(2 janvier 2010) L'année commence calme, tiède et ensoleillée (à travers une couche de brume, nous sommes à San Francisco, quoi), après un réveillon succulent mais plutôt sage.
Quittant Montréal pour Washington deux jours avant Noël, nous avons échappé de justesse à deux tempêtes carabinées: celle qui a complètement paralysé l'Est américain les 19-20 décembre, et celle qui s'est abattue sur le Québec quatre ou cinq jours plus tard. La première si spectaculaire que nous sommes venus à un cheveu d'annuler le départ.
En débarquant à Reagan Airport (le long du Potomac, juste en face du Mall et du Monument Washington), nous sommes entourés d'atypiques collines de neige sale, pas encore fondue malgré le temps assez doux. Le chauffeur qui devait nous attendre est invisible -- le policier de service devant le débarcadère nous explique que les voitures n'ont pas le droit de stationner là plus de trois minutes; il faut appeler la société de location à Toronto (ah! les merveilles de la mondialisation) pour qu'elle le retrace sur son cellulaire et l'envoie nous récupérer une bonne demi-heure plus tard.
Grâce à quoi nous quittons le Beltway en pleine heure de pointe, par des routes encore imparfaitement déblayées et totalement congestionnées par la circulation. Presque trois heures pour s'escargoter -- cherchez pas dans le Robert, c'est un néologisme -- le long des 50 milles qui nous séparent de Fredericksburg. Et ça, c'est parce que le chauffeur connaissait les raccourcis!
The Inn at the Olde Silk Mill est moins une vraie auberge qu'un bed'N breakfast glorifié,
qui a allongé sa modeste partie centenaire de deux ailes modernes meublées dans le style de l'époque: lits (king-size) à baldaquin ou à colonnes, gigantesques commodes victoriennes, cheminées fonctionnelles et chauffages et téléphones qui ne le sont pas. Ajoutez l'obligation de passer par dehors pour aller au petit-dej, car ils affirment n'avoir pas le droit de percer des portes dans les murs "historiques" datant de mille-neuf-cent-quelque.
La nièce Jessica et sa fille Naomi nous rejoignent le lendemain, et sont logées dans une "suite familiale" de la bâtisse originale: deux chambres encadrant une salle de bain, chauffage et téléphone qui marchent. Et deux pas à faire pour le petit-dej. L'envie est un vilain défaut.
Le Réveillon de Noël typiquement américain au Olde Towne Steak and Seafood Grill (dont la gentille patronne, comme le nom le laisse deviner, est coréenne) commence par une session au bar, où Naomi découvre les délices du Mai Tai (sans alcool), sous l'oeil amusé d'un barman sympa. La suite se déroule autour d'un fabuleux homard à la carapace bourrée de chair bien gratinée. Azur accepte d'affronter son allergie au champagne au profit d'un (ou deux) très bon Veuve Cliquot. Sans effets nocifs, heureusement.
Comme il n'est pas encore 23h, pendant que nous les vieux rentrons à l'hôtel nous remettre de ces agapes, Naomi, souffrant du "cabin fever" typique de son âge, entraîne sa mère au cinéma voir "Avatar", dont elles nous diront le plus grand bien.
Le jour de Noël et le lendemain, balades dans le vieux quartier historique de Fredericksburg, petite ville frontière entre le Nord et le Sud pendant la Guerre de Sécession, et donc bien encadrée par les champs de quatre batailles furieusement meurtrières. Architecture hybride, moitié planteurs sudistes à colonnades, moitié bourgeois yankees aux façades sévèrement harmonieuses, comme on en trouve au Vermont ou dans le nord du Maine.
Juste en face, de l'autre côté de la rivière, le Chatham Manor étale son charme fin 18ième dans des jardins désolés et saupoudrés de neige en cette saison, mais magnifiquement dessinés -- y compris une terrasse hérissée de canons pointant sur la ville.
L'extérieur est en fin de compte plus intéressant que le prévisible et redondant musée "Esclavage+Guerre civile" de l'intérieur.
Une petite demi-heure de route nous amène sur le site de la bataille de Chancellorsville, où grâce à une série de manoeuvres aussi géniales qu'imprévisibles, le sudiste Robert E. Lee a foutu une belle raclée à une armée nordiste deux fois plus nombreuse et bien mieux armée, mais en perdant son second et génie de la cavalerie, "Stonewall" Jackson. Comme nous le savons depuis notre enfance face aux Plaines d'Abraham de Québec, un champ de bataille, c'est un champ de bataille… donc pas grand-chose à voir, mais le musée qui borde celui-ci est fort intéressant, parce que centré sur le sort et la vie des soldats des deux camps, plutôt que sur les péripéties des trois jours du combat.
Le lendemain, Bill, le papa de Naomi, vient se joindre à nous depuis Washington pour un savoureux mais très classique dîner d'après-Noël dans le seul resto français de la région, "la Petite Auberge". Je vous laisse deviner comment les Virginiens prononcent ça.
La conversation prend des détours et un ton fort amusants, Bill retrouvant peu à peu le français acquis lorsqu'il était directeur de la sécurité à l'Ambassade U.S.A. de Paris il y a une douzaine d'années. La dernière fois que nous nous étions vus, Azur et moi passions la nuit du Premier de l'An 2000 chez eux à Fairfax, Virginie; Bill était de garde au State Department, chargé de s'assurer que le "Bogue du Millénaire" n'allait pas mettre à mal une des centaines de missions diplomatiques américaines à travers la planète… et de trouver des correctifs si cela se produisait.
Et comme bien sûr rien ne se passait, il s'ennuyait à mort et nous téléphonait toutes les demi-heures pour nous faire part dans un style emphatique des dernières non-péripéties qui déferlaient au rythme du passage du millénaire depuis Mombasa, Kenya jusqu'à Wellington, Nouvelle-Zélande et Séoul, Corée du Sud. Il a fini par venir nous rejoindre pour terminer le réveillon (et le champagne) au petit matin. Quelle nuit et quels souvenirs!
C'est finalement le lundi matin que nous avons quitté Fredericksburg à bord d'un grand taxi conduit par une Noire opulente, jusqu'à l'autre aéroport de Washington, Dulles, d'où partent les vols directs pour la Côte Ouest. Le nôtre, sur United Airlines, était confortable sans plus, le choix de repas entre un faux croque-monsieur et une vraie Caesar's Salad nous ramenant aux beaux jours du tout-à-l'infrarouge avant la quasi-gastronomie aérienne sous vide de la dernière décennie. L'homme ne vit pas que de pain, heureusement… surtout aux U.S.A.
Cette fois, le chauffeur programmé nous attendait face au carrousel des bagages de San Francisco International, un rondelet à barbiche tout prêt à donner un coup de main agrémenté de conseils assez judicieux sur notre séjour. Après quelques zigzags, notamment dans le nouveau quartier Soma surgi du sol après le tremblement de terre et l'incendie de 1989, il nous dépose au sommet de Nob Hill (à vous de traduire), devant le vieux Huntington Hotel dont la façade de brique rouge aux ornements de pierre blanche n'a pas changé d'un poil depuis mon dernier passage vers 1985, lorsque nous tournions "le Défi mondial" avec Daniel Bertolino et Peter Ustinov, d'après le toujours prétentieux et souvent peu perspicace best-seller de Servan-Schreiber.
Par bonheur, l'intérieur, lui, a été entièrement refait mais en respectant l'esprit néo-baroque de l'époque. En particulier le lounge et le resto, très 1920.
Notre chambre, comme je l'espérais, est immense (elles le sont toutes, plus que celles du chic Mark Hopkins voisin) avec une vue superbe sur Chinatown, l'Embarcadero et un coin de la Baie.
L'autre atout non négligeable du Huntington, c'est le Nob Hill Spa, avec sa panoplie abondante et variée de massages et autres traitements balnéo et sa piscine tiède et confortable flanquée d'un chaud jaccuzzi, face à un mur de verre donnant sur un des plus jolis panoramas de Frisco. Je ne puis m'empêcher d'aller y piquer une tête dès les bagages défaits, et j'y retournerai presque tous les jours jusqu'au départ. Ça ne vaut pas la plage de Sainte-Anne, direz-vous, mais…
Le lendemain, visite obligée à Union Square pour quelques courses et un lunch raffiné (et cher) au Campton Place, avant un détour vers le "Club de la presse", un bar-resto à l'entrée du Chinatown qui est le seul vrai marchand de publications en français ici. Avec une semaine ou deux de décalage, mais bon…
La veille du réveillon, nous prenons un taxi pour nous balader à travers la ville et retrouver nos repères (Marie-José n'a pas mis les pieds ici depuis 30 ans, moi depuis bientôt 20). Hélas, le chauffeur, compétent et serviable, est une machine à paroles intarissable… et d'une banalité à faire pleurer. Nous finissons par trouver une excuse pour écourter le trajet et nous faire déposer à la porte du Boulevard, temple intemporel du "softshell crab". Hélas, nous sommes hors-saison pour cette spécialité locale dont nous gardions un souvenir ému, et il faut nous rabattre sur d'autres fruits de mer, délicieux quand même.
Retour par Market Street, où nous faisons la queue pour acquérir les indispensables sésames donnant accès pendant une semaine au toujours bon système de transport public de Frisco, y compris les "cable cars", ces tramways à crémaillère qui sont la marque de commerce de la ville depuis plus d'un siècle.
C'est d'ailleurs l'un d'eux (bondé à craquer comme d'habitude) qui nous dépose près de l'hôtel après une vertigineuse et brinquebalante grimpette le long de Powell.
Impossible d'avoir une réservation pour le New Year's Eve Party au restaurant Big Four du Huntington, toutes les places sont prises. Le concierge nous propose en alternative une soirée de la Saint-Sylvestre à la plutôt huppée "Jardinière"… mais l'idée de traverser la moitié de la ville pour une fête "à la française" nous enchante assez peu. Nous trouvons un bon compromis en faisant venir à la chambre par le "room service" le même (très bon) menu servi au resto, agrémenté d'un Moët et Chandon correct acquis à l'épicerie du coin. D'autant que si nous avons envie de célébrer la minuit du 1er janvier, nous sommes invités à descendre le faire au bar de l'hôtel.
Bonne et heureuse année!
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