11 novembre 2011

Elle est à toi, cette chanson…

Nous avons échappé de justesse aux pluies diluviennes qui ont pratiquement noyé le Sud de la France cette dernière dizaine de jours. Cela avait débuté le week-end de la Toussaint, Montpellier et sa région étaient placés sous "alerte orange" qui allait devenir "rouge" trois jours plus tard: risque, puis certitude d'inondation.
Effectivement, mercredi, Jour des Morts, est arrivé le premier déluge, de toute beauté. Installé sur mon balcon, je contemplais un rideau gris tellement opaque qu'il ne laissait voir que les premiers pins et cyprès et quelques reflets orangés des toits de tuile des terrains voisins. De temps à autre un éclair bleuté le transformait en un mur de verre dépoli d'un blanc ruisselant. Avec comme fond sonore le crépitement continu et puissant des gouttes sur le pavé, fréquemment rythmé par des roulements de tonnerre. Puis le vent s'est mis de la partie, de fortes bourrasques lançant soudain des ondées puissantes qui balayaient la terrasse et venaient me tremper les jambes en quelques secondes, jusqu'à ce que je me décide à rentrer.
Après un léger répit le lendemain, on annonçait pire pour vendredi, jour de notre départ pour Paris. La journée a commencé par une violente averse, détrempant en bourbier ocre le stationnement de l'immeuble, en cours de repavage. Heureusement, ça s'est calmé peu après midi, juste comme nous devions trimballer nos valises à travers ce chantier jusqu'au taxi qui allait nous emmener à la gare, elle-même en travaux. Ouf!
Dans le TGV, pas grand monde, le confort d'un compartiment à quatre rien que pour nous. Et même personne à faire la queue au wagon-resto où j'allais chercher le sandwich chaud et le pan bagnat au thon qui nous serviraient de lunch. Pendant que nous grignotions, j'ai jeté un regard par la fenêtre... et j'ai eu un choc. On ne voyait rien dehors qu'une tapisserie d'eau blanche sculptée en étranges tresses, causées sans doute par les 280 km/h de la vitesse du train. Comme si nous nous étions trouvés dans une sorte de sous-marin supersonique de science-fiction. Un requin ou un dauphin se serait mis le nez dans le hublot que je n'en aurais pas été autrement surpris. Cela a duré une grosse demi-heure, puis ça s'est arrêté brusquement et le paysage est réapparu. À l'arrivée à Paris, le ciel arborait son gris habituel, mais le pavé était sec, nous donnant l'impression que tout cela n'avait été qu'un rêve un peu bizarre.
La semaine précédente avait été celle de Brassens. C'était son 90e anniversaire de naissance le 22, même jour que le mien... et le trentième de sa mort une semaine plus tard. Non seulement nous nous trouvions tout près de sa ville natale de Sète et du village de l'Hérault où il a vécu ses dernières semaines, mais la télévision française avait programmé à peu près tous les jours une série d'émissions-souvenirs de Brassens chantant, de Brassens interviewé, d'une foule de parents et amis contant leurs anecdotes sur Brassens et d'une brochette d'artistes de toutes les générations chantant Brassens.
La meilleure aura été un téléfilm ("Le mauvais sujet...") reproduisant la jeunesse du poète, depuis ses années de collège à Sète et son arrestation pour de petits larcins jusqu'à ses débuts réticents sur scène Chez Patachou à Montmartre (auxquels Azur avait assisté). En passant par la montée à Paris chez sa tante puis chez "la Jeanne" et son mari Marcel (l'"Auvergnat" de la chanson), le camp de travail en Allemagne, la collaboration avec les anarchistes libertaires, enfin la rencontre de la femme de sa vie, "Pupchen". Le tout rendu crédible et attachant par un comédien, Vincent Rideau, qui s'identifiait au personnage physiquement et émotivement de façon hallucinante.
Pour continuer dans la même veine, nous avons découvert un autre Auvergnat -- gourmand, celui-là -- qui fait sans doute le meilleur boudin noir à l'aligot de Paris.
C'est un étroit restaurant à l'ancienne, La Bougnate, improbablement situé rue Germain-Pilon, à deux portes du Moulin Rouge et du pire clinquant attrape-touristes de Pigalle. Accueil par une patronne joviale qui nous traite comme de vieux habitués. En entrée, nous avons partagé une moëlleuse (et plantureuse) terrine de queue de boeuf en gelée. Azur a ensuite attaqué une gigantesque joue de boeuf presque fondante dont elle a dû laisser plus de la moitié, tandis que j'engloutissais la majeure partie d'un boudin charnu, cuit juste à point, qui devait faire trois-quarts de livre sans compter la montagne d'aligot bien élastique. Sur quoi le mari de la patronne nous a sorti une prune artisanale du Cantal à vous brûler le gosier.
Notre voisin de table était Michou, mythique patron homosexuel d'un cabaret demi-centenaire de Montmartre, avec qui mon ex-Parisienne de femme a échangé des pelletées de souvenirs communs de l'époque Saint-Germain-des-Prés. Avec promesse d'aller lui rendre visite un de ces soirs, rue des Martyrs.
L'Ambassade d'Auvergne est sans doute plus chic et plus renommée, mais côté saveur et ambiance authentique, pas de comparaison. La Bougnate, ça s'appelle "revenez-y"!
En parallèle à tout cela, je me suis lancé dans un projet un peu quichottesque inspiré par la saga des "indignés" et par le petit livre passionné de leur inspirateur, Stéphane Hessel. Je reprends dans un court pamphlet d'une quarantaine de pages les notions développées dans mes échanges de courriel avec plusieurs amis depuis le début de l'année, en les combinant avec le thème de base de mon projet d'"infocratie" (qui traînait dans les tiroirs depuis le milieu des années '90).
L'idée maîtresse est qu'entre la chute du communisme il y a vingt ans et l'évident échec de la démocratie capitaliste à résoudre la récente crise financière et à réduire les grossières injustices dans les pays en développement, les révoltes du "printemps arabe" et des divers "indignados" du reste du monde se retrouvent sans une idéologie crédible, "sans carte ni boussole" pour se structurer en vraies -- et nécessaires -- révolutions.
Ça s'intitule donc "Refaire le monde" et se présente comme un appel aux "indignés créateurs" de toute la planète pour qu'ils s'attèlent d'urgence à repenser une nouvelle structure politique, sociale et économique mieux adaptée au monde informatisé et globalisé d'aujourd'hui et de demain, afin de répondre aux désirs souvent informes mais fortement exprimés des peuples en rébellion contre l'ordre actuel.
Le texte est écrit, en grande partie peaufiné et mis en pages; après l'avoir fait circuler chez mes copains, je profite du passage ici pour voir divers éditeurs, surtout "de gauche", qui pourraient le publier. On verra bien...
Le Bum chromé devra nous attendre quelques jours de plus en Martinique, car nous allons traîner un mois entier à Paris. Le Festival du cinéma palestinien de Janine Euvrard, auquel nous avons promis d'assister, se tient début décembre et non en novembre comme nous l'avions cru. Mais les nouvelles du bateau sont bonnes: Raymond a fait gratter les coques qui, contrairement à ce que prétendaient des critiques experts, demeurent en excellent état après plus de deux ans d'application de l'antifouling Metaleau à base de cuivre. Dommage que la société qui l'avait inventé ait coulé dans la tempête financière, mais du moins son produit survit.
Nous avions prévu naviguer avec des invités en décembre, mais tour à tour Claude Aubin et Cécile, puis Mistouf et Yveline ont dû se décommander. Y'a pas d'autres candidats?

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