Il y a exactement 60 ans moins 2 mois, le samedi 14 août 1965, à l’âge vénérable de 23 ans, j’étais chef de pupitre du Téléjournal national de Radio-Canada, à la tête d’une salle de rédaction dépeuplée (je remplaçais le titulaire en vacances). Vers 8 heures du soir, un téléscripteur crépite pour dégorger une dépêche urgente de l’AP: des milliers de Noirs enragés mettent le quartier Watts de Los Angeles à feu et à sang, la police a complètement perdu le contrôle. Comme nous n'avons pas de correspondant en Californie, pas moyen d’avoir un reportage en direct. On fait quoi?
Un de nos caméramen, astucieux, suggère: «Commande une ligne directe de la télé américaine, ils auront sûrement des images qu’on peut repiquer.» Oui, mais ça coûte 2000$/heure (pas loin de six mois de mon salaire de l’époque), sans garantie de succès, et aucun patron n'est accessible un samedi soir pour donner le OK. Tant pis, je prends le risque; catastrophe, pendant une heure, la ligne directe de CBS ne diffuse qu’un frustrant match de football universitaire. Je serre les dents, oublie mes sueurs froides et ose commander une 2e heure: oups, re-football. À 21h48 exactement, le match est interrompu par une actualité urgente: sur l’écran (en noir et blanc), Los Angeles surgit en train de brûler, pas un pompier en vue, mais partout des policiers aux prises avec des émeutiers furieux! Ouf! Nos toutes nouvelles machines VTR sont branchées, les techniciens font un miracle de montage sur le vif, et à 22h pile, le Téléjournal ouvre «cold » sur des images en direct de l’insurrection… alors que tout ce que nos collègues anglos de CBC à Toronto peuvent produire est un reportage audio à base de dépêches d’agence.
Lundi matin, le grand patron des nouvelles Bruno Comeau et son adjoint Phed Vosniakos me font parader et me tapent sur l’épaule: «Bravo, ti’gars… mais tu te rends compte que si ça n’avait pas marché, tu serais en train de te chercher une nouvelle job?»
Forcément, quand je regarde ce soir tous les reportages en direct sur les manifs à Los Angeles, ça me revient en mémoire. Qui dit que l’histoire ne se répète pas?
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