service d'aide de la SNCF, une escouade de jeunes gens joviaux et disponibles en livrée rouge qui vous escortent, transportent et placent vos bagages à bord au départ, les récupèrent et vous déposent dans un taxi à l'arrivée. Gratuitement. Cela confirme ce que nous savions déjà: en Europe du moins, les voyageurs sont pas mal mieux traités dans les gares que dans les aéroports... pour lesquels on paie pourtant bien plus cher!
Une mauvaise nouvelle à l'arrivée, nos quatre valises qui devaient être livrées directement de Venise à la maison à Montréal sont bloquées par la douane canadienne à Dorval, pour une raison mystérieuse. Je suis encore à la recherche d'une explication, et surtout d'une solution pour les dédouaner.
Cela ne nous empêche pas de relaxer et de retrouver graduellement notre énergie après l'inévitable lassitude accumulée au cours d'un tiers d'année de vagabondage, si luxueux fût-il. Et de jouir des plaisirs si conviviaux du Languedoc, tout en cogitant et devisant sur nos meilleurs souvenirs et nos impressions générales.
Pour Marie-José, curieusement, le clou du voyage aura été la découverte de Colombo et du Sri Lanka, avec leurs beautés, leur mentalité chaleureuse et ouverte... Pour moi, c'est probablement Ho Chi Minh Ville (Saïgon) et le Vietnam jeunes et dynamiques, quoique Hong Kong, Sydney et Auckland ont aussi été de remarquables expériences. Nous plaçons hors-catégorie les charmes paradisiaques de Bali et des petites îles du Pacifique.
Mais ce qui m'a le plus frappé dans l'ensemble, c'est l'invraisemblable combinaison de jeunesse, d'énergie, d'optimisme et d'intelligence qui imprègne presque tout l'Extrême-Orient, de l'Inde jusqu'à l'Australie. Une réalité qu'il faut vivre «en direct» pour en apprécier la force et l'importance. Si l'humanité a encore un avenir malgré les conneries et les monstruosités dont elle se rend coupable, c'est là qu'il a toutes les chances de se trouver, bien plus que dans une Europe morose et routinière, un monde arabe empoisonné par l'Islamisme ou une Amérique de plus en plus frileuse et repliée sur elle-même. Et je pense de plus en plus que c'est tant mieux.
Aux lieux qui nous ont marqués, il faut ajouter les rencontres. Quelques co-voyageurs comme le vieux Tom et ses presque cent ans actifs et joyeux, le couple suisse amusant et sans prétention Esther et François de Neuchatel, les musiciens fanatiques de jazz Sam Dunn et Dimitri, nos voisins de cabine californiens Alex et Margaret, férus de peinture et de littérature, le couple francophile et cultivé Ron et Tom d'Oakland, que nous retrouverons peut-être bientôt à Paris... Quelques membres du personnel, le jovial échanson mauricien Alex, la serveuse Italienne experte en pasta Silvia, le Roumain Christian et le Floridien Ben, avec chacun ses efforts pour parler français... et son accent particulier. Et deux ou trois guides locaux d'exception, le charmeur Richard de Papeete, la Vietnamienne Maï faisant le grand écart entre son catholicisme et sa passion pour l'«oncle» Ho Chi Minh, l'Indienne Dilshad et sa connaissance des coins délicieusement secrets de Mumbaï...
Un regret enfin, qui vaut pour toute croisière, mais qui est encore plus flagrant dans un aussi long périple: des escales qui durent un jour ou deux, c'est presque inévitablement soit trop court, soit (plus rarement) trop long. Ou bien on est frustré de ne pouvoir explorer plus en profondeur une ville, un coin de pays fascinants, ou bien on piaffe en attendant de lever l'ancre d'un endroit qui nous paraît de peu d'intérêt. C'est comme le «menu dégustation» d'un bon restaurant... un échantillonnage qui ne vaut que si on peut plus tard revenir sur ses pas pour prolonger l'expérience.
Dans notre cas... il faudra voir à quel point l'âge et la santé nous permettront de le faire!