03 décembre 2011

Gaîtés parisiennes

Belle soirée bien parisienne mercredi, rue Monsieur-le-Prince à deux pas du Luxembourg. C'était l'ouverture du 5e festival "Proche Orient - que peut le cinéma" que notre amie Janine Halbreich Euvrard organise tous les deux ans contre vents, marées et contretemps et auquel nous contribuons avec grand plaisir à la mesure de nos moyens -- au même niveau que les émirs de la Ligue arabe, paraît-il, mais bof. Est presque émir qui veut, de nos jours!
Comme il se doit dans ce quartier branché de l'Odéon, ça démarrait en face du cinéma dans un pub irlandais très "atmosphère" qui jouait du Leadbelly et du Joan Baez en sourdine. Nous étions les premiers arrivés, j'ai pris une Harp, Azur un cognac, et un beau Berbère dans la jeune quarantaine s'est pointé à notre table: "Vous avez vu Janine?" C'est le cinéaste dont le film inaugurait l'évènement, Nabil Ayouch.
Notre amie a débarqué dix minutes plus tard, suivie de son ex-ex (puisqu'ils revivent ensemble) Michel Euvrard, du photographe "officiel" Frédé (militant CGT de son métier), du co-animateur du festival Dominique Vidal (ancien patron de Janine au Monde Diplomatique),
de la costaude et fascinante ambassadrice de la Palestine à l'Union européenne Leila Shahid, de la patronne du cinéma Anne Vaugeois (bien française malgré son nom), etc.
En vingt minutes, l'endroit se peuplait d'une faune germano-pratine de gauche mâtinée de journalistes, où tout le monde parlait haut sans paraître entendre personne, tandis que champagne et bordeaux arrosaient grignotages, pizzas au thon et salade maghrébine. Janine nous a prėsentés à un peu tout le monde jusqu'à ce qu'il soit temps de traverser la rue pour plonger au fond des entrailles du ciné "Trois Luxembourg" -- quatre escaliers à pic, je m'attendais presque à me retrouver dans les catacombes de Lutèce.
La petite salle était remplie à quelques fauteuils près, et la séance commençait par la projection vidéo du "Sout al Horeya", cet hymne de la révolte égyptienne de février que j'avais tout bêtement repiqué de YouTube sur un DVD. Applaudissements nourris de ceux qui comprenaient l'arabe, polis des autres -- nous avions négligé de sous-titrer en français. Curieux comme, à dix mois d'intervalle, ça redevient pertinent et émouvant, face à ce qui se passe de nouveau Place Tahrir...
Le premier film, un court-métrage, mettait en scène un Palestinien et son fils venus revoir, après des décennies, leur village d'origine devenu musée archéologique à ciel ouvert. Une séquence extraordinaire: pendant plus de cinq minutes, le père est suivi pas-à-pas le long de la route déserte par la voiture des soldats israéliens qui viennent de l'expulser du site, une 4X4 à la grille agressive qui gronde et rampe dans la poussière comme un grand fauve. Hallucinant et presque insupportable.
Le film principal "My Land" de Nabil Ayouch est aussi un documentaire, plus long et plus complexe. Le cinéaste, mi-juif, mi-marocain, a eu l'idée étonnante et efficace de montrer à des Israéliens dans la vingtaine, pour obtenir leurs réactions, des entrevues qu'il a tournées avec de vieux réfugiés palestiniens parqués dans les camps libanais, chargés de la douleur de l'exil et des regrets du pays perdu, dont ils évoquent éloquemment les couleurs, les saveurs et les parfums de soleil, d'olivier et de jasmin. Les réactions sont aussi variées qu'imprévues, avec comme seul point commun une invraisemblable ignorance (parfois même indifférence) des jeunes Israéliens vis-à-vis leur propre histoire.
Azur, en particulier, a été émue et interpellée par la dimension humaine, émotionnelle, que cette approche donne à un conflit dont on ne voit habituellement que des images de violence guerrière, dont on n'entend que des discours politiques. Le débat qui a suivi traduisait bien cet aspect inédit, notamment à travers les échanges entre la Palestinienne Leila Shahid et Yael ben Yefet, une des animatrices du massif mouvement contestataire israélien de l'été dernier.
Le volet plus personnel de la soirée était pour nous le lancement informel de mon pamphlet "Refaire le monde", une cinquantaine de pages dont une centaine d'exemplaires imprimés à la va-vite chez un photocopieur du Quartier Latin ont été distribués par Janine et ses collègues aux personnalités présentes, dans l'espoir de susciter un intérêt menant à une publication plus officielle.
Après avoir pensé faire la ronde des éditeurs parisiens manuscrit en main, des conversations avec les Euvrard et quelques autres m'ont en effet lancé dans une tout autre direction. J'ai choisi une approche "virale", parlant et faisant parler du texte par mes copains ici et là, et faisant circuler des exemplaires dans les milieux intellectuels, littéraires et journalistiques qu'ils fréquentent. Entre autres, Janine va le faire lire à son ami Stéphane Hessel, auteur du spectaculaire et imprévu succès de librairie "Indignez-vous!", et une représentante du mouvement français des "indignés" qui était présente mercredi m'a déjà contacté. On verra bien.
Je suis allé manger il y a une dizaine de jours avec un vieux copain et complice de l'époque de Michel Cartier et de ViaNet, Jean-Michel Billaut. L'ancien directeur de l'Atelier de la Cie bancaire et "Monsieur Internet" français a perdu une jambe et s'est mis au vert dans son village près de Montfort-L'Amaury, mais il n'a rien abandonné de sa verve ni de son énergie.

En déjeunant d'une solide potée au chou dans son auberge favorite, nous avons brassé une tonne d'idées et de projets, du simple et réaliste au farfelu le plus échevelé, comme dans le bon vieux temps. Il me recommande de miser sur le virtuel pour répandre mon pamphlet: publication sur Internet en e-book, site Web, page Facebook, réseau Twitter, appel ouvert aux traductions dans une flopée de langues... Tentant, mais ai-je le courage de m'embarquer là-dedans à fond? Ça ferait un drôle de chambardement dans notre rythme de vie bohémien-pépère!
Le même soir, retrouvailles avec un autre camarade des années '80, Jean-Claude Quiniou, dans son douillet appartement de la rue de Buci. L'ancien critique du Parti communiste en matière de technologies a encore un peu vieilli depuis notre dernière rencontre, et j'ai l'impression que sa mémoire courte n'est plus ce qu'elle était. Nous avons donc passé le gros du temps à échanger des souvenirs d'enfance et de jeunesse, entrecoupés de nouvelles sur nos vieilles connaissances communes. Sa compagne Ghislaine et leur fils Mathieu sont passés en coup de vent, entre un cours d'université et une réunion militante, changeant complètement le ton et le tempo de la conversation...
Pour le reste, nous avons retrouvé avec plaisir les amies Gisèle Maia et Janine Chapon, revisitant avec la première un de nos restos chouchous du Bd Saint-Germain, Vagenende, et entraînant la seconde au fond du XVe arrondissement, Porte de Vanves, pour le fabuleux couscous du Caroubier.
Quant à l'ancien Montréalais Hervé Fuyet et à sa fille Peggy, ils ont eu droit à une autre de nos traditions gourmandes, la choucroute "formidable" de Terminus Nord, en face de la gare du même nom.
Il fallait bien aussi jouer un peu aux touristes, surtout que j'étrennais ma dernière folie photographique, le superbe reflex a77 de Sony avec ses 24,3 millions de pixels, son viseur électronique dernier cri, son écran orientable et ses zillions de fonctions -- y compris la vidéo HD, dont je ne suis pas sûr qu'elle va me servir.
Ça s'est traduit par une série de virées en autobus dans tous les coins de Paris (le temps a été plutôt clément pour la saison), y compris la grimpette sur la Butte en Montmatrobus, et la descente à la nuit tombante des Champs Élysées,
tout pimpants de leurs nouvelles décorations lumineuses pour les Fêtes, le tout culminant dans un cérémonial digestif accompagné de marrons chauds (achetés sur le trottoir en face) dans ce temple intello qu'est Les Deux-Magots à Saint-Germain des Prés.
La bonne nouvelle ultime, c'est que nous aurons une agréable compagne pour naviguer sur le Bum chromé à partir de la semaine prochaine. La vieille amie d'Azur Janine Chapon a décidé de venir avec nous en Martinique jusqu'à Noël.
Les prochaines nouvelles vous proviendront donc du ponton 6, Marina du Marin!

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