06 mai 2014

Un point (presque) final

Tristesse et apothéose de la fin de croisière. Le matin du premier mai, Fête du Travail en Europe, nous sommes une soixantaine en robe de chambre à frissonner à la proue du Sojourn, à côté des marins qui préparent les aussières pour l'ultime accostage. Un verre de mimosa (champagne et jus d’orange) à la main, nous regardons un soleil de la même couleur se lever juste à temps pour illuminer les murs, les dômes et les tours d'ocre et de rose de Venise qui se reflètent dans le miroir bleu clair de la lagune. Un décor à la Canaletto pour la «Grande Finale» de nos quatre mois en mer!
Nous avons franchi peu avant l'aube la passe du Lido et, entre les bouées et les faisceaux de «pali» qui rythment tout l'espace marin autour de la ville, le remorqueur qui nous hâle longe lentement la rive des Jardins publics et de l'Arsenal vers le Palais des Doges. Face à l'embouchure de la Place Saint-Marc encore plongée dans l'ombre, nous nous écartons vers l'Île de la Giudecca toute de pierre dorée et de brique sanguine, dont nous empruntons le canal pour aller accoster en douceur à la Gare maritime.
Entre cette splendeur et celle d'Éphèse quatre jours plus tôt, les trois dernières escales ne pouvaient être qu'un anti-climax. Pourtant Corfou, puis Dubrovnik, deux des «perles de l'Adriatique», méritaient mieux.
Le trajet de Kusadasi en Asie Mineure à Kerkyra (le nom grec moderne de Corfou) a pris un jour et demi, le Sojourn étant juste un peu trop gros pour emprunter le Canal de Corinthe, qui coupe la Grèce en deux à son plus étroit. Nous avons donc navigué de petite île en délicieuse petite île à travers les Cyclades, avant de contourner les pointes dentelées du Péloponnèse.
Le chef-lieu de Kerkyra, Corfou, est une ville curieuse, mi-grecque, mi-vénitienne avec une pointe de saveur anglaise, le résultat d'une longue histoire de conquêtes et d'occupations. Une flottille de cars l'ont traversé à partir du port pour nous emmener quelques kilomètres plus loin au Palais Mon Repos, élégante résidence de l'impératrice Sissi d'Autriche et lieu de naissance du prince consort Philip d'Angleterre, enchâssé au coeur d'un jardin et d'un parc immenses.
L'intérieur, transformé en musée des somptuosités aristocratiques décadentes du 19e siècle, est fort bien préservé, mais l'extérieur est curieusement délabré, comme si l'État grec, qui en a hérité, n'avait plus les moyens de tout entretenir — ce qui, dans la situation de crise du pays, ne serait pas étonnant. Ses façades peintes et ornées aux airs vieillots et son belvédère surplombant la mer formaient cependant un remarquable fond de scène pour le buffet en plein air au champagne et aux hors-d'oeuvres locaux variés et abondants que nous avait préparé la croisière, malgré le temps un peu incertain. Mais tout compte fait, je me demande si nous n'aurions pas mieux fait d'aller simplement flâner à travers la ville, tout aussi intéressante à sa façon. Même parapluie en main.
Il pleuvait aussi des clous le lendemain matin à notre arrivée à Dubrovnik, à tel point que les excursions à terre ont toutes été annulées, ce qui ne s'était jamais produit depuis le début du voyage. Il a fallu mettre une croix sur la balade en téléférique et la vue panoramique de la côte croate promises. Ce n'est qu'en milieu d'après-midi que le ciel s'est assez dégagé pour que nous osions emprunter une navette à la sortie du paquebot, où nous avons eu la chance de croiser un des croupiers du Casino de bord, Serbe «ennemi» des Croates (et donc parlant la même langue!). Il nous a tenu compagnie en nous contant ses souvenirs de jeunesse — et de guerre — jusqu'à l'esplanade de l'extraordinaire bourg médiéval, dont nous avions gardé depuis bientôt douze ans un souvenir ébloui et que lui n'avait jamais visité, pour cause.
Pour nous, la fois précédente était la toute première escale de notre première croisière (à bord de l'«Azur») et tout nous paraissait merveilleux... avec raison dans le cas présent. Pourtant, la ville portait encore à l'époque des stigmates visibles de son récent siège par les Serbes («Bah! avait commenté notre guide local, fataliste, cette ville a été bâtie pour être assiégée.»), des cicatrices aujourd'hui totalement effacées. 
Nous n'avons eu ni le temps, ni le courage d'en faire de nouveau le tour — je pense surtout à ces cours intérieures aux escaliers baroquement tordus et décorés et à ces incroyables rues en volées de marches abruptes tout au fond —, mais nous avons du moins renoué avec la redoute et la tour à pont-levis qui en gardent l'entrée, puis avec la charmante place autour d'une fontaine à l'intérieur des murs. Il n'y avait pas cette fois-ci un ménestrel en costume et luth d'époque pour nous chanter la bienvenue... mais on ne peut pas tout avoir! En échange, j'ai acquis une odorante eau-de-vie artisanale aux herbes dont je me ferai une joie de vous donner des nouvelles.
Le prochain blogue vous parviendra sans doute de Montpellier... mais il vous parlera d'un séjour paisible mais plein de chaleur et de charme dans la Venise «populo» de Sta Maria Formosa.

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