03 octobre 2015

La leçon du niqab

Une première remarque sur le débat électoral canadien de vendredi soir: beaucoup plus que les autres, il a montré que sur le fond, il y a deux camps: celui, minoritaire, des ultra-conservateurs de Harper, et celui, majoritaire mais divisé, des progressistes plus ou moins affirmés, plus ou moins sincères. Depuis le centrisme libéral, jusqu'au nationalisme de centre-gauche du Bloc et au fédéralisme centralisateur mais syndicaliste et pro-féministe du NPD — et ça aurait été encore plus flagrant si Elizabeth May avait été présente. 
Entre le premier et les autres, il y a une faille idéologique majeure. Entre les trois, tout juste des nuances de pensée... ce qui a fait que malgré l'avantage évident qu'ils auraient eu à s'attaquer les uns les autres, ils se sont presque toujours trouvés involontairement ligués contre Harper. Ce n'est pas seulement, ni même surtout, une question de lutte pour le pouvoir et de «n'importe qui sauf le gars en place», mais vraiment une affaire de principe. Tant mieux.
Que le «gauchisme» de Trudeau junior soit un peu suspect et risque de ne pas résister aux tentations du pouvoir, que celui de Mulcair demeure coloré par son passé bigarré de libéral québécois, que celui de Duceppe soit aveugle à sa parenté évidente avec celui des autres provinces ne change rien à la chose. C'est d'autant plus dommage que leurs divisions vont peut-être permettre à leur ennemi commun de se maintenir au pouvoir et de poursuivre notre américanisation forcée malgré la volonté populaire... tout comme les deux dernières fois. Beurk.
Ma seconde remarque: ce n'est pas en répétant la mantra «Passons aux choses sérieuses» qu'on va escamoter ce qui est, en fait, un élément majeur de la campagne: le foutu et dérangeant niqab. Pour deux raisons.
La première porte un nom bien simple: démocratie. Si ce n'est pas au peuple citoyen à décider ce qui est important dans la seule période où il a son mot à dire dans la façon dont on l'exploite, je me demande bien à quoi sert tout cet exercice. Ou alors on crée un mini-comité de beaux esprits (par exemple Kim Campbell, Françoise David et Thomas Mulcair — qui malgré leurs désaccords s'accordent pour affirmer qu'une campagne électorale n'est pas le bon moment pour que le peuple se fasse des idées) qui vont nous dire ce qu'il faut penser et on économise les frais de l'élection.
La deuxième raison, encore plus forte, c'est que cette fois du moins, le peuple a entièrement raison. Que la Charte des Droits individuels puisse servir de garantie inconditionnelle à l'obscurantisme sexiste de n'importe quelle coutume idiote est un danger majeur pour nos sociétés... même si le cas ne se présente que deux fois sur 680 000 (Raïf Badawi en Arabie séoudite est aussi un cas unique, et après?). On ne peut en aucun cas se dire laïque et civilisé et accepter que nos tribunaux approuvent le fait qu'un individu (peu importe sa croyance) ait tordu le bras à sa femme ou à sa fille jusqu'à ce qu'elle réclame comme un «droit» un geste qui l'abaisse et fasse d'elle un objet de sarcasme et de discrimination.
Pour mieux comprendre l'absurdité de la situation, imaginez simplement ce qui se serait produit si c'était un garçon catholique ou juif qui, influencé par sa maman, avait prétendu prêter serment masqué (défense de rire, sous peine de 1000 coups de fouet)! Toute loi qui favorise un tel détournement du concept de droit est une mauvaise loi et il faut la changer d'urgence, au lieu de s'abriter derrière la toge des juges...
C'est certainement aussi important que le fractionnement des rapports d'impôts ou la protection de la gestion de l'offre laitière. Bravo, l'intelligence du peuple!

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