08 octobre 2009

Le Pas du chat noir sur le sable du Bakoua

(4 octobre 2009) Dans un ciel noir liquide, piqué d'étoiles toutes proches, la pleine lune trace à larges et lents pinceaux d'aquarelle des nuages bleu clair aux formes fantasques et harmonieuses. Sur fond sonore de vaguelettes et d'une grenouille syncopée, je me laisse bercer par les musiques raffinées, parsemées de silences à la Satie, du "Pas du chat noir" d'Anouar Braheim.
Ce disque étonnant est un cadeau de ma soeur Marie que je n'avais jamais trouvé la bonne ambiance pour écouter. C'est ici que je la découvre par pur hasard, sur cette plage blonde de l'Anse Mitan, face au scintillement du front de mer de Fort-de-France. Panorama rayé de quelques mats de voiliers au mouillage et occasionnellement égayé par le clignotement tricolore d'un avion long courrier qui descend se poser à l'aéroport du Lamentin. Et dire que demain, nous repartons vers Paris et Montréal!
Depuis le retour des Grenadines, il y a deux semaines, pas grand-chose d'intéressant à raconter. Le climat est plutôt sec pour la saison, à peine ponctué de courtes averses imprévues. Une bonne part de nos journées ont été consacrées à la mise en ordre du Bum chromé, en prévision de sa sortie de l'eau au Carénage pour nettoyage des coques, antifouling et réparations diverses, inévitables après plus de trois ans d'utilisation.
Après consultation et longues discussions animées par les avis divergents d'experts et d'autres plaisanciers, nous avons décidé d'adopter la nouvelle technique du revêtement de cuivre OceoProtec, dont l'inventeur Michel Desbois, un métro sympathique et bon vendeur rencontré au Mango Bay, prétend qu'il est pratiquement indestructible et efficace pendant au moins dix ans. On verra bien.
Parallèlement, il fallait trouver un remplaçant à Jean-Sébastien, notre sorcier charlevoisien de l'entretien, empêché de continuer par des problèmes de santé. Nous en avons profité pour redéfinir les rôles de tous les membres de l'équipe: le skipper Marc, les cousins Daniel et Charles et surtout le grand copain Raymond Marie, qui a désormais la charge principale. Il a fallu refaire un feuillet publicitaire, reviser le contrat de charter, rédiger un inventaire d'avant-après location, etc. Un tas de pensums incontournables dont je me serais bien passé.
Heureusement, il y a eu des moments plus agréables, surtout ces débuts de soirées où nous nous étendions paresseusement sur la trampoline avant, pour voir le soleil descendre sur les collines de Rivière-Pilote et la lune enfler graduellement au-dessus de Sainte-Anne, occultant de plus en plus les myriades d'étoiles.
Mardi soir dernier, à l'invitation du copain Philippe de la Marina, nous sommes partis à Fort-de-France assister à un concert du fameux pianiste jazzman antillais Alain Jean-Marie. Comme la circulation était fluide sur l'autoroute du Lamentin, nous sommes arrivés en ville bien avant l'heure, ce qui nous a permis d'aller flâner du côté de la Savane.
Comme dans le bon vieux temps, nous nous sommes arrêtés pour prendre un verre face au parc, au bar de l'Hôtel Impératrice, qui vient d'être rénové mais en préservant son style "colonial" d'antan: fer forgé, marqueterie et fauteuils de rotin...
L'Impératrice, c'était l'incontournable point de retrouvailles de la belle époque, où nous tombions à tout coup sur les copains martiniquais Berly Glaudon (le fils du proprio), Alex Cressant, le chanteur Francisco, "Câlin", le peintre Sansann Bertrand, ou les Québécois Yves Gélinas (fils de Gratien, marin au long cours installé ici pendant un bout de temps), Diane Bonneau ou Jean-François Guité...
Cette fois encore, ça n'a pas raté: à peine mettions-nous le pied sur le trottoir que l'actuelle patronne, soeur de Berly, nous tombait dans les bras, me reconnaissant instantanément après bientôt trente ans! Échange de nouvelles et de coordonnées, promesses de se revoir bientôt, bisous, et en route pour le concert.
La petite salle de l'Atrium était pratiquement bondée lorsque Alain Jean-Marie s'est présenté seul en scène. J'ai ressenti un curieux sentiment de déjà vu tandis qu'il s'installait au piano pour jouer de sa magie, alternant temps forts et finesse de dentelle, sur une collection de classiques de son idole Ellington, "Bird" Parker, Coltrane, Thelonious Monk (Evidence), etc.
En seconde partie, son copain percussionniste Charly est venu se joindre à lui pour une magnifique excursion à travers la musique de la Caraïbe et de l'Amérique latine, de Cuba à l'Argentine en passant par Haïti, le gwo ka guadeloupéen et la biguine martiniquaise, bien sûr. Une soirée de trop court enchantement.
C'est seulement le lendemain, lorsque Philippe est arrivé à bord avec un collection complète des disques de Jean-Marie, que je me suis rendu compte de la raison pour laquelle il me paraissait étrangement familier: en voyant une de ses photos d'il y a 40 as, j'ai reconnu un jeune musicien que nous fréquentions à Montréal pendant et après l'Expo, chez notre presque voisin Marius Cultier ou dans les boîtes avec Francisco.
Comme nous n'arrivions pas à savoir à quel moment le bateau serait hissé hors de l'eau pour les travaux, nous avons décidé par prudence de passer notre dernière nuit antillaise dans le luxe du Bakoua, à la Pointe du Bout. Et comme l'hôtel est presque vide, la directrice nous a offert pour le prix d'une chambre une mini-suite donnant directement sur la plage. Belle façon de faire nos adieux (temporaires) à la Martinique!

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