08 octobre 2013

Nice... sans salade!

Escapade en solitaire sur un coup de tête. Azur voulait faire du cocooning, j'en avais assez de traîner à la maison. Donc brosse à dents, désodorisant et un caleçon de rechange, puis direction la gare. Ma première idée, c'était Bruxelles, mais le seul train direct depuis Montpellier était plein. Il y en avait un autre, un quart d'heure plus tard, vers Marseille, Toulon, Cannes et Nice. 

Pourquoi pas Nice? Nous n'y étions pas retournés depuis une virée sur la Côte d'Azur il y a bientôt 40 ans. Elle a bien eu le temps de changer. Et avec un peu de chance, j'y retrouverais mon ancien voisin et collègue Jean-Guy Martin, qui y a pris sa retraite du Journal de Montréal il y a quelques années.
Mon train n'était pas un TGV, mais un Corail Intercités, plus lent mais confortable avec ses sièges de cuir et ses vastes fenêtres en première. Pas de bar, mais un chariot-snack qui parcourt les wagons, offrant sandwiches, amuse-gueule, boissons. Heureusement, car il y a quatre heures et demie de route, en partie dans l'obscurité.
Il était près de 20h quand j'ai débarqué dans une gare en grands travaux. La plupart des bons hôtels étaient surchargés, un gros congrès se terminait le lendemain. Avec l'aide d'un couple de jeunes routards et de l'Internet, j'ai fini par dénicher une chambre "triple" (trois lits simples et une seule chaise droite!) dans un trois-étoiles juste potable, le Nicéa, à dix minutes à pied. Son seul attrait est un antique ascenseur de fer forgé, aussi ancien que l'immeuble. Je n'allais certainement pas y rester plus d'une nuit.
Sitôt installé, je suis ressorti, affamé — le sandwich du train déjà loin. Mes souvenirs de Nice n'étant pas précisément gastronomiques, je suis entré dès la rue voisine dans le premier resto ouvert, un Indien aux odeurs appétissantes. L'Achiana ne m'a pas déçu: dans un décor très bollywoodien, pour un prix d'aubaine, j'ai eu droit à une cuisse de poulet tandoori, un pain nan, un agneau chai korma tendre et aromatique avec riz basmati, un quart de rosé et un thé-citron.
Le bruit proche du tramway m'a attiré; en dix minutes je me suis retrouvé en plein coeur de l'action du Vieux Nice, dans le dédale des petites rues entre la Place Masséna (sérieusement relookée) et le début de la Promenade des Anglais. Devant la plupart de la douzaine de bars et discos ouverts, des bandes de jeunes souvent bien mieux sapés qu'à Montpellier faisaient la queue (un jeudi!) ou fumaient un verre à la main. Des duos et trios de filles en mini-jupe et maquillage de combat reluquaient d'un air critique tous les mâles qui passaient…
Mes jambes étant ce qu'elles sont, j'ai fini par grimper dans un cyclopousse vétuste aux engrenages problématiques, mais dont le pilote à l'entrain inaltérable m'a quand même promené tout autour des quartiers anciens, zigzaguant avec abandon à travers la foule dense qui circulait Cours Saleya et escaladant les rues pentues qui fourmillent autour de la colline du Château. Pour me ramener vers minuit à la porte de mon hôtel.
Au matin, j'ai vite déménagé dans le plus proche hôtel Mercure, faisant en même temps quelques emplettes (chaussettes, sous-vêtements, polos…). Après un repas marocain correct sans plus, grande balade en tramway et bus à travers la ville, dont j'avais oublié le caractère encore profondément italien: statues et monuments rococo, maisons au crépi de couleurs vives — rose, orange, canari, vert irlandais, bleu ciel —, arcades autour des places. Après qu'Azur, jointe au téléphone, a décidé de ne pas venir me retrouver, je suis monté finir la journée au bar sur le toit et dans la jolie piscine attenante, avec leur vue splendide sur l'ensemble de la ville.
Samedi midi, je me suis offert un des temples de la cuisine classique niçoise, la Brasserie de l'Union, rue Michelet non loin de l'Université: derrière une façade de bistrot on ne peut plus conventionnelle, deux salles sombres donnent sur un jardin-terrasse au charme imprévu. Au menu, pastis et tapenade noire, plantureuse terrine à la confiture d'oignon et ce fleuron de la gastronomie locale, la daube de boeuf aux raviolis farcies, excellente mais bien trop copieuse. Contre le crozes-hermitage que j'avais choisi, le garçon, à ma surprise, m'a conseillé un bien plus modeste côtes-du-rhone Domaine de Belle-feuille 2010. Dont je me suis délecté. A suivi l'inévitable flânerie sur le Quai des États-Unis et la Promenade des Anglais (dont la plage était encore étonnamment peuplée de baigneurs) et en soirée, un verre au bar du Negresco (tradition oblige) et courte visite au Casino Ruhl, célèbre autant pour son décor tarabiscoté que pour les scandales à parfum mafieux qui ont pimenté son histoire…
Dimanche matin sombre et ciel menaçant. Ça ne m'a pas empêché de descendre faire une petite tournée des musées: le Chagall, charmant et plein de vie, et le Musée d'art moderne, plus vaste et bien garni, mais qui ne m'a pas autant plu. J'ai fait à regret l'impasse sur le Matisse, plutôt excentré en quasi-banlieue et dont ce que j'en ai lu me disait qu'il ne valait probablement pas la grande salle qui lui est consacrée à l'Hermitage de Saint-Pétersbourg, avec sa concentration de purs chefs d'oeuvre.
Il tombait des gouttes quand j'ai mis le pied peu après midi à l'Âne rouge, fameux et élégant resto de fruits de mer qui fait directement face au Vieux-Port dont les rares pêcheurs encore actifs l'approvisionnent. Bien inspiré, j'ai pris une table à l'intérieur… une demi-heure plus tard, toute la clientèle de la terrasse se faisait doucher par une violente averse et devait se précipiter en-dedans cul par-dessus tête. C'est en contemplant un véritable déluge que paisiblement j'ai dégusté un excellent blanc régional, deux sardines farcies de chair de palourdes, puis le plus moelleux saint-pierre poché dont j'ai souvenance, surtout garni d'un fin risotto aux girolles orangées. C'est maman, fana des champignons sauvages, qui en aurait bavé. Tout ça coûtait le triple du repas de la veille à la Brasserie de l'Union, mais la réputation, le décor luxueux, la vue imprenable (y compris sur l'orage) et le service très grande maison...
La journée s'est encore terminée au bar sur le toit du Mercure, à coups de ti-punchs antillais dont je venais d'enseigner la recette au barman, qui en échange m'en alimentait à répétition. Si bien que c'est un peu dans le vague que j'ai terminé la lecture d'"Avion Sans Elle" de Michel Bussi, un policier plus sympa pour le récit bien mené et les personnages attachants (même le méchant, tout compte fait) que pour la qualité de l'intrigue, tordue à souhait mais au dénouement plutôt prévisible.
Ne restait plus qu'à boucler la petite valise achetée vendredi près de la gare, pour lundi midi reprendre l'Intercités en sens inverse vers Montpellier. Sans avoir vu Jean-Guy Martin, dont le téléphone ne répond plus. Est-il disparu, ou simplement reparti au Québec? Faudra voir...

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