10 janvier 2011

Une Crémaillère mémorable

(10 janvier 2011) Je recommence par la fin. Par cette journée d'hier, toute en mode mineur, en une sorte de lente et paresseuse et flottante "déconstruction" du jour précédent. J'"haïs" ce terme, mais c'est le seul qui sonne juste pour qualifier l'état dans lequel Azur et moi nous sommes trouvés au lendemain de la fabuleuse charge émotionnelle qu'a été pour nous la pendaison de la crémaillère samedi.
Nous nous sommes levés peu avant midi, avec la nette impression de sortir d'un trop beau rêve (avons-nous même pris un café? est-ce qu'on a mangé quelque chose? me rappelle pas). Et les coups de téléphone et les courriels de nos invités de la veille n'ont cessé, tout le reste de ce dimanche, d'entretenir cette illusion. Tout le monde voulait nous remercier, alors qu'au fond c'est nous qui leur devions une énorme reconnaissance. Tout simplement, comme dit Azur, "parce que c'est les invités qui font le party"!
Pourtant, tout avait été improvisé au dernier jour ou presque. Depuis des mois, nous avions bien la vague intention de marquer le tournant de l'année par une petite fête de famille célébrant notre installation dans le nouveau logis montréalais. C'est à Paris, presque à la mi-décembre, qu'a surgi l'idée d'y associer quelques vieux amis. Rentrés à Montréal, en faisant la liste de ceux que nous avions le goût de voir, petit à petit nous nous sommes rendu compte que nous serions si nombreux que faire ça dans l'appartement même était irréaliste. Donc, au lendemain de Noël, il a fallu trouver un local approprié et quelqu'un pour nous aider à organiser le tout. Ce que nous avons fait dans les tout derniers jours. Certains des invités n'ont été contactés que la veille…
Ce que ça a donné, c'est une des belles fêtes que nous ayons vécues, un de ces moments où se suspend le cours normal des choses pour créer une bulle d'intemporelle amitié toute chaude et toute douillette que rien ne vient percer. Vous vous rendez compte que pendant les huit heures et quelque que ça a duré, pas un téléphone cellulaire n'a sonné?
Donc, samedi vers midi et demi, sont arrivés ma nièce Geneviève et son copain Yves Prairie (dit "Yves Number Two" depuis une fameuse croisière dans les Grenadines sur le Bum chromé), que nous avions conscrits pour nous donner un coup de main à la réception des invités.
Ceux-ci ont vite suivi, et dès 13h15, notre salon se remplissait d'un monde quelque peu bruyant qui célébrait de chaudes retrouvailles (parfois après des décennies).
Une demi-heure plus tard, nous étions une trentaine qui éclusaient joyeusement, "qui s'esclaffaient qui parlaient haut" tous en même temps (nos parents et amis ne sont pas précisément de timides violettes) dans une pièce surchauffée, surchargée de tous les bouquets de fleurs offerts à Azur : il était temps de déménager.
Mais ce court passage dans l'appartement avait joué son rôle, celui de créer un climat d'informalité qui allait se prolonger si agréablement dans le décor plus impersonnel du "penthouse" de la Résidence, réservé pour l'occasion. Celui-ci consiste en deux salles, la salle à dîner d'un côté, de l'autre un salon cossu transformé en bar où le chef Bruno Ferrès et son fils Alex nous offraient le prolongement de l'apéritif, en particulier un kir à la blanquette de Limoux qui a entretenu l'atmosphère festive et décontractée déjà initiée quatre étages plus bas. Les (presque) derniers invités s'y sont pointés, le beau poète et ami d'enfance Yves Préfontaine et sa compagne Louise, et ma soeur Marie qui avait eu la splendide idée de retourner chez elle quérir sa guitare.
C'est seulement vers 15 heures qu'Azur et Geneviève ont entraîné la masse du groupe loin du bar vers le buffet pour lequel nous nous sommes répartis, au hasard d'affinités pas toujours électives, entre les cinq tables dressées par le chef-traiteur.
Le menu, pas compliqué mais fin et savoureux, a vite attiré tout le monde vers la table de service où officiait notre maître-queux (dont la "Table de Bruno" fait nos délices presque tous les jours au LUX Gouverneur). Crudités et charcuteries en entrée, filet mignon glacé débité en tranches ou filet de saumon en sauce comme plat principal, suivis d'un très bon plateau de fromages, d'une fondante bûche et d'un étalage de pâtisseries. Avec pour arroser tout ça un choix de brouilly, bourgogne passe-toutgrain, petit bordeaux, saint-véran ou re-blanquette. Plus, évidemment, du thé pour Denise Boucher!
C'est au moment du fromage (merci le chaumes!) que le climat est devenu encore plus magique, quand Marie a mis son instrument entre les mains de Michel Robidoux. Le guitariste chouchou de Charlebois, Ferland et bien d'autres a d'abord passé la main au charmant et charmeur Pierre Létourneau, qui a mis les larmes aux yeux à plusieurs en reprenant (souvent avec choeur impromptu) ses "Colombes", "Tous les jours de la semaine" et une ou deux plus récentes. Puis tout le monde a chanté avec Robidoux l'enjôleur "Petit roi" qu'il avait composé il y a quarante ans (chut!) pour Jean-Pierre Ferland : "Dans mon coeur et dedans ma tête il y avait autrefois…"
Michel a ensuite entamé la mélodie de l'unique chanson que nous avions concoctée ensemble, dans le jardin de Létourneau il y a quelques années, "Je ne veux plus partir". Comme il avait des blancs de mémoire sur les paroles, j'ai récité celles-ci pendant qu'il jouait.
Ce qui a donné à quelqu'un l'idée géniale de demander -- ou plutôt de commander -- au parfois modeste Yves Préfontaine de lire un de ses poèmes tiré d'Être-Aimer-Tuer, "Cadences", sur un fond sonore de Robidoux improvisant en sourdine. Instant exceptionnel et silence religieux.
Denise Boucher a suivi dans le même esprit (pendant qu'Alex, imperceptible de discrétion, faisait circuler les digestifs) avec un de ses beaux poèmes de Grandeur nature, "Prière d'envoyer des fleurs". Je me doutais bien que notre toujours suave Haïtien Serge Legagneur ne voudrait pas prendre la parole, mais François Piazza aurait pu suivre avec un texte de L'Identité, si un sursaut de timidité (!) ne l'en avait empêché. Si bien que le graphiste-typographe Robert Myre, qui avait eu l'inspiration d'apporter le catalogue (que nous avions fait ensemble il y a une quinzaine d'années) de l'expo de la collection de Papa Pedro (Rubio) à l'Inspecteur épingle, me l'a mis dans les mains pour que je puisse clore cette phase de la fête en lisant mon "Salut Pépine" que nous y avions inséré à la mémoire du cher et fantasque José Barrio.
Marie a ensuite repris sa guitare et, avec entre autres mon frère Antoine, Azur et la femme du cousin Claude, Cécile -- qui avait également été dans sa jeunesse l'amie d'un de nos autres grands disparus Lucien Gagnon --, s'est mise à rejouer et chanter nos communs favoris de la chanson française et québécoise: Vigneault, Ferré, Beau Dommage, Ferrat, etc. Et Brassens, bordel!
Pendant ce temps, les conversations se renouaient aux autres tables, notamment entre Préfontaine, jadis indépendantiste militant au RIN, et l'aîné de mes cousins, Claude Aubin, ouvertement fédéraliste et pourtant nommé président de l'Office de la Langue française par le premier ministre René Lévesque. Savoureux.
Peu à peu, quelques invités ont commencé à quitter, tandis que d'autres (Guy Lalonde, alias "Tabarnak-de-Tabarnak" selon Azur, ancien technicien virtuose du son dans l'équipe de Guy Latraverse et parfait compagnon de virées mémorables) allaient fumer sur le toit voisin. Il faudrait parler de tous les autres qui sont venus apporter leur contribution à cette fabuleuse journée : la belle et rieuse Monique Dussault, graveure et éditeur d'art, l'ancien réalisateur de Radio-Canada Jean-Pierre Sénécal, célèbre autant pour sa passion des DS Citroën que pour ses "fêtes dans l'île", mon neveu Vincent, curieusement effacé pour un comédien et très tôt parti, ma chère ex-collègue Ingrid Saumart, passée jadis du monde des spectacles dans Spec aux pages de La Presse consacrées, disait-elle, à "la guenille" (officiellement "Cahier de la mode"), mon ancien associé Vallier Lapierre, lui aussi atypiquement discret, notre ami commun, ancien felquiste et toujours passionné de multimédia Gérard Pelletier… J'en oublie sans doute.
C'est en redescendant à l'appartement avec le dernier "noyau dur" de la fête (nous étions quand même une fière dizaine) pour le coup de l'étrier, que nous avons eu une dernière belle surprise : la tardive apparition de Louisette Dussault, la "Souris-verte" d'enfantine mémoire (sans compter combien d'autres beaux rôles), qui arrivait d'aller visiter ses petits-enfants mais n'avait pas voulu rater au moins la fin de la journée.
Suivie de près par Jean-Luc Bastien, oncle d'Yves Number Two, qui fut régisseur du TNM quand Azur y jouait "le Soulier de satin" et "les Sorcières de Salem", puis metteur en scène de "Les Fées ont soif" de Denise Boucher ! Leur présence a redonné à la soirée un bel élan final, célébré en embrassades, chauds échanges de souvenirs… et quelques libations.
Salut, les copains!

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