17 mai 2016

Quelques idées sur Uber

a. Il faut distinguer entre le concept et l'entreprise.
1. L'idée de base s'inscrit très bien dans le courant non seulement socialement valide mais inévitable à la longue de l'économie collaborative. Il s'agit d'un service rendu surtout à temps partiel par des citoyens qui y trouvent un mode de financement pour leur véhicule personnel ou familial, un emploi initial comme immigrant ou réfugié, une porte de sortie au chômage prolongé, un complément à une faible pension de retraite et, à terme, un supplément à un revenu minimum garanti par l'État. C'est donc une erreur grossière de ne considérer le problème qu'en termes de concurrence déloyale et d'emploi dans le sens où on l'envisage trop souvent.
2. L'entreprise telle qu'elle se présente ne répond que bien imparfaitement aux exigences d'un tel service. Pour le faire, elle ne doit pas être internationale, mais nationale et même locale: les revenus qu'elle rapporte doivent demeurer dans la communauté où elle opère. Au minimum, ce devrait être une franchise autonome, dûment incorporée dans chaque pays ou région, ne payant à l'actuelle multinationale qu'une redevance fixe et minimale (pour l'utilisation du logiciel et de la marque de commerce) et obéissant aux règles locales des autorités du transport. Idéalement, elle pourrait abandonner l'étiquette Uber et prendre la forme d'une coopérative, dont les membres soient les chauffeurs et dont le conseil d'administration devrait comprendre des représentants des passagers.
b. La mise en place doit être graduelle, pour tenir compte de deux impératifs.
1. L'élimination progressive, avec le minimum de dommages sociaux, de l'actuelle industrie du taxi, dont il va falloir admettre qu'à moyen terme elle ne saurait survivre qu'artificiellement, grâce à des mesures qui bloquent des innovations dont l'utilité publique est évidente. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une véritable industrie, mais d'un service où la concurrence réelle n'existe pas, puisque les règles de fonctionnement et les tarifs sont universels et fixés par l'autorité publique — qu'il soit assuré par des entreprises privées est un artefact anormal du système capitaliste. Les chauffeurs de taxi devraient donc être encouragés à s'intégrer au nouveau système, dans lequel ils auraient la priorité d'embauche. Les autorités compenseraient peu à peu les détenteurs de licences selon un barème à déterminer et sous la forme de déductions de taxes (immatriculation, carburant...) et d'impôts.
2. Le bien-être et la sécurité des passagers. Il faut mettre sur pied trois nouvelles structures: un mécanisme de certification des véhicules (propreté, état mécanique, confort), un régime spécifique d'assurances à taux variables et un système de formation des chauffeurs. J'insiste sur la nécessité que ces structures soient nouvelles ou renouvelées, parce que soumettre les conducteurs d'Uber aux règles actuelles de l'industrie (comme nos gouvernements tendent à vouloir le faire) néglige un aspect majeur du problème: le caractère à temps partiel de l'emploi et la relative fragilité des revenus à en tirer, ce qui constitue une différence essentielle avec les taxis commerciaux classiques — ne pas en tenir compte abolit la plupart des avantages d'économie et de souplesse d'application de ce système.
c. Uber (ou son équivalent) doit fonctionner en collaboration et complémentarité avec aussi bien les transports publics que le covoiturage bénévole. Chacun des trois doit avoir ses propres circuits bien définis et des points de jonction reconnus avec les deux autres. Par exemple le covoiturage pourrait se concentrer sur deux créneaux: les voyages de longue distance et les trajets répétitifs comme ceux entre domicile et lieu de travail ou institution d'enseignement. Les transports publics continueraient à desservir des routes fixes à bas prix. Uber aurait le monopole des trajets locaux ou régionaux entre deux lieux spécifiques mais différents d'une fois à l'autre et pourrait suppléer aux transports publics sur des routes peu fréquentées. À ce trio s'ajoutera à terme la location horaire de voitures avec ou sans conducteur, dont le rôle principal sera de permettre des déplacements à plusieurs étapes ou avec des arrêts prolongés pas nécessairement prédéfinis, une éventualité à laquelle il serait bon de se mettre à penser dès maintenant.
d. Le concept de base d'«économie de partage» peut s'appliquer à bien d'autres types de services individuels ou collectifs que le voiturage et mérite effectivement une réflexion et une analyse prospective indépendante et plus approfondie qui prenne en compte autant les facteurs et les retombées sociaux qu'économiques. Ce qui n'empêche pas de mettre en marche rapidement le processus d'insertion d'Uber, qui servira alors d'expérience pilote et de laboratoire dans ce domaine.
Bien sûr ce qui précède comporte plusieurs évidences et reprend nombre d'idées évoquées ailleurs. Mais face à la stridence du débat sur le sujet et aux nombreuses contradictions que j'y ai relevées, je trouve utile d'essayer de présenter une vue d'ensemble relativement équilibrée, quitte à risquer quelques répétitions. 

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