09 mars 2011

Mercredi des Cendres marinois

 À six heures et quelque du matin, alors que j'écris ceci par un temps frisquet (pour la Martinique) au lever du soleil, la Fête du Mardi Gras est à peine terminée que celle du Mercredi des Cendres a commencé. Le long de la mer face au marché du Marin, un DJ fait rouler les tambours pour les survivants du Carnaval, costumés de blanc et noir, qui dansent les pieds nus dans le sable d'une discothèque improvisée: "En pyjama, lévé en pyjama"…
Je ne les vois pas, mais je les imagine facilement, entendant le grondement des grosses caisses et le cri des trompettes flotter à travers la baie jusqu'à notre ponton, figé dans le calme de l'aube… Personne ni rien qui bouge autour de nous, ici la trève du Carnaval, c'est sacré!
Revenons à Montréal, où les derniers jours ont été occupés par les préparatifs de départ (banque, comptable pour les impôts, retenue du courrier, bagages…) et interrompus par deux belles fêtes.
Il y a eu d'abord de délicieux homards chez Milos, partagés avec la nièce Geneviève, son copain Yves "Number Two" et l'oncle Jean-Luc Bastien, un vieux-vieux copain des années 60 retrouvé à notre pendaison de la crémaillère, avec qui nous avons échangé des tonnes de souvenirs surtout en revenant à la maison prendre le digestif.
Deux jours plus tard, c'est avec le cousin Claude Aubin et sa Cécile que nous sommes allés déguster un brillant dîner gastronomique proposé au restaurant Nuances du Casino par la chef parisienne Olympe Versini, charmante, qui est venue nous faire la causette à la table. Sept petits services de dégustation, aussi raffinés et savoureux les uns que les autres, en particulier de célestes ravioles de crabe à la vanille et de petites tranches de cerf de Boileau rôti, tendres comme de la guimauve et présentées comme des sushis…
Puis, tandis que Cécile et Claude partaient de leur côté pour le Mexique, nous nous sommes envolés vers la Martinique, via la Guadeloupe. Une longue et épuisante journée dont nous nous sommes bien remis à bord du Bum chromé, qui nous attendait (enfin, presque) au ponton 6 de la Marina du Marin.
Presque? C'est-à-dire que pendant notre absence, on a prolongé le ponton dans deux directions, si bien qu'au lieu de nous retrouver seuls au bout de notre quai comme jadis, nous sommes désormais entourés de voisins, catamarans aussi bien que monocoques.
Le couple Suisse-Montpellié- rain de la Marie-Josèphe, Michel et Florence, plutôt en forme, est désormais en diagonale, c'est la "dame à la pipe" (dont le mari, gravement malade depuis longtemps, a finalement dû être hospitalisé) qui nous fait face à babord.
À tribord, il y a deux couples martiniquais sympa qui partagent le motor-boat "Majesté", et derrière nous une énorme vedette garde-côte (rachetée par un particulier, invisible jusqu'ici), un gentil Hollandais dont le petit sloop impressionne par son excellent état et son pimpant malgré ses cinquante ans d'âge, enfin un couple de retraités polonais de Gdynia, un peu froids, mais qui se dégèlent progressivement. L'environnement typique de ce "village transitoire" qu'est toujours une marina.
Il y a aussi l'envahissement saisonnier des grands yachts qui mouillent parmi nous en attendant de s'embarquer à bord des énormes transbordeurs qui les transporteront pour l'été vers Majorque, Valence ou Cannes. Il y a justement un superbe brick d'acier qui balance ses deux vertigineux mats à vergues au-dessus du ponton voisin du nôtre.
Changement de personnel sur le Bum. Xavier, un technicien de maintenance (qui a travaillé ici avec le Charlevoisien Jean-Seb) a pris en charge l'entretien et les petites réparations -- à cinq ans, un bateau comme le nôtre traverse une phase critique où un tas de détails doivent être revus -- et Will, un skipper quadragénaire souriant, a pris le relais à la barre du rasta Marco, qui nous avait quitté pour tenter sa chance en France. Il reste bien sûr le trio de base, le cousin Daniel aux finances, la Sainte-Lucienne Henrietta au ménage et surtout le vieil ami Raymond (qui, Dieu merci, a pris du mieux sur ses 80 ans) à la supervision.
Clairement, les gens qui avaient loué le bateau pour les Fêtes n'y connaissaient rien en catas (ils avaient pourtant un skipper accrédité), ils ont fait pas mal de dommages: crevé un hublot, raclé la coque sur un quai, perdu ou cassé des pièces d'équipement. Heureusement, tout a été réparé ou remplacé pour notre arrivée.
Avant notre retour, nous songions sérieusement à mettre le bateau en vente cette année; au départ de Montréal, la décision était presque prise. Et puis la lente magie de la vie a bord nous reprend, et il n'en est plus question: "Peut-être l'année prochaine, ou l'année après, ou…", temporise Azur -- qui s'est remise à lancer des invitations pour nos prochains séjours. Bon signe. M'est avis qu'à moins d'accident, la saga du Bum chromé est loin de sa fin. D'autant plus que nous mettons samedi le cap sur les Grenadines, "paradis sur terre" et sur mer d'Azur!
Nous renouons peu à peu avec les copains du bord de mer: Lucille et Nicole au Marin Mouillage, la Mauricienne Julia à l'Indigo, le patron néerlandais du Mango Bay, les frères Jean-Joseph au bureau de la Marina qui vient de déménager dans un centre commercial tout neuf, presque face à notre ponton. Pancho, le vieux pote de Jean-Marie Deschamps, a fini par fermer sa "boutique du Marin-Pêcheur", il y a un bout de temps qu'il en parlait. Va falloir aller le dénicher au Diamant, où il habite près de la Dizac.
Dimanche, justement, Azur tenait à aller saluer sa grand-mère au cimetière de son village natal. Pendant qu'elle faisait la causette à ses morts, je suis descendu affronter les fameuses vagues de la Plage du Diamant -- qui cette fois ont eu le meilleur sur moi. Clairement, j'avais perdu la main, et juste comme je me préparais à franchir la barre des brisants pour me retrouver en eau calme, il y en a une énorme (enfin, deux bons mètres de haut) qui a surgi juste à point pour me soulever et me rouler comme une bouteille vide et me faire avaler une bonne tasse d'eau salée. La baignade n'a pas duré bien longtemps.
Hier après-midi vers 16h30, je suis parti seul comme un grand voir le "vidé", le défilé dansé du Mardi-Gras local, qui descendait du bourg pour suivre le bord de mer. Évidemment, dans un village comme le Marin, ça n'a pas le grandiose quasi professionnel de Fort-de-France ou de Basse-Terre (en Guadeloupe, où nous l'avions vécu avec les Larcher), mais la couleur locale compense amplement.
Face au marché couvert, une foule toute costumée de rouge et noir buvait rhum et bière en dégustant des acras (trop salés, pas assez de piment) et du boudin créole, en attendant l'arrivée du cortège.
Les enfants grimés ou masqués couraient et grimpaient partout, les ados en shorts et bas résille dansaient avec vigueur au son de la discothèque qui s'installait sous un auvent. Une demi-douzaine de "djab" cornus faisaient pétarader une vieille mini-Morris décorée de noir et de flammes, sans portières ni toit, tout le long du parcours.
Les vibrations graves des tambours ont signalé l'arrivée du défilé, composé simplement d'un camion portant musiciens et sono, précédé et suivi d'une foule de danseurs costumés, souvent les hommes en femmes et parfois vice-versa, à laquelle une bonne partie des spectateurs se sont joints avec enthousiasme.
Le tout s'est éloigné dans un joyeux vacarme le long de la mer vers la sortie du bourg, tandis que je suivais quelques familles qui rentraient tout doucement chez elles et des jeunes qui, lassés de courir mais non de danser, revenaient zouker à la discothèque face au marché.
Il est huit heures comme je finis ceci… et la musique vient tout juste de s'arrêter: le fantôme de Mardi Gras cède définitivement la place à la réalité du Mercredi des Cendres…

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